Fiche du document numéro 513

Num
513
Date
Vendredi 14 mars 1997
Amj
Taille
197671
Titre
Audition du colonel Marchal par la Commission d'enquête parlementaire du Sénat belge
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Audition
Langue
FR
Citation
SENAT DE BELGIQUE

SESSION ORDINAIRE 1996 - 1997

Commission d'enquête parlementaire concernant les évŽnements du
Rwanda

COMPTE RENDU ANALYTIQUE
DES AUDITIONS

Vendredi 14 Mars 1997

SOMMAIRE
AUDITION DU CAPITAINE DE CUYPER
(Orateurs : Capt. De Cuyper ; MM. Mahoux, Verhofstadt et Anciaux)
AUDITION DU COLONEL MARCHAL
(Orateurs : Col. Marchal ; MM. Mahoux, Verhofstadt, Caluwé, Jonckheer, Desteche,
Ceder, Hostekint et Anciaux ; Mme Dua et Willame-Boonen)

Le Compte rendu analytique des auditions qui se déroulent ˆ huis clos
est distribué uniquement aux membres de la commission

1

PRESIDENCE DE M. SWAELEN, PRESIDENT

La réunion est ouverte à 14 h 35 m.

AUDITION DU CAPITAINE DE CUYPER

M. le Président.- Nous recevons cet aprês-midi le capitaine De Cuyper qui a succédé
au lieutenant Nees comme S 2 au sein de KIBAT 2. Capitaine, pouvez-vous nous fournir des
informations sur le climat anti-Belge qui existait, ou non, à Kigali, et sur le génocide ?
M. Hostekint (SP) (en néerlandais).- Bien que le capitaine De Cuyper se soit excusé en
raison d'un examen, il était quand même présent.
M. le Président.- Ce jour-là, le capitaine devait encore présenter un examen. C'est
pourquoi non avons décidé de ne pas l'entendre ce matin-là. Nous l'avons cependant vu
l'après-midi. Par ailleurs, c'est le capitaine qui a alors demandé lui-même à être entendu.
Capt. De Cuyper (en néerlandais).- Je n'ai jamais demandé à être entendu ce jour-là. La
seule chose que j'ai demandée, c'est de pouvoir consulter mes documents. Je voudrais d'abord
présenter mes condoléances aux familles des paras et des victimes rwandaises. Ces
condoléances sont l'expression d'un mea culpa car je crois que de nombreuses informations
écrites n'ont pas été transmises à cette commission. Il s'agit, notamment, de mes rapports des
réunions quotidiennes transmis à mon chef de corps et de ma documentation personnelle.
Tous ces documents ont été remis à l'auditeur de Liège en 1994.
Ma façon de travailler était tout à fait identique à celle du lieutenant Nees. Je n'ai ajouté
que quelques informations supplémentaires. Je pouvais aisément savoir ce qui avait été dit et
par qui. Au moyen d'un réseau constitué d'un certain nombre de hauts fonctionnaires, j'ai
seulement voulu savoir s'ils pouvaient confirmer ce qui avait été dit lors de certaines réunions.
Pour le reste, j'obtenais des informations par le biais des commandants de compagnie, de
réunions politiques et de personnalités.
La façon dont l'information circulait a changé lors de l'arrivée de KIBAT II. J'ai
communiqué des informations secrètes et confidentielles au commandant de KIBAT II, lequel
ne transmettait à son tour que les informations confidentielles. Seul le commandant de KIBAT
II disposait donc d'informations secrètes. Le CITREP quotidien contenait seulement des
informations confidentielles.
Je ne participais pas aux débats lors des réunions hebdomadaires de la gendarmerie. Il n'y
était qu'observateur. J'ai cependant averti le commandant de KIBAT II que ces réunions
n'avaient aucune valeur, étant donné que le général-major de la gendarmerie éludait toutes les
questions et remarques à quelques rares exceptions près. Aucun membre ne s'y est opposé, à
l'exception de deux membres d'UNCEFPOL.

2

Le colonel français Dany assistait également aux réunions. Il intervenait régulièrement
pour soutenir le général-major. Des réunions hebdomadaires se tenaient régulièrement au
secteur. On n'y a jamais rien dit d'intéressant et je n'ai guère pu prendre la garde. Aucune
information ni analyse ne nous parvenaient d'en haut. Je pense que le colonel Dewez ne
pouvait s'appuyer que sur les informations que je lui transmettais. En tout cas, il n'a jamais pu
me fournir des informations complémentaires.
Dans la vie quotidienne, je n'ai pas été confronté à des sentiments anti-Belges; En tant
qu'officier belge de la MINUAR, je n'ai pas rencontré de problêmes. En revanche, j'ai ressenti
une certaine réticence. Dans certains milieux proches du pouvoir, on considérait les Belges à
Kigali comme des intrus un peu trop curieux. Lorsque je suis arrivé le 10 mars, je savais
seulement que des événements s'étaient déroulés à Kigali grâce aux informations contenues
dans les dossiers du lieutenant Nees.
(Poursuivant en français.)
Les Tutsis étaient contents parce que les paras ne faisaient rien ou étaient qualifiés
d'agressifs et cruels. Cette information m'a été donnée par un informateur et a été confirmée
par RTLM.
D'autre part, les Belges filmaient dans la rue, ce qui paraissait correspondre à une
préparation de positions de combat. RTLM a fourni, le 28 mars, deux informations à
l'encontre des Belges. La première était que "M. Hans" aurait dit que les Belges se mêlaient
de choses qui ne les regardaient pas. La seconde concernait l'existence d'une lettre au secrétaire
général de l'ONU qui contenait des critiques concernant les Belges.
En ce qui concerne les massacres et le génocide, il faut savoir que, dans les partis
politiques, les différentes tendances étaient bien identifiables. Dans le CDR, par exemple, il y
avait des jeunes connus pour leur violence et leur cruauté. Dans tous les partis finalement, il y
avait des partisans et des opposants au FPR.
L'opinion générale était que la présidence mettait des bâtons dans les roues de manière
systématique mais indirecte. Par exemple, nous savions que le poste de ministre le la justice
était souhaité par M. Ndasingwa mais que c'était inacceptable pour le gouvernement. Dès le 15
mars, je savais que si M. Ndasingwa était nommé au poste de ministre de la justice, il serait
assassiné.
Au sein du MDR, il y avait également des problèmes. Le MDR considérait notamment
que Mme Agathe était une dissidente.
Au PSD, il y avait également une opposition entre les jeunes et les anciens du parti
concernant la relève d'un des responsables.
Enfin, M. Twagiramungu désirait se rendre dans le nord du pays mais n'avait jamais reçu
les garanties nécessaires concernant sa sécurité.
Chaque parti avait ses demandes et ses divergences internes. On annonçait que le
gouvernement de transition allait se mettre en place mais, dans le même temps, je disais à mon
chef de corps que cela n'allait pas être possible.

