Fiche du document numéro 9212

Num
9212
Date
Mercredi 8 juillet 1998
Amj
Auteur
Taille
11991818
Titre
Audition de M. le Préfet Claude Silberzahn, directeur général de la DGSE (1989-1993) [Huis clos]
Tres
La DGSE avait regretté, dès 1991, l'engagement croissant de l'appareil militaire français dans l'affaire du Rwanda et préconisé par écrit et par oral, dès 1992, le désengagement militaire de la France. L'appareil militaire français a été présomptueux sur ses moyens, décalé par rapport à la réalité, inconscient de son ignorance du terrain.
Nom cité
Source
MIP
Fonds d'archives
FXV
Type
Audition
Langue
FR
Citation
ASSEMBLÉE NATIONALE

COMMISSION de la DÉFENSE NATIONALE et des FORCES ARMÉES

Mission d’information sur le Rwanda

COMPTE RENDU N° 41
(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 8 juillet 1998
(Séance de 17 heures)

Présidence de M. Paul Quilès, Président

= SOMMAIRE

Page

Audition de M. le Préfet Claude Siberzahn. Directeur général général de la
DGSE (1989-1993) (huis clos).

FICHE BILAN
Préfet Claude SILBERZAHN
CR n° 41 - 8 juillet 1998

* Jusqu'en 1990, aucune demande adressée à la DGSE concernant le Rwanda (page 2)

# Analyse de la DGSE : dès 1991, regrette l’engagement croissant de l'appareil militaire
français et demande dès 1992, date où elle prévoit la victoire du FPR, le retrait des
militaires français ; parle de « bavure d'ingérence » (pages 3 et 4)

+ De 1990 à 1994, l'Ouganda n'avait qu'un objectif : évacuer le problème des réfugiés
(page 5)

+ Personnellement, ne croit pas à la préméditation des massacres et n'analyse pas les
massacres de Bugesera comme une répétition générale (page 8)


Le président Quilès a accueilli le préfet Claude Silberzahn Directeur général de la sûreté intérieure in [extérieure] de 1989 à 1993. Il a indiqué que cette audition avait pour objectif de permettre de mieux apprécier l'étendue et la pertinence des informations dont pouvaient disposer les responsables politiques
sur la situation au Rwanda ainsi que celle des pays environnants, notamment au moment où a été décidé l'engagement des forces françaises dans l'opération Noroît

IL a souligné que le Préfet Claude Silberzahn avait exercé ses fonctions au moment où
la France conduisait au Rwanda une action diplomatique difficile, afin de préserver la stabilité
de ce pays face à une tentative militaire en provenance de l'étranger et de vaincre la réticence
de son Président à accepter le dialogue et les réformes démocratiques que le Gouvernement
français estimait indispensables. Cette politique qui s’appuyait sur une stratégie militaire de
soutien indirect, était délicate à mettre en œuvre et son efficacité était très largement
conditionnée par la qualité des informations reçues, en provenance de différentes sources, au
nombre desquelles la DGSE.

M. Claude Silberzahn a tout d’abord rappelé qu’à la demande du Président François
Mitterrand, qui estimait que la DGSE devait être rénovée, il avait dirigé ce service de 1988 à
1993, jusqu’au tout début de la deuxième cohabitation, quelques semaines après l’arrivée de
M. Edouard Balladur comme Premier Ministre.

Il à précisé que, de ce fait, il ne parlerait que de la période s'étendant de juin 1989 à
juin 1993 et qu'il ne traiterait donc pas de l'attentat et des massacres de 1994 n'ayant pas eu à
en connaître. Il a indiqué que son intervention ferait appel à sa seule mémoire dans la mesure
où il n'avait préalablement consulté aucun document particulier dans son ancien service.

