Fiche du document numéro 9150

Num
9150
Date
Lundi 9 mai 1994
Amj
Auteur
Taille
134048
Titre
Rwanda : des survivants de l'opposition accusent
Page
10-11
Nom cité
Nom cité
Cote
no 15468
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre envoyé spécial au Rwanda.

VERS Byumba, ville martyre mais libérée (située à 70 kilomètres au nord-est de Kigali), les réfugiés convergent de Kigali et d'autres zones encore aux mains des forces gouvernementales. Parmi eux, les rescapés des vagues d'assassinats politiques perpétrés par la GP (garde présidentielle) au début des massacres. Tous les partis autres que ceux dépendant de la dictature ont été décapités. Des centaines de militants et responsables de ces formations ont été tués en l'espace de quelques heures. Ils étaient tutsis, hutus ou twas, le « critère » des meurtriers n'étant pas l'appartenance à telle ou telle communauté, mais celle à un parti d'opposition.

J'ai rencontré plusieurs de ces rescapés, représentant les quatre forces politiques d'opposition présentes dans le gouvernement de transition élargie (GTE) du général Habyarimana. La plupart de leurs ministres ont été assassinés à leur domicile au cours de la nuit du 6 au 7 et la journée du 7 avril.

Devant moi, voici Pierre Rwangabo et le docteur Canisius Mungakuzwe, membres du Parti social-démocrate (PSD), créé le 1er juillet 1991 ; Jean Nepo Nayinzira, ministre de l'Environnement et du Tourisme dans le GTE, président du Parti démocrate chrétien (PDC), créé le 16 novembre 1990, le seul chef de parti ayant échappé à la tuerie ; le docteur Joseph Nsengimana, professeur d'université, membre du conseil national du Parti libéral (PL), fondé le 14 juillet 1991; Eugène Mdahajo, membre du Mouvement démocratique rwandais (MDR), créé le 1er juillet 1991.

Tous ces partis politiques ont été décimés et leurs cadres survivants dispersés dans un pays privé de moyens de communications (plus un seul téléphone ne fonctionne au Rwanda). On ne peut donc considérer les propos que je rapporte comme des déclarations engageant des formations politiques au sens où on l'entend en France. Elles n'en sont pas moins représentatives de ces familles de pensée opposées à la dictature. Elles convergent toutes sur un diagnostic: les massacres avaient été préparés de longue date et le « gouvernement » actuel ne mérite qu'un seul qualificatif, celui de gang d'assassins. Voici leurs témoignages.

Pierre Rwangabo, docteur Canisius Mungakuzwe



Parti social-démocrate

« Le PSD a été entièrement décapité. Notre président a été assassiné avec sa famille avant même que la nouvelle de la mort d'Habyarimana n'ait été connue. Le premier vice-président, candidat à la présidence de la future Assemblée nationale de transition (ANT) a été massacré avec son épouse. Deux jours plus tard, cela a été le tour du second vice-président. Je rappelle que deux semaines avant la mort d'Habyarimana, le secrétaire exécutif du PSD était tombé sous les coups des tueurs. »

« La liste est trop longue et je ne la connais d'ailleurs pas entièrement moi-même, mais sachez que beaucoup de nos candidats députés ont été massacrés. Ainsi que de hauts fonctionnaires de Kigali, membres de notre parti. La mort du président a été le prétexte pour mettre en oeuvre un plan conçu longtemps à l'avance: éliminer systématiquement tous les opposants au régime. Alors que notre formation est un parti modéré, qui regroupait à sa tête des responsables venus de toutes les ethnies, on nous a étiquetés sympathisants du FPR. »

« Aujourd'hui, nous voulons regrouper les rescapés qui croient aux idéaux du PSD. »

« On ne peut composer avec le soi-disant gouvernement constitué de gens qui ont orchestré la décapitation de notre parti et le massacre de la population. Nous souhaitons que les deux parties combattantes - le FPR et l'armée - puissent se rencontrer pour arrêter les combats. Mais à l'exclusion de la garde présidentielle. Il faut trouver un cadre de paix minimal pour sauver la population. Après, il faudra réorganiser les partis et reconstituer l'administration. »

Jean Nepo Nayinzira



Parti démocrate chrétien

« Nous nous attendions à une situation dramatique, mais pas de cette ampleur. Déjà en 1993, on parlait des escadrons de la mort constitués surtout par des officiers originaires de la région du président. Les organisations de la dictature (le MLND et les CDR) refusaient les accords d'Arusha. »

