Fiche du document numéro 775

Num
775
Date
Mercredi 8 janvier 2003
Amj
Taille
174557
Titre
Interview de Tharcisse Nsengiyumva, ancien chauffeur du colonel Bagosora
Type
Langue
FR
Citation
ITW Tharcisse Nsengiyumva

Dates : 08 et 09/01/2003

Lieu : Remera (Kigali)

Time code

Q/R

00 :37 :28

Q

Texte
Cassette n° 99
1/3
08/01/2003
Nous commençons. Tu nous dis tes noms, ton âge, ta

R

nationalité, ton lieu de naissance et ta profession en 1994.
Je m’appelle Nsengiyumva Tharcisse. Je suis né dans

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l’ancienne commune de Gishoma en préfecture de Cyangugu.
Je suis né en 1963. Je me suis engagé dans l’armée en octobre
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Q

1982, et jusqu’au génocide, j’étais militaire.
Durant le génocide, tu étais dans l’armée. Comment as-tu vu

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R

ce génocide et comment l’as-tu vécu ?
Tel que je l’ai vu, les gens de l’AKAZU,qui avaient élevé
celle-ci en institution politique en étaient au point de juger
comme un devoir de se débarrasser de quiconque n’était pas
en accord avec leur vision politique, qu’il fût hutu ou tutsi. Et
donc, conformément à cette politique, les hutu qui
soutenaient l’AKAZU tentèrent d’exterminer tous ceux-là qui
n’étaient pas d’accord avec eux, mais grâce à Dieu, ils n’y
arrivèrent pas car les inkotanyi intervinrent et arrêtèrent le

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Q
R

génocide.
Toi tu faisais partie de quel corps d’armée ?
J’étais dans l’armée de l’air : la compagnie chargée d’abattre

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Q
R

les avions.
L’armée de l’air ?
Oui. La compagnie antiaérienne, celle qui descend les avions

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Q
R
Q
R
Q

en utilisant les armes lourdes.
Celle-là que l’on appelle BAC ?
Non. C’était le Bataillon Léger Antiaérien.
Bataillon Léger Antiaérien ?
Oui.
Tu n’as pas eu d’autres fonctions à part d’être affecté à ce

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R

bataillon ?
J’étais aussi chauffeur, de 1987 à 1990, lorsque j’ai fait un

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Q

accident.
Même si tu étais chauffeur, tu as dû voir certaines choses.

R

D’après toi, le génocide a été préparé de quelle manière ?
Le génocide, la façon dont il a été préparé, si tu observes

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bien, tu trouves qu’il a été préparé par les gens de l’AKAZU,
qui avait à sa tête entre autres le colonel Bagosora, dont
j’étais par ailleurs le chauffeur. Alors, ces gens de l’AKAZU
voulaient l’extermination de toutes les personnes qui
n’étaient pas en accord avec leur politique. Cela s’entend que
ceux qui avaient le même langage qu’eux, c’était les
membres du parti MRND. Quiconque n’était pas membre de
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Q

ce parti, la CDR excepté, il était pris pour leur ennemi.
Tu dis que les membres de l’AKAZU avaient pour leader
Bagosora, n’as-tu pas quelque chose d’assez développé à

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R

nous raconter là-dessus ?
Bagosora, tel que moi je le connaissais, je peux affirmer qu’il
n’aimait pas les tutsi depuis même le passé. Car en 1989,
peut-être durant les premiers mois de l’année je ne me
rappelle pas bien, il y a une femme qui s’est mariée, nous
avons assisté à son mariage religieux qui se déroulait à la
paroisse Saint-Michel, je le conduisais alors et apercevant
trois jeunes gens qui se trouvaient au milieu d’une foule- il y
avait eu célébration de trois mariages et donc un certain
cafouillage- il m’a dit de les écraser et de continuer notre
route. Ces trois jeunes gens étaient tutsi. Mais alors j’ai refusé
de le faire. Visiblement donc, il n’aimait pas les tutsi depuis
longtemps et dans l’armé même, il n’écoutait pas
sérieusement tout problème qui lui était soumis par un soldat

00 :41 :31

Q

tutsi.
En 1990, il y a eu l’attaque des inkotanyi qui s’introduisaient
ainsi au Rwanda, et les militaires de l’armée rwandaise qui
s’imaginait que le Rwanda leur appartenaient à eux tout seuls
ont jugé nécessaire d’intervenir pour repousser le FPR.
Comment ont-ils procédé, comment se sont-ils conduits lors

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R

de cette guerre et qui est-ce qui les a secourus ?
Au moment où la guerre a démarré, j’avais subi l’accident, je
me trouvais alors en Belgique pour soins. Cependant, j’ai vu
les événements à la télévision comme tout le monde. Les
Forces Armées Zaïroises, celles du Congo actuel, ont été

envoyées par Mobutu pour secourir Habyarimana, de même
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Q

que les soldats belges.
Les Zaïrois et les Belges exceptés, tu n’as pas appris qu’il y

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R

avait d’autres soldats venus combattre pour Habyarimana ?
Les autres sont arrivés après mon retour, j’y étais. C’était les

Q

français.
Comment sont-ils arrivés, quel comportement avaient-ils et

R

d’après ce que tu observais, ils venaient pour quoi faire ?
Les français, dès leur arrivée, donnaient l’impression d’avoir

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d’autres missions inconnues, secrètes, à côté de celle
apparente, de telle sorte qu’ils allaient partout où ils voulaient
sans entrave, sans problème, à l’extérieur des camps. Ils
tabassaient les gens, et puis ils ont organisé une parodie de
retrait en effectuant un faux départ, en faisant une cérémonie
d’adieu, disant qu’ils rentraient chez eux. Certains d’entre
eux sont alors effectivement partis mais d’autres sont restés.
C’est ceux qui sont restés qui ont entraîné les CRAP ainsi que
les gens qui étaient venus du Burundi, car en réalité c’était au
Burundi que le génocide devait se faire en premier, avant le
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Q
R

Rwanda.
Pourquoi ?
Car il y avait des burundais qui avaient été entraînés pour ça

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Q

au Bigogwe, d’autres à Gikongoro et à Butare.
Ils les avaient entraînés pour commettre le génocide au

R
Q

Burundi ?
Oui. Pour faire un génocide. Après l’assassinat de Ndadaye.
Ces entraînements, c’était avant ou après la mort de

R
Q

Ndadaye ?
C’était après sa mort.
Ces français, toi tu les as vus et tu dis que certains sont restés

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quand d’autres rentraient. Quand est-ce qu’on dit qu’ils sont
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R

partis ?
En 1993. je crois que c’était Bizimungu qui était ministre des

Q
R

Affaires étrangères.
Que faisaient les soldats français entre 1990 et 1993 ?
Ils entraînaient l’armée rwandaise, et aussi ils disaient qu’ils
étaient venus protéger les intérêts des étrangers. Mais pour
moi, je voyais que ce n’était pas les intérêts des étrangers qui

les préoccupaient, ils étaient occupé plutôt à autre chose de
bien secrète, surtout que l’on remarquait qu’ils s’intéressaient
de très près aux personnes qui n’étaient pas du même bord
politique que le MRND, car ils les connaissaient, ils avaient
des interahamwe, par exemple au camp Kanombe, depuis
1991, quand j’étais de retour ici. Il y avait une barrière des
interahamwe au secteur Nyarugunga, et cette barrière, seuls
les français et les membres du MRND et de la CDR la
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Q

franchissaient. Personne d’autre.
Est-ce que les soldats français eux aussi ont tenu des

R

barrières ?
Oui. Lorsque nous les militaires handicapés nous avons fui le
24/04/1994, nous avons trouvé les français sur une barrière au

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00 :47 :15

Q
R

pont de Nyaruteja, en direction de Gitarama.
Vous êtes donc passés par le Bugesera ?
Non. C’est le pont de la Nyabarongo. C’est comme ça qu’il

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00 :47 :26

Q
R
Q
R

s’appelle.
Vous les y avez vus ?
Tout à fait. Ils s’y trouvaient.
Avec qui étaient-ils ?
Ils étaient avec des soldats ex-FAR et des interahamwe. De
telle sorte qu’ils demandaient aux passagers des cartes

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Q
R

d’identité et les tutsi étaient mis d’un côté, les hutu de l’autre.
Ça tu l’as vu toi-même ?
Cela je l’ai vu de mes propres yeux. Car nous nous y sommes
arrêtés. Nous y avons passé environ une vingtaine de

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00 :48 :05

Q
R
Q
R

minutes.
Les tutsi qu’ils séparaient des hutu, que faisaient-ils d’eux ?
Ils les tuaient !
C’est-à-dire que vous avez vu des cadavres ?
Ils les emmenaient plus loin à l’écart et c’est là qu’ils les
tuaient. Les corps, ils les jetaient dans la Nyabarongo, nous

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Q

avons vu ça.
C’est les français eux-mêmes qui demandaient la carte

R

d’identité ?
Une personne venait et passait devant les militaires en tenant
bien en évidence sa carte d’identité. Les français alors eux
aussi consultaient cette carte d’identité et vérifiaient la
mention ethnique « Tutsi, Hutu » et ils les séparaient. Pour

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Q
R

l’exécution, cela était fait par les interahamwe.
Ces français relevaient de quel corps d’armée ?
Les corps d’armée, je ne les connais pas, toutefois je me
souviens de la tenue qu’ils portaient. Ils avaient des bérets
verts et leurs chemises étaient d’un vert foncé, avec de poches
par devant et un cordon élastique sur le bas, (qui faisait le
tour de la taille), ainsi que des pantalons également vert

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Q
R

foncés ordinaires.
Tu ne sais pas si c’était des paras ou d’autres ?
Non. Les paras eux ils avaient des bérets rouges. Ceux-là

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Q
R
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R
Q

n’étaient pas des paras.
Et les légionnaires, tu en as entendu parler ?
Non. Je ne les connaissais pas.
Des parachutistes, tu en as vus de toute façon à Kanombe ?
Oui. Je les ai vus à Kanombe.
Eux qu’est-ce qu’ils faisaient, en quoi étaient-ils utiles aux

R

soldats rwandais, quelle était leur mission ?
Les paras français, ils formaient les parachutistes rwandais.

00 :48 :40

Mais ces autres français qui étaient restés, il n’y avait pas de
chef qui avait un grade plus élevé que celui du chef de la
coopération militaire française. Celui-ci vivait habituellement
au camp Kanombe, il était capitaine, mais je ne me souviens
pas de son nom, c’est donc lui qui a pris le commandement
de ces militaires français qui restaient. Ils ont formé aux
armes le BAC (Bataillon d’Artillerie de Campagne), ils l’ont
formé aux armes lourdes qu’ils avaient amenées. Ils avaient
amené des canons 105 et 120, et ils allaient aussi sur terrain
et les utilisaient. A byumba par exemple, là vraiment c’est
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Q

eux-mêmes qui les ont utilisées.
Oui. A Byumba, ils ont tiré avec, mais aussi tu dis : « Il y en
a qui se sont retirés et d’autres qui sont restés », c’est-à-dire

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R

qu’ils sont restés après les accords d’Arusha ?
Non. Quand ils sont allés signer les accords d’Arusha, ils (les
inkotanyi) ont dit : « Il faut d’abord que les soldats étrangers
retournent chez eux ». Alors le Rwanda a joué la comédie, les
soldats français ont organisé publiquement une cérémonie
d’adieu, et le gouvernement leur a dit au revoir, mais alors
que d’autres restaient.