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En ce qui concerne le massacre de la nuit du 6 avril, je n'ai jamais vu de liste relative aux
"gens à abattre". Ce sont toujours les mêmes noms qui revenaient et cette liste était
parfaitement établie sans être écrite. De plus, depuis 1993, un document existait concernant le
réseau zéro, document dans lequel les personnes concernées par les massacres étaient
nommées.
Nous étions en possession d'informations relatives aux préparatifs et je dois également
mettre l'accent sur un camp d'entraînement bien connu où les jeunes étaient menés par les bus
de l'Onatracom.
En ce qui concerne les caches d'armes, nous disposions également d'informations très
précises mais l'autorisation d'organiser des recherches nous a été refusée catégoriquement.
M. Mahoux (PS).- Par qui ?
Capt. De Cuyper.- Une première fois, cela m'a été refusé par le colonel Dewez qui,
semble-t-il, en avait référé à ses supérieurs et, la seconde fois, le non a été immédiat.
J'ai été en possession de tracts du FPR dénonçant le génocide qui se préparait,
demandant aux Tutsis de s'armer de la même manière que les autres jeunes.
A plusieurs reprises, on m'a signalé que des Tutsis avaient peur et qu'ils se réfugiaient
auprès de Hutus modérés. J'ai aussi appris que les jeunes du MRND, du CDR et du PL se
préparaient à faire des massacres. Du côté du FPR, j'ai été informé que les Tutsis distribuaient
des armes dans leurs groupes de jeunes.
Quant à la responsabilité des événements, je crois qu'il faut la trouver dans la mouvance
présidentielle avec M. Bagosora et d'autres rwandais mais aussi avec le Français Danis. Sont
responsables aussi tous ceux qui ont participé à l'organisation des groupes de jeunes et à la
mise en place de RTLM. Il faut souligner que jamais nous n'avons agi contre la mise en place
de ces organismes.
Je voudrais aussi parler des événements du 6 au 7 avril. Mais je souhaite le faire à huis
clos.
M. Mahoux.(PS).- Vous avez envoyé ces informations directement au colonel Dewez ?
Utilisez-vous toujours le même circuit ? Ces informations ont-elles été transmises ?
Capt. De Cuyper.- Mes responsabilités sont de transmettre mes renseignements à mon
chef de corps, je n'ai aucun contrôle sur ce qui est transmis au-delà.
Je sélectionnais les informations à mon niveau et j'en faisais un rapport complet à mon
commandant de corps. Je suis toutefois en possession de quelques documents personnels
confidentiels. J'ai remis les documents secrets à l'auditorat de Liège en 1994. Je suis prêt à en
discuter à huis clos.
Je n'ai pas collaboré avec le colonel Leroy. Nous avons seulement séjourné une semaine
ensemble au Rwanda durant la phase de suivi.

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M. Verhofstadt (VLD) (en néerlandais).- Les déclarations du capitaine De Cuyper
devant cette commission divergent de celles faites à l'auditorat général le 6 décembre 1995. Il
est donc impérieux de réclamer les documents en question à l'auditorat général. Le capitaine De
Cuyper a-t-il remis les documents secrets lors de l'interrogatoire à l'auditorat général le 6
décembre 1995 ?
Capt. De Cuyper (en néerlandais).- Je les ai remis en 1994.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais).- La commission peut-elle disposer à présent des
documents confidentiels auxquels vous faites référence ?
Capt. De Cuyper (en néerlandais).- L'autorité militaire m'a donné l'instruction de ne
fournir aucun document pour le moment.
(Poursuivant en français.)
Selon cette note, je dois donc demander au cabinet l'autorisation de transmettre quelque
document que ce soit qui m'avait été remis sous le sceau du secret. Je vous donne volontiers un
exemplaire de cette note.
M. le Président.- Il semble que les documents dont on a parlé aujourd'hui présentent
un intérêt suffisant pour les réclamer auprès du cabinet de la défense nationale.
M. Anciaux (vu) (en néerlandais).- Quelles garanties avons-nous de voir parvenir à la
commission tous ces documents, qui existent bel et bien, puisqu'ils ont été transmis à
l'auditorat ? En effet, ils doivent d'abord transiter par quatre ou cinq personnes. Comment
pouvons-nous être certains que rien ne disparaîtra ?
M. Mahoux (PS). - Je suis frappé par une chose. Par rapport à ce que nous savions
déjà, je ne trouve pas d'informations particulières.
Vous faites état de rapports à deux niveaux : au colonel Dewez, ce qui est la voie
normale, et ultérieurement, en décembre 1994, à l'auditorat militaire de Liège. Les informations
dont vous faites état sont d'importance mais nous ne les avons pas reçues dans les documents
qui émanent de vous. Nous vous demandons pourquoi nous ne trouvons pas ces documents et
pourquoi vous avez fait des démarches vers l'auditorat militaire de Liège au mois de novembre
'94.
Capt. De Cuyper. - Je ne puis préciser la date, sinon qu'il s'agit de 1994. J'ai été appelé
à deux reprises par l'auditorat militaire de Liège, comme d'autres militaires d'ailleurs, une fois
par le Comité I à Bruxelles et deux à trois fois par l'auditorat de Bruxelles, concernant les
auditeurs relatives au procès Marchal.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais). - Je demande une suspension de séance.
(Assentiment)
La réunion, suspendue à 15 h 20 m, est reprise à 15h55m.

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M. le Président. - La commission a décidé de demander au ministre de la défense
nationale que les rapports secrets et confidentiels dont dispose le capitaine De Cuyper soient
transmis à la commission.
L'auditeur militaire demandera à la commission si les documents qu'il possède et qui
figurent peut-être dans le dossier du procès Marchal peuvent être portés à la connaissance de
la commission.
Dans la lettre de l'état-major de la force terrestre adressée au capitaine De Cuyper, fixant
les conditions de divulgation des informations, on fait référence à deux notes précédentes
contenant des instructions. Nous demanderons une copie de ces instructions.
Nous proposons que le général Duchatelet, commandant militaire du Palais de la Nation,
réceptionne les documents du capitaine De Cuyper et les mette en lieu sûr tant que nous
n'avons pas reçu l'autorisation du ministre de la défense nationale de les transmettre à la
commission.
L'incident est ainsi clos. Nous déciderons ultérieurement s'il y a lieu d'entendre le
capitaine De Cuyper à huis clos. Je le remercie d'être venu.

AUDITION DU COLONEL MARCHAL

M. le Président. - L'audition de ce jour comportera des questions sur le climat et la
campagne anti-belges, leurs répercussions sur les menaces vis-à-vis des Casques bleus et des
expatriés belges, ainsi que la préparation du génocide.
M. Destexhe (PRL-FDF). - Je voudrais d'abord obtenir quelques précisions sur le
commandement. Il s'agissait d'une mission de l'ONU dont le commandement était confié au
général Dallaire. J'ai retenu 5 exemples où, soit vous n'avez pas appliqué les directives du
général Dallaire, soit vous êtes allé demander des directives à Bruxelles.
Ces 5 exemples concernent la manifestation du 8 janvier où vous avez refusé de
disperser une foule; vous avez aussi refusé de participer à la garde des forces FPR, de Kigali;
vous ne demandiez plus d'autorisation pour les règles d'engagement concernant la "crowd
control", vous avez adressé des messages à Bruxelles; vous avez enfin envoyé un message, le
15 janvier, pour demander des directives à Bruxelles en cas d'explosion de la situation sur
l'attitude à adopter à l'égard des expatriés belges.
Col. Marchal. - La chaîne de commandement de l'ONU était très présente et je veux
souligner la qualité de mes relations avec le général Dallaire que je voyais presque
quotidiennement. Je ne menais certainement pas, au sein de la MINUAR, une politique
indépendante.
C'est l'aspect "sécurité" qui m'a guidé dans ma réaction concernant la manifestation du 8
janvier. Le maintien de l'ordre ne faisait pas partie de l'entraînement reçu, ce qui est normal
puisque depuis des années le maintien de l'ordre qui requiert des techniques particulières, fait
partie des prérogatives de la gendarmerie.