« C'est pourquoi ils ont décidé d'exterminer les politiciens de l'opposition. Je ne sais pas encore combien de membres de mon parti ont été assassinés et j'ignore le sort réservé aux quatre députés de ma formation. »

« Nous appelons à l'arrêt des massacres et de la guerre. Pour cela, nous souhaitons que le FPR puisse contrecarrer les escadrons de la mort. Il faut que l'opposition puisse se relever pour développer la réconciliation et le respect des droits de l'homme. Nous nous prononçons pour des institutions de transition conformes à ce qu'avaient prévus les accords de paix. Un problème se pose désormais en ce qui concerne les accords d'Arusha. »

« Il nous faudra examiner avec les autres partis d'opposition et le FPR si le MLND, qui a organisé les massacres, est digne ou non de participer à ces institutions de transition. »

Joseph Nsengimana



Parti libéral

« Je pars d'un constat. La situation présente est le fruit d'une longue préparation. Les organisations proches de la dictature ont voulu ces massacres. Il y avait eu des signes avant-coureurs, comme en février 1993, avec l'assassinat de plusieurs personnes lorsque avait été posée la question de signer le protocole sur le partage du pouvoir. Il y avait eu des assassinats de personnalités politiques à Kigali et le massacre de mars 1992. »

« Dès sa création, le PL avait été présenté comme un parti tutsi et pro-FPR. Ce n'était pas justifié par les faits, mais la propagande s'est déchaînée. Ils nous ont étiquetés. Le moment venu, ils ont assassiné nos dirigeants, nos cadres, nos candidats députés. Et combien de nos adhérents ont été massacrés avec leurs familles ? »

« Nous dénonçons les massacres opérés à l'initiative du gouvernement et du président autoproclamés. Ils ont bafoué toutes les lois. Nous les accusons de massacres prémédités, des carnages initiés à Kigali et propagés à travers tout le pays. Nous souhaitons que, le plus tôt possible, il soit mis fin à leur régime de violence et que la paix soit rétablie. »

« Cela ne peut être obtenu que par la mise hors d'état de nuire des escadrons de la mort et du départ du gouvernement et du président autoproclamés, l'arrêt des combats et l'ouverture de négociations pour la mise en place de nouvelles institutions. »

« Il faudrait des négociations entre le FPR et ce qui reste des partis d'opposition favorables au changement. Le traité d'Arusha contenait un protocole sur le partage des pouvoirs, prévoyant des quotas par parti. Tous les chefs des criminels doivent être arrêtés et jugés. Ce qui se passe ici un crime contre l'humanité. »


Joseph Mdahajo



Mouvement démocratique rwandais

« Les massacres en cours avaient été planifiés. Des écrits avaient circulé auparavant, y compris au niveau international, qui prévenaient du danger. »

« Après les accords d'Arusha, les tenants du pouvoir craignaient de perdre leur toute-puissance. Alors ils ont commencé à débaucher des membres de nos partis. Le plan s'est déroulé en trois étapes:

1. Le noyautage des partis et l'exacerbation des différences communautaires.

2. La multiplication par le président de la République de tous les prétextes imaginables pour retarder les échéances d'Arusha.

3. Les massacres.

Pendant des mois et des mois, les jeunes des organisations du pouvoir ont suivi une formation militaire. La rapidité avec laquelle la garde présidentielle a pu assassiner les responsables politiques montre qu'elle disposait de listes d'adresses. Et puis, il y a un fait que l'opinion internationale ignore trop souvent: au Rwanda, les tensions entre les régions sont au moins aussi fortes qu'entre les ethnies; 80% des officiers supérieurs sont issus du village même du président; 70% des hommes de troupe viennent de la région nord. Nous avons une armée régionalisée. »

« En fait, nous avons assisté à un coup d'Etat militaire. Notre parti est favorable à des négociations, mais avec des préalables: que le gouvernement et le président autoproclamés démissionnent et soient traduits devant la justice; que la garde présidentielle soit dissoute, ce que prévoyait d'ailleurs les accords de paix, et remplacée par une garde républicaine; que soit mis fin à la campagne relayée et amplifiée par les médias. »

« La réalisation de ces trois préalables permettrait, enfin, de négocier le cessez-le-feu. Quant aux négociations politiques ultérieures, elles devront concerner le FPR et les partis politiques qui n'ont pas trempé dans les massacres. »

JEAN CHATAIN

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