00 :51 :08

Q

Tu parles de comédie et cela me rappelle celle de 1990,
lorsqu’ils disaient que les complices avaient attaqué, la nuit
du 4 octobre. A cette époque-là, quel rôle les soldats français

R

ont –ils joué dans cette mise en scène ? Les voyais-tu ?
A cette époque, je t’ai dit que je me trouvais en Belgique

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Q

pour soins.
Ah oui, c’est vrai. Et lors de ta fuite, après avoir passé le pont

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R

de Nyaruteja sur la Nyabarongo, tu as continué par où ?
Je me suis dirigé vers Butare où nous sommes restés un mois,

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ensuite nous sommes allés à Cyangugu, et là nous y étions
lorsque les soldats de la zone Turquoise qui étaient de
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Q

français sont venus s’y établir.
Quel était le comportement des français dans la zone

R

Turquoise ? Quelle te semblait être leur mission ?
Visiblement, ce qui les amenait, leur mission était de
combattre pour le gouvernement intérimaire. Mais comme les
nations étrangères se sont élevées contre cette idée- car
j’écoutais les radios étrangères- ils ont été contraints de
changer de mission et ils se sont mis à protéger les gens qui
fuyaient. Au cours de cette mission de protection des
réfugiés, ils les protégeaient aussi pour piller et tuer des gens,

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Q

en vérité ils continuaient à tuer des gens.
C’est-à-dire que, après l’arrivée des français dans la zone, les

00 :52 :47

R

interahamwe n’ont pas cessé de tuer les gens ?
Tout à fait. Nous-mêmes les infirmes militaires, ils nous ont
attaqués, nous ont tiré dessus, et nous avons été sauvés par ce
Kayitare grâce à une cassette qu’il avait lâchée parce que ses

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00 :53 :01

Q
R

doigts ne tenaient rien.
Sauvés par une cassette comment ?
Il a voulu insérer une cassette dans le magnétophone et elle
lui a échappée, elle est tombée par terre et cela a fait du bruit.
Il a alors eu l’idée de crier aux agresseurs pour leur dire qu’il
était en train de mettre des cartouches dans son chargeur pour
riposter et les autres ont pris peur, ont tiraillé ça et là puis se

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Q

sont sauvés.
La cassette est tombée et ils ont cru qu’il s’agissait d’un fusil
qu’il chargeait ?

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R
Q

Oui.
Les français, quand est-ce que vous les avez vus à

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R
Q
R
Q

Cyangugu ? Toi tu y es arrivé quand ?
Moi j’y suis arrivé le 10/06/1994.
Les français étaient-ils déjà là ?
Ils n’étaient pas encore venus.
Dès qu’ils furent là, empêchèrent-ils au moins les gens de
piller et de détruire, même s’ils ne leur interdisaient pas de

00 :53 :49

R

tuer ?
Tu sais, laisse-moi revenir un peu en arrière. Il y a les
interahamwe de Cyangugu qui venaient d’un lieu appelé
Bugarama et qui avaient pour chef un certain Yussuf Musozo.
C’est eux qui sont allés massacrer les gens à Kibuye dans les
Bisesero. Ils étaient accompagnés par les soldats français. Les
gens sont morts au Bisesero, ils se sont fort défendus, mais
comme ils n’avaient pas de ravitaillements, tu comprends
qu’ils ne pouvaient pas l’emporter, c’est ceux qui pouvaient
bénéficier de ravitaillement qui ont fini par avoir le dessus.
Donc ils les ont exterminés complètement. Concernant la
question des pillages, les gens s’y sont livrés sous le regard
complaisant des soldats français. Par exemple à l’hôpital de
Gihundwe là où j’étais hébergé, les gens venaient et
démontaient les toilettes d’intérieur utilisées, et après en avoir
nettoyé les saletés, ils les emportaient au vu des soldats

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00 :55 :12

Q
R

français qui regardaient et laissaient faire.
Ils prenaient les toilettes ?
Oui. Ils emportaient ça au Zaïre. Ils enlevaient aussi les tôles
des toitures des maisons et les emportaient. Les français euxmêmes ont chargé de planches dans leurs véhicules, de
marque IVECO je crois, qu’ils ont prises dans un atelier d’un
certain Safari, qui était situé peu après le panneau de
Kamembe à Gihundwe. Là je les ai vus faire, vraiment, de

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00 :55 :59

Q

mes propres yeux.
Ont-ils désarmé les interahamwe ou les militaires FAR qui

R

arrivaient dans la zone Turquoise ?
Ils ont fait quelques gestes dans ce sens, juste pour donner
l’impression d’agir, mais les armes que les autres ont

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Q

emportées étaient de loin les plus nombreuses.
Qu’est-ce qui a motivé, d’après toi, la protection qu’ils ont

R

apportée au camp de Nyarushishi ?
Nooon ! Le camp de Nyarushishi, tout bien considéré, ils ne
l’ont pas protégé parce qu’ils aimaient les gens qui
l’occupaient ! Ils l’ont protégé seulement pour montrer à la
Communauté internationale qu’ils étaient réellement venus
pour sauver les rwandais. Sinon ils ne l’ont pas protégé par

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Q

amour pour les gens qui s’y trouvaient.
Jusqu’au 6 avril 94, donc jusqu’à la destruction de l’avion de
Habyarimana, comment voyiez-vous la situation à Kanombe,
comment sentiez-vous l’ambiance chez les supérieurs

00 :57 :05

R

militaires, la population et les dirigeants politiques ?
Ça ! L’ambiance était très malsaine. Car quand les gens
causaient en groupes, on craignait de s’exprimer de peur que
l’autre n’aille te trahir en révélant ce que tu avais dit, des
choses pareilles. Disons que les gens s’espionnaient les uns
les autres. Le 4 avril, Habyarimana est allé à Bagdolité,
c’était un lundi. Mobutu lui conseilla alors de laisser se
mettre en place les institutions de transition. Cependant
Habyarimana avait deux langages. Dans l’un il disait : « Qu’il
y ait un génocide ! ». Dans l’autre, il disait : « Comme c’est
moi le chef de l’État, c’est à moi que la Communauté
internationale demandera des comptes pour ça. En
conséquence, ne faisons pas une extermination brutale, à
grand échelle, tuons-les plutôt un à un jusqu’à ce qu’ils soient
tous éliminés. » Mais Bagosora lui ne voulait pas de cette
solution, il la refusait. Il disait : « Laissez-nous les exterminer
une fois pour toute, car tout le monde sera conscient que ce
sont les tutsi qui ont provoqué la guerre. » Alors, le
lendemain 5 avril- le ministre de la défense était Bizimana de
Byumba et Bagosora était directeur de cabinet du ministre de
la défense- Bagosora a téléphoné, aux alentours de 16 heures,
au chef d’État-major, le général-major Nsabimana que l’on
surnommait Castar. Il lui a téléphoné et lui a dit que ce serait

lui qui accompagnerait le lendemain Habyarimana à Dar-essalaam. Alors Castar a demandé : « La loi sur les partis
politiques ne nous autorise pas à nous les militaires à faire de
la politique. Pourquoi alors vous m’embarquez dans ces
histoires ? » Bagosora lui a répondu : « Le ministre est
absent, va-y donc le représenter, il n’y a pas de problème ».
De toutes façons, il n’aurait pas pu refuser d’y aller, c’était un
ordre militaire. Il y est donc allé. Ce que programmait
Bagosora alors, c’était la mort du président et celle du chef
d’État-major, et ainsi plus personne ne serait là pour
l’empêcher d’atteindre son but d’extermination. Ce Castar,
lui, refusait ce projet d’extermination, etant donné que lui
n’avait pas beaucoup vécu au Rwanda jusqu’à sa nomination
01 :00 :23
01 :00 :24

Q
R

comme chef d’État-major.
Où vivait-il alors ?
Il a d’abord vécu en Libye, qu’il a quittée pour aller à l’École
de Guerre en Belgique, là il a été major de promotion et il est
devenu enseignant à cette école.

Cassette no 100
00 :02 :43
Q
00 :02 :54
R

2/3
0 9/01/2003
On recommence comme hier.
Je m’appelle Nsengiyumva Tharcisse. Je suis né à Kiranga,
en commune Gishoma, préfecture de Cyangugu, en 1963. Je

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Q
R

suis rwandais.
Quelle est ta profession ?
Ma profession : j’étais militaire, mais aussi je faisais le métier

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00 :03 :30

Q
R

de chauffeur.
Tu as été militaire de quand à quand ?
J’ai été militaire à partir du mois d’octobre 1982 jusqu’au

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Q
R
Q

génocide de 1994.
Quelle était ta spécialité dans l’armée ?
J’étais chauffeur.
Tu étais chauffeur mais aussi tu étais affecté dans le bataillon

R
Q
R
Q
R

antiaérien, n’est-ce pas ?
Oui. Je faisais partie du bataillon antiaérien.
Est-ce que vous aviez beaucoup d’armements antiaériens ?
Nous avions quatre espèces d’armes antiaériennes, à peu près.
T’en souviens-tu ?
Oui. Il y avait des canons bitubes 37 mm, les mitrailleuses

00 :03 :56
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00 :04 :05
00 :04 :18
00 :04 :20

quadruples antiaériennes 4,5 mm, les Mi-point 50 je ne me

souviens pas de leur calibre, et puis… je ne me souviens pas
00 :04 :59

Q

des autres.
Tu m’as dit que tu as été chauffeur dans l’armée. Tu

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R
Q
R
Q
R

conduisais qui ?
J’étais chauffeur du colonel Bagosora Théoneste
De quand à quand ?
De 1988 à 1990.
Pourquoi as-tu arrêté de le conduire ?
Un jour il m’a demandé d’où j’étais originaire, je le lui ai dit.
En ce moment-là nous arrivions dans le quartier de
Nyabugogo, je le conduisais chez son beau-frère qui habitait
en commune Rutongo où il extrayait la cassitérite. Et alors le
lendemain je ne sais pas ce qui s’est passé, mais on m’a retiré
de son service, je ne pouvais plus le conduire. J’ai été

00 :05 :52
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00 :05 :56

Q
R
Q

remplacé à ce poste par quelqu’un de chez lui.
Le lendemain, l’on t’a dit que tu ne le conduirais plus ?
Oui.
Moi j’avais pensé que tu avais cessé d’être son chauffeur

00 :05 :59

R

suite à ton accident.
Non. Avant mon accident, peu de jours avant, je n’étais plus à

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00 :06 :15

Q
R
Q

son service.
Te rappellerais-tu en quel mois de 1990 cela s’est passé ?
Ce doit être au mois d’avril.
As-tu pu continuer à avoir de bons rapports avec lui en tant

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R

que son ancien chauffeur, après ton accident ?
Disons que je n’ai pas continué à le conduire
personnellement et à être presque en
permanence avec lui, néanmoins je le conduisais
quelque fois, et même lorsque j’ai fait l’accident,

00 :06 :38
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00 :06 :48

Q
R

c’était au volant de son véhicule.
Donc vous êtes restés amis ?
J’ai continué à le servir, il n’y avait aucun problème entre

Q

nous.
Apres ton accident, tu ne le conduisais bien sûr plus du tout.
Est-ce que tu le voyais néanmoins ? Est-ce qu’il te rendait

00 :06 :53

R

visite ?
Il me prêtait même un véhicule, car je lui téléphonais et il
m’envoyait un véhicule et un chauffeur qui me conduisait où
j’avais besoin d’aller. Son véhicule personnel, dans lequel il
roulait !