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Un autre aspect réside dans le respect de notre statut. Nous étions présents à Kigali
pour maintenir l'ordre et pour contribuer à son maintien. C'était donc bien le travail de la
gendarmerie. Je reviendrai plus tard sur l'opinion selon laquelle la gendarmerie adoptait une
attitude de laisser-faire, dire et agir.
Le 8 janvier, j'étais en contact avec le général Ndindiliyimana qui commandait la
gendarmerie et qui a négocié avec les manifestants, ce qui est une pratique qui est appliquée
également en Belgique. J'estime donc qu'au niveau du commandement, il y avait des actions
responsables.
Concernant le climat anti-Belge, je voudrais signaler que la manifestation du 8 janvier
était la première du genre à Kigali. Si le détachement belge s'était engagé dans ce type
d'opération, le climat anti-Belge aurait connu une poussée de fièvre.
J'ai interrogé Bruxelles afin de demander de m'appuyer, cette intervention me semblait
contraire aux intérêts Belges mais aussi de la MINUAR. En conséquence, le général Dallaire n'a
pas insisté et a accepté d'éviter l'implication dans ce type d'engagement. Malgré cela, il n'y a
jamais renoncé totalement, mais je ne pouvais marquer mon accord. C'est pour cela que j'ai eu
recours à la Belgique, afin d'obtenir des ordres sur un plan purement national. Cette attitude a
d'ailleurs été également adoptée par le bataillon bangladais.
En ce qui concerne la garde du FPR, ma réaction procède du climat à l'époque durant
laquelle il ne fallait pas activer sentiment anti-Belge, j'ai d'ailleurs eu une discussion le général
Dallaire qui a convenu qu'il n'était pas approprié que des Belges assurent la garde du bataillon
FPR.
En ce qui concerne les règles d'engagements, il s'agit pour moi de rêgles qui sont du
ressort du chef opérationnel. J'ai été positivement surpris d'entendre le raisonnement du
général Briquemont qui est identique au mien. Notre attitude était de ne pas tenir compte des
règles d'engagement au sens propre. D'ailleurs si on lit ces règles, on se rend compte qu'elles ne
sont pas si contraignantes que cela. A Kigali, j'avais toujours les règles d'engagement dans ma
mallette et quand je vois les dispositions relatives à l'utilisation des armes, j'estime que toutes
les possibilités étaient ouvertes.
En ce qui concerne le statut ma première demande remonte au 15 janvier. Elle porte sur
les conséquences d'une dégradation de la situation et de l'accroissement du danger pour nos
expatriés et même pour la communauté des expatriés.
La manifestation du 8 janvier m'a inquiété car le mouvement de foule était non
maîtrisable. J'ai alors essayé d'exprimer mon inquiétude en demandant des directives au cas où la situation devrait encore s'aggraver. Je n'ai jamais obtenu de réponse satisfaisante à ma
demande du 15 janvier. A la mi-mars, je suis allé trouver l'ambassadeur et lui ai expliqué que
j'avais demandé des directives mais qu'aucune réponse satisfaisante ne m'avait été fournie. J'ai
souhaité qu'il intervienne via le ministère des affaires étrangères pour mettre ce point à l'ordre
du jour de la réunion du jeudi suivant, à Bruxelles. Le 20 mars, j'ai confirmé la teneur de nos
entretiens et de mes préoccupations à l'ambassadeur. II était temps que Bruxelles se préoccupe
du problème. Je me demandais si, en cas de problêmes, il convenait de garder mon béret bleu
ou de remettre mon béret belge pour avoir une attitude nationale.

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Je crois avoir fait preuve de responsabilité en avertissant les autorités sur la situation
que je prévoyais et qui malheureusement s'est présentée quelques jours plus tard. J'estimais
que les problêmes posés étaient importants pour la sécurité du détachement. J'étais
commandant ONU mais aussi Belge. Ma mission m'imposait en outre de préserver la sécurité
des expatriés belges.
M. Mahoux (PS). - Vous considériez que Bruxelles avait son mot à dire dans
l'interprétation de la mission.
Je fais référence à une communication téléphonique cryptée du 13 janvier.
(Poursuivant en néerlandais.)
Vous écrivez: dois-je suivre les instructions onusiennes ou les directives belges pour
l'évacuation des compatriotes ? La situation peut basculer. Je demande des directives précises.
(Poursuivant en français.)
Devant la Cour militaire, vous dites ne pas avoir reçu de réponse. Le 15 janvier 1994, le
Cops vous envoie un message précisant la portée du mandat. Vous devez assurer la sécurité du
personnel militaire ainsi que la protection de la communauté internationale des expatriés.
Avez-vous reçu ce message ?
Col. Marchal. - Oui, mais il n'était pas satisfaisant.
M. Mahoux (PS). - Pourquoi estimez-vous que cela ne suffisait pas comme réponse ?
Col. Marchal. - Le fond du problème était différent. Je voulais savoir si l'évacuation se
passait mal, ce qu'il convenait de faire. C'était un problème de statut.
M. Verhofstadt (VLD). - C'est effectivement une question de statut. Vous souhaitiez
qu'on vous précise si vous travailliez sous statut ONU ou belge ?
Col. Marchal. - Oui, car suite à la manifestation du 8 janvier, je me suis rendu compte
qu'on n'avait pas les moyens pour faire face à cette situation de crise.
M. Mahoux (PS). - Vous considérez qu'on ne vous a pas fourni une réponse sur les
moyens d'actions ?
Col. Marchal. - Je voulais recevoir des directives pour savoir ce qu'en cas de troubles je
pouvais faire pour l'évacuation des expatriés. Les évacuations précédentes se sont toujours
déroulées convenablement mais, cette fois, je n'étais pas convaincu du résultat. Le propre d'un
responsable est de prévoir les cas de force majeure.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais). - Pourquoi la réponse ne suffisait-elle pas ? Elle
semble pourtant suggérer que la protection des expatriés relevait bel et bien du mandat de la
MINUAR. Ne pouviez-vous pas mettre tout en Ïuvre pour assurer une évacuation optimale
sous le mandat de la MINUAR ?

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Col. Marchal. - Je dois vous dire que je n'ai jamais eu d'hésitation quant à la valeur
militaire du général Dallaire.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais). - Est-ce également dû au fait que vous faisiez peu
confiance au général Dallaire en ce qui concerne l'évacuation de tous les étrangers présents ?
Col. Marchal. - Le 8 janvier, nous étions encore au début de la mission. Il n'existait pas
de plan d'évacuation. Par après, un plan a été mis sur papier par le secteur Kigali. J'ai dit que je
n'étais pas satisfait de celui-ci au général Dallaire et c'est mon quartier général qui a peaufiné le
plan. Le colonel Kesteloot l'a réalisé.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais). - Cela signifie-t-il que le général Dallaire, qui était
responsable, n'avait pas prévu de plan d'évacuation totalement sûr ?
Col. Marchal. - J'ai l'expérience pour les évacuations. En 1978, j'ai déjà opéré à
Kolwezi. Le général Dallaire n'avait aucune expérience en la matière. Le 1er avril, nous avons
"briefé" la communauté des expatriés, non seulement les Belges mais également les autres. Les
Français voulaient être certains que le plan d'évacuation leur convenait. Après discussion et
légère adaptation; ils ont marqué leur accord sur ce plan.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais). - Ce plan a-t-il finalement été exécuté ?
Col. Marchal (en néerlandais). - Non.
M. Jonckheer (Ecolo). - Tout peut basculer, dites-vous. La date du 15 janvier
correspond à celle donnée par les informations de "Jean-Pierre". Selon vous, la mission de la
MINUAR prenait fin à cette date. Envisagiez-vous une guerre civile ?
Col. Marchal. - La situation au 15 janvier est préoccupante. Le gouvernement et les
institutions prévues par les accords d'Arusha n'étaient pas en place et le point de vue des
parties se radicalisait. J'essayais d'apporter une réponse à d'éventuelles conséquences de cette
situation.
M. Jonckheer (Ecolo). - Vos préoccupations concernaient non seulement les expatriés
belges mais également l'ensemble de la communauté des expatriés.
Vous avez parlé d'un plan qui risquait d'entraîner de nombreuses victimes. Vous aviez
manifestement fait une analyse de l'ensemble de la situation politique.
M. Destexhe (PRL-FDF) ). - Vous nous dites qu'au début du mois d'avril, on sentait la
volonté de mettre en place le gouvernement de transition et que tout allait pour le mieux.
Cependant, on relève dans vos notes une douzaine d'allusions à des blocages dus
essentiellement à la mouvance présidentielle.
Le 21 février, vous écrivez dans votre rapport que le message de fermeté du ministre
Claes a été reçu "cinq sur cinq" par les autorités rwandaises. Deux jours plus tard, le pays
plongeait dans la violence. Le 23 mars 1994, vous avez rencontré un membre de cabinet
ministériel qui vous assure que le gouvernement de transition sera bien mis en place.

