Fiche du document numéro 19592

Num
19592
Date
Mercredi 16 février 2005
Amj
Taille
169248
Titre
Écoutes téléphoniques : les leçons d’un procès
Sous titre
Après trois mois d’audience, le procès des écoutes téléphoniques touche à sa fin. Entre dénégations et faux semblants, les débats auront permis d’établir quelques vérités sur l’histoire de la fameuse cellule anti-terroriste de l’Élysée.
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Source
RFI
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
A quoi servait la cellule anti-terroriste de l’Élysée ? Officiellement vouée à coordonner la lutte anti-terroriste, après l’attentat de la rue des Rosiers (neuf morts dans le mitraillage du restaurant Goldenberg, en août 1982), cette «mission» avait pour but de coordonner et d’améliorer le fonctionnement des grands services de l’État (DST, RG, DGSE). Le «contexte» - l’ancien directeur de cabinet Gilles Ménage n’a cessé d’y revenir - explique le geste de François Mitterrand. Face à la menace terroriste, de plus en plus présente, le président de la République veut des résultats. C’est la face honorable de cette création. Côté pile, François Mitterrand se sent en danger… sa fille cachée, son cancer, sa paranoïa à l’égard de la presse, surtout la presse de gauche, qui commence à l’attaquer. Enfin, le président a été ébloui par l’énergie du commandant Christian Prouteau, le chef du GIGN (Groupement d’intervention de la gendarmerie nationale). Il lui donne carte blanche. Les « hommes du président » ont désormais le jeu en main.

Qui sont-ils ? L’ossature de la cellule est formée de soldats d’élite, Prouteau, son adjoint Paul Barril et les renforts du GIGN. Un autre gendarme, spécialiste de l’informatique, rejoint le groupe : Jean-Louis Esquivié. Un homme de la DST, Pierre-Yves Gilleron, quelques transfuges des Renseignements Généraux et un agent de la DGSE, Jean-Louis Chanas, absent du banc des prévenus. Evidemment, cette petite équipe n’est pas la bienvenue sur le terrain de la lutte anti-terroriste, car elle constitue un désaveu flagrant à l’action des services. Tous ces « spécialistes » veulent donc prouver à leur corps d’origine la nécessité d’une « cellule », à l’Élysée même. Et le malentendu s’engage, dès le départ, avec la renversante perquisition des Irlandais de Vincennes : pour asseoir son joli coup de filet, Paul Barril ne trouve rien de mieux que d’ajouter quelques armes chez les trois activistes.

La suite est désormais connue. Pour couvrir ses propres turpitudes, la cellule va s’engager sur la délicate voie des coups tordus. Or, lorsque l’on ne possède ni effectif, ni documentation, ni habilitation de police judiciaire, que reste-t-il ? La technique d’une part et la formidable impunité que procure auprès des services administratifs de l’État un ordre présidentiel.

« C’était le président… »

À commencer par la procédure des écoutes téléphoniques, allègrement contournée dès les premiers branchements. Normalement, toute demande est signée par un chef de service, puis contre-signée par une autorité politique qui exerce un contrôle démocratique. Contrairement aux écoutes judiciaires, ces écoutes dites administratives n’ont, à l’époque, pas de fondement légal. D’où l’importance de ce contrôle « politique » qui exclut, a priori, l’écoute des professions protégées (syndicaliste, avocat, journaliste, médecin…). Or, ce contrôle ne va jamais vraiment fonctionner. A qui la faute ? « C’était le président… », répliquent à tour de rôle les anciens locataires de Matignon et leur directeur de cabinet. A un moment où la protection du droit s’avérait nécessaire, tous les contre-pouvoirs semblent avoir abdiquer leurs prérogatives aux sommets de l’État.

