Fiche du document numéro 4994

Num
4994
Date
Vendredi 13 janvier 2012
Amj
Taille
217312
Titre
Transcription de l'interview d'Hubert Védrine
Soustitre
Hubert Védrine : « Ce qui je crois était central – dans le rapport Bruguière –, c’est pas l’affirmation, peut-être inexacte [de l’expertise Trévidic], sur l’origine du tir. C’est l’origine du missile ! C’est un missile numéroté, dont on a retrouvé la trace, qui est un missile soviétique, qui est venu en Ouganda et qui est passé de l’Ouganda au FPR ».
Nom cité
Mot-clé
Fonds d'archives
Type
Transcription d'une émission de radio
Langue
FR
Citation
Transcription de l’interview d’Hubert Védrine par Marc Voinchet, diffusée sur France Culture dans l’émission « Le monde selon Hubert Védrine » le 13 janvier 2012.

Lien vers l’émission :
https://www.franceculture.fr/emissions/le-monde-selon-hubert-vedrine/le-monde-selon-hubert-vedrine-17

*

AFFICHE DE L’EMISSION « LE MONDE SELON HUBERT VEDRINE ».

NB. – Les principaux bégaiements ont été supprimés.

[Début de la transcription à 00’ 03’’]

Marc Voinchet : 7 heures et 17 minutes. Le vendredi : « Le monde selon Hubert Védrine ». Bonjour Hubert Védrine.

[00’ 08’’]

Hubert Védrine : Bonjour.

[00’ 09’’]

Marc Voinchet : Et aujourd’hui…, vous voulez évoquer la question du Rwanda. Alors on a appris en début de semaine…, cette semaine, que, finalement, les tirs de missiles qui ont abattu l’avion du Président rwandais Juvénal Habyarimana en 1994 venaient du camp militaire – hutu ! – de Kanombe et non de la rébellion tutsi, selon les conclusions des experts judiciaires. C’est donc ainsi, quoi, la fin de plus de..., enfin de très nombreuses années – de 16, 17 ans –, de ce que beaucoup ont appelé une fiction ?

[00’ 44’’]

Hubert Védrine : Je pense pas. Alors… En effet, je voulais saisir cette occasion pour en parler parce que c’est une controverse très importante en France. Et qui est depuis longtemps… Ça me concerne beaucoup puisqu’à l’époque…

[00’ 58’’]

Marc Voinchet : Oui, alors, il faut préciser… Voilà.

[00’ 58’’]

Hubert Védrine : En 94, on est en cohabitation. Donc, il y a le Président Mitterrand, le gouvernement Balladur, Edouard Balladur, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, François Léotard, ministre de la Défense. Et moi-même, je suis secrétaire général de l’Elysée, à l’époque, de la présidence de la République. Et donc j’ai un point de vue là-dessus – qui est d’ailleurs à peu près exactement celui d’Alain Juppé et puis des autres responsables de l’époque –, sur cette controverse qui a…, qui n’a jamais cessé au fil des années. Non pas qu’il y ait de négationnisme. Parce qu’il n’y a pas de négationnistes en France, en réalité, sur le sujet. Personne ne dit qu’il n’y a pas eu de génocide, ça n’existe pas, ça, hein. En revanche...

[01’ 34’’]

Marc Voinchet : C’est parce que, vous, vous ne le dites pas en tout cas.

[01’ 36’’]

Hubert Védrine : Non, mais ni moi ni aucun de ceux que j’ai cités. Ni à ma connaissance personne. Il y a peut-être deux-trois sites un peu extrémistes qui disent ça. Mais enfin, aucun responsable de sérieux ne dit ça. En revanche, il y a une controverse sur l’engrenage, le mécanisme qui a conduit au génocide de 94. Quelle est la responsabilité des Hutu ? Et notamment des Hutu extrémistes, comme on dit. Et quelle est la responsabilité de Kagame ? Qui depuis l’Ouganda, à la tête des Tutsi de l’extérieur et le FPR, a voulu militairement conquérir le Rwanda à partir de 90, avant même qu’il y ait des menaces sur la communauté tutsi. Bon, il y a toute une sorte de débat qui ne concerne pas que la France, d’ailleurs, hein. Puisqu’il y a un rapport des Nations Unies sur le… Il y a eu beaucoup de rapports, beaucoup de missions. Non, ce qui m’a étonné, cette semaine, c’est la précipitation du Figaro, de Libé, du Monde, d’autres journaux, de certaines radios, à tirer des conclusions. Alors que, à mon avis, tout ça ne change pas grand-chose : puisque l’hypothèse d’un tir d’extrémistes hutu – opposés à la politique de conciliation imposée par la France de Mitterrand-Balladur-Juppé, pour qu’il y ait un gouvernement de coalition entre Hutu et Tutsi, en leur faisant signer ensemble les accords d’Arusha –, donc l’hypothèse d’extrémistes hutu opposés à la politique française et au Président Habyarimana était envisagée dès le rapport Quilès...

[02’ 53’’]

Marc Voinchet : Parce qu’il faut dire que ces extrémistes – on va dire hutu, ce camp des loyalistes –, craignaient que justement Habyarimana applique un jour ou l’autre trop ces fameux accords d’Arusha qui devaient intégrer dans le gouvernement...

[03’ 05’’]

Hubert Védrine : Partager le pouvoir.

[03’ 05’’]

Marc Voinchet : Partager le pouvoir avec les Tutsi. Voilà, pour le dire comme tel.