Il à déclaré que pendant toute la période où il avait dirigé la DGSE, celle-ci n’avait eu
aucun homme ni aucune infrastructure au Rwanda, et ceci pour plusieurs raisons. Tout
d'abord, aucun service de renseignement, pas plus à l'époque qu'aujourd'hui et quelle que soit
sa taille, n’est présent partout dans le monde, pas même les deux plus grands de l’époque, la
CIA et le KGB, et, a fortiori, les services de deuxième catégorie que sont les trois services des
trois grandes démocraties occidentales, le BND allemand, le MI 5 britannique et la DGSE
française, chaque pays se consacrant, en fonction de ses intérêts, à un nombre limité de pays.
Ensuite, la France n’avait pas de responsabilités historiques au Rwanda qui ne faisait pas partie
du système français. Il a souligné qu’à sa connaissance, jusqu’en 1990, aucune demande du
Gouvernement, du Ministre des Affaires étrangères, du Ministre de la Défense, du Président de
la République, du Premier Ministre, n’avait été adressée à la DGSE concernant le Rwanda, qui
ne figurait pas parmi les préoccupations majeures françaises.

Lorsque quelque chose se passait au Rwanda, la DGSE s’adressait très normalement à
un service ami, notamment le service belge qui y était fortement implanté, comme il l'était
également au Burundi et au Zaire, dans le cadre de l'immense bourse d'échanges qui réunit les
services entre eux. Il existait un marché permanent du renseignement qui fonctionnait selon le
système du donnant-donnant. Pour le Rwanda comme pour le Burundi, la DGSE considérait
avec confiance les informations provenant des services belges et se fondait, très naturellement,
sur de telles sources pour rédiger en partie ses bulletins d’information lorsqu'elle était saisie
d'une demande gouvernementale sur le Rwanda.

Il a indiqué qu’en raison des bouleversements géostratégiques ayant marqué les
premières années de cette décennie, il avait eu par la suite pour mission prioritaire de
réorganiser son service et de redéployer, autant que possible, ses moyens présents sur le
continent africain sur d’autres théâtres. Il a expliqué que s’il avait pu, grâce à des efforts
budgétaires importants, maintenir le dispositif africain, il avait dans le même. temps augmenté
les moyens humains et matériels de la DGSE de prés de 50% ce qui avait permis de faire face
aux nouvelles missions. Dans ce contexte, il m'avait pas été possible de développer uné
véritable infrastructure au Rwanda qui, de.tout façon, aurait demandé plusieurs années avant
d'être véritablement opérationnelle. À cet égard, il a rappelé l’émoi qui avait envahi «le
Boulevard Mortier » lorsque M. Edouard Balladur, Premier Ministre, avait évalué à un milliard
de francs le coût de l'opération Noroit, somme qui aurait permis à la DGSE de développer ses
activités, notamment au Rwanda.


Enfin, il à souligné qu'au cours de ces mêmes années, se mettait en place l'appareil
militaire, À la fois de renseignement et d'action, et qu'il paraissait peu logique de le
doublonner, d'autant plus qu’il convenait d’éviter les concurrences et les conflits inutiles entre
services. TI fallait au contraire éviter d’ouvrir en Afrique un nouveau lieu de conflit avec
l'appareil militaire, car les différences d'appréciation entre la DGSE et ce dernier sur les
problèmes africains étant déjà suffisamment connues de tous. En Afrique, à ce moment-là,
l'activité du service était entièrement centrée sur trois événements majeurs et autrement plus
importants que le Rwanda dans la relation franco-africaine : tout d'abord, la guerre terrible
entre le Sénégal et la Mauritanie avait éclaté, dans un lieu stratégique pour la politique
africaine de la France ; ensuite, le Sahel, le Mali et le Niger, étaient fortement déstabilisés par
la rébellion touareg : enfin. la DGSE suivait de très près l’évolution politique et militaire du
Tchad, pays au coeur du dispositif stratégique politique et militaire français en Afrique.

Il a toutefois souligné qu'avec les moyens dont il disposait, son service avait fait son
métier, notamment, comme il l'avait dit, avec la collaboration avec d'autres services amis
présents au Rwanda et qu'il avait pu également, dans le cadre de moyens adaptés aux écoutes
et avec l’aide de ses services techniques, rassembler quelques informations sur le secteur. En
l'absence de structures permanentes sur le terrain, la DGSE avait ainsi conduit des « missions
d'intervalles » par l'envoi, des moyens spécifiques et des filières répertoriées à l'avance,
d’hommes au Rwanda.