L’affaire des Irlandais de Vincennes sera donc le détonateur des dérapages de la cellule, parce qu’il faut à tout prix sauver la face des « hommes du président », pris en flagrant délit de montage judiciaire. A partir du moment où les opérationnels de l’Élysée commettent une erreur, toute l’institution est menacée. Prouteau et ses hommes vont user et abuser de ce raisonnement, quitte à accomplir l’inavouable et l’inutile.

L’inavouable, ce sont ces milliers de fiches d’écoutes souvent vide de sens et d’information, avec un acharnement particulier sur ceux que François Mitterrand déteste, le journaliste « scélérat » Edwy Plenel et l’excentrique écrivain Jean-Edern Hallier. L’inutile, c’est le manque de résultat criant de la cellule en matière de lutte anti-terroriste : en 1986, cohabitation oblige, elle se replie derrière les murs du Palais et renonce à son contingent d’écoutes illégales (20 lignes prélevées sur le stock de la DGSE). Elle survit à la dualité de l’exécutif, mais pour peu de temps : elle est dissoute en 1991. Un point fait l’unanimité parmi les spécialistes du terrorisme interrogés par le tribunal correctionnel de Paris, le manque de résultats et d’analyses pertinentes sur les attentats des années 80.

Comme l’affaire du Watergate, le scandale des écoutes montre donc à quel point les contrôles hiérarchiques et administratifs sont nécessaires dès lors qu’il s’agit de protéger l’exécutif du pouvoir (sans limites ?) qui l’anime. Mais le parallèle s’arrête là. En France, ni la presse, ni les parlementaires, ni les juges n’ont été en mesure de mettre en cause les politiques. Comme si l’avertissement lancé en 1965, dans le Coup d’État permanent, restait valable quarante ans plus tard. En dénonçant le cabinet noir du général de Gaulle, François Mitterrand constatait : «Ce qui sort en surface est peu de chose au regard de ce qui reste caché.»

Les débats ont bien montré pourquoi, dès le départ, cette cellule anti-terroriste était vouée à tous les dérapages possibles. D'abord, il y a un contexte. Il faut bien comprendre que, dès sa création, en août 1982, la cellule de l'Elysée a deux missions. La première, assurer la sécurité du président de la République; la seconde est une «mission de coordination, d'information et d'action contre le terrorisme». A l'époque, les attentats se multiplient sur le sol français, et, politiquement, le président Mitterrand veut montrer qu'il agit.

En fait, de ces deux objectifs, seul le premier va subsister. Et beaucoup d'écoutes téléphoniques n'auront pour seule justification que la protection de la vie privée du président. Ensuite, il y a les hommes. La cellule, ce sont les super-gendarmes du GIGN, le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale. Le commandant Prouteau et le capitaine Barril sont des hommes d'action. Paul Barril va d'ailleurs prendre la tête du groupe d'action mixte, une sorte de bras armé de la cellule.

Ces hommes sont les meilleurs pour organiser un plan de sécurité, négocier avec des preneurs d'otages ou tuer un terroriste au fusil à lunette. En revanche, ce sont pas de bons procéduriers, respectueux la légalité. Pour mémoire, ce sont eux qui, en 1979, ont réprimé dans le sang la prise d'otages de la Mecque, en Arabie Saoudite, où il y a eu des dizaines de morts.

Contournement des procédures d'écoutes

Très vite, ces baroudeurs vont s'entourer d'une équipe d'espions: des analystes, spécialistes des mouvements terroristes, qui viennent du contre-espionnage (DST) et des Renseignements généraux. Comme beaucoup d'hommes du renseignement, ces policiers sont extrêmement soupçonneux, à la limite de la paranoïa. Ajoutez à cela des moyens presque illimités (ils voyagent dans le monde entier, ils peuvent utiliser les fonds secrets, et éprouvent un très fort sentiment d'impunité), et vous obtenez un mélange détonant qui va être le terreau des dérapages.