00 :07 :08

Q

Lorsque tu es allé te faire soigner, t’a-t-il aidé en quelque

00 :07 :11

R

chose ?
En ce moment-là, j’étais tombé dans le coma, je n’en sais

00 :07 :20

Q

donc rien.
De 1990 à 1994, comment te semblaient les relations entre la

R

France et le Rwanda ?
Les français et le Rwanda, leurs relations étaient basées sur

00 :07 :31

quelques personnes, c’était entre Mitterrand le président
français et Habyarimana le président du Rwanda, et sur leurs
fils qui étaient liés par le commerce de chanvre qui était
cultivé dans la forêt de Nyungwe. Et alors Jean-Pierre le fils
00 :08 :17
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00 :08 :35

Q

de Habyarimana le livrait à Christophe le fils de Mitterrand.
Ca ce sont des choses que tu as entendues, est-ce que ça

R
Q
R
Q

existait ou bien ?
C’était vrai car même l’on a envoyé l’armée le rechercher.
Le rechercher ou le cultiver ?
Le rechercher et l’arracher.
Qu’est-ce qui motivait cet envoi de militaires pour

R

l’arracher ?
C’était quand même un stupéfiant et s’ils avaient laissé se
poursuivre cette culture, le Rwanda aurait été condamné par
la Communauté internationale, car il avait apposé sa

00 :09 :06
00 :09 :06
00 :09 :09

Q
R
Q

signature sur les conventions des droits de l’homme.
Les conventions de lutte contre les stupéfiants plutôt !
Oui.
Et les relations personnelles entre Bagosora et les soldats

00 :09 :22

R

français, comment se présentaient-elles ?
Bagosora, personnellement ce que je peux dire de lui sans
outrepasser le devoir du secret professionnel, c’est que, entre
les deux présidents il y avait de grandes relations, et que par
ailleurs aussi Bagosora était très proche de Habyarimana. Il
avait des entrées chez ce dernier comme s’il se rendait chez

00 :09 :52

Q

soi.
Avait-il des amis parmi les soldats français, y en avait-il

00 :10 :00

R

parmi eux qui avaient des relations amicales avec lui ?
Je le voyais s’entretenir avec eux comme le faisaient les

Q

autres, pas plus.
Entre 1990 et 1993, disons d’ailleurs en 1990, la France a

00 :10 :07

envoyé des soldats pour appuyer le Rwanda, ce qu’il a appelé

l’Opération Noroît. Or entre 1990 et 1993, il y a eu plusieurs
massacres de tutsi, notamment ceux du Mutara, de Bigogwe
00 :10 :39
00 :10 :41

R
Q

et du Bugesera.
Ceux de Kabaya aussi.
En effet. Ceux de Kabaya aussi, ceux de Ngororero
également et d’autres. Est-ce que les français, en ce temps-là,

00 :10 :50

R

connaissaient ou ignoraient ces massacres ?
Oooh ! En ces temps-là, seul celui qui n’avait pas d’yeux
pour voir ne l’aurait pas su. Quant à celui qui avait des yeux,
il pouvait au moins avoir suivi par exemple le meeting de
Mugesera Léon à Kabaya, après lequel ils ont massacré les
tutsi et les ont jetés dans la Nyabarongo, endroit qu’ils leur
désignaient comme leur voie de retour dans le Nil d’où ils
étaient venus. En ce temps-là, quiconque passait sur la

00 :11 :21

Q

Nyabarongo les voyait.
C’est-à-dire qu’à cette époque, quand les tutsi étaient
assassinés au Bugesera, dans le Bigogwe, au Mutara et

00 :11 :26
00 :11 :31
00 :11 :36

R
Q

ailleurs, les français voyaient ça ?
Sûr. C’était une évidence pour tout un chacun !
Eux, avaient-ils une part de responsabilité dans ces

R

massacres ?
La part que je peux leur attribuer, c’était que la France était
un pays puissant et que ces choses se faisaient sous leur
regard bienveillant, et qu’ils ne réagissaient nullement pour

00 :11 :54

Q

stopper cela.
Et quelles étaient leurs responsabilités concernant les

00 :11 :58

R

barrières ?
Concernant les barrières, ils ont collaboré avec les soldats
rwandais aux barrières pour contrôler les cartes d’identité et
donc eux aussi contrôlaient la mention ethnique Hutu Tutsi,
et alors ceux qui parlaient kinyarwanda, ils les séparaient et
les mettaient sur le côté. Par après, ils étaient emmenés pour

00 :12 :26
00 :12 :28
00 :12 :36
00 :12 :38

Q
R

être tués.
Lesquels ils séparaient ?
Les tutsi des hutu ! Les hutu étaient ainsi placés d’un côté, les

Q
R

tutsi de l’autre. Et puis les tutsi était emmenés pour être tués.
En présence des français ?
Tout à fait. Et eux ils regardaient faire.

00 :12 :40
00 :12 :41
00 :12 :47
00 :12 :56

Q
R
Q

Eux aussi ayant participé à ce contrôle et à cette séparation ?
Vraiment, vraiment.
Les français, saurais-tu la part qu’ils ont eue dans ce qui s’est

R

passé, ou plutôt ce qu’ils faisaient dans le camp de Bigogwe ?
Les français, ce qu’ils faisaient dans le camp Bigogwe, ils y
entraînaient les gens du Burundi, membres du parti
FRODEBU, pour qu’ils apprennent à combattre. C’était peu
après l’assassinat de Ndadaye. En réalité, le génocide était
programmé pour débuter au Burundi et se répandre ensuite au
Rwanda, mais cela ne s’est pas déroulé comme prévu, il a eu
lieu au Rwanda et les burundais ont retiré une leçon de ce qui
s’était passé au Rwanda et ils n’ont plus osé l’accomplir eux

00 :13 :46

Q

aussi.
C’est-à-dire qu’au Rwanda, notamment dans le camp de
Bigogwe, s’y préparait un génocide qui devait être perpétré

R

au Burundi ?
Tout à fait. Il y était préparé un génocide à commettre au

00 :13 :57

Q

Burundi.
Qu’y enseignaient-ils ? Qui les français entraînaient-ils, que

00 :14 :04

R

leur apprenaient-ils ?
Ils leur apprenaient l’usage des armes à feu, les techniques

00 :14 :17
00 :14 :19
00 :14 :20
00 :14 :23
00 :14 :25
00 :14 :28

Q
R
Q
R
Q
R

guerrières, la tactique, et le franchissement d’obstacles…
Ils apprenaient cela aux burundais ?
Oui.
Ceux de quel parti ?
Les burundais du parti FRODEBU.
C’est-à-dire que les français participaient à l’instruction ?
Non ! C’était plutôt eux qui personnellement les formaient.

00 :13 :53

Le rwandais qui pouvait être avec eux, il n’était là que pour
servir d’interprète afin qu’ils comprennent bien ce qu’on leur
00 :14 :45
00 :14 :53
00 :15 :00
00 :15 :01
00 :15 :05
00 :15 :16

Q

disait car le Kirundi est presque identique au Kinyarwanda.
Te rappelles-tu l’année et même le mois où cela s’est

R
Q
R
Q

déroulé ?
L’année, c’est 1993.
Les mois tu ne te rappelles pas ?
Je ne me souviens pas des mois.
Ces français qui entraînaient les gens du Burundi, était-ce des

R

paras, des légionnaires… ?
Je ne sais pas très bien de quelle unité ils relevaient, mais si je
me réfère à leurs tenues, ils portaient des chemises et

00 :15 :37
00 :15 :43

Q
R

pantalons foncés et un béret vert.
Les français auraient-ils entraîné les interahamwe aussi ?
Les entraînements aux interahamwe, tout bien considéré, ils
ne leur en ont pas dispensés car lorsque les interahamwe sont
allés s’entraîner au Mutara, ils y ont été emmenés par un

00 :16 :04
00 :16 :06

Q
R

colonel qui commandait le camp GP.
Comment s’appelait-il ?
Je l’oublie. C’est celui-là qui a été tué à Gisenyi du temps des

00 :16 :14
00 :16 :24

Q
R

infiltrés. …Nkundiye.
Nkundiye ?
Oui, c’est son unité qui entraînait les interahamwe. Par
contre, ce que faisaient les français eux, il y a eu des armes
lourdes qui sont arrivées, des canons 120 et 105, et comme
les rwandais ne savaient pas s’en servir, c’était les français
qui les emmenaient sur terrain et les utilisaient dans les
batailles tout en en apprenant l’usage aux soldats rwandais du

Q

BAC.
Ces français, tu ne sais pas s’il s’agissait des paras, ou tu

00 :16 :52

R

savais seulement que c’était des français ?
Non. Quoi qu’il en soit, me référant à leurs tenues, ils

00 :17 :05

Q

devaient être des commandos.
Pour finir, il y a eu les accords d’Arusha, certains les ont

00 :16 :48

acceptés, d’autres les ont rejetés. Comment trouvais-tu que
les partis politiques s’y prenaient, et les français, eux aussi,
00 :17 :27

R

comment les acceptaient-ils ou les rejetaient-ils ?
Les partis politiques, quand tu observais comment ils les
acceptaient… parlons des grands partis qui étaient le MRND,
MDR, PSD, FPR et la CDR. Le MRND dans sa totalité ne
voulait pas de ces accords, le MDR comportait deux
tendances, la première tendance elle s’est même une fois
exprimée à la radio en accusant Twagiramungu, lequel était à
la tête de la deuxième tendance dite MDR modéré, laquelle
reconnaissait les accords ; l’autre faction, qui s’appelait
POWER, était dirigée par Karamira et rejetait ces accords.
Dans le PL, c’était pareil, il y avait Mugenzi et ses partisans
qui rejetaient les accords, et Lando et les siens d’un autre côté
qui eux étaient pour les accords. Quant a PSD, il ne semblait

y avoir aucune division au sein de ce parti, tous étaient
partisans des accords, et la CDR elle y était totalement
00 :18 :51
00 :18 :55

Q
R

hostile.
Les français eux, que pensaient-ils ?
Les français eux, je ne pourrais pas savoir ce qu’ils pensaient.
Si je disais quelque chose à ce propos, ce serait un mensonge,

