Fiche du document numéro 5947

Num
5947
Date
Lundi 12 novembre 2012
Amj
Taille
20993
Titre
La rencontre du Kalahari
Sous titre
L’année 1988 n’est pas si éloignée. Pourtant, à l’époque, nous vivions vraiment dans un autre monde. La guerre froide n’était pas terminée et les relations géopolitiques étaient plus bipolaires qu’aujourd’hui. Les positions politiques et idéologiques bien tranchées ne facilitaient pas les relations diplomatiques. Comment faire se rencontrer des personnes aussi inconciliables que des ministres angolais et sud-africains ? C’est pourtant ce qui s’est passé cette année-là, dans le désert du Kalahari, pendant trois jours et dans la plus grande cordialité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Type
Langue
FR
Citation
Il faut se souvenir qu’en 1988, l’Angola était dirigée par un régime marxiste et soutenue par Cuba. Le Sud-Ouest africain (l’actuelle Namibie) était toujours sous protectorat sud-africain. De son côté, l’Afrique du Sud vivait toujours sous le régime de l’apartheid, au grand mécontentement de la communauté internationale.

Une rencontre officielle entre deux représentants de ces pays était inévitablement vouée à l’échec. Il était impensable pour un de ces pays d’accepter la moindre concession. La situation était donc très tendue, et pouvait très rapidement évoluer négativement. Face à ces blocages de la diplomatie officielle, des rencontres informelles et un rapport plus souple (diplomatie parallèle) s’imposaient pour faire bouger les lignes. Tel a été mon rôle.

Je connaissais personnellement toutes les personnes que j’ai faites se rencontrer dans le désert de Kalahari. Etant le seul à avoir des amis dans tous les camps et à disposer de la confiance de chacun, j’ai surtout servi à briser la glace et à instaurer un climat propice à un dialogue sans langue de bois. L’objectif était évidemment de sortir de l’impasse politique et de faire revenir l’Afrique du Sud dans le concert des Nations.

Nous étions neuf : moi ; Pik Botha, le ministre des Affaires étrangères sud-africain ; Jean-Christophe Mitterrand, le fils et conseiller spécial du président François Mitterrand pour les affaires africaines ; Jeanny Lorgeon [Lorgeoux], un député socialiste français ; Jacinto Veloso, ministre mozambicain de la Coopération ; Kito Rodriguez, le ministre angolais de l’Intérieur ; Desiderio da Costa, le ministre angolais du Pétrole ; Mark Strauss, le fils de Franz-Josef Strauss ; et Neels Van Tonder, le patron des services de renseignements militaires sud-africains.

C’est lors de cette rencontre que nous avons discuté sereinement des démarches pour sortir du conflit entre l’Angola et l’Afrique du Sud. Tout ce qui constituera plus tard le résolution 435 des Nations unies a été décidé à ce moment-là : proclamer l’indépendance de la Namibie, faire retirer les troupes cubaines d’Angola et mettre fin au régime d’Apartheid en Afrique du Sud. Qui dit fin de l’apartheid signifie aussi la légalisation du parti de l’African National Congress (ANC) et la libération de Nelson Mandela. Mandela était quand même emprisonné depuis vingt-sept ans ! Sa libération a eu un effet symbolique retentissant à travers le monde. En 1995, j’ai été très honoré quand Nelson Mandela, alors président d’Afrique du Sud, m’a nommé grand officier de l’ordre de Bonne Espérance.

Les accords dont nous avions parlé lors de cette rencontre ont été officiellement signés le 13 décembre 1988, à Brazzaville, au Congo. Je dois d’ailleurs saluer le Président Denis Sassou N’Guesso qui a facilité la signature de cet accord dans son pays. C’était vraiment très étrange de voir des émissaires de Cuba, des États-Unis, d’Angola et d’Afrique du Sud discuter autour d’une table. Pendant toutes ces conférences, les différentes délégations me prenaient à témoin de la sincérité des autres ou se servaient de moi pour passer des messages. J’étais le médiateur et le témoin. Tout s’est bien passé. La résolution 435 des Nations unies a été signé par toutes les délégations.

Je ne suis pas peu fier d’avoir été à l’origine, au fin fond du désert du Kalahari, de ce moment historique.

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