Fiche du document numéro 798

Num
798
Date
Samedi 2 juillet 1994
Amj
Taille
6020
Titre
Charniers à ciel ouvert au pays des mille collines
Mot-clé
Source
Type
Dépêche d'agence
Langue
Citation
CHARNIERS À CIEL OUVERT AU PAYS DES MILLE COLLINES.
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par Michela Wrong
677 Mots
02 Juillet 1994
16:05 GMT
Reuters - Les actualités en français
Français
(c) Reuters Limited 1994.
BISESERO (RWANDA), 2 juillet, Reuter - L'ouest du Rwanda, le pays des
Mille Collines naguère paradis enchanteur avec ses riantes prairies et
ses torrents de cartes postales, est devenu un enfer où la mort rôde.

Sur chaque sentier montagneux battu par les vents, dans chaque
clairière, l'odeur de la mort vous prend à la gorge.

Les cadavres gisent abandonnés un peu partout sur ces collines à 30 km
au sud de la localité de Kibuye, un secteur aujourd'hui tenu par les
forces gouvernementales mais qui risque d'être conquis du jour au
lendemain par les rebelles du Front patriotique du Rwanda (FPR).

Les corps sont ceux de paysans tutsis traqués et tués par l'armée, à
dominante hutue, et les milices hutues alliés au lendemain de
l'attentat du 6 avril qui a coûté la vie au président Juvénal
Habyarimana et à son homologue burundais, tous deux hutus.

Personne n'a eu ou pris le temps de les enterrer. Ils sont là, exposés
aux éléments, les crânes et les os commencant à percer sous leur peau
parcheminée. Les corps commencent à se fondre petit à petit dans la
terre.

A première vue, ils ressemblent à un tas de vieux vêtements. Mais
l'odeur qui s'en dégage ne trompe pas. Ce sont bien ici les restes de
femmes, les bras en croix, leurs bébés à leur pied.

Eparpillés alentour, des souliers, des vêtements et les petits objets
conservés par devers elles durant leurs derniers moments - paniers,
seaux, papiers personnels et carnets de santé de leurs enfants.

Pendant notre randonnée d'une heure, nous sommes passés devant au
moins 50 cadavres. Et il n'y a aucune raison de croire que la
situation n'est pas la même dans les autres vallées et collines.

En descendant à la rivière, nous butons sur un nouveau tas de corps
récemment tués, ce qui prouve que les attaques hutues contre cette
communauté continuent depuis l'arrivée des premiers militaires
français de l'opération Turquoise.

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"Traqués comme des chiens"
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Les corps de trois jeunes gens ont été jetés dans le torrent. Un
quatrième gît près du sentier, boursoufflé et méconnaissable.

"Ils nous ont traqué comme des chiens", raconte notre guide
tutsi. "Ils ont tué les mères, les bébés, les femmes enceintes et les
vieux. Sans aucune pitié."

Les huttes tutsis ont été littéralement éventrés, brique après brique,
les tuiles et les ustensiles de cuisine brisés, les toits incendiés et
les plants de banane abattus.

"De huit heures du matin à deux heures de l'après-midi, ils tuaient
tous les Tutsis. Une heure après, ils s'en prenaient aux récoltes",
assure notre guide, laconique.

Selon les rescapés, le nombre d'habitants tutsis est passé de 10.000 à
un millier, dont 800 placés aujourd'hui sous la protection de
Turquoise sur un plateau battu par les vents.

"Le pire, c'est qu'ils refusaient qu'on s'enfuie", témoigne Eric, un
instituteur de 28 ans pris en charge par les troupes de marine
françaises. "J'ai tenté de m'enfuir au Burundi. Nous avons marché
toute la nuit mais ils nous ont pris sur le chemin. Nous étions 19 au
départ, quatre ont survécu. Nous avons rebroussé chemin".

A l'arrivée des militaires français, un nombre de plus en plus élevé
de Tutsis émaciés, dont certains portent des blessures infligées à la
machette et à la grenade, sortent des forêts et des bâtiments à
l'abandon où ils se cachaient.

Les médecins militaires français soignant les blessés sont surpris par
leur résistance physique après tant de semaines de privation. "Ils
sont extrêmement résistants, endurant leurs peines en silence et
dissimulant leurs souffrances".

Les Français, face à cette marée montante de réfugiés, se demandent ce
qu'il faut faire maintenant - installer sur place un camp de réfugiés
malgré un accès difficile, ou bien évacuer les Tutsis. Mais où ?

"La plupart d'entre nous aimeraient rester, si possible", explique
Eric. "Ici, c'est chez nous". /JLF

(c) Reuters Limited 1994

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