00 :19 :10
00 :19 :19

Q

je n’en sais vraiment rien.
Après ces accords d’Arusha, les soldats français devaient

R

quitter le Rwanda. Que s’est-il passé à ce sujet ?
Avant ces accords d’Arusha, il y a eu d’abord les précédents
accords qui avaient été signés à Kinihira, mais il restait
certains volets sur lesquels ils ne s’étaient pas encore
entendus, concernant le partage de places dans l’armée.
Avant même cette rencontre de Kinihira, les français auraient
dû s’être retirés conformément à la demande du FPRInkotanyi. Mais entre-temps le Rwanda, aidé en cela par une
partie des troupes françaises ont fait une mise en scène, une
partie des troupes françaises est partie et une autre moins
importante est restée. C’est cette dernière qui est restée pour
s’investir dans l’entraînement des burundais et aussi en aidant
les soldats rwandais au front, en utilisant les armes lourdes, et
ils étaient commandés par un capitaine qui était responsable
de la coopération militaire française qui vivait au sein du

00 :20 :36

Q

camp Kanombe.
Te souviens-tu de son nom ou de ceux des autres soldats

00 :20 :40
00 :20 :45

R
Q

français ?
Son nom, je ne m’en souviens pas.
Donc les accords d’Arusha sont signés, mais leur mise en
œuvre ne se réalise pas, la situation se prolonge jusqu’à ce
que l’avion de Habyarimana soit descendu. D’après toi, cet

00 :21 :04

R

avion a été descendu comment, qui l’a abattu ?
D’après moi, cet avion a été descendu… moi
personnellement au moment de sa destruction, je me trouvais
à environ 500m de chez Habyarimana. Ceux qui l’ont abattu
ont commencé par tirer ce que l’on appelle une fusée
éclairante, afin d’éclairer l’espace, de telle sorte que tu peux

laisser tomber une aiguille et la ramasser ensuite. Après cette
fusée est partie un missile qui a poursuivi l’avion et ensuite
ils ont lancé un troisième pour l’achever. Habyarimana alors
dégringolé dans l’aile de l’avion et il s’est écrasé dans son
jardin. Les autres passagers ont été tellement déchiquetés
qu’il n’a pas été possible de différencier leurs ossements.
Mais le général-major Nsabimana lui, lorsqu’il a vu que
l’avion était abattu, il a sauté mais il est tombé sur un
avocatier et s’est empalé sur une branche, par le ventre. Il est
resté ainsi suspendu comme une taupe prise au piège et c’est
ainsi qu’il a été retrouvé le lendemain matin. Ils l’ont
retrouvé le lendemain matin, ils n’avaient pas pu le voir la
veille. Moi j’ai vu leurs corps quand ils les ont amenés dans
la chambre froide. Pour Habyarimana, la tête s’était séparée
des épaules, il ne restait plus que le tronc, qui était intact,
comme la cravate et la veste. C’était facile de l’identifier.
Alors, ce qui fait que j’affirme que ce sont les siens qui l’ont
tué, et que je peux même témoigner contre eux de ça, c’est
que Bagosora a fait certaines déclarations à la radio, que tout
le monde a pu écouter. La raison pour laquelle je dis que c’est
Bagosora, c’est aussi que la boite noire a disparu alors que
l’avion est tombé dans la propriété même de Habyarimana. Et
on accuserait alors les inkotanyi non seulement de l’avoir
descendu mais en plus d’avoir subtilisé la boite noire ? Cela
00 :23 :26

Q

n’est pas possible.
Donc, quand tu y penses, tu trouves que la mort de

00 :23 :35

R

Habyarimana avait été préparée ?
La mort de Habyarimana, la façon dont elle avait été
planifiée… Habyarimana avait au moins deux langages : l’un
acceptant qu’il y ait un génocide, l’autre ne le voulant pas de
peur que la communauté internationale ne lui demande des
comptes. Alors, tu le sais, quand un pays perd son président
dans ces circonstances, en général c’est l’état major de
l’armée qui prend le pouvoir. Le chef d’état-major, le général

major Nsabimana n’avait pas beaucoup vécu au Rwanda et il
ne voulait pas de la prise du pouvoir, il n’était pas immergé
dans les intrigues des gens de l’AKAZU, il était des leurs
bien sûr, mais il ne s’intéressait pas à leurs intrigues car lui
n’avait vécu qu’en Libye et en Belgique. Quand il est revenu
au Rwanda, il était major. Quant à Bagosora, lui s’était mis
dans la tête de les tuer ensemble. Ce qui démontre cela : le
lundi 4 avril 1994, Habyarimana s’est rendu à Bagdolité
accompagné de son ministre de la défense du nom de
Bizimana. Mobutu lui a alors conseillé d’accepter la mise en
place des institutions de transition. Là-dessus, Habyarimana
est rentré, c’était un lundi. Mais une autre réunion était
prévue à Dar-es-Salaam le mercredi 6 avril. Cependant, à la
veille de cette réunion, le mardi donc, tout le monde savait
que c’était le ministre Bizimana qui accompagnerait le
président à cette réunion, d’autant plus qu’il y avait au
Rwanda une loi réglementant les partis politiques, et son
article 8 faisait interdiction aux militaires de s’ingérer dans
les affaires politiques. Comme Bagosora était le chef de
cabinet du ministre de la défense, malgré cela, il téléphona au
général-major Nsabimana et lui dit : « C’est toi qui ira avec
Habyarimana ». l’autre a alors demandé : « Que se passe-til ? Comment ça alors que nous n’avons pas le droit de faire
de la politique ? » Bagosora lui a répondu que, le ministre
étant absent, c’était lui qu’il déléguait à sa place et qu’il
n’avait qu’à ne parler là-bas que des choses militaires. Cela
est évident, il était militaire et un militaire doit obéir aux
ordres lui donnés par une autorité supérieure. Il a obéi et est
donc parti. Bagosora voulait ainsi le tuer en même temps que
Habyarimana et ainsi il n’y avait plus personne capable
d’arrêter le génocide. Et c’est lui qui l’orchestrera tout en
apparaissant comme le vrai dirigeant du pays. Ce but il l’a
atteint. Sauf que les inkotanyi ont fini par saboter le reste de
ses projets, mais ce volet il l’avait réalisé.

00 :27 :07

Durant le génocide, quel était le niveau de puissance de
Bagosora. Tu dis qu’il avait atteint une partie de ses projets.

00 :27 :15

R

De quelle manière ?
La façon dont il atteint son but, c’est que Habyarimana et
Nsabimana, il les a tués, ils sont bien morts. Et ceux-ci
liquidés, le génocide a pu être exécuté, sans personne pour en
entraver la marche. Et lui il était comme le vrai dirigeant du
pays. Bien qu’ils ont mis assez vite en place un
gouvernement, ces nouvelles autorités n’étaient que des
marionnettes, la réalité du pouvoir suprême, c’était lui qui

00 :28 :59

Q

continuait à la détenir.
Tu as dit précédemment qu’il était connu que Bagosora
préparait un coup, que les gens le savaient et que d’ailleurs il
l’avait annoncé publiquement, à la radio. C’était quoi au fait
ce qu’il avait dit ?

00 :29 :10

R

Enfin ! Lorsqu’ils étaient dans les négociations à Arusha sur
le partage du pouvoir, il y était au sein de la délégation du
Rwanda. Le délégué des inkotanyi a exprimé les chiffres
qu’ils voulaient, Bagosora lui a annoncé les chiffres que le
gouvernement leur concédait, et ils ne se sont pas entendus
là-dessus. Suite à ce désaccord, Bagosora a alors dit : « Si
vous n’acceptez pas ce qu’on vous propose, moi je m’en vais
préparer l’apocalypse ». Ça il l’a dit publiquement, le monde

00 :28 :59

Q

entier l’a appris.
Revenons un peu sur la période précédant la mort de
Habyarimana. Quel climat y avait-il là-bas au camp
Kanombe, est-ce que l’on sentait que quelque chose se

00 :29 :17

R

préparait ? Quels en étaient les signes ?
La situation était visiblement, franchement très mauvaise.
Tendue. La première chose était que les gens de même ethnie
se retrouvaient entre eux, seuls ensemble. Deuxièmement, les
gens de même région étaient seuls ensemble. Troisièmement,
les gens de même grade ne se retrouvaient qu’entre eux. Ces
trois catégories démontraient qu’il y avait des tensions, que le
climat était malsain, surtout que cela s’est répété plusieurs

fois, lorsqu’il était question de mettre en place les institutions
de transition et que Habyarimana se jouait des autres partis et
se retirait sans rien dire. Quand il y allait, ils ne s’entendaient
pas sur telle ou telle chose. On se rendait compte en fait que
00 :30 :14

Q

rien n’allait.
Tu n’as rien vu d’autre qui t’aurait surpris ou étonné en cette
date du 6 avril, ou même celle du 5, surtout dans le cadre
militaire ? Là je veux parler de ce qui concerne les soldats
eux-mêmes, les camps militaires, les mouvements dans ces

00 :30 :46

R

camps, dans les corps d’armée, les communications etc.
Avant, ce qu’il y a eu, c’est une alerte au camp, on disait que
le climat était malsain à l’extérieur, que la situation pouvait
exploser d’un moment à l’autre, d’autant plus que la guerre
entre les inkotanyi et le gouvernement rwandais n’était pas
encore finie. Ils ont alors mis toute l’armée en alerte pour être

00 :31 :19

Q

prête à aller se battre à tout moment.
Cette alerte a eu lieu quand ? Etait-ce une alerte permanente

00 :31 :25

R

et habituelle ?
Non. Habituellement, il y avait la guerre ordinaire, mais là, ils
ont monté le niveau très haut au mois de mars, vers le milieu

00 :31 :42
00 :31 :43
00 :31 :46
00 :31 :50

Q
R
Q
R

du mois…
C’est là que l’alerte a été renforcée ?
Oui.
Par qui était gardé l’aéroport ?
L’aéroport, ordinairement, moi j’étais dans l’unité qui était
chargée de sa protection. L’aéroport était protégé par le
bataillon antiaérien, avec quelques français qui venaient

00 :32 :20
00 :32 :23
00 :32 :30
00 :32 :31
00 :32 :40

Q
R
Q

superviser à la MAGERWA.
Et dans la tour de contrôle, ne s’y trouvaient-ils pas ?
La tour de contrôle, c’était des civils qui y opéraient.
Ceux que tu connaissais qui y travaillaient étaient-ils des

R

civils ?
Il n’y avait pas de militaires dedans, raison pour laquelle je

Q

n’ai pas d’informations sur ce lieu.
Concernant la destruction de l’avion de Habyarimana, des
gens ont voulu affirmer que ce n’était pas cet avion qui était
visé mais plutôt celui du président burundais, mais comme
celui-ci ne se trouvait pas à bord, ce serait le chef d’état major

Bikomagu qui était la cible, car c’était lui qui se trouvait à
bord tandis que son président était avec Habyarimana. As-tu
00 :33 :06

