Fiche du document numéro 5585

Num
5585
Date
Samedi 19 février 2000
Amj
Auteur
Taille
158981
Titre
Des mercenaires français ont-ils tué Dulcie September ? Retour sur l'assassinat de la militante de l'ANC en 1988
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Ce sont deux tueurs que la justice française ne cherche plus à identifier. Le
29 mars 1988, Dulcie September, représentante de l'African National Congress
(ANC) à Paris, était abattue de cinq balles dans la tête, au moment où elle
ouvrait la porte de son bureau, au quatrième étage d'un immeuble de la rue des
Petites écuries (Xe arrondissement). Elle tenait son courrier à la main, venait
de mettre la clef dans la serrure. Il était 9 h 45. Les tueurs avaient utilisé
un silencieux. Un voisin, unique témoin, les a aperçus, dévalant les escaliers.
Ils étaient de «type européen». Ils ont disparu dans la nature. L'enquête a
duré quatre ans. Elle a visé d'anciens mercenaires, membres de la garde
présidentielle (GP) des Comores dirigée par Bob Denard, mais sans succès. Le
dossier a été refermé sur un non-lieu, le 17 juillet 1992.

On pouvait croire l'action publique définitivement éteinte, mais c'était
compter sans l'élection de Nelson Mandela, en 1994, et les travaux de la
Commission Vérité et Réconciliation, en 1996.

Bras droit de Bob Denard. Extrait de sa cellule pour comparaître devant cette
commission en avril 1998, le colonel Eugène de Kock a déclaré que l'assassinat
de September était une opération du bureau de coopération civile (CCB) de
l'armée sud-africaine, coordonnée par le commandant Dawid Fourrie. Eugène de
Kock, ancien chef de la Vlakplaas ­ - unité C10 de la police secrète ­- est
considéré comme le chef des anciens escadrons de la mort sud-africains. En
1996, il été condamné à perpétuité pour sa participation à 83 crimes. Selon ses
déclarations devant la commission, les deux hommes qui ont « appuyé sur la
détente
 » étaient des membres de la garde présidentielle des Comores. « De Kock
désigne l'un d'eux comme étant Jean-Paul Guerrier
(alias Capitaine Siam), qui a
aussi été impliqué dans l'assassinat en 1989 du président Abdallah
 », indique
l'organisme dans son rapport. Contrairement à d'autres membres de la «GP», le
capitaine Siam, bras droit du mercenaire Bob Denard, n'a pas été interrogé lors
de l'enquête judiciaire sur le meurtre de September. En revanche, il a été
arrêté et mis en examen, dans le cadre de l'enquête sur l'assassinat du
président Ahmed Abdallah -­ en novembre 1989. Il a pris la fuite peu avant son
procès d'assises en mai 1999. Son cas a été dissocié de celui de Denard ­
acquitté par les assises ­ et il doit être jugé en mars prochain, par
contumace, à Paris.

Vérité et Réconciliation ne s'est pas arrêtée là. Elle a eu confirmation que
Dawid Fourrie, alias Heine Muller, désigné par de Kock comme le coordinateur de
l'assassinat, avait été le chef des opérations extérieures du CCB. Le 16 mai
1998, Christoffel Nel, son ancien responsable du renseignement, venait en
témoigner. Nel a décrit le meurtre de September comme « l'un des succès du
bureau de coopération civile
 ». « Il n'y a jamais eu aucun doute dans mon esprit
sur le fait qu'il s'agissait d'une opération du CCB
 », a-t-il déclaré. Interrogé
sur l'éventualité d'un recrutement des tireurs au sein de la garde
présidentielle des Comores, Nel répond: « Il aurait été ridicule pour un groupe
sud-africain d'utiliser un Sud-Africain pour tuer Dulcie September.
 »

Si la
commission ne livre pas un « résultat définitif » concernant l'assassinat, elle
estime que Dulcie September a été victime d'une opération du CCB impliquant
l'engagement d'une « organisation privée de renseignement » qui à son tour a
recruté des meurtriers. Dès 1990, Dirk Coetzee, ancien capitaine des services
sud-africains avait attribué, dans la presse, le meurtre au Vlakplaas, le
service installé dans une ferme qui porte ce nom dans les environs de Prétoria.
Le «repenti» évoque le rôle joué par un certain «Heine Human» dans l'attentat
contre September. Human aurait rencontré l'un des tueurs à l'aéroport de Roissy
pour lui transmettre les ordres sud-africains. En signe de reconnaissance, les
deux hommes avaient sur eux la moitié d'un billet d'un dollar. L'ex-capitaine
évoque déjà l'hypothèse d'une opération exécutée par un mercenaire proche de
Bob Denard. Mais sans précision sur son identité.

Claudine Forkel, juge d'instruction chargée de l'affaire, avait suivi la piste
du mercenaire. Elle partait de l'idée qu'un lien pouvait être fait entre le
meurtre de Dulcie September et deux autres attentats commis à Bruxelles peu
avant. Le 4 février 1988, deux coups de feu avaient visé Godfrey Motsepe,
représentant de l'ANC. Et le 27 mars 1988 ­ deux jours avant l'assassinat de
Dulcie ­ une bombe de 7 kilos était découverte dans les locaux du congrès
africain.