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Col. Marchal. - J'ai toujours essayé de faire preuve de réalisme. Ainsi, si j'ai déclaré le
21 février que j'étais certain que le gouvernement de transition serait mis en place, j'ai par la
suite toujours exprimé un doute. Dans ma note du 23 mars, j'insiste sur le fait que les jours à
venir seraient ceux de tous les dangers. Les 24 et 27 mars, j'ai encore laissé planer le doute,
tout en continuant a espérer le gouvernement de transition.
Ceci explique pourquoi toute notre énergie était focalisée sur la réalisation de cet objectif
et que nous avons dû accepter de vivre avec le problème des caches d'armes. La phase 1, qui
comprenait la mise en place de ce gouvernement, devait être terminée pour le 31 janvier.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais). - Avez-vous reçu des documents du capitaine De
Cuyper ?
Au cours de la séance précédente, vous avez tenu des propos plutôt rassurants en ce qui
concerne la période du mois de mars. Ce matin, nous avons appris de plusieurs parlementaires
faisant partie de la délégation que vous ne leur aviez pas communiqué de nouvelles alarmantes,
alors qu'ils avaient entendu de la bouche de certains témoins que la situation était très
explosive. Comment expliquez-vous cette distorsion entre les informations que vous avez
communiquées à la délégation parlementaire et la situation sur le terrain ?
Mme Willame-Boonen (PSC). - Avez-vous parlé de cela au ministre Delcroix ?
Col. Marchal. - Non, mais j'ai eu l'occasion de donner un briefing à la délégation et il y
fut notamment question des faiblesses de la situation. J'ai mentionné ce qui n'allait pas dans
l'exécution de la mission, sans toutefois tenir un langage alarmiste. le suis certain que
l'ensemble des points dont il est aujourd'hui question furent abordés au cours de la visite.
Lors de ce briefing, je n'ai pas pu esquiver une question posée par Colette Braeckman à
propos des caches d'armes. Divers extraits de la presse belge de l'époque montrent que la
situation était claire. Ainsi dans le journal Le Soir, on relevait que la situation n'était pas aussi
simple et que le ministre Delcroix, conscient du malaise, avait demandé à Habyarimana de faire
usage de son autorité pour débloquer la situation. Radio Mille Collines, poursuit la presse,
épingle la moindre bavure. La MINUAR n'a pu empêcher les exécutions et les massacres. M .
Delcroix voudrait obtenir un mandat plus efficace. On retrouvait les mêmes points de vue dans
la presse néerlandophone. Je crois que la presse a bien exprimé les préoccupations.
Mme Dua (Agalev) (en néerlandais). - Ce que la presse écrit n'importe pas pour nous.
Nous voulons savoir ce que vous avez fait et déclaré.
Col. Marchal.ÑLa situation en mars était complètement différente de celle d'avril. En
mars, on la sentait moins tendue. Mais les causes des troubles ne me semblaient pas résolues
au moment de la visite de la délégation parlementaire. Toutefois, les militaires de KIBAT n'ont
pas tenté de masquer la vérité aux sénateurs.
Autant je peut être affirmatif au sujet de documents du lieutenant Nees, autant je ne
peux pas me prononcer sur ceux de De Cuyper. Je ne me souviens pas qu'ils me les aient
transmis. La remise de commandement entre le premier et le deuxième détachement a eu lieu le
20 mars. Jusqu'à cette date, le colonel Dewez n'avait aucune compétence à Kigali.

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M. Verhofstadt (VLD). - Il n'est pas normal qu'un officier s'abstienne de faire un
rapport pendant dix-sept jours.
Col. Marchal. - Il y en a sans doute eu, mais je ne me souviens pas de les avoir vus.
Nous étions conscients que nous nous trouvions sur un baril de poudre. Même si nous avons
exprimé à certains moments de l'optimisme, nous `'avons pas oublié les incertitudes.
Après coup, le briefing que j'ai fait à ce moment peut paraître peu réaliste. Mais le
général Dallaire se trouvait alors à New York pour tenter d'obtenir plus de latitude et, en tant
que responsable militaire, ce n'était pas mon rôle le faire un briefing politique.
Mme Willame-Boonen (PSC). - Vous avez évoqué vos rapports difficiles avec la
gendarmerie rwandaise. Or, il était prévu que la KWSA soit établie en collaboration avec elle
Mais un rapport a été très vite publié, dénonçant la passivité des gendarmes. Plus tard, une
information a été diffusée selon laquelle les caches d'armes avaient été transférées chez les
chefs de la gendarmerie et de l'armée. Suite aux déclarations de Jean Pierre et au refus de l'ONU
de saisir les caches d'armes, vous avez demandé l'aide de la gendarmerie pour opérer ces
saisies. Avez-vous réalisé le double jeu de la gendarmerie très tard ou aviez vous la sensation
de pouvoir compter sur un partenaire fiable ?
Col. Marchal. - En 1990, la gendarmerie se composait de 2 000 hommes formés
notamment par des Français et des Allemands. Suite à la reprise des hostilités en 1990, ses
effectifs ont augmenté et à mon arrivée, j'ai trouvé 6000 gendarmes non formés. Le grand
problème de la gendarmerie mais aussi de l'armée était donc cette augmentation et l'absence
d'une formation adéquate.
Nous n'avons pas fait preuve d'angélisme. Nous étions conscients que, dans la phase 2,
la démobilisation ne se ferait pas sans dég‰ts. Les démobilisés ne seraient certainement pas des
sympathisants du processus de paix et constitueraient des cibles idéales pour la propagande.
La gendarmerie était toutefois un partenaire obligé de la MINUAR. Dans toutes nos actions,
nous devions nous assurer de sa présence car elle seule disposait des prérogatives légales et
pouvait par exemple, opérer des fouilles.
Dès le début, j'ai essayé de me faire une idée de la valeur de ce partenaire. Je n'ai pas
seulement discuté avec Bagosora, j'avais aussi de nombreux contacts avec les ministres. Je
savais cependant que je ne devais attendre aucune collaboration de la part du colonel Bagosora.
Pour les autres autorités, je ne me suis toujours pas fait une religion.
Pendant quatre mois de travail en partenariat avec la gendarmerie, j'ai eu de nombreuses
occasions de me rendre compte si elle joue double jeu ou non.
En ce qui concerne la manifestation du 8 janvier, la gendarmerie n'a pas réagi car la
situation risquait de dégénérer et elle voulait négocier. Dans le courant de la matinée, j'ai pris
contact avec la gendarmerie qui m'a répondu que la manifestation se terminerait à midi. Lors
d'un contact ultérieur la gendarmerie me signale que si la manifestation n'est pas terminée à 13
h 15 m, comme convenu, elle enverra sa compagnie anti-émeute. A 13 h 15 m, tout se termine
finalement dans le calme.

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Lors des autres manifestations jusqu'à fin janvier et lors des cinq jours de troubles du 20
au 25 février, la gendarmerie a véritablement Ò cassé Ó les manifestations, ce qui était un
comportement courageux mais aussi politique.
Au niveau des procédures de travail, nous avions mis au point des dispositifs préventifs
qui concernaient à la fois la gendarmerie et la MINUAR et prévoyaient une coopération sur le
terrain. C'était une manière de maintenir un contrôle.
Mme Willame-Boonen (PSC). - Quelles étaient les Proportions ?
Col. Marchal. - Dans certains cas, nous disposions d'une section, soit dix hommes:
dans d'autres cas, par exemple pour contrôler un carrefour, nous disposions d'un peloton.
Il faut considérer que, pour dix hommes, il y avait quinze gendarmes.
Comme nous ne disposions pas d'effectifs actifs suffisants, nous nous sommes
coordonnés de manière séparée avec les observateurs de l'ONU. Ce système n'était pas parfait
mais représentait une amélioration et un contrôle plus performant.
Des gendarmes ont perdu la vie parce qu'ils ont défendu le processus de paix.
Objectivement, je dois dire qu'à tous les niveaux, il y avait un officier de liaison de la
gendarmerie afin de faciliter notre travail. La qualité de nos relations avec la gendarmerie est
tout à fait différente qu'avec les forces de l'armée.
Je rappelle que le général Ndindiliyimana n'a pas été désigné comme chef d'état major de
la gendarmerie par le président mais que c'est l'opposition qui a demandé qu'il soit nommé.
M. Destexhe (PRL-FDF). - Le général Ndindiliyimana est actuellement inculpé par la
justice belge et bénéficie des soins du CPAS d'une commune de la région bruxelloise. Vous
deviez être prudent car vous en dites beaucoup de bien alors que le rapport ad hoc souligne
des choses beaucoup plus négatives à son sujet. Dans son rapport du 7 février 1994, le
lieutenant Nees décrit une réunion durant laquelle est définie la riposte à apporter.
Le général Ndindiliyimana est présent à cette réunion. Par ailleurs, le professeur
Reyntjens affirme également que le général ne dit pas entièrement la vérité. Quelle est votre
réaction concernant ce rapport du lieutenant Nees ?
Col. Marchal. - Je connais ce document mais je vous livre mon expérience de quatre
mois qui, me semble-t-il, a un certain poids par rapport à ce que disent des personnes qui
n'ont eu aucun contact au niveau de la coordination avec la gendarmerie. Je ne dénigre pas ce
rapport mais je veux simplement donner mon avis.
M. Destexhe (PRL-FDF). - Il ne faut pas écarter l'hypothèse selon laquelle des
personnes de bonne foi et compétentes aient pu se faire duper.
Mme Willame-Boonen (PSC). - Avez-vous la conviction d'avoir été abusé par la
gendarmerie ?
Col. Marchal. - Il est clair que des événements ne peuvent pas être niés, notamment à
partir du 7 avril. Néanmoins, lors de la réunion du 9 avril, qui avait pour but d'arrondir les

