Fiche du document numéro 8881

Num
8881
Date
Lundi 13 juin 1994
Amj
Auteur
Taille
98152
Titre
Témoin d'un génocide
Lieu cité
Cote
no 15498
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Préfecture de Kibungo. L'énumération des communes la composant revient à celle des charniers laissés derrière elles par les milices et les troupes « régulières » reculant devant les troupes du FPR. Partout des monceaux de cadavres et entre deux villages, des pistes jonchées de corps en décomposition, ceux des fuyards rattrapés par les assassins gouvernementaux. Enfants, femmes et hommes, dans un immonde mélange.

Ce n'est pas tout à fait exact. Souvent, des linges signalent les bébés et les enfants en bas âge. Leurs corps ont, presque sans exception, été recouverts. Certes, il n'y a pas de limites dans l'atrocité, mais il y a une sorte de frontière psychologique où, sans que l'on sache exactement pourquoi, les survivants craquent: une horreur dans l'horreur que l'on ne peut supporter et que l'on voudrait cacher à la face du soleil. Dans ce cas précis, elle porte un nom: le cadavre mutilé d'un gosse.

L'orphelinat du père Blanchard, dans le quartier de Nyamirambo, à Kigali, n'existe plus. Les milices sont passées par là. Comme elles sont passées à Byumba, à Kibungo, à Rukara, à Rwamagana... Comme elles massacrent toujours à Butare et dans les communes du Sud encore détenues par les troupes de la dictature. A Rusumo, le pont qui enjambe la rivière Akagera marquant la frontière avec la Tanzanie, les corps des suppliciés ne cessent de tourbillonner avant de disparaître derrière le méandre suivant. En sept minutes, j'ai compté ainsi 6 cadavres. Dont ceux de 2 enfants. A peine une tache noire sur les flots.

Au Conseil de sécurité de l'ONU, Paris s'est opposé à l'emploi du terme « génocide »; Washington vient de diffuser une consigne à ses porte-parole pour qu'ils fassent de même... Devant cette hypocrisie, le massacre des enfants rwandais - ceux des familles tutsies et ceux des familles des opposants hutus à la dictature - prend valeur de gifle: il est la preuve du crime contre l'humanité perpétré par le gouvernement de ce pays. « Une machine à tuer son peuple », expression que j'ai entendue juste après que l'on m'eut fait voir le puits de Kiziguro, devenu fosse commune pour plus de 700 martyrs.



Jean Chatain

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