R

entendu cette hypothèse ?
J’ai entendu des gens en parler, mais ce sont des gens qui ne
s’y connaissent pas en aviation. Car moi, au début je t’ai dit
que je faisais partie du bataillon antiaérien. Tel qu’ils l’ont
abattu, ils ne se sont nullement trompés. Car moi je voyais
cela. Pour descendre un avion, on tient compte de ce que l’on
appelle « Distance oblique ». Or, cette distance oblique, ils
l’avaient respectée. Car si tu tires sur un avion qui est
parvenu à ta verticale, tu ne peux pas l’atteindre, le projectile
arrivera au moment où l’avion sera déjà passé, à cause de sa
vitesse. Donc tu dois régler la vitesse de tir de l’arme sur
celle de l’appareil. On te le montre dans l’appareil selon les
indications de l’observateur à ta disposition, et ce dernier te
dit : « L’avion vole à telle vitesse par heure ». Et donc tu
fixes cette vitesse sur ton arme, de telle sorte que le projectile
et l’avion se rencontreront. Et eux, c’est bien comme cela
qu’ils ont procédé. Car cette fusée éclairante qu’ils ont lancée
dans l’air, c’était pour identifier d’abord l’aéronef, et
déterminer sa vitesse de vol. Cela seul prouve qu’ils ne se

00 :34 :44

Q

sont pas trompés.
Etant donné que tu as fait partie du bataillon antiaérien et que
tu as été entraîné à abattre des avions, et puis comme tu
connaissais les armes dont vous disposiez- tu nous as cité le
armes antiaériennes que vous aviez- selon toi d’après la
vitesse et la distance à laquelle volait cet avion, aucune de ces
armes dont disposait l’armée rwandaise n’aurait-elle pu le

00 :35 :03

R

descendre ? Sans nécessairement recourir à un missile ?
La raison pour laquelle je dis qu’il s’agissait de missile, c’est
que je l’ai vu. Les armes que nous avions pouvaient aussi

00 :35 :18

Q

l’abattre, mais là c’était un missile.
Et comment différenciez-vous un missile en tir et les autres

00 :35 :23

R

armes antiaériennes ? A moins que vous n’en ayez eu aussi ?
Non. Nous n’en avions pas, mais l’on nous montrait des films

des autres armées, comment celles-ci étaient équipées. Et
puis, un projectile lui se dirige directement sur l’objectif,
alors que le missile lui suit le bruit du moteur. Là alors je l’ai
vu, car le ciel était bien illuminée et je me trouvais à
00 :35 :59
00 :36 :07

Q

l’extérieur. Je ne me suis pas du tout trompé.
Apres cette destruction, que s’est-il passé pour toi et tes

R

voisins du quartier ?
Après la destruction de l’avion, ils ont commencé à tuer dans
le cinq minutes qui ont suivi. Lando et sa famille on été
massacrés tout de suite. Le corps de Lando, ils s’en sont
servis pour ériger une barrière. Le lendemain, ils ont amené
les cadavres des gens qu’ils avaient exécutés au cours de la
nuit, dont les ministres Rucogoza, Nzamurambaho…tous
ceux-là moi je les ai vus, je suis allé les voir car ils les
amenaient à la morgue de Kanombe. Par contre, la personne
qu’ils ont tardé à tuer, c’est Agathe le premier ministre. Ils
sont partis pour la tuer et il y a eu affrontements. Elle devait
être exécutée par les militaires du camp GP. C’était une
section composée de 11 ou 12 individus. Ils y sont allés mais
ont trouvé que ceux qui la protégeaient, des soldats belges,
disposaient d’un armement plus puissant que le leur, et n’ont
donc pas pu les battre. Ils sont alors allés demander du renfort
à l’ESM (Ecole supérieure militaire) et ils leur ont apporté
des renforts. Et là, ils se sont battus mais ne sont toujours pas
parvenus à atteindre Agathe. Ils sont finalement allés
chercher le capitaine Sagahutu qui dirigeait l’escadron de
reconnaissance. Celui-ci a amené des blindés. A la vue des
blindés, comme ces soldats belges savaient bien que leurs
armes ne pouvaient pas les stopper, ils se sont rendus. Ils ont
par la suite été emmenés dans le cachot du camp Kigali et on

00 :38 :42
00 :38 :46

Q

leur y a balancé des grenades. C’est ainsi qu’ils sont morts.
Tous ces événements et le massacre d’Agathe et des belges

R

qui les a suivi, Bagosora n’en était-il pas informé ?
Comment donc ! Plutôt c’était lui le chef d’orchestre. Moi
j’avais tardé à le dire, mais en ce temps-là où ils attaquaient

Agathe, c’est Bagosora qui dirigeait cette guerre. Il y avait
également le major Ntabakuze, lui aussi il est en prison à
Arusha, c’était lui le commandant du bataillon para, ainsi que
le colonel Baransalitse qui était directeur de la Santé au
MINADEF. C’était eux qui dirigeaient cette attaque qui a
emporté Agathe et tous ceux qui se trouvaient chez elle, le
boy y compris…
Puis ils ont amené son corps à Kanombe, sur un brancard, je
voyais ça. j’y étais. Quant aux belges, ils sont allés les tuer au
00 :39 :53
00 :39 :57

Q

camp Kigali.
C’est-à-dire que toutes ces personnalités qu’ils tuaient, ils

R

amenaient après leurs corps à Kanombe ?
Oui. Toutes les grandes personnalités tuées, ils ramenaient
leurs corps à Kanombe, et lorsque ceux-ci y furent trop
nombreux, ils firent venir un caterpillar, qui ramassait les
corps et les chargeait dans un camion-benne et ensuite ils
allaient les déverser dans une grande fosse creusée dans la

00 :40 :23

Q

vallée de Nyarugunga.
Apres l’abattage de l’avion, ils se sont donc empressés de
tuer ces personnalités et aussi de massacrer les tutsi dans les
quartiers. Mais est-ce que entre temps, il n’y a pas eu des
personnes qui se sont rendus sur les lieux du crash pour

00 :40 :38

R

inspecter l’épave et recueillir des indices sur cette chute ?
Juste après la chute de l’avion, cela a été communiqué
environ dans les cinq minutes qui ont suivi. La RTLM a
diffusé la nouvelle. Ils l’ont annoncée sans citer les personnes
qui avaient péri dedans, car ils ne les connaissaient pas
encore. Mais que ce fut l’avion de Habyarimana, ça ils l’ont
annoncé tout de suite. On pourrait se demander comment ils
ont su ça, aussitôt, alors que les ens qui se trouvaient sur

00 :41 :19

Q

place à Kanombe n’avaient encore rien appris.
Parmi ceux qui sont allés voir le lieu du crash et chercher la

00 :41 :26

R

Boîte noire, n’y avait-il pas de français ?
C’est cela que je te disais en te signalant que des français
étaient restés au Rwanda, qui étaient commandés par le
capitaine chef de la coopération militaire française. C’est eux

qui sont allés chercher la boite noire, car c’était eux qui
00 :41 :52

Q

avaient l’expérience en la matière.
Y sont-ils allés tout de suite ou le lendemain, ou un autre

00 :41 :55
00 :41 :57
00 :42 :01

R
Q
R

jour ?
Ils y sont allés immédiatement.
Saurais-tu s’ils l’ont trouvée ou non ?
Qu’ils l’aient trouvée ou non, je ne peux rien en dire. Bien
que, pour toute personne qui raisonne, elle a du être trouvée.
Et si elle a été retrouvée, elle est entre les mains des gens de
la maison présidentielle, car personne d’autre n’aurait pu
s’introduire dans la cour de Habyarimana, d’autant plus que
jusqu’à présent, même le TPIR n’a pas encore obtenu cette

00 :42 :47

Q

preuve alors que c’est un élément absolument crucial.
Donc en ce temps-là, la situation est devenue subitement
dangereuse et toi tu as continué d’observer les choses, mais
finalement il a été nécessaire que tu quittes les lieux et que tu
fuies, car peut-être le camp Kanombe était sur le point de
tomber ? Peux-tu nous raconter en bref comment tu as fui, par

00 :43 :08

R

où tu es passé et ce que tu as pu voir alors ?
Voici la façon dont je me suis sauvé : nous étions des
militaires handicapés, et nous avons pris des bus pour partir.
Mais auparavant, nous avions fait quelque chose qui
ressemblait à une révolte. Lorsque nous avons vu qu’ils
évacuaient les familles des officiers, nous avons envahi le
bureau du commandant en second du camp Kanombe, il

00 :43 :38
00 :43 :38

Q
R

était…
Comment s’appelait-il ?
C’était le colonel Nzabamwita. Et alors nous lui avons
demandé : « Vous avez évacué vos femmes ; est-ce que ce
sont les femmes qui ont signé plus que nous la demande
d’engagement ? N’avons-nous pas signé les mêmes
engagements que vous ? » Alors, il a été raisonnable et nous a
donné des bus. Ils nous ont donc emmenés et les français
justement dont je t’ai parlé qui se trouvaient au pont de
Nyabarongo sur la route de Gitarama, nous les y avons
trouvés. Nous les y avons trouvés en compagnie des FAR et

des interahamwe, ils ne faisaient rien pour empêcher les gens
qui en tuaient d’autres de le faire.
Puis nous avons continué jusqu’à Butare, et là à Butare, les
massacres se poursuivaient. Plus tard, on nous a fait quitter
Butare qui était sur le point d’être prise, pour nous conduire à
Cyangugu.
Peu après notre arrivée à Cyangugu, c’est là que les soldats
français nous y ont trouvés, dans la zone Turquoise.
Néanmoins, après leur arrivée, rien n’a changé car les gens
continuaient de mourir dans cette zone, excepté qu’ils ont
protégé le camp de Nyarushishi pour avoir quelque chose à
brandir à la face de la communauté internationale, car leur
mission initiale de venir combattre pour le gouvernement
intérimaire venait d’échouer. Mais plutôt ils ont protégé les
gens qui se trouvaient dans la zone et couvert leurs pillages
afin qu’ils emportent une provision pour l’exil. Et c’est quand
après que cette population eût détruit entièrement Cyangugu
que l’ex-major Cyiza institua une unité militaire pour
protéger la préfecture de Cyangugu. Peu après, les soldats
français sont partis ensemble avec des gendarmes et les
interahamwe de Bugarama commandés par Yussuf Musozo et
ils se sont rendus à Kibuye, dans ce lieu appelé Bisesero, dont
les nombreux habitants menaient depuis longtemps une
résistance pour survivre. Malheureusement ils n’arrivèrent
pas à survivre, car il n’est pas possible de se battre avec des
lances contre des armes à feu et espérer vaincre. Et donc pour
finir, ils les ont tous massacrés. Les français, c’était eux qui
00 :46 :50

Q

les couvraient.
C’est-à-dire qu’ils ont accompagné les interahamwe et les
gendarmes, et que ces deux derniers groupes ont tué les gens