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angles entre les autorités gouvernementales et la MINUAR, étaient présents le président, le
ministre de la défense nationale du Rwanda, le colonel Bagosora, le colonel Sagatwa, le général
Nsabimana ainsi que les commandants des bataillons paras de la garde présidentielle et du
bataillon de reconnaissance. Le général Ndindiliyimana n'était pas présent à cette réunion.
En revanche, il était présent à Kigali.
Je suis le seul à pouvoir vous raconter ces circonstances par ce que j'étais le seul à être
présent, parfois accompagné par le colonel Kesteloot.
M. Mahoux (PS). - La gendarmerie opérait-elle de fouilles avec des mandats
judiciaires ?
Col. Marchal. - Les premières fouilles ont été réalisées avec des mandats. Par la suite,
je ne sait pas. Je n'étais pas présent lors de ces fouilles.
Au moment de la visite de la délégation, il y avait effectivement des personnes
déplacées, à l'ETO, par exemple. Nous avons été très actifs pour résorber ce problème. Nous
avons même eu des contacts trois fois par semaine avec les bourgmestres. C'était une de nos
préoccupations quotidiennes.
M. Jonckheer (Ecolo). - Je voudrais que nous ne nous focalisions pas seulement sur les
responsabilités personnelles, mais j'aimerais connaître votre appréciation de la situation du
point de vue de la circulation des armes et des caches d'armes. Quelle est votre évaluation de la
mission de la MINUAR de ce point de vue ? Le protocole de collaboration avec la gendarmerie
qui est annexé au rapport du groupe ad hoc prévoit que vous étiez responsable de l'opération
de consignation des armes, dont la définition est très large puisqu'elle englobe les bâtons et les
gourdins. Deux opérations-saisies des armes ont été tentées sans succès.
Les conditions préalables à l'instauration d'une zone de consignation des armes vous
ont-elles jamais paru remplies ? Quant à moi, je considère que vous n'avez pas pu accomplir
votre mission. Qu'en pensez-vous ?
Col. Marchal. - En effet, la zone de consignation n'a jamais été réalisée comme elle
aurait dû l'être suivant le protocole. Lors de la préparation de ce document, nous avions
conscience que cette opération serait difficile à exécuter.
M. Verhotstodt (VLD). - A l'auditeur général, vous avez dit qu'elle n'avait, en fait
jamais commencé.
Col. Marchal. - Si j'ai dit ça, c'est que je me suis trompé. Il faut aussi voir l'esprit et le
contexte de cette déclaration. La KWSA a été mise en place à partir du 26 décembre, mais il lui
fallait tendre vers la situation prévue par le protocole. Au fil du temps, nous avons remarqué
de sérieux problèmes. le ne suis pas facilement content, mais entre la situation du premier jour
et celle de la fin mars, il y a eu une amélioration. Certes, elle ne fut pas suffisante. Il m'est
arrivé d'envoyer 10 patrouilles en un jour sur le terrain, mais je manquais de moyens et surtout
de soutien politique car, à partir du 10 janvier, on a refusé de continuer à procéder à ce type
d'intervention.

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Les caches existaient et ont continué à exister. La qualité de la mission ne fut pas à la
hauteur des espérances. Cela laissait pendre une épée de Damoclés sur nos têtes car la suite de
notre mission aurait été plus facile sans la menace des armes. De mon point de vue, les
machettes sont des armes.
M. Jonckheer (Ecolo). - Mme Alison Des Forges a fait référence à un rapport de la
CIA daté de janvier 94, qui dressait un scénario possible de massacres d'un demi million de
personnes. Avez-vous eu connaissance de ce rapport ?
Col. Marchal. - Non.
M. Jonckheer (Ecolo). - Je lis dans le compte rendu analytique de la commission que
vous attribuez à M. Booh Booh le titre dé véritable patron et que le général Dallaire ne serait
qu'un exécutant. Expliquez-nous vos relations avec M. Booh Booh et le rôle qu'a joué ce
dernier dans l'interprétation respective des missions de la MINUAR ?
Col. Marchal. - M. Booh Booh est le représentant spécial de l'ONU; Sa tâche est de
faire respecter le mandat. Je n'avais pas de relation directe avec M. Booh Booh, mon
interlocuteur étant le général Dallaire. J'ai toutefois eu l'occasion d'avoir des entretiens
informels avec le représentant spécial de I'ONU, mais pas dans un contexte hiérarchique.
M. Jonckheer (Ecolo). - Qu'avez-vous voulu signifier en disant que le général Dallaire
était un exécutant et que le véritable responsable était M. Booh Booh ?
Col. Marchal. - On ne pouvait s'attaquer par exemple au problème des caches d'armes.
Celles-ci dépendaient l'une directive politique qui ne pouvait émaner que du représentant
spécial de l'ONU.
M. Jonckheer (Ecolo). - Ceci diffère des procédures opérationnelles qui prévoyaient
que la MINUAR procède à la recherche d'armes.
Col. Marchal. - Je suis d'accord avec vous. Une de mes réoccupations était de
m'attaquer aux caches d'armes. Je l'ai suffisamment dit.
M. Jonckheer (Ecolo). - M. Booh Booh était un fidèle serviteur de New York où il
prenait ses instructions. N'avait-il pas une appréciation personnelle de la situation,
Col. Marchal. - Je n'ai pas d'informations à ce sujet. Le général Dallaire était également
préoccupé par cette situation et souhaitait régler cette question à New York.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). - Dans votre réponse au sénateur Destexhe,
vous avez laissé entendre que vous ne trouviez pas les règles d'engagement trop strictives.
Vous avez même-déclaré que vous conserviez document sur vous en permanence afin de
pouvoir le consulter si nécessaire.
En tant que colonel responsable, vous maîtrisiez relativement bien le contenu du
document. Il n'empêche que vous ne pouviez vous en passer La question est donc de savoir
dans quelle mesure les officiers subalternes, les sous et les soldats le maîtrisaient. Etaient-ils
briefés ? Il s'agit d'une question très importante, certains militaires ayant donné l'impression

