Fiche du document numéro 9138

Num
9138
Date
Jeudi 17 novembre 1994
Amj
Auteur
Taille
88486
Titre
Opération descente aux enfers
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« L'OPERATION ``Turquoise'' a sans doute facilité une évolution de type cambodgien. » L'ex-pouvoir dictatorial « a eu tout le temps de se replier au Zaïre, où il coordonnera probablement son emprise sur les millions de réfugiés - du Kivu, mais aussi du Burundi et de Tanzanie »...

Ce jugement est formulé dans un « Rapport sur la politique de la France au Rwanda (1973-1994) », publié récemment par l'Observatoire permanent de la coopération française constitué par des militants d'ONG et de l'association Survie. Un document qui a le mérite du constat. Triple en l'occurrence: concernant le soutien des gouvernements français à la dictature Habyarimana; confirmant la poursuite de ce soutien après le 6 avril 1994, alors même que le génocide se déchaînait (Paris se contentant par prudence de faire transiter les armes livrées aux tueurs par le Zaïre); enfin, dénonçant le double langage de l'Elysée et du Quai d'Orsay lorsque, la défaite du nazisme rwandais étant devenue militairement évidente, l'alibi humanitaire fut utilisé par Paris pour retomber sur ses pieds. Quitte à reproduire les conditions ayant permis aux auteurs d'un autre génocide - les Khmers rouges au Cambodge - d'éviter la déroute totale, puis de se recréer une « représentativité » politique, avant de reprendre le combat militaire. En ira-t-il de même demain pour un Rwanda assailli par les tueurs des FAR (Forces armées rwandaises) et des milices Interhamwe qui, l'opération ``Turquoise'' aidant, ont pu trouver refuge au Zaïre du maréchal-dictateur Mobutu?

Paris ne peut prétendre avoir été pris par surprise. Depuis 1990, pour maintenir une toute-puissance menacée, la dictature Habyarimana s'était engagée « sans frein dans une descente aux enfers ». Octobre 1990: massacres de Kibilira. Janvier 1991: pogrom dans le nord-ouest du pays, dont était originaire Habyarimana. Mars 1992: massacres au sud, dans le Bugesera. Mai 1992: création des milices Interhamwe. Décembre 1992: pogrom de Tutsis et de démocrates hutus à Gisenyi. Mai 1993: assassinat d'Emmanuel Gapyisi, leader hutu du MDR (Mouvement démocratique rwandais). Février 1994: assassinat de Félicien Gatabazi, leader hutu du PSD (Parti social-démocrate)...

Durant toute cette période, le soutien de Paris à Kigali ne s'est jamais démenti. Pire, selon Janvier Afrika, ancien responsable des milices, l'entraînement des tueurs durait « quatre mois au total, dans une base au centre de Kigali (où) l'autorité militaire française avait ses quartiers » (page 17 du rapport).

Pourquoi, depuis 1974, date du coup d'Etat au Rwanda, les présidents successifs du « pays des droits de l'homme » ont-ils ainsi soutenu la tyrannie installée à Kigali? Une question d'autant plus brûlante qu'elle doit être étendue à toute la politique africaine menée par Paris. Il suffit, pour s'en convaincre, d'évoquer le soutien apporté à d'autres régimes également sanglants et corrompus: Gabon, Togo, Zaïre, République centrafricaine... D'où cette phrase très dure, mais à coup sûr objective: « Ce n'est pas le droit qui fait justice aux victimes du génocide, c'est la force. Si le FPR n'avait pas gagné la guerre, le génocide rwandais aurait sans doute été ``normalisé'' par la diplomatie - comme le génocide des juifs si Hitler n'avait pas été défait. »



JEAN CHATAIN.

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