Fiche du document numéro 8680

Num
8680
Date
Vendredi 4 avril 2014
Amj
Taille
113619
Titre
Crash du 6 avril 1994 : les soupçons continuent de planer sur la France
Sous titre
Décryptage Trois enquêtes rapportent des faits troublants sur l’implication de Paris dans l’attentat qui déclencha le génocide.
Nom cité
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Nom cité
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Résumé
Many facts call into question the role of France in the attack on President Habyarimana's plane. Michel Roussin, the Minister of Cooperation looked at his shoes when the family of the co-pilot asked him who had committed the attack.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« Ce sont les Hutus qui ont abattu l’avion de Juvénal Habyarimana. Je suis bien placé pour le savoir » : c’est ce qu’a déclaré le capitaine Pascal Simbikangwa, ex-responsable du renseignement intérieur et premier Rwandais à avoir été jugé en France (condamné en première instance, le mois dernier, à vingt-cinq ans d’emprisonnement, il a fait appel). Cette confession inattendue à la psychologue qui l’a examiné, et l’a trouvé sain d’esprit, est passée quasi inaperçue. Jamais revendiqué, l’attentat qui a coûté la vie au président rwandais le 6 avril 1994, donnant le signal du début des massacres, reste une énigme explosive. Une instruction judiciaire est en cours, en France, depuis plus de quinze ans. Trois enquêtes publiées récemment pointent l’implication, directe ou indirecte, de Paris. A charge, bien sûr, mais en rapportant parfois des faits troublants sur cette hypothèse monstrueuse.

Le rôle de la France au Rwanda au moment de l’attentat



Les forces françaises débarquent au Rwanda en octobre 1990. Juste après l’entrée dans le nord du pays d’un mouvement rebelle, le Front patriotique rwandais (FPR), dominé par des exilés tutsis. Le 6 avril 1994, cela fait quatre mois que les militaires français, qui ont formé et encadré l’armée rwandaise, ont quitté le pays. Ils ont cédé la place aux Casques bleus, chargés de veiller à l’application des accords de paix conclus en août 1993 entre les forces en place et le FPR. Mais les durs du régime sont hostiles au partage du pouvoir prévu par les accords d’Arusha. La tension est extrême. Plusieurs officiers français vont aussi dénoncer publiquement un « marché de dupes » faisant la part trop belle au FPR, « considéré par l’état-major français et l’Elysée comme un mouvement de khmers noirs, un ennemi à abattre », rappelle le journaliste Benoît Collombat (1). Plus étrange, dans un petit livre qui analyse les déclarations publiques des militaires français (2), François Graner s’interroge sur le départ soudain du Rwanda, le 29 mars 1994, de l’attaché militaire français Bertrand [Bernard] Cussac. En principe, il s’agit d’un remplacement de routine justifié par des événements « susceptibles de conduire au déclenchement d’opérations militaires ». Mais, à ce moment-là, la France ne mène plus d’opérations militaires au Rwanda. Et le seul « événement » de cette période est, en principe, imprévisible : c’est l’attentat. Ce soir du 6 avril, Habyarimana rentre d’un sommet régional à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Sous la pression, il vient d’accepter le partage du pouvoir. « Le commanditaire de l’attentat devait être opposé à ces accords », en conclut Graner.

La réaction de Paris au lendemain du 6 avril 1994



Dès le 7 avril, sans aucune précaution, Bruno Delaye, de la cellule africaine de l’Elysée, attribue l’attentat au FPR. Une thèse aussitôt confortée par la Direction du renseignement militaire. Pourtant, le 11 avril 1994, une note de la Direction générale de la sécurité extérieure désigne les extrémistes hutus et le camp de Kanombe, dans la banlieue de Kigali, où se trouve la Garde présidentielle, comme lieu le plus probable de l’origine des tirs. Il faudra attendre seize ans pour que cette hypothèse s’impose, après l’enquête balistique réalisée par le juge français Marc Trévidic. Le journaliste Jean-François Dupaquier (3) a rencontré la fille du copilote de l’avion, décédé dans le crash. Sylvie Minaberry lui a confirmé que les familles de l’équipage français avaient été dissuadées de porter plainte. Pour quelle raison ? Elle a évoqué sa rencontre avec Michel Roussin, alors ministre de la Coopération : « Quand je lui ai demandé qui avait commis l’attentat, il a regardé ses chaussures. L’ambiance était bizarre. On a eu des doutes. On s’est demandé : Ce ne sont quand même pas des Français qui ont abattu l’avion ? »

Un homme au cœur des soupçons



Paul Barril, ancien super-gendarme de la cellule antiterroriste de l’Elysée, a été entendu au sujet de l’attentat par le juge Trévidic. Après plusieurs déclarations contradictoires, il affirme qu’il était aux Etats-Unis au moment du crash. Mais deux témoins, dont la femme du chef de mission de coopération à Kigali, l’ont vu au Rwanda quelques jours avant l’attentat. On sait qu’il a conclu plusieurs contrats avec le régime Habyarimana, puis les autorités génocidaires. « Il désinforme aussi les médias sur l’attentat », rappelle Benoît Collombat. En juillet 1994, lors d’un entretien retranscrit avec le président ougandais, François Mitterrand prétend ne pas le connaître. « C’est impossible ! » s’exclame Jean-François Dupaquier, qui rappelle que Barril a fait partie de la garde chargée de la protection de Mazarine, la fille du Président. C’est aussi en juin 1994 que Barril, pourtant passé depuis longtemps dans le privé, est promu capitaine honoraire de la gendarmerie française. « Pour quels services rendus ? » s’interroge le journaliste.

(1) « Au nom de la France », la Découverte, 2014.

(2) « Le Sabre et la Machette », éditions Tribord, 2014.

(3) « Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda », Karthala, 2014.

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