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qu'ils ne savaient pas très bien ce que le document contenait vraiment. Ils étaient même
persuadés qu'en assurant leur propre défense, ils violaient les règles d'engagement.
Col. Marchal. - La lecture du document n'est pas simple. Il décrit différentes
situations. J'ai pris une autre position à l'égard des règles d'engagement de l'ONU. On a
beaucoup spéculé sur les règles d'engagement concernant la légitime défense. Pour moi, il n'y a
aucun doute. Je crois qu'au niveau de la légitime défense, les règles d'engagement ne
contiennent aucune limite, sauf au niveau de la délégation Ò si possible Ó. Dans une situation de
crise, celui qui est confronté à un problème doit disposer d'une liberté d'action. En cas
d'attaque, la légitime défense est d'application. Nous sommes tenus par la législation belge et
notre droit est restrictif alors que les gens sur le terrain peuvent faire beaucoup plus.
M. Ceder (Vlaarns Blok) (en néerlandais). - Vous répétez ce que vous avez déjà
déclaré précédemment. Vous saviez ce que le document contenait. A présent, nous le savons
également. Mais la question est de savoir si les officiers subaltemes, les sous-officiers et les
soldats en ont été informés. L'ont-ils été suffisamment ? Comment expliquez-vous qu'ils
avaient l'impression de violer les règles d'engagements en se défendant ?
Col. Marchal. - Je ne comprends pas et je me pose encore la question. Pourquoi ce
problème était-il important au niveau des exécutants ?
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). - Visiblement, ce manque de communication
est un problème dont la commission devra tenir compte dans ses conclusions.
Col. Marchal. - Je vais donner un exemple concret pour montrer la complexité du
problème. J'ai donné un Ò briefing Ó aux officiers du second détachement. Or, un commandant
m'a reproché de n'avoir rien dit et que rien ne lui avait été communiqué sur les règles
d'engagement, ce qui est inexact. Toutefois, il n'était pas de ma responsabilité d'organiser un
ÒbriefingÓ. C'est lors de la préparation de la mission qu'il doit être fait et non sur le terrain. J'ai
cependant essayé de subvenir à un manquement manifeste.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). - Ce n'est pas indiqué dans le rapport. Il
s'agit d'une conclusion générale.
Col. Marchal. - Nous avons dû ouvrir le feu et donc le problème d'engagement s'était
posé. Je ne comprends toujours pas pourquoi il y a eu des difficultés d'assimilation des règles.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). - Nous avons déjà confronté un certain
nombre de responsables avec les informations de Jean-Pierre et les menaces qu'il a signalées.
Ils se retranchent toujours derrière l'argument selon lequel il n'y avait pas encore eu
d'attentants ou de meurtres sur des Casques bleus belges. Les rapports du Cops et les
SITREPS font pourtant état de trois événements qui suggèrent le contraire. Le 26 janvier, une
patrouille belge a été prise pour cible à Kigali. Le 30 janvier, un attentat à la grenade a été
perpétré contre le quartier général du secteur. Le 23 février, il y a eu une fusillade contre les
Casques bleus belges et des civils armés dans le cadre d'un escorte. Ces données sont-elles
exactes ? Quelle était, selon vous, la gravité de ces incidents ? Quelle importance y avez-vous
accordée ? Ces événements étaient-ils programmés ou spontanés ?
Col. Marchal. - Le 21 février m'a posé un problème. Une escorte est en-effet tombée
dans une embuscade, bien que ce n'était pas elle qui était visée

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M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). - Vous parlez de l'escorte d'un bataillon
FPR du 22 février. Il se peut en effet que le FPR ait été visé. L'incident que je vise est
toutefois celui du 23 février à Gikondo. D'après moi, ce n'est pas la même chose. Il s'y est
apparemment bien passé quelque chose.
Col. Marchal. - L'incident du 23 n'est pas le seul à s'être produit durant ces cinq jours
de troubles compris entre le 20 et le 25 février. Il y en eut dans d'autres zones. La MINUAR a
essayé de poursuivre sa mission, ce qui comprenait évidemment des risques vu l'importance de
la dégradation de la situation. Nous étions alors au stade d'alerte rouge et les soldats savaient
dont que la situation n'était pas facile.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). - Pourquoi a-t-on tiré à cet endroit ? Y a-t-il
eu une fusillade ou une attaque aux mortiers ? Col. Marchal. - On était dans une période de troubles et les situations
insurrectionnelles éclataient un peu partout.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). - L'attaque aux mortiers relevait-elle d'après
vous, du climat d'hostilité.
Col. Marchal. - Je n'ai jamais caché qu'il existait un sentiment anti-MINUAR. Cela en
procède.
M. Ceder (Vlaams Blok) (en néerlandais). - A-t-on également tiré sur les Bangladais ?
Col. Marchal. - Les Bangladais étaient moins visés que les Belges de KIBAT mais ils
contrôlaient une zone moins habitée.
M. Ceder (Vlaarns Blok) (en néerlandais). - Au cours de chacun de ces incidents, dés
Casques bleus belges auraient pu être tués.
Col. Marchal. - On n'aurait évidemment pas envoyé de militaires si l'opération avait été
sans danger.
M. Ceder (Vlaarns Blok) (en néerlandais). - Cela n'est pas tout à fait exact. Les
militaires n'étaient pas équipés pour de graves confrontations. Vous estimez donc que la mort
récente d'un Belge dans le Baranja aurait également pu se produire au Rwanda pour toute une
série de raisons ?
Col. Marchal. - Evidemment, je n'ai jamais dit que c'était une partie de plaisir.
M. Mahoux (PS). - Vos règles d'engagement permettaient beaucoup de choses.
Qui a pris l'initiative de demander l'avis de New York à propos des caches d'armes,
prenant ainsi le risque d'essayer un refus d'intervention, alors que vos propres règles vous
auraient permis d'agir ?
Col. Marchal. - Je ne sais pas qui a pris l'initiative. Suite aux révélations de
ÒJean-Pierre Ó, un télex, dont je ne connais pas le contenu, a été envoyé à New York pour
proposer une opération. L'ONU a répondu dès le lendemain qu'il ne fallait pas intervenir.

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M. le Président. - La demande d'avis proposait un type d'intervention qui fut refusé
par New York, restreignant ainsi les règles d'engagement.
Col Marchal. - Ce n'était pas prévu dans les règles d'engagement mais dans les
modalités d'application du protocole d'accord KWSA.
M. Mahoux (PS). - Les perquisitions dans les caches d'armes se faisaient sur mandat du
procureur. La présidente a-t-elle tenté d'empêcher la recherche de ces caches ?
Col. Marchal. - Je ne pourrais vous le dire. Il ressort des documents transmis par le
lieutenant Nees que les caches d'armes étaient destinées à une sorte de riposte. Il y avait
vraisemblablement une volonté de certains d'éviter qu'elles soient découvertes. C'est ainsi
qu'avant la fin du mois de décembre et l'instauration d'une zone de consignation, on aurait
évacué de grosses quantités d'armes mais je n'ai rien pu vérifier.
M. Mahoux (PS). - Avez-vous eu des discussions, avant le 7 avril, avec le général
Dallaire ou d'autres chefs de bataillon, si les forces étaient en nombre suffisant, sur l'armement
et le dispositif en place ?
Col. Marchal. - J'ai eu de nombreux échanges de vues avec le général Dallaire à propos
des effectifs. A chaque fois, nous en concluions que leur nombre était insuffisant. Je suis
convaincu que le général Dallaire a demandé des renforts mais que la réponse des Nations
Unies a toujours été la même: il fallait tenir compte du budget. C'est pourquoi le général avait
même menacé de renvoyer des Bengladais parce qu'ils dépassaient le quota prévu.
Pour ma part, j'ai une seule fois demandé, au début de ma mission le 8 décembre, des
moyens supplémentaires pour constituer une réserve blindée pour KIBAT. Ultérieurement, je
n' ai jamais demandé à avoir des éléments supplémentaires car ce n'était pas le rôle de la
Belgique. Une demande que j'ai adressée au général Dallaire a été concrétisée par l'apport de
Casques bleus tunisiens et ghanéens prélevés sur un autre secteur opérationnel.
Le général Dallaire ne demandait pas d'armement supplémentaire, mais il voulait obtenir
celui qui était prévu. Moi, je voulais un renforcement de l'armement afin de pallier le manque
d'effectifs. De plus, un tel renforcement aurait eu un impact psychologique.
M. Mahoux (PS). - Etiez-vous au courant de l'arrivée au mois de décembre de
munitions non autorisées ?
Col. Marchal. - Je dispose d'une liste de munitions se trouvant à Kigali. Elle mentionne
des bombes éclairantes et fumigènes, mais pas de bombes explosives.
M. Mahoux (PS). - Ceci est un mystère par rapport à ce que nous a déclaré le colonel
Briot.
M. le Président. - Il nous a expliqué que deux avions avaient apporté à Kigali des
mortiers à explosifs.
Col. Marchal. - Je me demande pourquoi on aurait envoyé des munitions non prévues
et non pas celles que je réclamais avec insistance depuis deux mois et demi.

