Fiche du document numéro 5567

Num
5567
Date
Dimanche 19 janvier 2014
Amj
Taille
123135
Titre
Les « affaires secrètes » de Paul Barril au Rwanda
Soustitre
L'ex-super gendarme de l'Elysée, Paul Barril, s'exprime pour la première fois, sur France Inter. Il est dans le collimateur de la justice pour son rôle pendant le génocide au Rwanda, durant l'été 1994.
Nom cité
Source
Type
Langue
FR
Citation
L'ex-super gendarme de l'Elysée, Paul Barril, s'exprime pour la
première fois, sur France Inter. Il est dans le collimateur de la
justice pour son rôle pendant le génocide au Rwanda, durant l'été
1994.


Il y a bientôt vingt ans, le génocide rwandais faisait 800 000
morts. La France a été mise en cause pour son soutien au régime de
Kigali, malgré les massacres. Et aujourd'hui, d'autres acteurs de
cette histoire trouble sont rattrapés par la justice, comme l'ancien
membre du GIGN et de la «~cellule anti-terroriste~» de l'Élysée, Paul
Barril, visé par une plainte pour «~complicité de génocide~».
end{abstract}


[La voix étouffée de Paul Barril :] « C'est pas une mission Paul Barril,
c'est une mission de la France, c'est la France qui a engagé au
Rwanda. »


Frédéric Barreyre : Bonjour, c'est la voix rare de Paul Barril que
vous venez d'entendre. Bonjour Benoît Collombat.

Benoît Collombat: Bonjour.


Frédéric Barreyre : Alors vous nous offrez un scoop aujourd'hui avec
cette interview de Paul Barril pour nous intéresser aux affaires
secrètes de Paul Barril au Rwanda et aux coulisses de la politique
africaine de la France. Alors il y a bientôt vingt ans, le génocide
rwandais faisait 800~000 morts, des Tutsi, mais aussi des Hutu modérés,
massacrés par les extrémistes hutu, un génocide qui a débuté le 6
avril 1994 après l'attentat contre l'avion du président rwandais
Habyarimana.

La France, Benoît, a été mise en cause pour son soutien au régime de
Kigali et aujourd'hui d'autres acteurs de cette histoire trouble sont
rattrapés par la justice, comme l'ancien super-gendarme Paul Barril.

Benoît Collombat : Oui, Paul Barril, ancien membre du GIGN et de la
« cellule anti-terroriste » de l'Elysée dans les années 80. Il se
reconvertit dans le privé et la lutte anti-terroriste, la protection et
la surveillance des chefs d'États étrangers, notamment les chefs d'État
africains. Le nom de sa société résume parfaitement le personnage. Elle
s'appelle SECRETS. Paul Barril, 67 ans aujourd'hui, conseiller auprès de
l'émir du Qatar, est désormais visé par une plainte pour « complicité de
génocide au Rwanda ». Une enquête est ouverte depuis juillet 2013 à la
suite de la plainte de plusieurs ONG, la FIDH, la LDH, la Ligue
francaise des Droits de l'homme, et l'association Survie. Ce sont les
juges du Pôle génocide à Paris qui sont désormais chargés de
l'enquête.

Frédéric Barreyre : Et que reprochent les juges du Pôle génocide à
Paul Barril ?

Benoît Collombat: Des contrats de fournitures d'armes et de munitions
pendant le génocide, des documents découverts lors de perquisitions au
domicile de Paul Barril par le juge Trévidic qui enquête, lui, sur
l'attentat contre l'avion du président Habyarimana

Frédéric Barreyre : Et comment Paul Barril arrive au Rwanda, Benoît ?

Benoît Collombat: Alors selon Barril c'est François de Grossouvre,
l'homme de l'ombre de François Mitterrand à l'Élysée qui lui met le
pied à l'étrier au Rwanda au service du Président Habyarimana. Nous
sommes au début des années 90 et c'est à ce moment-là que Barril
bascule, selon son ancien chef au GIGN, Christian Prouteau.

Christian Prouteau : Je dis qu'il est passé du côté obscur, en faisant
référence bien sûr à la grande série de cinéma, la guerre des étoiles.

Benoît Collombat: Le côté obscur de la force ?

Christian Prouteau : Le côté obscur de la force c'est-à-dire que, il a
eu par rapport aux idéaux que nous défendions, nous, il a eu un
cheminement complètement différent. Il est passé sur la défense de ses
propres intérêts à travers des moyens qui lui sont personnels.

Benoît Collombat : Alors officiellement Paul Barril est chargé d'infiltrer les
rebelles du FPR, le Front patriotique rwandais, en guerre contre le
régime Habyarimana qui, lui, est soutenu militairement par la
France. Mais la justice se demande si le rôle de Barril n'est pas
allé plus loin comme le montrent des contrats et des factures de
fournitures d'hommes, d'armes et de munitions entre le gouvernement
extrémiste hutu et la société de Paul Barril et ça, malgré l'embargo
sur les armes des Nations Unies. Pour l'avocat de l'actuel régime de
Kigali, Bernard Maingain, tout cela montre que Barril aurait bien joué
un rôle clé entre la France officielle et les extrémistes du régime
Habyarimana.

Bernard Maingain : Son rôle va toujours être du côté de ceux qui vont
réaliser le génocide et de ceux qui vont tenter de le nier après sa
réalisation. Aujourd'hui la question qui se pose concernant Barril
c'est jusqu'à quel point il a été complice d'un régime
génocidaire. Imaginer que monsieur Barril soit sans lien et sans
soutien à l'intérieur de l'appareil d'Etat français est une très
grave erreur d'analyse. Ce n'est pas un électron libre. La question
est jusqu'où vont ses soutiens et ses appuis, ses coopérations, côté
armée, côté Élysée et côté services de renseignement.