Au cours de ces années, le renseignement était essentiellement venu de l’Ouganda où
la DGSE était alors présente et implantée. Les informations recueillies portaient principalement
sur le FPR, sur M. Paul Kagame les objectifs politiques de son mouvement, ses structures,
l'efficacité de son armée et sur ses liens avec l’Ouganda. Au Rwanda, sur la base des mêmes
sources, les informations avaient porté sur l'armée gouvernementale, ses forces mais plus
encore ses faiblesses, et sur les oppositions au pouvoir légal. Le renseignement s’est voulu et a
pu l’être, parfaitement complémentaire de celui que pouvaient fournir, d’une part, la voie
diplomatique, et, d'autre part, la voie de la Mission militaire de Coopération.

Il a précisé qu'au total l'analyse politique de la DGSE avait été très claire. Ses services avaient regretté, dès 1991, l'engagement croissant de l'appareil militaire français dans l'affaire du Rwanda, préconisé par écrit et par oral, dès 1992, le désengagement militaire de la France, et prévu, dès cette même année, le retour victorieux des immigrés de l'Ouganda. Si elle avait fait entendre sa voix, la DGSE n'avait pas vraiment été entendue. Bien qu'elle n'ait pas, lui a-t-il semblé, prévu les massacres de 1994, sa grande responsabilité au Rwanda est de ne pas avoir été suffisamment battante. M. Claude Silberzahn a estimé que la DGSE ne saurait porter la responsabilité de ce qu'il a qualifié de « bavure d'ingérence », essentiellement due, selon lui, à un appareil militaire français présomptueux sur ses moyens, décalé par rapport à la réalité, inconscient de son ignorance du terrain.

La DGSE était à l'époque au coeur du système en Afrique où elle possédait, et possède encore, parmi les meilleurs africanistes existant en France. Elle a été extrêmement prudente dans son appréciation du problème rwandais car elle ne connaissait pas l'histoire des pays de la région des Grands Lacs. Sa présence en Ouganda trouvait sa justification dans des raisons liées à la politique française ou à la lutte antiterroriste et non pas à des problèmes africains. La réalité rwandaise, la réalité burundaise lui échappaient totalement, car la France n'avait pas d'histoire commune avec ces pays et toute implantation aurait été longue, coûteuse et difficile. Sa prudence et sa modestie n'ont pas été partagée par d'autres qui ont conduit la France à se laisser enfermer dans une sorte de piège dont elle n'a pas su ou pas pu sortir.

Il a considéré que l'affaire du Rwanda posait, en fait, le principe de la politique dite
d'ingérence, dont on parle depuis des années, certains évoquant le droit d'ingérence, d'autres
le devoir d'ingérence.

Il a estimé qu'un débat comme celui sur le Rwanda qui agite aujourd’hui la France ne
pourrait pas avoir leu au Sénat américain ni au Parlement britannique. Les Etats-Unis comme
le Royaume-Uni ne se sont pas, au contraire de la France au Rwanda, laissés entraîner dans
une politique d’ingérence, que ce soit au Liberia pour les Américains ou en Sierra Leone pour
les Britanniques. Il est clair que les opinions publiques de ces deux pays n'ont pas aujourd'hui
à s'interroger sur une « bavure d’ingérence », car ni les Américains, ni les Britanniques n'ont
jugé utile de s'ingérer dans les guerres civiles qui ont secoué le Liberia et la Sierra Leone, ils se
sont simplement contentés d'observer à distance de sécurité le déroulement des soubresauts
qui ont animé ces deux Etats africains.

Après avoir souligné la pertinence du concept de « bavure d'ingérence » évoquée par
M. Claude Silberzahn, le Président Paul Quilès lui a demandé s’il avait eu connaissance
d'éléments susceptibles de confirmer l'établissement de listes de personnalités rwandaises à
éliminer ou d'informations qui auraient permis de prévoir l’organisation de massacres planifiés.