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M. Hostelcint (SP) (en néerlandais). - Je souhaite revenir sur ce que vous saviez au
sujet du climat anti-Belge et du génocide. Des manifestations violentes étaient annoncées en
janvier. Le 10 janvier, Jean-Pierre vous a informé de l'existence de plans visant à provoquer et
à assassiner des Belges. Vous avez alors demandé des instructions à Bruxelles. Elles ne sont
jamais venues, même pas après deux mois. Vous avez alors demandé à l'ambassadeur Swinnen
d'intervenir auprès du ministre des affaires étrangères. C'était une curieuse manière de
travailler. Votre demande de munitions est également restée sans réponse. Ce n'est qu'après le
drame que vous avez obtenu satisfaction.
A la mi-mars, la situation était donc très tendue. Deux jours avant que l'avion
présidentiel ne soit abattu, le 4 avril, vous étiez à l'hôtel Méridien en compagnie du général
Dallaire à l'occasion d'une fête sénégalaise au cours de laquelle Bagosora prononça ses
fameuses paroles de provocation. Le 6 avril, le lieutenant Lotin effectua une excursion
touristique dans la région. Qui donna l'autorisation ? Quoi qu'il en soit, votre réaction face aux
événements du Rwanda n'était pas du tout logique.
Col. Marchal. - Je suis convaincu, tout comme l'ambassadeur Swinnen, que la situation
générale s'améliorait en mars. Personne ne viendra dire qu'il se sentait personnellement menacé.
On a même parlé de faire venir des épouses de militaires au Rwanda. J'étais contre et ai répété
qu'il fallait rester sur ses gardes.
J'ai appris que le lieutenant Lotin avait escorté, le 6 avril, une délégation du FPR au parc
de la Kagera. Je l'ignorais. Si j'avais dû prendre moi-même la décision j'aurais refusé car ce type
d'opération ne faisait pas partie du protocole d'accord. Celui-ci ne nous demandait d'intervenir
que pour assurer le travail et les contacts politiques des deux parties. De plus, nous, n'avions
aucune liaison radio avec l'escorte, ce qui était contraire à mes directives..
Les escortes étaient accordées par le QG Force et nous en étions les prestataires. Moi,
j'avais donné des directives de sécurité en interdisant par exemple les déplacements de nuit.
Celui qui a accordé l'escorte a transgressé les directives.
M. Verhofstadt (VLD). - Comment pouvez-vous affirmer que la situation en mars était
calme ? Un SITREP du 26 février parle de l'établissement de deux camps de réfugiés Tutsis.
Un rapport du lieutenant Nees évoque un plan d'extermination des Tutsis.
Lors d'une réunion de coordination entre les affaire. étrangères et la défense nationale le
17 mars, à Bruxelles on a évoqué des appels téléphoniques au sujet de menaces d'attentat
prononcées par téléphone à l'encontre de la MINUAR. Un rapport du général Dallaire daté du
29 mars signale que les Belges sont harcelés. Avez-vous reçu ces éléments ? Les appels par
téléphone ont-ils eu lieu ou non ?
Col. Marchal. - Nous recevions tout le temps ce genre d'appel. On tirait toutes les
nuits, sinon les gens étaient inquiets.
Il existait en effet deux endroits où des personnes déplacées étaient protégées par la
MINUAR. C'est suite à cette situation que nous avons été dans des cellules où il y avait des
discussions et cela pour répondre au mieux à la population. Dans la période du 20 au 25, on a
assassiné plus de cent Tutsis.

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Le fait plus d'appels qu'avant est symptomatique de la confiance des gens dans la
MINUAR et c'est pour cela qu'ils ont demandé notre protection durant la période du 20 au 25.
M. Verhofstadt (VLD). - Le major Podevijn a transmis son rapport au général Dallaire
avec une copie au SGR. En avez-vous eu connaissance ?
Col. Marchal. - Le major Podevijn avait un contact satellite direct avec le SGR.
Dès le 8 décembre, j'ai demandé de faire moi-même une QRF et d'avoir pour cela des
blindés. J'ai 'adressé ma demande au Cops et je n'ai pas eu de réponse. Le 8 décembre, me
rendant compte que la QRF ne serait pas là avant un ou deux mois, j'ai demandé des blindés
pour constituer une réserve. Comme c'était en vain, je me suis senti abandonné et livré à
moi-même. Cela m'inquiétait car il était important pour le bataillon de savoir qu'il allait
disposer des munitions nécessaires.
On pourrait effectivement penser que ma situation n'était pas concevable mais les
documents en votre possession prouvent ma bonne foi. Le général Dallaire était d'ailleurs
d'accord pour demander des blindés et des munitions car il estimait que tout renforcement était
un plus.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais). - Est-il exact que le général Dallaire persistait à
demander des véhicules à roues et qu'il ne voulait pas de véhicules à chenilles ?
Col. Marchal. - Je crois qu'au moment de la reconnaissance, le général Dallaire a pensé
à des véhicules lourds à chenilles. Techniquement ce n'était pas à recommander. Les blindés
légers dont la pression au sol est minime étaient plus indiqués. Au moment où les événements
se passent, le général Dallaire est toutefois persuadé que la QRF arrivera au moment voulu
avec, également, des hélicoptères. Je rappelle que cette reconnaissance se passe en octobre et
qu'en décembre la situation a évolué et cela d'une manière négative.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais). - Pourquoi n'avez-vous pas directement contacté le
cabinet ?
Col. Marchal. - Ceci concerne des problèmes qui n'avaient pas directement trait aux
opérations. Si tout le monde se met à s'occuper d'opérations, on en arrive à avoir des réactions
dans tous les sens. C'est une question de déontologie.
Pour certains points, j'ai téléphoné au général Charlier qui m'a donné son appui mais
pour les munitions, je n'ai jamais imaginé qu'elles ne viendraient pas.
Le système visuel n'a jamais fonctionné. On nous a envoyé un petit détachement pour
s'occuper des véhicules, mais il ne comportait pas tous les spécialistes requis, par exemple
pour les canons. Pour KIBAT, il était important que les véhicules soient opérationnels. Cette
question préoccupait aussi le commandant de bataillon.
M. Verhofstadt (VLD). - Avez-vous parlé avec les membres du cabinet du problème
posé par le fait que la QRF serait composée de militaires bangladais ?
Col. Marchal. - Je crois que les discussions ont porté essentiellement sur l'effectif à
envoyer.

