Fiche du document numéro 34153

Num
34153
Date
Vendredi 26 avril 2024
Amj
Auteur
Taille
794070
Titre
La vérité sur le génocide au Rwanda viendra de la confrontation des interprétations [Jean Glavany réécrit l'Histoire]
Sous titre
Mis en cause par Vincent Duclert dans une interview à «Libération» parue jeudi, le président de l’Institut François-Mitterrand conteste les analyses de l’historien sur les massacres de 1994. Selon lui, la France et le Président de l’époque ne sauraient être soupçonnés d’une quelconque complicité.
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Source
Type
Tribune
Langue
FR
Citation
Le président François Mitterrand aux Invalides, en 1992. (Antoine Gyori/Sygma via Getty Images)

Le 4 avril 2024, des conseillers de l’Elysée annonçaient que le Président s’apprêtait à dire, dans une vidéo diffusée le 7 avril, que la France « aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains », mais qu’elle « n’en a pas eu la volonté». Or, dans la vidéo diffusée, le Président s’est contenté de rappeler son discours de Kigali de mai 2021, à savoir que la France avait une « responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu’elle cherchait précisément à l’éviter ». Il n’a ni confirmé ni démenti les propos de ses conseillers, bien qu’ils fussent contradictoires avec son discours de 2021.

Un « faux pas de communication »

Dans un communiqué, je lui ai donc respectueusement demandé de clarifier sa position, ce qui a été fait le lundi 8 avril lorsque l’Elysée a indiqué que l’annonce du 4 avril était un « faux pas de communication » et qu’il fallait s’en tenir au discours de 2021. Plus qu’un « faux pas », il s’agit surtout d’un rétropédalage, car il y a bien eu, d’après le Monde, « une première version écrite de la vidéo » reprenant les termes du 4 avril.

Dans un entretien donné le 20 avril dans les colonnes de Libération, Vincent Duclert m’a accusé d’avoir, par ce communiqué, voulu « réécrire l’histoire » et propagé des « vérités alternatives ». Entrer dans une polémique avec Vincent Duclert serait indigne de l’histoire infiniment douloureuse du génocide des Tutsis au Rwanda et des valeurs que porte notre République. C’est pourquoi je voudrais essayer de prendre de la distance par rapport à ces propos agressifs et réfléchir publiquement aux conditions d’un échange démocratique et dépassionné sur ce sujet brûlant.

Deux interprétations des faits sont sur la table. Vincent Duclert soutient la première d’entre elles. Elle accuse la France et, soyons clairs, personnellement François Mitterrand, des fautes les plus graves, allant de « responsabilités lourdes et accablantes » jusqu’aux accusations de complicité, sinon du génocide lui-même, du moins des génocidaires, et désormais, d’absence de volonté d’empêcher le génocide – toutes allégations étrangères au rapport Duclert (cf. p. 971) ! Cette interprétation des faits a été tellement relayée par certains médias qu’elle est devenue la doxa. Quiconque ose la contredire est hérétique…

L’indifférence de la communauté internationale

Et puis, il y a une autre interprétation, défendue par l’Institut François-Mitterrand, mais aussi par messieurs Balladur et Juppé, au gouvernement en 1994, dont les déclarations publiques démentent catégoriquement les propos de Duclert. Le Président du Rwanda lui-même, Paul Kagamé, reconnaît qu’on ne pouvait pas prévoir le génocide et ne met pas en cause l’inaction de la France, mais l’indifférence de la communauté internationale. Plus encore, les assertions de Vincent Duclert ne sont partagées par aucun autre Etat au monde, aucun historien ou journaliste étranger.

Cette autre interprétation dit simplement que la France, François Mitterrand, et à partir de 1993, en cohabitation avec messieurs Balladur et Juppé, a essayé d’éviter une violence récurrente dans l’histoire du Rwanda. Soutenant d’abord que seule une solution politique pouvait mettre un terme à la tension, ce qui a abouti en août 1993 aux accords d’Arusha (à l’issue desquels, à la demande de Paul Kagamé, la France retira ses troupes présentes depuis 1990). Puis, en avril 1994, quand le génocide a commencé en l’absence de troupes françaises, en se déclarant – seul pays à le faire – disponible pour intervenir et stopper celui-ci sur mandat de l’ONU. Ce mandat, strictement humanitaire (excluant toute interposition), n’interviendra qu’à la mi-juin après de longues semaines d’un veto américain dont Madeleine Albright, représentante des Etats-Unis à l’ONU, écrira plus tard dans ses mémoires qu’il était « le plus grand remords de sa vie ».

Il n’y a pas deux vérités historiques

Aussitôt l’opération Turquoise de l’armée française (avec l’aide du Sénégal) contribua tant bien que mal à mettre fin à l’horreur (rapport Duclert, p. 971). Bref, cette interprétation dit que la France est le seul pays au monde à avoir essayé d’enrayer le génocide, ce que Nelson Mandela avait salué en recevant François Mitterrand en juillet 1994 : « Tout pays qui intervient pour sauver des vies humaines doit être soutenu.»

Il n’y a pas deux vérités historiques mais deux interprétations des faits. La vérité historique résultera de la confrontation entre elles, du travail exigeant et nécessairement long des historiens. Mais cette confrontation ne peut être utile que si elle respecte les règles élémentaires du travail historique : le rejet du biais rétrospectif, le respect des faits dans leur complexité, leur mise en perspective dans leur contexte national comme international, l’attention portée à l’enchaînement des différentes phases de l’action de la France entre 1990 et 1994, le respect de tous les témoignages contradictoires, la prise en compte des travaux étrangers et le respect des propos de tous (par exemple, ne pas falsifier les communiqués de l’Institut François-Mitterrand).

A l’heure où tous les excès verbaux sont devenus monnaie courante, j’en appelle à un exercice démocratique de sagesse et de hauteur de vues sur ce sujet tragique. Il y va de la vérité d’abord, de l’honneur de tous ceux, politiques ou militaires, qui ont exercé des responsabilités, et de l’image de notre pays aussi.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024