Frédéric Barreyre : Juste après l'attentat contre l'avion du président
rwandais, Barril joue un rôle assez trouble en se présentant comme
l'enquêteur personnel de la veuve du président Habyarimana, Agathe
Habyarimana, elle-même accusée d'avoir des liens avec le noyau dur des
extrémistes hutu. Aujourd'hui son avocat Philippe Meillac prend
légèrement ces distances avec Paul Barril.


Philippe Meillac : Je vois pas pourquoi elle aurait été au courant des
activités de Paul Barril pendant le génocide. Paul Barril s'est
présenté à elle dans un moment où elle était effondrée. Si ce qu'on
dit sur lui dans le cadre des procédures en cours, ce serait évidemment
Paul Barril qui a cherché à utiliser Agathe Habyarimana et pas le
contraire.

Frédéric Barreyre: Alors Benoît que répond Paul Barril à ces
accusations de trafics d'armes ?

Benoît Collombat : Alors devant le juge Trévidic il a nié le moindre soutien
logistique aux génocidaires, Paul Barril qui s'exprime pour la première fois à
notre micro depuis sa mise en cause judiciaire.

Paul Barril : Je n'ai jamais vendu une cartouche ou une arme. Ça se
saurait. Tout ça c'est des fantasmes et la société SECRETS, elle est
habilitée Défense nationale, on est sous contrôle du ministère de la
Défense. C'est impossible de vendre sans autorisation. Et je vous pose
la question. Vous me parlez de contrats d'armes. Je vous dis,
dites-moi les armes, dites-moi la société qui les a transportées,
comment c'est arrivé.

Benoît Collombat : Alors il y a par exemple un contrat du 28 mai 1994
qui aurait été signé, contrat de fourniture d'armes et de munitions
avec la fourniture d'une vingtaine d'hommes, plus de 3 millions de
dollars, est-ce que ce contrat a été exécuté ?

Paul Barril: Mais jamais, j'en ai même pas connaissance. Quelles armes,
quelles munitions ?

Benoît Collombat : Obus de mortiers, grenades

Paul Barril : Vous êtes en train de me dire, Barril a transporté la tour
Eiffel. Il y en a qu'une, ça se saurait. Pas de munitions, pas
d'armements, c'est pas mon rôle. Vous croyez que la France a besoin
d'un capitaine Barril. Je ne suis pas un vendeur.

Benoît Collombat : Paul Barril nous assure qu'il n'est resté que 5
jours au Rwanda entre 1990 et 1994, mais plusieurs témoins disent
l'avoir vu sur le terrain à cette époque y compris parfois des
militaires comme le colonel Denis Roux qui a formé la garde
présidentielle du Président Habyarimana. Il se souvient avoir croisé
Barril lors de son arrivée au Rwanda en août 1991.

Denis Roux : Je me souviens l'avoir croisé une seule fois, c'est à mon
arrivée au Rwanda, le jour de mon arrivée, il était à l'aéroport. On
s'est salué, puisque lui devait me connaître comme moi, moi bien entendu,
comme beaucoup, nous le connaissions, et ça en est resté là.

Benoît Collombat : Oui, Paul Barril bien renseigné mais apparemmemnt
surveillé par les services secrets français notamment la DGSE.


Frédéric Barreyre : Alors vous l'avez évoqué Benoît, son rôle dans
l'enquête sur l'attentat contre le président Habyarimana est également
très controversé. Oui Barril désigne le FPR et Paul Kagame, l'actuel
président rwandais, comme l'auteur de l'attentat tout comme le juge
Bruguière qui enquête le premier sur cette affaire. Sauf que l'enquête
actuelle du juge Trévidic s'oriente plutôt vers les extrémistes
hutu. Une expertise ballistique désigne le camp de la garde
présidentielle comme l'endroit probable d'où sont partis les
missiles. Paul Barril dément formellement le moindre lien avec
l'attentat ou avec des mercenaires. Mais Laurent Curt, l'avocat de la
veuve du pilote français de l'avion abattu, s'interrroge.

Laurent Curt : Monsieur Barril a maintes fois déclaré qu'il ne se
trouvait pas dans le secteur du Rwanda à l'époque de l'attentat or
nous avons des éléments au dossier qui permettent d'affirmer que
monsieur Héraut le pilote, le commandant de bord de l'avion l'avait
aperçu dans les 8 jours qui ont précédé le 6 avril 94 sur le tarmac
de l'aéroport de Kigali. Ça veut dire que monsieur Barril avait ses
entrées à l'aéroport de Kigali.

Benoît Collombat : Impossible, je n'étais pas au Rwanda à l'époque
répond Paul Barril.

Paul Barril : J'étais en Amérique au Qadza (???) Je suis parti en
Concorde. J'avais une mission pour la GMF. Il y a dix personnes qui
sont témoins que j'ai été en Amérique. Le contrôle des passeports en
Amérique en fait foi ainsi que je l'ai prouvé au juge.

Benoît Collombat : Donc le 6 avril 94 vous dites que vous étiez aux
Etats-Unis et pas au Rwanda.

Paul Barril : J'étais aux Etats-Unis depuis plus d'une semaine et j'y suis
resté encore une semaine après.

Benoît Collombat : Oui, mais la justice le soupçonne de disposer à l'époque d'un
deuxième passeport qu'il aurait donc pu éventuellement utiliser. Le
mystère Barril est encore loin d'être encore levé.

Frédéric Barreyre : Merci Benoît Collombat. L'enquête de la rédaction
à retrouver sur franceinter.fr

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024