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Les mises en garde du colonel Kesteloot sont passées par le Cops. Je n'ai pas conscience
que lion ait discuté d'autre chose que de l'effectif. Le problème du logement, par exemple, je ne
l'ai découvert qu'en arrivant à Kigali. Le colonel Kesteloot aurait demandé de pouvoir signer les
contrats de location pour des b‰timents disponibles. J'ai obtenu très vite l'autorisation du
général Charlier pour signer ces contrats mais les grands b‰timents n'étaient plus disponibles.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais). - La question des effectifs et du deuxième contingent
étranger, et la confusion qui régnait à ce sujet, ont déjà été amplement débattus. Toutefois, une
conséquence importante n'a pas encore été élucidée. En effet, la réduction dés effectifs n'avait
pas seulement un impact sur le choix du secteur et le déploiement de la QRF, mais également
sur la question de savoir quelles tâches seraient encore exécutées ou non. Qui a pris une
décision à ce sujet ? La question des tâches à maintenir est particulièrement importante en ce
qui concerne les dépôts d'armes. Il s'avère en effet que la gendarmerie rwandaise qui se
déplaçait avec les Casques bleus dans les mêmes véhicules, plutôt que de les accompagner, leur
disait ce qu'ils pouvaient faire ou non.
Col. Marchal. - Avec 450 hommes, l'ensemble des tâches prévues dans le protocole
KWSA pouvaient être réalisées. Jamais nous n'avons dit que nous ne réaliserions pas certaines
tâches mais qu'il faudrait diminuer leur intensité et faire cinq patrouilles là où on aurait dû en
faire vingt.
A partir de la mi-janvier et de l'arrivée de la directive de New York, la recherche des
caches d'armes n'a plus été autorisée.
La t‰che de la QRF était importante car cette force aurait dû pouvoir être engagée sur
l'ensemble du Rwanda.
On peut évidemment dire que la gendarmerie contrôlait les Casques bleus en collaborant
aux opérations. Cependant, la gendarmerie n'était pas toujours présente.
M. Anciaux (VU). - Comment expliquez-vous alors que-l'on-ait trouvé si peu de
dépôts ?
Col. Marchal. - Nous ne faisions pas de recherches spécifiques de caches d'armes.
Eventuellement, nous avions connaissance de l'existence de caches ici ou là. Nous étions sûrs
d'une cache, celle que nous avait montrée Jean-Pierre.
De heer Mahoux (PS). - Quelle quantité d'armes y avait-il dans la cache que vous avez
visitée avec Jean-Pierre ?
Col. Marchal. - Il y avait 135 kalachnikovs.
M. Anciaux (VU) (en néerlandais). - Via Jean-Pierre et d'autres sources, on disposait de
pas mal d'informations sur l'attentat programmé contre les Casques bleus en vue de repousser
la MINUAR ainsi que sur la préparation du génocide. Un témoin a déclaré qu'on citait
régulièrement une date à laquelle les choses pourraient éclater. Cette date expirait et on en
citait une autre. N'a-t-on jamais envisagé que ces dates pourraient dépendre de la décision
visant à prolonger le mandat de l'ONU ? Celui-ci devait tomber le 5 avril. N'était-il pas évident
que les Hutus extrémistes attendraient ce jour ?

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Col. Marchal. - Cette prolongation du mandat n'était pas la première. La résolution 872
datait déjà du mois d'octobre.
C'était cependant une étape importante parce que, si le mandat n'avait pas été prolongé,
les conséquences auraient été encore plus graves. Cette prolongation a soulagé tout le monde.
Il fallait aussi cette prolongation du mandat pour pouvoir appliquer les décisions du FMI
quant au financement du Rwanda.
M Jonckheer (Ecolo). - En ce qui concerne la demande d'asile politique pour
Jean-Pierre, la neutralité de la Belgique aurait pu être mise en cause. Pourquoi a-t-on fait de la
publicité autour de cette affaire ? Dans d'autres cas, des asiles politiques ont été-accordés avec
discrétion. La demande d'asile a-t-elle officiellement été faite à Bruxelles ou bien est-ce un
simple entretien entre vous et l'ambassadeur ?
Col. Marchal. - J'ai formulé la demande d'asile au nom du général Dallaire. Je n'étais
donc que son porte-parole. L'ambassadeur, M. Swinnen, a exprimé ses sentiments et son souci
de neutralité. Je ne sais si l'ambassadeur a introduit officiellement la demande à Bruxelles.
M. Destexhe (PRL-FDF). - Dans vos rapports, nous ne trouvons rien entre le 10 et le
15 janvier concernant Jean-Pierre. Le 17 janvier, le général Charlier vous a téléphoné. La
question de Jean-Pierre a-t-elle été abordée ? Au cours de l'entretien, il s'informe sur les caches
d'armes et vous demande votre impression sur le général Dallaire.
Col. Marchal. - Je n'ai échangé aucun document écrit par fax pour raison de secret. A
mon avis, les échanges d'informations par téléphone, vu les liaisons satellites, étaient moins
écoutables.
Au cours de la conversation, on a parlé sans doute de Jean-Pierre mais je n'ai pas pris de
notes.
M. Destexhe (PRL-FDF). - Le général Charlier était-il informé de l'existence de
Jean-Pierre et des informations qui ont pu être transmises gr‰ce à lui au ministère des affaires
étrangères ? Les informations militaires ne reposent sur aucun document.
Col. Marchal. - Il y a seulement eu des contacts téléphoniques.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais). - Lors de l'entretien que vous avez eu le 14 janvier
avec l'ambassadeur, vous avez attiré l'attention sur le fait que, si les Belges accordaient l'asile à
Jean-Pierre, ils perdraient leur neutralité.
Col. Marchal. - Il y a eu une conversation entre l'ambassadeur et moi.
M. Jonckheer (Ecolo). - On dit qu'en septembre 1993, les militaires trépignaient
d'impatience pour partir. Etait-ce leur état d'esprit ?
Col. Marchal. - Lors d'un départ en mission, c'est toujours comme ça. De plus, la
mission en valait la peine: il s'agissait de maintenir la paix et de guider le processus de paix.
M. Hostekint (SP) (en néerlandais). - J'admets qu'en octobre 1993, il y avait encore un
certain enthousiasme parmi les paras pour aller au Rwanda. Mais le fait que c'était toujours le

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cas en mars 1994 prouve quand même que nos paras n'ont pas été suffisamment informés au
sujet de la situation au Rwanda.
Col. Marchal. - Par deux fois, j'ai demandé quel avait été le programme suivi par
KIBAT. Je n'ai jamais pu savoir ce qui avait été fait pendant la période de préparation de la
mission. J'ai pourtant insisté parce que cette préparation était importante, surtout au niveau
psychologique.
M. Hostekint (SP) (en néerlandais). - Il faut quant même admettre que la
communication entre le Rwanda et Bruxelles était particulièrement lacunaire. Tout ce que vous
avez demandé est resté sans suite à Bruxelles. Vous avez reconnu vous-même que vous vous
sentiez abandonné par les autorités militaire et politique. Etes-vous toujours de cet avis ?
Col. Marchal. - J'ai ressenti ce sentiment à maintes reprises.
M. Hostekint (SP) (en néerlandais). - Ce que nous pourrions peut-être vous reprocher,
c'est de ne pas avoir informé le ministre Delcroix de ces problèmes lors de sa visite au Rwanda.
Jugiez-vous inopportun de le faire ?
Col. Marchal. - J'ai estimé que c'était une responsabilité militaire au niveau de
l'état-major.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais). - Initialement, le QRF était considéré comme une
des missions de KIBAT. Comment avait-on organisé cela ? Le 12 janvier, KIBAT a fait savoir
qu'ils étaient prêts. Comment cela fut-il possible ?
Col. Marchal. - Nos moyens de réserve ne pouvaient se concevoir sans véhicules et
personnel. Je ne vois pas comment KIBAT aurait pu fournir le QRF.
M. Caluwé (CVP) (en néerlandais). - Pendant deux mois on a quand même confié ces
missions à KIBAT, comme il ressort du rapport Uytterhoeven. Le général Dallaire menaçait
de retirer le bataillon belge, dès le début de février, en raison des incidents. Ces incidents
étaient-ils la conséquence des provocations de certaines parties de la population rwandaise ou
les troupes belges n'étaient-elles pas bien préparées et y a-t-il eu une amélioration par la suite,
au moment où KIBAT II a été envoyé au Rwanda ?
Col. Marchal. - Je mettrais les problèmes qui se sont manifestés sur le compte d'une
absence de préparation psychologique.
Nous étions dans une ville où tout semblait normal mais l'attitude de nos hommes au
début me laissait à penser qu'ils n'avaient pas été suffisamment préparés.
Je n'ai pas été informé d'incidents dans lesquels le deuxième détachement aurait été
impliqué mais il faut dire qu'il n'est pas resté longtemps sur le terrain.
M. Caluwé (ICVP) (en néerlandais). - Y avait-il également un autre état d'esprit ?
Col. Marchal. - Oui, c'est mon impression.
M. le Président. - Nous vous remercions pour votre patience et votre persévérance.

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La réunion est close à 19 h 10 m.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024