Fiche du document numéro 8735

Num
8735
Date
Samedi 2 juillet 1994
Amj
Taille
108333
Titre
Seychelles : marchand d'armes
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Cote
N° 630
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
Une partie des armes et munitions saisies par les autorités seychelloises sur le bateau grec Malo, l'an dernier, vient d'être vendue et transportée par avion à Goma, une ville du Zaïre située à la frontière avec le Rwanda et qui sert de base arrière à l'intervention humanitaire française dans ce pays. Cette information révélée par l'hebdomadaire seychellois d'opposition Regar, le 17 juin (LOI n°629), n'avait toujours pas été démentie ni même commentée officiellement par les autorités de Mahé, dix jours plus tard. La Lettre de l'océan Indien est en mesure de confirmer que deux rotations vers Goma ont bien eu lieu à bord d'un avion zaïrois pour transporter ces armes et munitions (notamment plus de 500 caisses de grenades anti-tank et à fragmentation) dans les nuits du 16 au 17 juin et du 18 au 19 juin derniers.

Les mouvements de camions militaires seychellois et les avions zaïrois ont été repérés par des personnes résidant à proximité de l'aéroport international de Mahé. L'avion zaïrois était enregistré sous le numéro de vol AZR 3024 à l'aller et AZR 4032 au retour. Son itinéraire de vol indiquait bien Goma comme destination. Cette ville zaïroise est à deux pas de celle de Gisenyi, au Rwanda, où s'est réfugié le gouvernement intérimaire rwandais, formé par les extrémistes hutus après la mort du président Juvenal Habyarimana pour lutter contre les rebelles du Front patriotique rwandais (FPR). Le véritable client de ces achats d'armes pourrait donc être le gouvernement intérimaire rwandais, et ce en flagrante violation de l'embargo sur les armes décrété par le conseil de sécurité de l'ONU.

Selon nos informations, cette transaction aurait été négociée par plusieurs intermédiaires dont un homme d'affaires zaïrois et un autre sud-africain. En relation avec cette affaire, trois personnes sont arrivées à Mahé, le 4 juin, sur un vol d'Air Seychelles en provenance d'Afrique du Sud: il s'agit d'un Rwandais Themeste Bagasora, d'un Sud-Africain Willem Ehlers et d'un Zaïrois Hunda Nzambo. Ehlers et Nzambo sont repartis en Afrique du Sud, le 11 juin, toujours sur un vol d'Air Seychelles, tandis que Bagasora demeurait à Victoria où il a été rejoint par un autre ressortissant rwandais, Jean-Bosco Ruhorahoza. Ces intermédiaires auraient eu des entretiens avec plusieurs responsables dont le principal secretary du ministère du Transport et du Tourisme, Maurice Lousteau-Lalanne et le conseiller du président France Albert René pour les relations publiques, Gilbert Pool. Il est maintenant avéré que les responsables civils de l'aéroport international de Mahé se sont montrés très réticents à l'embarquement de ces armes et munitions sur un aéroport civil. Le président René serait même intervenu personnellement pour lever cet obstacle.

Le gouvernement seychellois est très embarrassé par ces révélations car plusieurs autres vols vers Goma étaient prévus pour acheminer d'autres armes et munitions et pourront maintenant difficilement avoir lieu dans la discrétion. C'est peut-être en relation avec cette affaire que le chef d'état-major des Seychelles Defence Forces, le colonel Léopold Payet, a quitté l'archipel pour se rendre en France, le week-end dernier. Cette visite a alimenté les spéculations sur le rôle qu'auraient pu jouer certains milieux français pour faciliter ces ventes d'armes. Paris s'était vu présenter, à la mi-mai, par le ministre des Affaires étrangères du gouvernement intérimaire du Rwanda, Jérome Bicamunpaka, une impressionnante commande de matériel militaire, comprenant des uniformes pour 20 000 combattants, des milliers de munitions (obus de mortiers de différentes tailles), 10 000 grenades à mains, 200 roquettes, 2 millions de cartouches, des mortiers et du matériel de transmission. A l'époque, la réponse à cette requête n'avait pas été positive et l'armée rwandaise était donc à la recherche d'autres fournisseurs. Force est de reconnaître que les munitions récupérées par les autorités seychelloises correspondaient à ses besoins.

Le bateau grec Malo, intercepté par les autorités seychelloises, en mars 1993, avait à son bord 10 542 caisses de munitions et 389 caisses d'armes destinées à la Somalie. Outre les armes (pistolet, fusils et mitrailleuses) et plus de 7 000 caisses de balles de divers calibres, la cargaison comprenait 2 500 caisses de munitions pour mortiers (60 mm, 82 mm et 106 mm), 300 caisses de munitions pour RPG, 150 caisses de grenades anti-char et 383 caisses de grenades à fragmentation. Le capitaine, l'ingénieur en chef et le premier officier du Malo ont été inculpés « d'importation illégale d'armes et de munitions de guerre aux Seychelles » et la cargaison a été placée sous séquestre dans un bâtiment des Seychelles Defence Forces durant la durée du procès. Au terme de six mois de procédure, seul le capitaine du bateau grec a été condamné à un an de prison. Les Seychelles ont alors récupéré le bateau et sa précieuse cargaison d'une valeur estimée à 40 millions $.

Juste avant le jugement en appel de ce procès, en mars 1994, le capitaine du Malo est décédé en prison à la suite d'une courte maladie. Les propriétaires du bateau se sont alors substitués à lui pour faire appel et récupérer leur navire mais ils ont été déboutés sans que la Cour d'appel des Seychelles ne précise les attendus de sa décision. A partir de là, le gouvernement de Mahé avait annoncé son intention de vendre ces armes et ces munitions et plusieurs organisations internationales, dont la CICR, lui avaient demandé d'agir avec responsabilité.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024