Rappelant qu'il ne pouvait s'exprimer que pour la période allant jusqu'au mois de juin
1993, M. Claude Silberzahn à indiqué qu'il lui semblait que son service, dont les sources
provenaient essentiellement d'éléments du FPR situés en Ouganda, n'avait jamais disposé
d'informations faisant état de telles listes ou de massacres prévus et organisés. Il a par ailleurs
précisé que la DGSE, pendant ces quatre années, n'avait dû produire qu'entre vingt à trente
notes sur l'évolution de la crise rwandaise. Jusqu'en 1992, le Rwanda ne constituait pas l’une
des préoccupations centrale de son service. Il a indiqué que la DGSE n’avait pressenti ni
l'assassinat du Président, ni les massacres qui ont suivi. ll a toutefois précisé que les contacts
entretenus au sein du FPR n'avaient pas non plus prévu ces événements.

M. Bernard Cazeneuve s’est étonné que la DGSE n’ait pas été saisie de demandes
gouvernementales après qu’elle ait manifesté des réserves sur la présence militaire française au
Rwanda et s'est interrogé sur la coordination des services de renseignement et sur la
détermination de leurs missions prioritaires. 1] a souhaité savoir si la DGSE avait conduit des
investigations sur les causes et les circonstances de l'attentat contre l'avion du Président
Habyarimana ainsi que sur l’enchaînement des massacres qui ont suivi.


M. Claude Silberzahn a tout d’abord indiqué que la nébuleuse qui entourait le
monde du renseignement n’était pas facile à clarifier, mais que la mission de ces services était
importante pour faciliter la prise de décision des responsables politiques. La première source
de renseignement dont dispose les institutions politiques est constituée par la voie
diplomatique. Les télégrammes diplomatiques représentent la voie normale d'information du
pouvoir politique, de la pyramide qui va du Président de la République au Premier Ministre et
aux ministres concernés. Or celle-ci ne dessert pas systématiquement tous les interlocuteurs,
une sélection préalable étant opérée. Il a ajouté qu'il y aurait beaucoup à dire sur la diffusion
du télégramme et de la dépêche diplomatique; sur son itinéaäire sur son-arrivée ici où là et sur
le calendrier de son acheminement dans le système, c eux-ci n'arrivant par exemple que très
rarement au ministère des Finances, qui devrait pourtant figurer parmi les premiers
destinataires.

I1 à souligné que, parallèlement à la voie diplomatique, il existait d’autres sources
d'information, dont la DGSE constituait l’une des voies majeures. À côté de celle-ci, les
personnels des finances, en poste dans les ambassades, effectuent un travail de recueil du
renseignement d'ordre économique et financier au profit du ministère des Finances. Enfin, la
voie militaire, avec les attachés militaires et les coopérants militaires, développe sa propre
analyse et sa propre vision quand un problème se présente dans les pays où ils sont implantés
Il n'est pas rare que les analyses des différents systèmes divergent en fonction des centres
d'intérêt et des priorités propres à la politique suivie par les différents ministères.

La politique générale qui en résulte est très souvent évolutive. Après concertation
interministérielle, elle est souvent adaptée quotidiennement en fonction de l'importance ou de
la pertinence des informations. Par ailleurs, les différents services ont une influence auprès du
pouvoir politique qui dépend étroitement du niveau de confiance que leur accordent les
différentes sphères institutionnelles. S'agissant du Rwanda, la voie militaire à été privilégiée, ce
qui a permis à la DGSE de centrer ses moyens sur d’autres pays, notamment africains, où le
renseignement militaire a été, de fait, moins actif.

Il a ensuite précisé que s’il pouvait estimer le nombre de notes produites par son
service concernant la situation rwandaise entre 1989 et juin 1993, il n'était absolument pas en
mesure d'indiquer le volume et le contenu de la production d'information de la DGSE après
son départ.