Alibi. Les enquêteurs français soupçonnent un certain Richard Rouget. Ancien
dirigeant d'extrême droite ­- au sein du GUD -, ancien militaire. En 1985, il
était devenu lieutenant dans la garde présidentielle comorienne. S'était
installé en Afrique du Sud en 1987, où il était devenu représentant en laminage
d'acier. Mais il voyageait aussi beaucoup. Il avait séjourné deux fois à
Bruxelles, en décembre 1987 et février 1988, avant les attentats anti-ANC et y
avait retrouvé un ancien militant du GUD. Les policiers semblaient croire que
Rouget et ses amis faisaient du renseignement pour les Sud-Africains. Mais
Rouget avait un alibi pour le 29 mars 1988, date du meurtre de September: il
était à Johannesbourg. Et le témoin direct de la fuite des deux tueurs, M. de
Crespy, ne l'a pas identifié.

Selon l'ordonnance de non-lieu rédigée par Claudine Forkel, l'ex-mercenaire
avait été mis en cause par d'anciens officiers de la garde présidentielle
comorienne. Reconverti dans l'organisation de safaris, Rouget affirme ne plus
se souvenir de cette enquête. Le meurtre de September a-t-il pu être exécuté
par d'anciens membre de la GP ? Il ne le croit pas. « Des personnes dont on
parle, aucune n'a le gabarit, ni la consistance pour faire ce type d'opération.
Ce n'est pas un truc de militaire
 », déclare-t-il à Libération.

Compétences. C'est ce qu'on répond en général dans l'entourage de Bob Denard,
quand on évoque les accusations du colonel de Kock à l'encontre de Jean-Paul
Guerrier. « Jean-Paul Guerrier est quelqu'un qu'il avait choisi et en qui il
avait confiance
, remarque un proche de Denard. Si Denard a choisi Guerrier,
c'est qu'il avait les compétences techniques et morales. Denard n'est pas un
enfant de choeur, mais il y a des choses qu'il ne fait pas. C'est un assassinat
pur et simple. ça ne correspond pas à l'éthique du bonhomme, C'est mal
connaitre ``le principe GP''
(de la garde présidentielle des Comores, ndlr) ».
Denard lui-même, à travers son avocat, Me Jean-Marc Varaut, a fait savoir à
Libération qu'il était « étranger à cette affaire ». « Ni lui, ni la garde
présidentielle ne sont en cause
 », a déclaré Me Varaut. Les liens du groupe
Denard avec l'Afrique du Sud de l'apartheid ont néanmoins été soulignés par la
commission Vérité et Réconciliation. Les Comores servaient alors de base
arrière aux services spéciaux sud-africains. Ainsi qu'à la DGSE.

Jean-Paul Guerrier, alias capitaine Siam, se trouvait à ce carrefour. Sorti de
Saint-Cyr en 1973, dans la catégorie parachutistes, il devient mercenaire en
1978, en Rhodésie. A la chute du régime blanc, il part s'installer en Afrique
du Sud, en 1980 et intègre l'armée en 1982, pour servir d'instructeur à
l'étranger. Il fait une brève carrière dans les bantoustans. Instructeur dans
l'armée du Siskei puis responsable de la sécurité de l'hôtel Sun City au
Bophuthaswana. C'est à cette époque qu'il aurait collaboré avec le Bureau de
coopération civile (CCB). En 1989, après l'assassinat de Dulcie September, il
rejoint la garde présidentielle des Comores. Guerrier est alors considéré comme
un agent sud-africain... Comme un homme dangereux aussi, et assez incontrôlable.
Dans la nuit du 26 au 27 novembre 1989, il a fait feu dans le bureau du
président Comorien Ahmed Abdallah. C'est pour ce geste qu'il est mis en examen
avec Denard et Dominique Malacrino, alias commandant Marques, pour le meurtre
du président. Pour Denard, Guerrier avait tiré sur le garde du corps qui avait
tiré sur lui. Le président était mort des balles de son garde du corps. Pour
l'accusation en revanche, « Guerrier abat le président ».

Fuite. Mais le capitaine Siam a préféré la fuite à son procès. L'arrêt de
renvoi devant la cour d'assises semblait lui promettre la prison, ainsi qu'à
Denard. Avant, il s'était illustré dans le cabinet de la juge Chantal Perdrix.
« Il a toujours été injurieux et virulent. Il n'a jamais admis qu'il y ait une
procédure judiciaire en France
 », remarque un magistrat parisien. Guerrier est
toujours mis en examen dans un troisième dossier, celui de la tentative de coup
d'Etat aux Comores de 1995. Son avocat, Me Jérôme Hercé, s'est déclaré
« incapable » de répondre à nos questions, compte tenu de « l'absence » de son
client. « Il ne m'a jamais parlé de l'affaire September », a indiqué Me Hercé.

Dans les milieux mercenaires, on ne cache pas que l'affaire September pourrait
avoir été « la conséquence d'un accord entre certains services français et
sud-africains
 ». Les Sud-Africains craignant d'opérer directement en France.
D'autres Français, dont les noms n'ont pas encore été cités, pourraient être
impliqués dans l'assassinat. Il n'est pas exclu qu'ils soient passés par les
Comores. Mais pour le savoir, il faudrait encore que la justice française
rouvre le dossier.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024