Fiche du document numéro 9135

Num
9135
Date
Lundi 22 avril 1996
Amj
Auteur
Taille
22667
Titre
Quelles responsabilités de l'Eglise rwandaise ?
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
De notre envoyé spécial.



« IBUKA: souviens-toi »... Sous cette appellation s'est tenu, à Bruxelles, un colloque international sur le Rwanda. Parmi les thèmes abordés sur le génocide d'avril-juin 1994, celui-ci: « Rôle des Eglises et confessions religieuses ». Avec une communication de Mgr Jean-Baptiste Ratagaka, ancien vicaire général du diocèse de Nyundo; et une autre de l'abbé Jean-Baptiste Bugingo, du même diocèse.

Ce n'est pas là un hasard: durant les massacres, cet évêché fut le seul à les avoir ouvertement condamnés. Tous les autres soit gardèrent le silence, soit y apportèrent plus ou moins ouvertement leur caution: ce fut le cas de l'archevêque de Kigali qui, auparavant, avait été membre de la direction du MRND, le parti du dictateur Habyarimana et de l'évêque de Ruhengeri. Ce dernier proclamait encore en juin dernier dans le journal néerlandais « De Volkskrant »: « Les Batutsi étaient des amis de l'ennemi. Ils devaient être éliminés. »

Un Etat dans l'Etat



L'ensemble des interventions convergèrent sur les conclusions suivantes: l'Eglise était devenue un Etat dans l'Etat, et, pour s'attirer ses faveurs, le pouvoir politique lui-même avait pris l'habitude de se montrer « plus catholique que le pape ». Parallèlement, l'Eglise s'est trouvée noyautée et instrumentalisée par un pouvoir temporel muré dans un ethnisme fanatique.

Un collectif de prêtres de Kigali a ainsi publié un ouvrage qui constitue un douloureux effort de lucidité sur eux-mêmes (1). Page 41, cette interrogation: « Qui d'entre nous a été inquiété pour avoir dénoncé les préparatifs du génocide que nous ne pouvions pas ignorer tous? (...) Si les évêques, les prêtres avaient eu le courage apostolique de dénoncer clairement la propagande de haine ethnique, les choses auraient changé considérablement. »

Auteur d'un autre livre également sorti en 1995 (2), Privat Rutazibwa a été ordonné prêtre en 1990 à Goma (Zaïre). En 1992, il rejoignait les maquis du Front patriotique rwandais. Il vit aujourd'hui à Kigali et me précise, en préalable à notre entretien, qu'il ressent toujours « aussi vivement » sa vocation religieuse.

« Il y a une responsabilité collective et historique de l'institution religieuse - juge Privat Rutazibwa -, elle apparaît dès le début dans la stratégie d'évangélisation elle-même que les Pères blancs avaient conçue sur des bases ethniques. »

Trois grandes étapes pourraient être discernées. Une première, celle de la colonisation allemande (début du siècle), vit l'Eglise s'appuyer sur la majorité hutu. Durant l'entre-deux-guerres, renversement de stratégie: le pouvoir colonial belge et l'Eglise missionnaire privilégient la composante tutsi, identifiée (à tort) comme « aristocratie » à circonvenir pour assurer leur emprise sur tout le pays. A partir de 1945, nouveau virage: devenus en quelque sorte « l'élite » du pays, instruits et détenant des postes clés dans l'administration, les Tutsi s'opposent de plus en plus à la tutelle coloniale. Leur « arrogance » est dénoncée, quand ils ne sont pas accusés, pêle-mêle, d'être sympathisants du communisme, de l'islam ou du Congolais Patrice Lumumba. Dirigeant de l'Eglise rwandaise, Mgr Perraudin soutient la création du parti Parmehutu, dont le nom indique la vocation ségrégationniste.

L'évêché cherche ses brebis galeuses



« Le Parmehutu est né à l'ombre de l'évêché de Kapgaye - souligne mon interlocuteur -, c'est un réseau catholique qui a engendré l'idéologie ethniste. Avant même que l'Etat n'ait codifié les quotas (postes attribués en fonction de l'appartenance ethnique, NDLR), l'épiscopat en avait introduit le principe dans le clergé. Dès lors, l'Eglise ne pouvait plus jouer un rôle prophétique dans la société. »

« Depuis le génocide, on assiste à une fuite en avant: pour ne pas reconnaître ses erreurs du passé, l'Eglise cherche des boucs émissaires, se plaint de la presse et du gouvernement, se déclare persécutée. Mais dans plusieurs endroits du pays, à Kigali et à Butare en particulier, des courants se font jour pour une authentique activité pastorale. Même si les mouvements qui structurent la hiérarchie de l'Eglise font tout pour les marginaliser. »

Lu dans l'ouvrage déjà cité des prêtres de Kigali: « L'Eglise terrestre est composée de saints et de pécheurs. Il faut montrer au monde scandalisé par les fautes de certains d'entre nous que l'Eglise en tant que corps regrette ses fautes et donne l'exemple du repentir et de l'effort de conversion. »

(1) « Des prêtres rwandais s'interrogent » (éditions centre Saint-Dominique, Bujumbura, 1995).

(2) Privat Rutazibwa: « Espérance » (Kigali, 1995).



JEAN CHATAIN

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