Fiche du document numéro 6149

Num
6149
Date
Mercredi 2 avril 2014
Amj
Taille
90319
Surtitre
Carte blanche
Titre
Le génocide au Rwanda, c'était il y a 20 ans
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le 6 avril 1994, l'avion du président rwandais Habyarimana était abattu par des
tirs de roquettes. Dès le lendemain, le pays s'enfonçait dans l'horreur absolue
du génocide d'au moins 800.000 personnes. Vingt ans après, à l'heure d'un
indispensable recueillement, certaines responsabilités et complicités restent
encore à établir.

Il y a vingt ans, le 7 avril 1994, le pouvoir en place à Kigali ordonnait le
déclenchement des massacres qui visaient à l'éradication d'une partie de la
population du Rwanda. En cent jours, plus d'un million d'hommes, de femmes et
d'enfants tutsi allaient vivre l'enfer d'une annihilation systématique. Le
monde assistait ainsi en direct au troisième génocide du vingtième siècle.

En vingt ans, nous avons beaucoup appris sur le génocide des Tutsis au Rwanda.
Sur le rôle du colonisateur belge, de l'Eglise catholique puis des pouvoirs en
place depuis l'Indépendance dans la construction de l'ethnicité, de l'idéologie
de l'altérité et la progressive stigmatisation des Tutsis. Sur la planification
du crime, le rôle des médias de la haine, la mobilisation des foules. Sur le
rôle des rouages de l'Etat, du pouvoir central aux autorités locales, dans la
dévolution des responsabilités et la transmission des ordres, afin de
méthodiquement déclencher les massacres puis consommer le crime. Sur
l'impéritie de la communauté internationale qui aurait pu, aisément, mettre un
terme aux premières exactions et aux premiers assassinats politiques, mais qui
n'en a pas donné l'ordre. Sur le pusillanime abandon du Rwanda enfin, pour les
uns (la France) en raison de leur complicité avec un Etat criminel, pour les
autres en raison du prix qu'ils y avaient payé (la Belgique, frappée par le
lâche assassinat de dix de ses Casques bleus), ou tout simplement de leur
indifférence à l'égard d'un pauvre petit pays d'Afrique centrale.

Nous sommes ainsi tous responsables de ce qu'il s'est passé au Rwanda. Certes,
la violence extrême qui s'y est propagée comme une traînée de poudre nous a, au
printemps 1994, littéralement sidérés. Mais nous sommes, tous, demeurés
indolents, avant de lentement prendre la mesure des événements, puis d'afficher
nos sensibilités divergentes quant à leur interprétation. Ce fut pour d'aucuns
- une partie du monde laïque s'y est employée -, la capacité à analyser les
faits et montrer de la solidarité à l'égard des victimes. Ce fut, pour d'autres
- une partie du monde de la coopération et du pilier chrétien -, la difficulté
voire le refus d'admettre que ceux qu'ils avaient choyés durant des décennies
s'étaient livrés à un crime abominable. Ce furent là les prémices d'un clivage
tenace qui vit certains jusqu'à se rallier à un négationnisme policé ou à une
odieuse théorie du « double génocide », stigmatisant les victimes pour mieux
disculper les bourreaux.

La Belgique, contrairement à d'autres pays, peut s'enorgueillir d'avoir opéré,
grâce notamment à quelques hommes et femmes politiques lucides et courageux, un
examen de conscience salutaire, par le fait notamment de la Commission
parlementaire sur le Rwanda puis, de manière plus symbolique, avec les excuses
présentées par le Premier ministre Guy Verhofstadt à Kigali. Vinrent ensuite
les procès en assises que des magistrats obstinés et audacieux parvinrent à
imposer, malgré les obstacles judiciaires et idéologiques. D'autres pays n'en
firent pas autant - le bilan du tribunal pénal international mis sur pied par
les Nations unies, au terme de son mandat, est ainsi fort contrasté.

Reste le Rwanda lui-même, déchiré par ses clivages, hanté par sa douloureuse
mémoire et son aventurisme malheureux dans l'est du Congo, miné par ses
difficultés à construire une réelle démocratie. Dans le même temps, ce pays se
développe, parfois de manière spectaculaire, dans une frénésie de croissance
qui à certains égards refoule une partie de son passé, à d'autres égards le
mémorialise pour construire sa citoyenneté nouvelle sur l'éradication de
l'ethnisme. Un pays qui, en matière de justice et de réconciliation, a donné
une leçon au monde en jugeant une partie des acteurs du génocide par le
truchement de tribunaux populaires exemplaires, les gaçaça, tout en ayant
tendance dans le même temps à parfois ignorer les revendications légitimes des
victimes à réparation. Un pays meurtri qui souffre encore de ce qu'une partie
de ses ressources et de la dette extérieure qu'il avait contractée a été
détournée, entre 1990 et 1994, afin de financer le génocide.

Vingt années se sont écoulées depuis le terrible printemps 1994. Il reste
beaucoup de responsabilités et de complicités à mettre en évidence, beaucoup de
coupables à juger, beaucoup de réparations - symboliques, mais aussi
matérielles - à octroyer. La communauté internationale conserve à cet égard une
lourde dette à l'égard du Rwanda. Quant à nous, s'il est au moins une chose que
nous pouvons faire, pour racheter notamment notre silence d'avril 1994, c'est
d'être nombreux aux côtés des victimes afin de se souvenir de cette terrible
blessure commune, le 7 avril prochain.

Pierre Galand est l'ancien président du Centre d'Action laïque et
Jean-Philippe Schreiber, professeur à l'Université libre de Bruxelles.

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