Fiche du document numéro 9251

Num
9251
Date
Mercredi 1er juillet 1998
Amj
Taille
4052431
Titre
Pour l'ex-Premier ministre Rocard, le Rwanda « prend vingt secondes »
Sous titre
Les décisions se prenaient à l'Elysée, dit-il devant la Mission.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La Mission d'information sur le Rwanda en est à sa 26e séance, et la désagréable impression de ne pas retrouver «le réel dans les témoignages officiels» ­ pour reprendre les termes de l'historien Gérard Prunier ­ persiste. L'audition, hier après-midi, de quatre ministres, dont l'ancien Premier ministre Michel Rocard, fut à cet égard un sommet de désinvolture envers cet exercice de mémoire collective que se veut le travail des parlementaires français.

Le matin, Gérard Prunier a longuement répondu aux questions des députés. L'auteur de Rwanda: le génocide (1) a retracé l'itinéraire politique des Rwandais qui jouèrent un rôle de premier plan dans la préparation et l'exécution du génocide de 1994, qui a fait près de 1 million de victimes, majoritairement tutsis et hutus modérés. Il a donné son analyse de ce qu'il appelle la «faute», ou l'«échec final d'une certaine conception de la politique africaine», héritée du gaullisme.

La France n'a pas voulu le génocide, dit-il en substance, mais elle s'est fait manipuler par le régime Habyarimana, dont elle a adopté le point de vue, et a, en cela, «contribué à sa faisabilité». Tant qu'à intervenir au Rwanda, il fallait le faire payer cher, dit-il, c'est-à-dire faire véritablement pression sur un pouvoir qui prônait l'apartheid des Tutsis, pour soutenir les modérés et élargir l'espace de liberté entre les deux communautés. Au lieu de cela, on va envoyer «quelques bidasses au président Habyarimana», comme le lui confie en octobre 1990 Jean-Christophe Mitterrand, alors directeur de la cellule africaine de l'Elysée.

Michel Rocard, Edith Cresson, Roland Dumas et Edwige Avice sont l'après-midi devant la mission pour avoir été au gouvernement au début des années 90.

On attend beaucoup du premier, qui a fait irruption dans le débat franco-rwandais en déclarant dans le numéro de juin de la revue Passages: «Au Rwanda, nous nous sommes mal conduits" j'ai le regret que l'honneur de mon pays soit compromis dans cette affaire.» Michel Rocard commence par annoncer qu'il a beaucoup de choses à dire en tant que membre du Parlement européen ­ il a fait une mission au Rwanda en 1997 ­, mais, que si c'est pour parler de ses responsabilités de Premier ministre, il en a «pour vingt secondes». Comme Edith cresson, qui lui succéda à Matignon en mars 1991, il sous-entend que la question rwandaise lui est passée au-dessus de la tête, pour se régler à l'Elysée. «Je n'ai jamais entendu parler du Rwanda pendant cette période. J'ai appris l'opération Noroît (l'envoi de militaires français en octobre 1990, ndlr) dans la presse.» Un peu agacés, Roland Dumas, à l'époque ministre des Affaires étrangères, et Paul Quilès, qui conduit la mission mais participait au gouvernement Rocard, lui rappellent un certain Conseil des ministres. «Mon attention a dû fléchir», ironise Rocard, qui «n'a pas été mis dans le coup». L'échange de piques entre Roland le fidèle de Mitterrand et Michel le rancunier se poursuit. De l'honneur de la France, il ne sera plus question. «Nous avons fait une faute géopolitique», concède l'ancien Premier ministre. Et il disparaît pour «remettre une décoration». Moins de deux heures après le début de la séance, on n'a rien appris. Et, des quatre ministres, il ne reste plus que Roland Dumas.

(1) Ed. Dagorno, 1997.

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