M. Jacques Myard à fait part de ses interrogations sur la fiabilité des renseignements
provenant de la « bourse d'échanges » évoquée par M. Claude Silberzahn, d'autant plus que
les informations fournies par les services étrangers pourraient provenir de pays ayant des
intérêts concurrents de ceux de la France.

M. Claude Silberzahn a précisé qu’il existait une collaboration soutenue entre les
services, que les responsables se rencontraient et qu’ils participaient à des réunions collectives
qui permettaient de confronter les analyses, ce qui créaient des liens assez étroits. Cette
collaboration, parce qu'elle résiste généralement aux tensions diplomatiques, permet de
privilégier l’échange de messages qui ne pourraient officiellement pas parvenir aux
responsables politiques. Bien que cette « bourse d'échange » n'ait aucun caractère officiel, il
est de l'intérêt bien compris de tous ceux qui y participent de ne pas livrer d'informations
erronées, sous peine d’être mis en marge du système. Toutefois les analyses et points de vue
qui sont livrés par des correspondants étrangers sont décryptés au regard des intérêts de leurs
États dans les pays concernés par les demandes de renseignement.


S'agissant des événements du Rwanda, l'ensemble des principaux services étaient
présents en Ouganda, souvent en ordre dispersé mais chacun savait à peu près ce que faisaient
les uns et les autres et les problèmes du Burundi et du Rwanda étaient posés au travers de
l’Ouganda. M. Paul Kagame avait aidé le système ougandais à se mettre en place. Pendant ces
quatre années, l'Ouganda n'avait qu'un objectif : évacuer le problème des réfugiés. Les Tutsis
rwandais étaient certes des alliés, des amis, des frères, mais il était préférable qu'ils retournent
au Rwanda. Ce n’était pas un problème majeur en Ouganda, mais c'était un problème
ougandais et le départ des réfugiés y apportait une solution.


Les renseignements provenant des services belges ont toujours été pris avec beaucoup
de prudence en raison d’expériences passées qui auraient pu avoir des conséquences
diplomatiques importantes si le caractère erroné des informations n'avait été prouvé à temps. I]
est clair qu'un service de renseignement peut essayér d’en manipuler un autre, mais le travail
essentiel de tout service consiste à couper, recouper, vérifier les informations et les sources,
Les bulletins de renseignement de la DGSE concernant a situation au Rwanda n'ont pas été
rédigés exclusivement à partir de renseignements provenant des services belges mais à partir de
l’ensemble de ces sources recoupées par ses propres moyens techniques et par toutes les
informations recueillies par les « missions d'intervalle ».

Il a souligné qu’il n'avait pas perçu, dans les contacts qu’il avait pu avoir avec les
Américains, d'intérêts concurrents aux intérêts français sur le continent africain ; au contraire,
il était même, à l’époque, plutôt difficile d’intéresser les Etats-Unis à l'Afrique. L'intérêt qu'ils
portaient à l’Ouganda traduisait en fait leurs préoccupations. Celles-ci concernaient
essentiellement l’évolution interne du Soudan et son éventuelle influence sur les pays
frontaliers, notamment en raison du développement d’une certaine forme d’intégrisme.


M. François Lamy a indiqué qu’il avait cru comprendre qu'il existait une sorte de
partage informel des tâches entre la DGSE et la Direction du renseignement militaire, chaque
direction agissant dans une zone dans laquelle l'autre s'efforçait de ne pas intervenir, en
fonction d'intérêts parfois divergents. I] a souhaité connaître l'état des relations entre ces deux
services sur la question rwandaise et les raisons qui avaient pu conduire l'intervenant à
considérér que les forces militaires avaient été ignorantes et présomptueuses dans leurs analyses
et positions sur la politique à mener au Rwanda.

Il s’est ensuite déclaré surpris par le fait que la DGSE n'ait pas été plus sollicitée par
le pouvoir politique sur la crise rwandaise alors qu'elle prônait le désengagement militaire de la
France et qu’elle se soit contentée de conduire des « missions d'intervalle » dans la mesure où
ses analyses et conclusions divergeaient de celles des militaires.