00 :46 :55

R

alors que les français regardaient faire ?
Tout à fait. Ce départ s’est fait sous mes yeux, je les ai vus
partir pour Kibuye. Nous nous trouvions à la barrière près de
l’hôpital de Gihundwe quand ils sont partis pour Kibuye, ça

ce n’est pas quelque chose qui m’a été raconté, j’y étais en
00 :47 :15

Q

personne.
Les interahamwe et les gendarmes ont été embarqués dans les
véhicules des français ou avaient-ils leurs propres moyens de

00 :47 :19
00 :47 :23
00 :47 :26
00 :47 :29
00 :47 :33

R

R
Q
R

transport ?
Ils avaient des bus.
Mais ils sont partis dans le même convoi, se suivant les un les
autres ?
Oui.
Et les français eux disaient qu’ils allaient faire quoi ?
Les français eux, tu vois il y avait trois préfectures qui
formaient la zone Turquoise. Ils devaient contrôler la
situation dans toute la zone, peut-être pour pouvoir en fin de
compte établir et donner des rapports. A supposer qu’ils
partaient avec ces gens-là dans le cadre de se rendre compte
de la situation, ce n’est pas cette mission qui a été accomplie
alors qu’ils devaient plutôt aller sauver ceux qui étaient en
danger, car ils avaient des armes et la capacité de le faire. Au
contraire, ils sont partis avec ceux qui allaient les tuer, et
ceux-ci les ont massacrés sans que les français ne réagissent.
De plus à Cyangugu aussi, la population a mis la ville à sac et
les français n’ont rien fait pour empêcher cela, eux-mêmes ils
ont pillé des planches en ma présence, dans un atelier d’un
certain Safari situé à Kamembe vers Gihundwe, et là
vraiment ils sont venus et ont chargé les planches dans un
véhicule de marque IVECO je crois, cela je l’ai vu de mes

00 :48 :55
00 :48 :56
00 :49 :00

Q
R
Q

propres yeux.
C’était des planches de bois ordinaires ?
Des planches ordinaires.
Dans cet endroit où il y avait des planches, je ne sais plus qui

00 :49 :05

R

nous a dit qu’il s’agissait d’objets d’art.
Non. Il y avait juste des planches et quelques outillages,
c’était un atelier de menuiserie, il y avait quelques outils, des

00 :49 :22
00 :49 :24

Q
R

chaises et des tables. Des choses de ce genre.
Quel besoin avaient-ils de prendre ces planches ?
J’ignore s’ils avaient besoin de les utiliser pour quoi que ce
soit, je n’en sais rien. Je ne sais pas ce qu’ils voulaient faire
avec.

00 :49 :33

Q

Tu as dit que leur mission initiale de se battre venait de rater.
De quelle manière cette mission avait-elle raté ? Comment

00 :49 :43

R

n’y étaient-ils pas parvenus ?
Normalement les français n’étaient pas venus dans le cadre de
créer une zone de sécurité. Eux ils venaient pour se battre au
service des Abatabazi (Gouvernement intérimaire). Toutefois,
la Communauté Internationale a lancé un cri d’alarme, disant
qu’elle les soupçonnait de venir pour autre chose. Le FPR lui
aussi le cria. Les français se sont rendus compte alors que ces
choses-là dégraderaient leur image au sein de la Communauté
internationale. C’est là qu’ils ont réorienté leur mission ;
j’entendais cela de la bouche de hauts gradés militaires
rwandais qui étaient en train de fuir en ce moment-là. Ils se
sont dits alors : « Créons une zone de sécurité où les
inkotanyi ne pourront pas mettre les pieds et où les gens
viendront en toute liberté en emportant leurs biens. » Les
gens sont allés alors tranquillement, ont pillé et fait beaucoup

00 :51 :04

Q

d’autres mauvaises choses.
D’après ce que tu as constaté, ils n’ont jamais interdit aux
gens de se livrer aux pillages ou de tuer, ou ils ne les ont

00 :51 :09

R

même pas désarmés ?
Ça, il y a des actions qu’ils ont faites de désarmer les
interahamwe, mais ils n’ont désarmé aucun soldat, mais
même ce désarmement, c’était pour avoir quelque chose à
montrer tout simplement, sinon cela n’était pas leur mission.
Car moi je suis allé chercher de l’argent à Bukavu et je me
suis rendu compte que tout militaire ex-FAR avait un fusil, ils
n’ont retiré aucune arme à aucun des militaires, ceux-ci ont

00 :51 :56

Q

traversé la frontière avec toutes leurs armes.
Revenons un peu en arrière sur la période de ta fuite de
Kigali, quand tu as traversé le pont de la Nyabarongo. Un peu
plus de détails sur cette barrière de la Nyabarongo : Comment
les soldats français s’y conduisaient-ils, à quoi servaient-ils,
comment collaboraient-ils avec les interahamwe et les soldats
rwandais qui s’y trouvaient ?

00 :52 :19

R

Personne, pas une seule personne ne pouvait passer de l’autre
côté du pont sans avoir montré ses pièces d’identité. Ce en
quoi ils les aidaient, c’était de garder cette barrière et ce pont,
et ils arrêtaient les gens, les identifiaient et ils séparaient ceux
qui avaient une identité marquée hutu de ceux qui l’avaient
marquée tutsi. En cela ils imitaient ce que les autres qui se
trouvaient avec eux faisaient, ils disaient aux uns de se ranger
de tel côté et aux autres de se ranger de tel autre. L’instant
d’après, leurs collègues disaient aux tutsi de les suivre :
« Venez, leur disaient-ils, nous allons vous montrer quelque
chose », et un petit moment plus tard, tu voyais leurs corps

00 :53 :21
00 :53 :25

Q
R

rouler dans les eaux de la Nyabarongo.
C’est-à-dire tu as vu tuer les gens à cet endroit ?
Oui. Nous étions assis dans notre bus, ils les ont emmenés et
quelques minutes après nous avons vu leurs corps dans la

00 :53 :37

Q

Nyabarongo.
Ils les tuaient avec quelles armes ? Des machettes ? Des

00 :53 :40

R

massues ? Ou autres choses ?
Ils avaient des massues qu’ils appelaient Nta mpongano
y’umwanzi (pas de pitié pour l’ennemi). C’était des massues
en bois dont le bout était hérissé de clous, je ne sais pas s’ils
donnaient les coups sur la tête ou sur la nuque, mais c’était

00 :54 :04

Q

avec ça et avec des épées qu’ils les tuaient.
Donc, hormis les français, il y avait aussi d’autres personnes

00 :54 :11

R

pour garder cette barrière ?
Il y avait des militaires rwandais, deux, et quatre

00 :54 :21

Q

interahamwe.
C’est-à-dire que les français se trouvaient avec des militaires

00 :54 :25
00 :54 :26
00 :54 :31

R
Q
R

rwandais et des interahamwe ?
Oui.
Peux-tu nous en parler plus en détails ?
A cette barrière, il y avait deux soldats français, deux soldats

Q

rwandais et quatre interahamwe.
Lorsque vous étiez arrêtés là à la Nyabarongo, te rappelles-tu

00 :54 :53

les gens avec qui tu étais ? Etiez-vous seulement des
00 :55 :02
00 :55 :05

R
Q

handicapés militaires ?
Oui.
Ton collègue là, Kayitare, lui aussi était-il avec toi ?

00 :55 :06
00 :55 :11
00 :55 :11
00 :55 :12

R
Q
R
Q

Oui. Kayitare Gaëtan.
Vous étiez ensemble ?
Oui.
Est-ce durant le jour ou durant la nuit que vous avez franchi

00 :55 :14
00 :55 :22
00 :55 :23
00 :55 :30
00 :56 :08

R
Q
R
Q
Q

le pont de la Nyabarongo ?
C’était dans l’après-midi, entre 15h30 et 16h00.
C’est-à-dire qu’il faisait encore jour ?
C’était encore vraiment le jour, on y voyait parfaitement.
Cécile……
Je t’explique la question en kinyarwanda. Elle voudrait savoir
la date à laquelle vous avez quitté Kanombe, et si c’est ce
jour-même que tu es passé par la Nyabarongo, et également si

00 :56 :31
00 :56 :40
00 :56 :41

R
Q
R

l’on vous avait appris votre destination ?
Nous avons fui le 24 avril 1994.
Le 27 ?
Le 24 avril 1994. Et c’est ce jour-là que nous sommes arrivés
à la Nyabarongo. On nous avait informés que l’on nous
emmenait à l’abri à Butare, car la zone sud était la seule où il
n’y avait pas les inkotanyi, et donc on voulait nous évacuer

00 :57 :14

Q

dans une zone où il n’y avait pas des inkotanyi.
Après donc, tu as pu traverser jusqu’à Butare, puis vous avez
quitté Butare pour Cyangugu, ensuite vous êtes allés dans le
camp de Nyarushishi. Là tu as dit que tu y as trouvé les
français. En ce temps-là, qu’est-ce qu’ils ont fait au camp de

00 :57 :34

R

Nyarushishi, quel était leur comportement là-bas?
Dans ce camp de Nyarushishi, en fait ce qu’ils y ont fait, ils
ont pu protéger ce camp, de telle sorte que personne ne venait
y tuer. Autre chose que moi j’y ai vue de pas ordinaire, c’est
que la Croix-Rouge qui était là, la Croix-Rouge rwandaise
dans laquelle oeuvraient seulement des gens de l’ethnie hutu,
quand tu allais leur demander de quoi manger lorsqu’il y
avait livraison de vivres, tu allais te faire inscrire sur la liste
en vue d’en obtenir et ils te le refusaient. Kayitare ne pouvait
pas se rendre auprès d’eux avec sa chaise roulante, celle-ci ne
pouvait pas rouler sur la colline. Nous menions une existence
terrible. Moi je suis allé voir les Blancs qui étaient les
supérieurs de la Croix-Rouge, lorsqu’ils sont venus. Ils
étaient de la Croix-Rouge suisse, c’est seulement auprès

d’eux que j’ai pu m’expliquer et ce sont eux qui m’ont donné
00 :59 :12

Q

à manger.
Les rwandais de la Croix-Rouge rwandaise eux t’en avaient

00 :59 :13
00 :59 :15
00 :59 :18

R
Q
R

refusé ?
Les rwandais, ils nous avaient refusé la nourriture.
Pourquoi cela ? Ils en donnaient aux autres !
En les observant, on voyait qu’eux ils avaient encore
l’idéologie ségrégationniste, car je leur montrais les gens
avec qui on était venus, et ils constataient qu’ils ne devaient

00 :59 :18
00 :59 :40
00 :59 :41
00 :59 :45
00 :59 :47

Q
R
Q
R
Q

peut-être pas leur en donner, je n’en sais rien.
Ils voyaient qu’ils étaient tutsi ?
Oui.
Et ils ne voulaient pas te donner de la nourriture pour eux ?
Oui.
Ce camp de Nyarushishi était formé comment ? Avaient-ils
séparé les tutsi des hutu, et les interahamwe, s’il y en avait,

00 :59 :58

R

étaient-ils à part ? Ou tout le monde était mêlé ?
Non. Il n’y avait pas d’interahamwe au camp. Normalement,
les seuls hutu qu’il y avait dans le camp, c’était des soldats

