Fiche du document numéro 34164

Num
34164
Date
Mercredi 3 avril 2024
Amj
Taille
39012
Titre
Parutions
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Lieu cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation

Recueil. « Le Choc. Rwanda 1994 : le génocide des Tutsi »



En avril 1994, Jean-Paul Kimonyo, jeune Tutsi né en exil, est étudiant au Canada. Le futur historien et ­politiste assiste à distance, tétanisé, au déclenchement du génocide. Il savait que les milices et les militaires hutu n’attendaient qu’un signal pour commencer les tueries, mais il ne pouvait imaginer ce qu’il découvre progressivement : la participation systématique de civils. Ni cette évidence, qui s’impose bientôt : l’indifférence de la communauté internationale, l’abandon des Tutsi par les Belges et les Français, puis par les forces des Nations unies. « Nous étions seuls au monde », écrit l’auteur de Rwanda, un génocide ­populaire (Karthala, 2008).

Son témoignage, l’un des plus forts du recueil, ouvre Le Choc, qui réunit des textes consacrés moins au génocide lui-même, expliquent les maîtres d’œuvre, qu’à la « rencontre » avec lui et à « la façon dont il a bouleversé – ou non – la ­conscience du monde ». Rwandais, Belges ou Français, historiens, écrivains, spécialistes des images, de la pédagogie, du négationnisme, la vingtaine d’auteurs diffractent cette question selon leurs grilles d’analyse respectives et, surtout, leur plus ou moins grande proximité avec l’événement.

En ressort une ligne de partage qu’Henry Rousso, dans une lumineuse postface, résume par ces mots : « Exceptés les survivants et les témoins directs du génocide, la plupart des contributeurs sont réunis par un ­sentiment commun qui revient comme un leitmotiv : celui du rendez-vous manqué » ou qui, comme il le note pour lui-même, s’est produit « tardivement ».

En reliant ce retard aux décennies durant lesquelles la France a refusé de reconnaître sa responsabilité – jusqu’à la publication du rapport Duclert en mars 2021 et au discours du président Macron à Kigali, le 27 mai suivant –, l’historien délimite le champ exact de la « solitude » décrite par Jean-Paul Kimonyo, entre aveuglement volontaire des poli­tiques et engourdissement des consciences individuelles. Le « rattrapage » actuel, que ce livre explore, ne répare pas la faute. Il permet du moins de placer enfin chacun face à une histoire devenue « un passage obligé de l’historiographie du temps présent et plus encore de la conscience contemporaine ». Fl. Go.

« Le Choc. Rwanda 1994 : le génocide des Tutsi », sous la direction de Stéphane Audoin-Rouzeau, Annette Becker, Samuel Kuhn et Jean-Philippe Schreiber, postface d’Henry Rousso, Gallimard, 430 p., 22 €, numérique 16 €.

Recueil. « Récits de rescapés du génocide des Tutsi en préfecture de Gikongoro »



Le 12 juillet 2022, à Paris, était condamné à vingt ans de réclusion criminelle, pour « complicité de génocide et de crimes ­contre l’humanité », Laurent Bucyibaruta, ancien préfet de Gikongoro. Cette préfecture du sud-ouest du Rwanda, où, en 1963, 20 000 Tutsi avaient été assassinés en dix jours – « le massacre le plus horrible et le plus systématique depuis l’extermination des juifs par les nazis », déclara le philo­sophe Bertrand Russell l’année suivante –, est aussi l’un des lieux où le génocide de 1994 a fait le plus de victimes, avec celle de Kigali. Tout s’est passé comme si, après trois décennies de persécutions anti-Tutsi, un « modèle [avait été] établi », qui n’avait plus qu’à être amplifié, note dans son texte d’ouverture l’une des coordinatrices de ces Récits de rescapés…, Florence Prudhomme. Sous l’égide de l’association qu’elle a fondée, Rwanda avenir, consacrée à la « reconstruction psychique des victimes », vingt-deux survivants, tous ­témoins lors du procès de Bucyibaruta, racontent avec une précision exemplaire les mécanismes de la mise à mort systématique d’hommes, de femmes et d’enfants dont il s’agissait de détruire l’humanité même. Certains s’expriment pour la première fois, trente ans plus tard, telle Agnès Kamagaju, qui résume ce long silence en demandant : « Parler de mes malheurs ? Mais vers qui irais-je pleurer ? » Fl. Go.

« Récits de rescapés du génocide des Tutsi en préfecture de Gikongoro », sous la direction de Florence Prudhomme et Michelle Muller, avec Odette Mukantagara, Classiques Garnier, « Littérature, histoire, politique », 352 p., 39 €.