M. Claude Silberzahn a souligné que l’un des enseignements majeurs qu’il à tiré de
la guerre du Golfe avait été la nécessité d'encourager la création de la Direction du
renseignement militaire (DRM) pour répondre aux besoins spécifiques d'information des
armées, notamment sur les théâtres d'opération où elles pouvaient être engagées. La spécificité
de ce recueil du renseignement n'entrait pas dans les missions de la DGSE et le rattachement
administratif de la DGSE au ministère de la Défense avait entretenu une forte ambiguité sur ses
attributions, conduisant, à tort, à considérer qu’elle effectuait du renseignement militaire, ce
qui n’a jamais été dans ses attributions.

La Direction du renseignement militaire a été constituée à partir des services de
renseignement préexistents dans chacune des armées. La création de cette entité exclusivement
militaire a permis de bien distinguer le renseignement militaire proprement dit qui relevait de la
DRM et le renseignement d’ordre politico-stratégique incombant à la DGSE. La principale
difficulté rencontrée par le premier Directeur de la DRM, le Général Heinrich, qui venait de la
DGSE, à été précisément de mettre en place son organisme, à partir de moyens épars, de le
rendre crédible et de l’imposer aux trois états-majors des armées et aux attachés militaires, et
de convaincre le ministre de son intérêt. Bien que ne connaissant pas le fonctionnement actuel
de la DRM, M. Claude Silberzahn a estimé qu’il lui faudrait près d’une vingtaine d'années pour
s'intégrer dans le système militaire. Il a indiqué qu'à son départ la DRM n’était pas encore
devenue un outil à part entière de recueil et d'analyse du renseignement.

M. François Lamy a fait remarquer qu'au moment de la crise rwandaise personne n'était apparemment à même de fournir du renseignement puisque la DGSE e s'intéressait que de très loin au Rwanda et que
la DRM n'était pas un outil performant.


M. Claude Silberzahn a précisé que, traditionnellement, la Mission militaire de
Coopération et l’attaché militaire étaient chargés du renseignement et qu'ils étaient devenus
théoriquement les correspondants de la DRM, puisque celle-ci se mettait alors en place. Il a
souhaité ne pas avoir à trop s'étendre sur le fonctionnement de la DRM, confiant à la mission
que ses rapports avec le système militaire n'avaient jamais été bons.

M. François Lamy a souhaité savoir si son service s'était intéressé aux activités
africaines du Capitaine Barril.


M. Claude Silberzahn a indiqué que, dès lors qu'il était à l'étranger, les agissements
du Capitaine Baril faisaient l’objet d’une certaine attention de son service. Il a toutefois
précisé qu’il n'avait jamais vu apparaître son nom en relation avec le Rwanda jusqu'à son
départ de le DGSE en juin 1993.


Faisant état d'informations sur l’existence d'une convention secrète entre le Zaire et le
Rwanda portant sur l'interdicrion de séjour d’opposants politiques dans les pays respectifs et
sur l’importance d'une autre convention tendant à lutter contre la culture et le trafic de
cannabis dans le région des Grands Lacs, M. Pierre Brana a demandé si la DGSE disposait
d'informations particulières sur ces sujets.

M. Claude Silberzahn a répondu que l'implantation de son service dans la zone des
Grands Lacs n’était pas assez développée pour obtenir des informations portant sur des
conventions de cette nature et dont l’une avait été signée dans une grande discrétion.


M. Pierre Brana s'est interrogé sur la nature des relations entre le Colonel Kadhafi et
le Présidens Museveni qui avaient, semble-t-il, fluctué dans le temps, la Libye et l’Ouganda
s'étant parfois nettement rapprochés

À ce sujet, le Président Paul Quilès a fait observer qu’au cours d’une audition
précédente, il avait été précisé à la mission que des éléments du FPR avaient extorqué des
armes au Colonel Kadhafi en lui faisant croire qu’ils étaient d'ardents défenseurs de la cause
musulmane en Afrique.

