Fiche du document numéro 5153

Num
5153
Date
Vendredi 11 novembre 2011
Amj
Taille
132316
Titre
Rwanda : L'homme qui dit que Kagamé lui a dit...
Soustitre
Faustin Kagamé est consultant en communication à la présidence de la République du Rwanda.
Source
Type
Langue
FR
Citation
La presse a récemment fait état des révélations d'un homme
affirmant que le président rwandais Paul Kagamé lui aurait
fait une étonnante confidence. Celle d'avoir organisé
lui-même l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion de
l'ex-président Juvénal Habyarimana, son prédécesseur. Livrés
par son ancien directeur de cabinet Théogène Rudasingwa des
années après sa défection, les épanchements attribués à un
président dont le « goût du secret » était cité comme un
trait dominant de son caractère jusqu'ici, soulèvent les
réserves qui s'imposent : passé à l'opposition la plus
virulente contre Kagamé, son ancien assistant peut très bien
vouloir régler des comptes personnels hérités d'une
collaboration qui a mal tourné.

Attribuer l'attentat qui donna le signal du génocide à
l'homme qui en a sauvé les survivants ne manque pas
d'intérêt pour tout le monde. Si la preuve pouvait être
faite que Kagamé était bien le commanditaire de l'attentat
qui fut, selon ses auteurs, « la cause du génocide de son
ethnie
 », ces derniers verraient l'occasion d'une
circonstance atténuante sinon d'une justification en leur
faveur, via une démonstration par le cynisme supposé sans
limites de leur pire ennemi. Parallèlement, le soutien des
dirigeants français de l'époque aux extrémistes hutus qui
ont commis le génocide en serait revu dans le sens que
certains à Paris souhaitent.

La répercussion dans la presse des « aveux » attribués par
M. Rudasingwa au président rwandais pose problème. Depuis
quand une accusation gravissime tirée d'une confidence
parfaitement invérifiable est-elle diffusée sous les
apparences d'une information sérieuse ? En l'absence de la
moindre preuve pouvant conforter ses dires - puisque ce sera
toujours « parole contre parole » dans l'intimité à deux -
un autre sera-t-il publié aussi généreusement demain s'il
révèle que Rudasingwa a rétracté ses confidences en sa seule
présence ? Si oui, on imagine que plein de gens se
porteraient volontaires, mais à quoi ressemblerait donc
l'information si pareilles méthodes devenaient la règle?

Reste l'épave du Falcon 50 offert par la France à
l'ex-président Habyarimana, seul élément matériel
exploitable de toute enquête. Posé à l'endroit même où il
vint s'écraser en cette soirée fatidique du 6 avril 1994, le
grand volatile de métal vient de passer 17 années à la
disposition du premier enquêteur désireux de l'ausculter
(*). Trois équipes venues de l'étranger s'y sont collées :
celle qui fut mandatée par la Mission parlementaire
française d'information sur le Rwanda en septembre 1998 ;
celle d'une équipe de l'Université britannique de Cransfield
qui a produit une analyse balistique publiée en janvier 2010
; et celle du juge Marc Trévidic en septembre 2010 pour
finir, mandaté par la France pour poursuivre et finaliser le
travail de son collègue Bruguière. Rappelons que cette
enquête est menée à charge contre le président Kagamé et
neuf de ses collaborateurs. On l'a déjà dit, ses conclusions
sont attendues d'un moment à l'autre. Serions-nous dans le
timing parfait pour une manipulation de dernière minute ?

Il n'est pas interdit de poser les bonnes questions dans
cette affaire. Comme celle-ci par exemple. Si Paul Kagamé
était le commanditaire de l'attentat, par quel mystère
laisserait-il en place, 17 années durant, le seul élément de
preuve capable de le confondre ? Sans que rien ni personne
ne l'y oblige, quel coupable agirait-il de la sorte ? C'est
en pleine bataille de Kigali le 21 mai 1994, que l'armée
alors commandée par le général Kagamé a pris le contrôle de
la zone de l'aéroport où se trouvait l'épave jamais déplacée
du Falcon abattu le 6 avril 1994. Auteurs supposés d'un
crime aux conséquences effroyables, les soldats du FPR
avaient tout loisir d'en effacer les traces susceptibles de
faire éclater la vérité un jour ou l'autre.



À la faveur des combats qui ont duré jusqu'au 4 juillet 1994
en ville de Kigali surtout, la carcasse de l'avion pouvait
se faire réduire en poudre d'alumine sans que personne ne
s'en étonne. Au lieu de cela, elle reste exposée au grand
air des collines depuis 17 ans. Si vous passez par Kigali un
jour, prenez le temps de visiter l'épave du Falcon en vous
posant comme moi cette question : s'ils avaient vraiment
descendu cet avion, pourquoi diable les dirigeants rwandais
auraient-ils laissé tout ceci en place ? Un dicton qu'on dit
chinois pourrait sans doute expliquer ce mystère. « Quand le
sage lève le doigt pour montrer la lune, l'étourdi regarde
le doigt
 ».

(*) Grâce aux impacts laissés par le tir fatal, l'épave de
l'avion peut permettre la localisation du tireur et partant,
son identification en fonction des positions occupées par
les uns et les autres le 6 avril 1994 vers 20 heures.

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