Recueil. « Combattre un génocide », de Jean-Pierre Chrétien



Le 26 avril 1994, le quotidien Libération ­publiait un article qui aurait dû contribuer à réveiller l’opinion française, « Un nazisme ­tropical », où Jean-Pierre Chrétien, historien de l’Afrique des Grands Lacs, qui travaillait ­de longue date sur la racialisation des enjeux politiques au Burundi et au Rwanda depuis l’époque coloniale, avertissait : « Tout bascule vers une véritable Shoah africaine », tout en fustigeant les complicités occidentales, en particulier, en France, celle de « socialistes égarés dans le ­populisme racial ». Las, ce texte vigoureux, d’une lucidité alors peu courante, a ­surtout valu à son auteur insultes et caricatures, lesquelles dureront des années encore. Il est vrai qu’elles avaient commencé dès le début des années 1990, tandis que l’historien alertait sur la ­montée du risque génocidaire et l’irresponsabilité du soutien apporté par le président Mitterrand à son homologue rwandais, Juvénal Habyarimana, au pouvoir de 1973 à sa mort le 6 avril 1994. C’est ce combat acharné que récapitulent les textes réunis, en accord avec l’auteur, par Vincent Duclert et l’équipe de recherche issue de la commission sur le rôle de la France au Rwanda. On connaît l’impact du rapport que cette commission a remis au président de la République. Ses artisans, en rendant hommage au grand historien – et, ce qui est mieux encore, en le donnant à lire –, montrent que ce travail décisif avait été précédé et préparé par Jean-Pierre Chrétien, l’homme qui a ouvert les yeux quand nous les tenions grand fermés. Fl. Go

« Combattre un génocide. Un historien face à l’extermination des Tutsi du Rwanda (1990-2024) », de Jean-Pierre Chrétien, Le Bord de l’eau, « Documents », 240 p., 20 €.

Roman. « Avant la nuit », de Maria Malagardis



Pour tendre un miroir aux faits dans leur implacable nudité, Maria Malagardis, grand reporter à Libération qui a couvert le génocide des Tutsi au Rwanda, prend des ­détours féconds : le recul du temps, qui a permis de mettre au jour les responsabilités, et nous fait ­remonter jusqu’à l’imminence des événements – avoir attendu qu’advienne cet « après » –, l’aide aujourd’hui à s’enraciner sans fard dans l’avant ; le choix de la forme ­romanesque ; celui, enfin, de ne pas nommer le pays et les ethnies en présence, pour faire advenir la catastrophe sous nos yeux en une « lave silencieuse ». Frontale. Flagrante.

A partir du meurtre de six enfants, en novembre 1993, l’enquête de deux casques bleus déroule un écheveau de forces visibles et invisibles, à mesure que la haine de l’« ethnie majoritaire » pour la « minoritaire » empoisonne les consciences, au vu et au su de tous. Le roman se fracasse contre cette menace, processus insupportable qui mènera, entre avril et juillet 1994, à une extermination pourtant annoncée par ses commanditaires, reposant sur une manipulation à grande échelle.

Maria Malagardis fait, de l’assassinat de ces enfants par le pouvoir, qui s’en dédouane en accusant les rebelles, la préfiguration du meurtre d’un million de personnes. Arachnéenne, l’enquête ­dévide une mécanique tragique, soulignant le rôle de chacun (le régime, la France, l’Eglise catholique).

En ne nommant pas comme tels Tutsi et Hutu, le roman pointe l’ethnicisation artificielle du conflit qui a déchiré le Rwanda au XXe siècle. Pour rendre leur intégrité aux victimes du génocide, il dissout en actes la propagande raciste, faisant advenir, dans le langage même, la réunion de ces deux ethnies au sein d’un même peuple. Ju. E.

« Avant la nuit », de Maria Malagardis, Talent, 288 p., 20,90 €, numérique 13 €.

Fragments. « Moisson de crânes », d’Abdourahman Waberi



De leurs séjours au Rwanda, en 1998, dans le ­cadre du projet collectif « Rwanda : écrire par devoir de mémoire », Boubacar Boris Diop et Tierno Monénembo ont tiré chacun un roman. Le Djiboutien Abdourahman Waberi, lui, a opté pour des fragments. Il voulait toucher du doigt les stigmates du génocide des Tutsi en s’arrêtant aux frontières de la fiction. Pour faire parler les morts, tout en écoutant les vivants, il lui fallait se tenir sur cet escarpement. Dans Moisson de crânes, paru en 2000 au Serpent à plumes et aujourd’hui réédité, il met en écho visions et vignettes, fragments de mémoire, bribes de choses entendues pour redonner une voix aux Tutsi, « peuple de l’argile », « trop longtemps piétiné ». Ilse demande, aussi, si être lui-même africain est une condition suffisante pour occuper la fonction de tiers – à la fois témoin et relais. Défilent les corps retrouvés par milliers ; un milicien « débitant la mort en milliers de petites coupures ». On ­entend Marie-Immaculée, vieille femme dont la famille a été largement exterminée ; son chien, engraissé de chair ­humaine, elle l’a appelé Minuar, « en souvenir des soldats » de la mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda, « qui ne [leur] ont pas sauvé la vie ». Un livre incantation qui « s’excuse presque d’exister ». Une expérience, au dire de Waberi, qui l’a fait « monter en graine », s’enfoncer aux racines de l’être. Au-delà du chœur funèbre, il appelle à une revitalisation de l’Afrique en tant que continent, et clôt ce voyage intérieur aux confins de l’(in)humanité par une ouverture sur le Burundi. Une main tendue. Ju. E.

« Moisson de crânes. Textes pour le Rwanda », d’Abdourahman Waberi, 1 001 Nuits, 104 p., 6 €.

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