M. Claudé Silberzahn à indiqué qu’à l’époque où il dirigeait le renseignement
, la Libye retenait l’attention de la DGSE et que, très logiquement, le Colonel Kadhafi
faisait partie des personnalités auxquelles son service accordait un intérêt soutenu. Il a par
ailleurs précisé que le Colonel Kadhafi s'était un moment intéressé à l’Ouganda, sans doute
parce qu'il espérait à ce moment précis obtenir une certaine assistance dans le différend qui
l’opposait à Khartoum. [] semble toutefois que son attitude n'ait apparemment eu aucun lien
avec la situation dans le sud de l’Ouganda, l'existence du FPR et l’évolution du Rwanda et du
Burundi.

M. Pierre Brana a souhaité savoir si la DGSE possédait des informations sur les
massacres qui s'étaient déroulés dans Bugesera en mars 1992 permettant de savoir s’il
s'agissait d’une répression violente d'une révolte populaire ou d’un banc d'essai des
extrémistes hutus dans la perspective de la « solution finale ».

M. Claude Silberzahn, en l’absence d’informations particulières, a estimé qu’il ne
croyait pas à une préméditation de ces massacres, l'opposition au régime gouvernemental en
place au Rwanda étant à la fois tutsie et hutue. De même, au sein du FPR, si M. Paul Kagame,
chef militaire du FPR, était tutsi, son Président était hutu. Il a indiqué que jamais jusqu’en
1993, M. Paul Kagame et ses amis n'avaient laissé échapper d'informations pouvant permettre
d'imaginer qu’il existait des plans laissant redoutér une telle issue. Bien au contraire, ils ont
déclaré en permanence que l’arrivée au pouvoir du FPR au Rwanda permettrait de mettre de
l’ordre, mais à aucun moment ils n’ont envisagé devoir être confrontés à ce problème.

Soulignant l'importance de ces propos, le Président Paul Quilès a demandé si les
rapports avec le FPR en Ouganda étaient assez confiants pour que ces informations puissent
être considérées comme fables.


M. Claude Silberzabn s’est déclaré quasiment certain de la fiabilité de ses
informations. Il àaestimé que si le FPR à l’époque avait été au courant de la programmation de
massacres au Rwanda, la DGSE l'aurait su car, les massacres visant les populations tutsies, le
FPR l'aurait inévitablement alertée.

Le Président Paul Quilès à demandé s'il paraissait réaliste de penser, comme l’avait
fait le FPR, qu'il serait accueilli en libérateur par la population rwandaise, ce qui n’a, à
l'évidence, pas été le cas.

M. Claude Silberzabn a répondu par l’affirmative, l'idéologie affichée par le FPR
étant une idéologie visant à l'instauration de la démocratie et souhaitant une cohabitation
pacifique. I] a rappelé que le FPR en exil avait toujours prétendu qu'à son retour au pouvoir
son principal objectif serait de fraterniser avec le reste de la population rwandais

M. François Lamy a fait part de ses interrogations sur la logique politique du FPR et
a voulu savoir si celle-ci comporait-elle une dimension ethnique larvée, si les dirigeants tutsis
du FPR, M. Paul Kagame et d’autres, se sentaient Tutsis avant d’être Rwandais ou l'inverse et
si leur appartenance à l’ethnie tutsie avait pour eux une importance.

M. Claude Silberzabn a précisé que, dans leur doctrine, les dirigeants du FPR
n'affichaient pas d'appartenance ethnique, pas plus que dans leurs discours. Dire qu'ils ne se
sentaient pas Tutsis serait peut-être excessif. Toutefois, il a souligné qu'ils avaient accompli un
effort permanent pour faire en sorte que des Hutus rejoignent leurs rangs.

Le Président Paul Quilès a remercié le Préfet Claude Silberzahn pour la qualité de
ses propos qui ont permis d'élargir le champ de réflexion des membres de la mission,
notamment sur le concept de « bavure d'ingérence ».

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