01 :00 :18

q

ex-FAR. Sinon, il n’y avait pas de civils hutu dans le camp.
Cela veut-il dire que dans le camp de Nyarushishi, les gens

01 :00 :23
01 :00 :25

R
Q

qui s’y trouvaient n’ont plus eu de problème ?
Ils n’ont pas eu de problèmes.
Et donc pour toi, les soldats français, pour avoir gardé le
camp, était-ce dû à leur générosité ou avaient-ils d’autres

01 :00 :35

R

objectifs ? Comment as-tu perçu cela ?
Ce qu’ils avaient comme objectif en protégeant ce camp,
c’était pour pouvoir démontrer à la Communauté
internationale qu’ils avaient accompli quelque chose de bon

01 :00 :45

Q
R

au Rwanda.
C’était comme ça que tu percevais les choses ?
Oui
Cassette No 107

3/3

09/01/2003

00 :00 :01

Q

Le camp de Nyarushishi et le comportement des français là-

00 :00 :03

R

bas, qu’est-ce que tu en as pensé ?
Moi, d’après ce que je constatais, je voyais que les français
protégeaient ce camp de Nyarushishi pour avoir plus tard
quoi dire à la Communauté internationale, qu’ils ont fait
quelque chose de bien au Rwanda. Mais cette bonne action

est apparue comme une duperie car malgré tout, les gens
étaient tués devant leurs yeux, pillaient sous leurs yeux, tu
comprends qu’ils n’apportaient rien de bien pour le Rwanda,
00 :00 :49

Q

au contraire ils l’ont beaucoup pillé.
La forêt de Nyungwe, en sais-tu quelque chose en rapport
avec les français ? S’y rendaient-ils, ou y cherchaient-ils

00 :01 :03

R

quelque chose, ou y faisaient-ils quelque chose ?
Non. La forêt de Nyungwe, les français n’y faisaient rien.
Plutôt il s’agissait du chanvre qui y était cultivé, et qui
constituait un commerce entre les fils de Habyarimana et

00 :01 :28
00 :01 :29
00 :01 :30

Q
R
Q

celui de Mitterrand.
Ce chanvre… ?
Oui.
Qu’est-ce que tu en sais exactement ? Quelles informations

00 :01 :36

R

peux-tu donner là-dessus à quelqu’un qui n’en sait rien ?
Cette histoire de chanvre ? Ce que j’en sais, c’est que les gens
en ont parlé, mais ce n’était pas des ragots, car peu après l’on
y a envoyé des soldats pour l’arracher. Et moi-même j’ai vu

00 :02 :09
00 :02 :11

Q
R

ces militaires partir pour cette mission-là.
Pourquoi devaient-ils l’arracher ?
Pour que la Communauté internationale ne dise pas que le

00 :02 :19

Q

Rwanda participait à la prolifération des stupéfiants.
Ne t’es-tu jamais posé la question de savoir pourquoi les
français ont choisi de créer la zone Turquoise uniquement
dans cette partie du pays constituée par les préfectures de

00 :02 :37

R

Cyangugu, Kibuye et Gikongoro ?
Pour moi, la raison qui a dicté leur choix de cette zone pour
en faire la zone de sécurité, c’est que là-bas il n’y avait pas de
guerre. Car s’ils étaient allés dans la partie Nord du pays, ils
se seraient battus avec les inkotanyi bon gré mal gré. Et cela,
ils l’ont évité car leur parti pris aurait été flagrant aux yeux de

00 :03 :22

Q

la Communauté internationale.
On va revenir un peu en arrière, car tu en avais déjà parlé.
D’après toi, c’était quoi les visées des soldats français pour la
zone Turquoise ? Qu’y cherchaient-ils, quels intérêts y

00 :03 :39

R

visaient-ils ?
Les objectifs qu’ils avaient, c’était de protéger le
gouvernement en place à l’époque. Mais lorsqu’ils ont

constaté que la Communauté internationale s’y opposait et
qu’aussi les inkotanyi clamait partout leurs mises en garde et
qu’ils avaient conquis une grande partie du pays, les français
ont choisi d’aider ceux qui étaient défaits à s’enfuir. C’est
pour ça qu’ils ont laissé tout le monde piller et détruire les
infrastructures de développement. C’est même ce qui a fait
qu’un nommé major Cyiza a été très attristé par ce qu’il
voyait et a créé une unité militaire pour assurer la protection
00 :04 :35

Q

de Cyangugu.
Aurais-tu été au courant des histoires sur les gens que les
soldats français embarquaient de force dans leurs hélicoptères

00 :04 :48

R

et allaient balancer dans la forêt de Nyungwe ?
Ce sont deux interahamwe qu’ils ont emmenés comme ça,
c’est ce que je suis en train de te dire qu’ils voulaient donner
l’illusion à la communauté internationale qu’ils faisaient des
choses, mais est-ce que tu peux me dire que c’était ces deux
seuls interahamwe qui se trouvaient dans Cyangugu ? Alors

Q

que tout le monde s’était réfugié dans Cyangugu !
Est-ce qu’ils les ont jetés de façon à ce qu’ils furent tués ou

00 :05 :19

R

sont-ils revenus ?
Peut-être qu’ils sont morts, peut-être qu’ils ne sont pas morts,

00 :05 :27

Q

ça je n’en sais vraiment rien.
Considérant les relations entre la France et le Rwanda, et eu

00 :05 :15

égard à son influence et à sa puissance, penses-tu que ce pays
avait les moyens d’empêcher le Rwanda de commettre le
génocide ou du moins d’arrêter celui-ci à partir du moment
00 :05 :53

R

qu’il avait démarré ?
Les français avaient toutes les capacités qu’il fallait. La
France est jusqu’à aujourd’hui une grande puissance
mondiale. Elle a d’ailleurs une place permanente au Conseil

00 :06 :12

Q

de Sécurité. Ils auraient pu.
Donc, considérant leur influence et les relations qu’ils
entretenaient avec le gouvernement de Habyarimana ou celui
des Abatabazi, les français étaient en mesure d’empêcher

00 :06 :23

R

sinon d’arrêter le génocide ?
Ils pouvaient tout simplement l’empêcher et personne n’y

n’aurait même pensé à passer outre. Car la France et le
Rwanda avaient des rapports d’amitié personnelle très
particulière. Dans ce cas alors, la France avait toute latitude et
toute autorité nécessaires pour empêcher la commission du
génocide, simplement en disant : « Ce que vous projetez de
00 :07 :12

Q

faire là n’est pas bien, ça peut tourner très mal pour vous ».
Maintenant une question concernant ta vision de la situation :

00 :07 :22

R

D’après toi, le génocide a-t-il été ou non planifié ?
Pour moi, le génocide a été planifié. La raison pour laquelle
je dis qu’il a été préparé, c’est que, à l’époque, Bagosora en
personne l’a proclamé à Arusha de telle sorte que tout le
monde l’a entendu. La deuxième raison est qu’il se tenait des
réunions, uniquement entre officiers du Nord, desquelles
ceux du Sud étaient donc exclus ; la preuve, il y avait un
colonel qui habitait à Kanombe du nom de Bizumuremyi, à
cette époque Nsabimana venait d’être promu capitaine. Et
quand les autres officiers se réunissaient, ces deux là étaient
tenus à l’écart. Alors, quand il y a ce genre de mise à l’écart
des autres, tu subodores que quelque chose de pas bon se
prépare. De plus, tu ne peux pas dire que cela na pas été
planifié, alors qu’ils ont continué à refuser de mettre en place
les institutions de la transition, alors qu’eux-mêmes avaient

00 :08 :53

Q

apposé leur signature aux accords de paix.
C’est vrai que le génocide a été préparé, sinon ils n’auraient
pas formé les miliciens interahamwe. Est-ce que les français

00 :09 :08

R

le savaient ou non ?
Les français le savaient, comment ne l’auraient-ils pas su ?
Etaient-ce eux qui étaient le plus près du Rwanda ou alors ils
aimaient tous les rwandais pour venir intervenir ? S’ils sont
venus, c’était parce qu’ils savaient ce qui était en train de se

00 :09 :32

Q

faire.
Durant la phase de préparation : les réunions, la formation
des interahamwe… penses-tu qu’ils étaient au courant de tous

00 :09 :41

R

ces préparatifs ?
Oui. En ce temps-là, les français savaient parfaitement ces
choses-là.

00 :09 :51
00 :09 :54

Q
R

Sais-tu s’ils allaient ou non au front ?
Les français ? Mais c’est ce que je t’ai dit dès le début ! Il y a
eu des armes lourdes qui ont été amenées, des canons 105 et
120 qui étaient entreposés dans le BAC, cela veut dire
Bataillon d’artillerie de Campagne, les français se rendaient
avec ces armes au front à Byumba pour s’y battre et là ce sont
eux qui les utilisaient, car il n’y avait pas des soldats
rwandais qui savaient les utiliser. Donc, ils allaient se battre

00 :10 :28

Q

au front.
D’après toi ou d’après ce que disaient tes camarades qui
allaient au front avec eux, les français s’y comportaient
comment ? Les inkotanyi étaient qui ou quoi pour eux ? Ou
que pensaient-ils des tutsi en général ? Est-ce qu’ils avaient
adhéré à l’idéologie du pouvoir en place ou ils avaient leur

00 :10 :52

R

propre vison des choses ?
Les français, il y avait une chose qu’on leur avait fait avaler :
lorsqu’ils voyaient tout ce qui s’appelait tutsi, pour eux,
celui-ci était l’ennemi du Rwanda. Et comme ils étaient amis
avec les membres du gouvernement rwandais, en particulier
les membres de l’Akazu, qui étaient les plus acharnés à
qualifier d’ennemi tout tutsi, ceux-ci avaient réussi à faire

00 :11 :29

Q

entrer cette conception dans la tête des français.
Habituellement, quand on va au front, c’est pour combattre
son ennemi. Les soldats rwandais eux, quand ils allaient se
battre, ils disaient que c’était pour combattre l’ennemi du
rwanda. Celui-ci était en l’occurrence l’inkotanyi, ou même
le tutsi de l’intérieur qu’ils tuaient chaque fois que l’envie
leur en prenait. Comme ils allaient au front avec les soldats
français pour combattre leur ennemi, les français eux disaient
qu’ils allaient combattre quel ennemi, l’ennemi de qui ? A

00 :11 :53

R

eux ? Celui du Rwanda ?
L’ennemi du Rwanda ! Car ils se battaient aux côtés du

00 :11 :57

Q

Rwanda.
C’est-à-dire qu’ils défendaient le Rwanda dans tout ce qu’il

00 :12 :00

R

voulait ?
Exactement.

