Fiche du document numéro 34737

Num
34737
Date
Mercredi 11 décembre 2024
Amj
Taille
725893
Titre
Génocide des Tutsi : devant la cour d’assises de Paris, les dénégations et les zones d’ombre de Philippe Manier
Sous titre
Condamné en première instance à perpétuité, cet ancien gendarme rwandais continue de clamer son innocence en appel malgré plusieurs témoignages contre lui.
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Type
Article de journal
Langue
FR
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L’ancien gendarme rwandais Philippe Hategekimana (à droite), naturalisé français en 2005 sous le nom de Philippe Manier, lors de son procès en première instance à Paris, le 10 mai 2023. BENOIT PEYRUCQ / AFP

Où se trouvait Philippe Hategekimana, naturalisé Français sous le nom de Philippe Manier, lors du génocide des Tutsi en avril 1994 ? Etait-il à Nyanza, au sud du Rwanda, où les collines étaient couvertes de sang ? Ou à Kigali où l’adjudant-chef de gendarmerie assure qu’il venait d’être muté ? « Je suis parti dans la capitale rwandaise pendant la deuxième quinzaine du mois d’avril 1994, a-t-il assuré mardi 10 décembre devant la cour d’assises de Paris lors de son procès en appel. Je ne me rappelle plus exactement de la date. »

Le sort de l’accusé est lié à sa situation géographique au moment du génocide, alors que de multiples témoins affirment l’avoir vu à Nyanza. En première instance, Philippe Manier a été condamné, le 28 juin 2023, à la réclusion criminelle à perpétuité pour génocide et crimes contre l’humanité par la cour d’assises de Paris, en vertu du principe de compétence universelle qui permet, depuis 2010, de juger les auteurs de crimes graves quel que soit le lieu où ils ont été commis.

« Agent zélé dans le plan d’extermination »



Pour des faits imprescriptibles, le jury l’avait reconnu coupable de « quasiment tous les chefs d’accusation », selon la cour. « Vous avez été un agent zélé dans le plan d’extermination des Tutsi », avait conclu son président, Jean-Marc Lavergne.

Depuis le début de son procès en appel, lundi 4 novembre, Philippe Manier apparaît souvent hésitant quand il ne se mure pas dans le silence. Ses rares réponses sont confuses ou elliptiques. Parfois, il se contredit. « Au cours de l’instruction, vous avez déclaré avoir quitté Nyanza le 25 avril, lui rappelle le président du tribunal, Marc Sommerer. Une autre fois, vous dîtes que c’était le 20 ou le 21. Lors d’une confrontation, vous avez par ailleurs déclaré que c’était le 22 ou le 26. Vous avez beaucoup varié dans vos propos ! Et votre ordre de mutation, où est-il ? Quand on cherche à vérifier votre alibi, on n’y arrive pas. »

Au terme de son premier procès, Philippe Manier, aujourd’hui âgé de 67 ans, a été reconnu coupable d’avoir ordonné l’érection de « barrières » autour de Nyanza, des points de contrôle tenus par la population ou par des miliciens Interahamwe où des milliers de Tutsi ont été massacrés au cours du génocide qui, selon les Nations unies, a fait entre 800 000 et un million de morts au printemps 1994.

A l’aide d’une carte projetée dans la salle d’audience, Marc Sommerer a montré à la cour l’emplacement des différentes barrières autour de Nyanza. Il y avait celles dites « de l’hôpital », « du stade », « de Kavumu », de « Mugonzi » et d’autres lieux-dits.

Présent lors d’une attaque qui a fait 1 000 morts



« Quatorze témoins ont reconnu vous avoir vu sur les barrières. Sur celle de l’Akazu Kamazi [la borne fontaine en kinyarwanda], cinq témoins sur les sept que nous avons entendu, disent également que vous y étiez, a rappelé le président de la cour d’assises. Que répondez-vous à cela ? »

« Je n’étais pas là, répond l’accusé. Ils ne disent pas la vérité. Ce sont des témoins à charge. Moi, j’étais à Kigali. » « Tous ces témoins se contredisent de façon éclatante, poursuit Me Alexis Guedj, l’un des quatre avocats de l’accusé. Ce dossier est entièrement bâti sur du sable. »

Philippe Manier, que tout le monde surnommait « Biguma » lorsqu’il se trouvait au Rwanda, du nom d’un instituteur de son village réputé pour sa sévérité, est également accusé d’être à l’origine de l’assassinat d’un bourgmestre, Narcisse Nyagasaza, qui résistait à l’application du génocide dans sa commune. Plusieurs témoins ont indiqué avoir vu l’accusé « dans un Toyota blanc » après l’enlèvement du bourgmestre. « Impossible, rétorque-t-il une nouvelle fois. Je ne pouvais pas être à la fois à Nyanza et à Kigali. »

Mercredi 11 décembre, l’ancien adjudant-chef de la gendarmerie a cette fois été interrogé pour son rôle présumé dans plusieurs massacres de masse, pour lesquels sa participation a été reconnue en première instance. Des témoins ont attesté de sa présence, notamment lors de l’attaque de Nyabubare, qui a fait environ 1 000 morts, mais leurs récits étaient parfois imprécis voire divergents. Trois décennies après les faits, quel crédit faut-il leur accorder ? « Je ne peux pas fournir d’éclaircissements puisque je n’étais pas là, a encore une fois répondu l’accusé. Je n’ai aucune implication dans ces massacres. »

Arrivé en France en 1999 avec de faux documents



A la fin du génocide, celui qui n’était pas encore Philippe Manier s’est réfugié au Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) en juillet 1994, où il a vécu pendant deux ans dans le camp de réfugiés de Kashusha, dans le Sud-Kivu. Il a ensuite rejoint le Congo-Brazzaville puis la Centrafrique et le Cameroun. Avec de faux documents, Philippe Hategekimana est arrivé en France en février 1999, prétendant auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) avoir été professeur de sport au Rwanda. En avril 2005, il est naturalisé français par décret sous sa nouvelle identité de Philippe Manier.

Il vit alors en Bretagne, travaille comme agent de sécurité incendie à l’université de Rennes jusqu’en 2017 avant d’être licencié en raison de ses retards. Au même moment, il apprend qu’une plainte a été déposée deux ans plus tôt contre lui par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), une association qui traque les responsables présumés du génocide des Tutsi auprès des juges d’instruction du pôle crimes contre l’humanité du tribunal de grande instance de Paris.

Il se réfugie alors au Cameroun, où réside sa fille. Le 30 mars 2018, Philippe Manier est interpellé à l’aéroport de Yaoundé où il est venu accueillir son épouse dont le téléphone a été placé sur écoute par les enquêteurs de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité et les crimes de haine (OCLCH). Il est extradé un an plus tard vers la région parisienne avant d’y être incarcéré.

Avant sa condamnation en première instance, l’ancien gendarme avait pris la parole pour se dire « confiant » sur le fait que les jurés allaient écouter « sa raison et son cœur ». Son procès en appel doit se poursuivre vendredi 13 décembre par les plaidoiries des parties civiles, les réquisitions des avocats généraux puis les plaidoiries de la défense. Son jugement est attendu mardi 17 décembre.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024