Rappelons d'abord qu'à l'époque, il n'y a pas de loi pour encadrer ces écoutes dites «administratives». Il n'y a pas de loi, mais un usage fixé par des instructions ministérielles. A chaque écoute, le demandeur doit indiquer l'identité de l'écouté, sa profession, le numéro à écouter, le motif de l'écoute. Tout cela est ensuite autorisé par le ministre de la Défense. En fait, dans la plupart des écoutes litigieuses, ces règles étaient contournées.

L’abus de la notion du «secret défense»

Exemple de l'avocat Antoine Comte: pour l'écouter, les gens de la cellule ont mis le nom de son amie et comme motif, «sécurité défense nationale». Même chose pour le journaliste du quotidien Le Monde, Edwy Plenel, écouté par le biais de sa femme. Lorsque le signataire -le ministre ou son directeur de cabinet- avait un doute sur la réalité du motif invoqué, il pouvait demander des détails. Dans la pratique, très peu l'ont fait, parce que ces demandes émanaient de la cellule de l'Elysée. A titre d'information, le général Charroy, qui dirigeait le Groupement interministériel de contrôle (GIC) a reconnu avoir écouté 50 000 personnes en 16 ans.

Depuis un mois, les prévenus ont usé et abusé de cette notion. Le secret-défense est apposé sur tout document, objet ou information susceptible de «nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation». C'est large, et c'est surtout une notion qui est laissée à l'appréciation d’un petit groupe de gens habilités à s’en servir. Evidemment, on peut facilement en abuser. C'est ce qu'ont fait les membres de la cellule pour les écoutes. Puis c'est aussi ce qu'ils ont opposé au juge d'instruction, lors de l'enquête. Avant, finalement, que le juge ne découvre les archives de la cellule, puis que Lionel Jospin, une fois devenu Premier ministre, ne décide de lever le secret-défense sur cette affaire.

La face sombre des années Mitterrand

Cette cellule était en quelque sorte le bras armé du président. Christian Prouteau a d'ailleurs reconnu que François Mitterrand lui avait personnellement donné l'ordre d'écouter Edwy Plenel. Ensuite, il y a le fidèle Gilles Ménage, le directeur de cabinet chargé des questions de sécurité et de renseignements. Cet énarque a servi d'intermédiaire entre le président et la cellule.

Chez les politiques, il y a eu plusieurs attitudes. L'ancien Premier ministre Pierre Mauroy, par exemple, a dit qu'il ne «voulait pas s'occuper des écoutes, sources de dérapages», car cela aurait perturbé sa relation avec le président. Posture un peu similaire de Paul Quilès : l'ancien ministre de la Défense admet une «responsabilité technique», puisqu'il signait les demandes d'écoutes. Mais il ne s'y est jamais opposé, car il n'était pas au courant de ces écoutes. C'est en tout cas ce qu'il prétend. Enfin, l'ancien ministre de l'Intérieur, Pierre Joxe, semble avoir été plus direct. «Combien de fois j'ai dit au président qu'il ne fallait pas avoir un service de police parallèle, que ça n'attirait que des ennuis». Et Pierre Joxe de conclure: «Il ne m'écoutait pas».


par David Servenay


Christian Prouteau (à g.) et son adjoint, le capitaine Paul Barril, à Ajaccio en janvier 1980.(Photo: AFP)


[16/12/2004]
L'ancien directeur de cabinet du président de la République François Mitterrand, Gilles Ménage (G) au côté de son avocat Me Patrick Maisonneuve (2eD), et l'ancien chef de la cellule anti-terroriste de l'Elysée Christian Prouteau (D) au côté de son avocat Me Francis Szpiner, arrivent au palais de justice de Paris, le 26 janvier 2005, pour comparaître devant la 16e chambre correctionnelle.<br/> (Photo : AFP)
Christian Prouteau (à gauche) et son avocat Francis Szpiner (à droite) au tribunal correctionnel de Versailles. (Photo : AFP)
France
Ouverture du procès des écoutes de l’Élysée

[15/11/2004]

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