00 :12 :04

Q

Et toi, en tant que rwandais qui a vu toutes ces choses, qui a
vu les agissements des soldats français, qui a des choses à
leur reprocher que tu nous as rapportées, qu’est-ce que tu
peux leur dire aujourd’hui ? Tu leur demanderais de se
conduire comment à l’égard du Rwanda d’aujourd’hui, de

00 :12 :27

R

faire quoi ?
Aujourd’hui, tu vois que l’Amérique est en train de
provoquer la guerre chez Saddam. Les français eux disent
dans leurs informations que j’a écoutées tout à l’heure, que
seulement 26 pour cent de leur population approuvent cette
guerre et que le reste la désapprouve. Je souhaiterais qu’ils
continuent de procéder de la même manière et qu’avant de
décider de s’engager dans toute guerre, le gouvernement
français commence d’abord par requérir l’avis de sa

00 :13 :17

Q

population.
Alors vis-à-vis du Rwanda, car nous disons qu’ils nous ont
porté préjudice, car même s’ils prétendaient aider les
rwandais, le résultat est que le Rwanda a beaucoup souffert, a
perdu une grand partie de sa population, a été détruit, a subi
et commis un génocide. Alors, en comparaison avec tout ce
mal, toi en tant que rwandais, qu’est-ce que tu aurais envie de
leur demander ? Qu’est-ce que tu souhaiterais qu’ils fassent et

00 :13 :47

R

comment souhaiterais-tu qu’ils se conduisent ?
Parmi les choses que j’aimerais demander à la France, il y a
des rwandais qui ont péri pendant le génocide, il y a des biens
qui ont été pillés... Pour les morts, il n’y a pas de prix pour
leur vie prise, car on ne peut pas les ressusciter. Ce que par
contre ils pourraient faire, c’est de décider des dommages et
intérêts pour le Rwanda, en dédommagements des préjudices
qu’ils lui ont causés et ainsi les relations entre le Rwanda et la
France pourrait revenir au beau fixe comme dans l’ancien

00 :14 :32

Q

temps.
Connaîtrais-tu un vieux dont on dit qu’il connaît très bien la
forêt de Nyungwe, de manière qu’il puisse éventuellement
nous y guider ? C’est un vieux qui connaîtrait très bien cette

forêt, je crois que c’est Elise qui nous en a parlé. Je voulais
savoir si toi aussi tu le connais et si tu peux nous donner des
00 :14 :51

R

informations sur lui.
Non, je ne le connais pas moi. Mais je peux vous dire que
vous pourrez pour cela vous faire aider par l’ORTPN. Quoi
qu’il en soit, c’est un lieu bien connu, vous iriez à l’ORTPN
et leur diriez que vous souhaitez visiter ce lieu. Et comme
avez l’autorisation du gouvernement, ils pourraient vous

00 :15 :36
00 :15 :52

Q
Q

donner des guides pour vous y conduire.
Cécile……..sur le réseau zéro…
Le réseau zéro ou ce que l’on appelait Ikiguri Nunga, en as-tu
entendu parler ? C’était une organisation criminelle occulte

00 :16 :06
00 :16 :08
00 :16 :10

R
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des gens de chez Habyarimana, Bagosora et les autres.
Le réseau zéro ?
Oui.
Vous savez, tout cela se manigançait dans le Nord. Quant aux
autres, les soldats originaires du Sud, j’entends par là Kibuye,
Butare, Gitarama, Cyangugu, ils sont tous passés par Butare.
Ceux originaires de Gisenyi, Ruhengeri, Byumba, eux sont
passés par Ruhengeri. Et les inkotanyi eux sont arrivés par
ici. Tu comprends que personne ne pouvait se diriger dans

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leur direction.
On vous séparait suivant vos régions d’origine au lieu de le
faire peut-être sur base de bataillons ou autres corps d’armées

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dans lesquels vous étiez affectés ?
Pas du tout. Ils ont procédé selon l’origine régionale.
Ils ont dit : « Vous allez de ce côté, et les autres vous allez à

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Ruhengeri ou à Gisenyi », comme ça ?
Chacun s’en allait vers sa région d’origine
Ce que l’on se demandait, c’était pourquoi est-ce que l’on
vous a dit d’aller à Butare ? Y avait-il une raison de penser
que c’était là que vous deviez aller, que c’était là-bas que

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vous seriez bien ? C’était ça la question. Peu-tu y répondre ?
La raison, c’est que Butare était une zone de sécurité car les
inkotanyi ayant attaqué en provenance de l’Ouganda au nord,
cette partie sud du Rwanda était en sécurité. Et nous, on nous

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y a envoyés parce que nous ne pouvions pas nous battre.
Et quand vous y étés arrivés- avec d’autres car aussi

beaucoup de citoyens se sont dirigés vers là, un grand nombre
de militaires et presque tous les interahamwe s’étaient repliés
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par là-bas- en vous y rendant à ces dates de mai…
D’avril. Le 24.
D’avril Ah oui. Moi je pensais que c’était en mai.
En avril, le 24.
Le 24 avril, c’est là que vous avez été évacués. Ne vous avaiton pas informés que vous alliez dans une zone de sécurité, ou
vous trouveriez des gens préparés à vous protéger, ne vous a-

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t-on pas parlé de ça ?
Non. Cette zone Turquoise n’était pas encore formée. Mais
celui qui s’appelait le président, Sindikubwabo, était
originaire de la ville de Butare, Kambanda était originaire de
la commune Gishamvu non loin de là, par conséquent, il y
avait beaucoup de militaires là-bas, et c’est la raison pour

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laquelle ils y emmenaient des gens.
Vous êtes restés combien de temps à Butare ?
Nous y sommes restés longtemps. Un mois.
Vous n’y avez pas vu de militaires français ?
Non, là-bas on n’a pas vu de soldats français.
Sais-tu quelque chose sur la compagnie CRAP ?
Les CRAP, ce n’était pas une compagnie, c’était juste une
petite section qui opérait au sein du bataillon Para. Cette
section CRAP, quand par exemple il y avait une personne
identifiée comme ennemi du régime, c’était les membres du
CRAP qui étaient chargés de son arrestation. Ils s’emparaient
de l’individu en question, le ligotaient… si tu veux, ils étaient
en général chargés d’éliminer les gens de manière atroce,

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en les torturant.
C’était une unité de tueurs ?
Oui. Avant eux, il y avait eu ce que l’on appelait des
escadrons de la mort. Lorsque ceux-ci ont été dénoncés à
grand bruit par la population et aussi par les inkotanyi sur les
ondes des radios internationales, le pouvoir a fait semblant de
supprimer ces escadrons et a créé les CRAP, qui furent alors

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entraînés par les soldats français.
Les escadrons de la mort ont commencé à opérer quand ?
Ils étaient apparus avec la naissance des partis politiques.
Et les CRAP ?

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Les CRAP eux, c’était après cette grande attaque du FPR du
8 février 1993. Les CRAP ont commencé à être formés juste

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après.
En connais-tu parmi les soldats qui sont devenus des CRAP,

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avec qui vous causiez ?
Des CRAP, j’en connais, mais certains, je ne me souviens pas
de leurs noms. Cependant, on vivait ensemble dans le même
camp militaire, ce ne sont pas des choses que je rapporterais
comme si je les avais simplement entendues, les CRAP, je les
connaissais vraiment, c’était des collègues avec qui l’on

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vivait sans problèmes.
Vous discutiez et ils vous parlaient de leurs opérations ?
Voilà.
Quelque chose d’autre que j’avais oublié de dire, c’est que
ces CRAP étaient recrutés parmi les soldats originaires du
Nord, c’était eux qui allaient à la formation de CRAP. Les
autres n’étaient pas recrutés. Afin d’éviter que les secrets du

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régime ne soient connus des gens d’ailleurs.
Penses-tu qu’il y a quelque chose que nous n’avons pas

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évoqué concernant surtout les français ?
Non.
Pour que tu l’ajoutes…
Non, il ne reste rien à mon avis.
Une dernière question néanmoins : A la mort de
Habyarimana, que ce soit Bagosora, que ce soit les français
ou même tous ceux-là dont tu penses qu’ils ont eu une
responsabilité dans son assassinat, quelle a été leur attitude
après sa mort ? Te semblaient-ils tristes, joyeux,
indifférents ? Ou ont-ils continué leurs programmes comme

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d’habitude ?
Ecoute, Bagosora et ce Baransalitse sont venus à l’hôpital le
lendemain. Je les ai vus de mes yeux. Bagosora lui d’ailleurs
ma salué, car il me connaissait très bien, il connaissait mon
nom, on se connaissait beaucoup. On voyait que la mort de
Habyarimana ne les avait pas affectés, ce qui par contre les
intéressait, c’était que ceux qu’ils appelaient les Ibyitso
étaient massacrés. Par exemple le 8 avril, la seule causerie qui

animait le camp entier était de raconter qu’ils avaient manqué
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Twagiramungu.
Donc, ils avaient eu là l’occasion d’éliminer les politiciens, et

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tous les autres ils les avaient eus, à part lui ?
Les autres politiciens qu’ils avaient envie de tuer, ils les
avaient tués, c’était pour ça d’ailleurs qu’ils ramenaient à
Kanombe les cadavres pour s’assurer qu’ils les avaient tous

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eus, mais Twagiramungu lui ils ne le trouvaient pas.
En ce moment-là où Bagosora est venu à l’hôpital, était-ce
pour voir les corps de Habyarimana et de ces autres, ou

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c’était pour autre chose ?
Je n’en sais rien. Peut-être qu’il venait pour vérifier s’il y

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avait des tutsi qui se seraient réfugiés là.
C’était quelle date ça ?
Le 7 avril.
Le 7 ?
Oui.
Cécile………….
Elle veut savoir la date à laquelle tu es arrivé à Cyangugu.
C’était le 10 juin ?
Au mois de mai ?
Juin.
C’est en ce mois que tu es arrivé à Cyangugu ?
Oui, c’est à cette date que je suis arrivé à Cyangugu.
Les français y étaient-ils en ce moment-là ?
Non, ils n’étaient pas encore venus.
Ils n’étaient pas encore arrivés dans Cyangugu ?
Oui.
Autre question…
Mais ils n’ont pas tardé à arriver, je ne me rappelle plus bien
la date, mais peut-être qu’ils ne s’est pas écoulé une semaine

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avant qu’ils ne vinssent.
Une autre question qu’elle pose, mais que je crois t’avoir déjà
posée, c’est de savoir quels étaient les objectifs des soldats
français, abstraction faite du secours qu’ils voulaient apporter
aux interahamwe et au gouvernement intérimaire. Aurais-tu
remarqué s’ils envisageaient peut-être de faire de cette zone
un terrain conquis, dans lequel ils auraient pu dire : « C’est
notre zone, nous l’administrerons, nous en ferons ce que nous
voudrons, nous y mettrons en place une administration à
notre goût… », des choses comme ça ?

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Ça tu comprends bien que je ne pouvais pas le savoir !
L’autre question qu’elle pose concerne le réseau zéro, mais il

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m’a semblé que tu ne le connaissais pas.
Le réseau zéro, c’est ce que je t’ai dit, lorsque les escadrons
de la mort ont été démantelés, car les inkotanyi les avaient
dénoncé sur les radios internationales et d’autres politiciens
aussi, ils ont donc créé les CRAP et ceux-ci furent entraînés
par les commandos français, ceux-là que nous voyions à
Kanombe.
Fin ITW Tharcisse.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024