[03’ 07’’]

Hubert Védrine : Ce que les extrémistes hutu refusaient absolument ! Alors l’autre thèse, c’est que les Tutsi…, les extrémistes – tutsi eux ! – ne voulaient pas de partage du pouvoir, ils voulaient le pouvoir, complètement. Donc il y a ces thèses qui circulent depuis le début. La mission Quilès… Paul Quilès, l’ancien ministre de la Défense, avait animé un rapport de…, d’une mission d’information pour l’Assemblée qui a entendu tous les témoins, des dizaines de personnes, un rapport considérable. Et il y avait quatre hypothèses sur l’origine de l’attentat, dont celle-ci. Depuis le début. Donc c’est pas tout à fait nouveau. D’autre part, tous ceux qui ont déjà tiré cette conclusion...

[03’ 39’’]

Marc Voinchet : Enfin, celle-ci maintenant devient de plus en plus privilégiée, quand même.

[03’ 41’’]

Hubert Védrine : Oui, mais…

[03’ 41’’]

Marc Voinchet : L’idée que ça vienne vraiment d’un camp hutu et non pas... Et que ça n’est pas la cause des Tutsi ! Au… Si…

[03’ 45’’]

Hubert Védrine : Oui, mais, est-ce que c’est central ? Ce qui je crois était central – dans les..., dès le rapport…, pas le rapport Quilès, mais dans le rapport Bruguière –, c’est pas l’affirmation, peut-être… inexacte, sur l’origine du tir. C’est l’origine du missile ! C’est un missile numéroté, dont on a retrouvé la trace, qui est un missile soviétique, qui est venu en Ouganda et qui est passé de l’Ouganda au FPR.

[04’ 10’’]

Marc Voinchet : Dont on dit que c’est un missile qui ne peut pas être tiré par des amateurs…, que c’est compliqué. Donc là, on se pose la...

[04’ 15’’]

Hubert Védrine : Et que le camp hutu n’avait pas. Bon, enfin bref. C’est pour dire que, pour le moment, je crois qu’il faut rester assez prudent. Parce que d’abord, personne n’a lu le rapport en question. Donc tout ce qui a été écrit précipitamment pour dire : « C’est bien la preuve que... ». La preuve de quoi ? C’est simplement qu’il y en a qui ont confirmé la thèse qu’ils avaient avant dans les..., parce que dans chaque journal, il y a un petit peu un débat [sourire], il y a plusieurs thèses. Donc ceux qui écrivent dans ce cas-là, c’est ceux qui sont sur une thèse plutôt que sur une autre. Je crois qu’il serait prudent d’attendre la suite, de voir ce qu’il y a exactement dans ce rapport, de voir quelles sont les contradictions. On me dit que dans beaucoup de blogs, les…, ceux qui sont sur l’autre ligne, c’est-à-dire les anciens proches de Kagame, qui ont quitté Kagame au fur et à mesure que le régime de Kagame au Rwanda est devenu très dur, assez répressif – l’ancien chef d’état-major, que…, qui aurait tenté…, que les services de Kagame auraient tenté d’assassiner en Afrique du Sud un ancien ambassadeur en Inde… –, enfin beaucoup de gens continuent à dire : « Non, c’est Kagame qui a... qui est l’instigateur global », indépendamment du débat sur l’attentat. Donc moi j’incite à une certaine prudence là-dessus, parce que la question de l’origine du tir qui est très compliquée… On dit même d’ailleurs que l’expert acoustique, à partir duquel les conclusions du juge sont mises en avant, n’a pas été sur place lui-même. Donc, c’est assez curieux un expert acoustique qui ne [inaudible]…

[05’ 28’’]

Marc Voinchet : Non, mais…

[05’ 29’’]

Hubert Védrine : Donc, je pense... Je ne sais pas, parce que je n’ai pas les éléments. Et d’ailleurs, moi, je n’ai jamais rien dit : ni à l’époque ni après quand j’étais ministre, y compris quand j’ai été moi-même voir Kagame. Parce que j’ai été deux fois, moi, au Rwanda, voir Kagame...

[05’ 42’’]

Marc Voinchet : Enfin, le fait est que ça a empoisonné nos relations avec Kagame, tout de même…

[05’ 45’’]

Hubert Védrine : Empoisonné, c’est…

[05’ 46’’]

Marc Voinchet : Puisqu’il était sous le coup d’une suspicion d’être à l’origine, au fond, d’un…

[05’ 48’’]

Hubert Védrine : Oui.

[05’ 48’’]

Marc Voinchet : D’un attentat qui avait causé le génocide !

[05’ 52’’]

Hubert Védrine : Pas suspicion... Déclenché, pas causé, parce qu’il y a d’autres causes de fond. Mais…

[05’ 56’’]

Marc Voinchet : Mais déclenché le génocide.

[05’ 57’’]

Hubert Védrine : Les relations ont été dégradées surtout quand le... Bruguière a lancé les mandats d’arrêt.

[06’ 01’’]

Marc Voinchet : Ouais.

[06’ 02’’]

Hubert Védrine : Mais il n’y a pas que la France ! Par exemple, le rapport des Nations unies, qui a indiqué qu’il y a eu après le génocide – qu’on évalue en gros à 800 000 morts, ce qui est déjà atroce –, le rapport des Nations Unies qui parle de..., d’environ quatre millions de morts dans l’Est du Congo, après République démocratique du Congo, sous la responsabilité principale de l’armée du Rwanda. Ce rapport, que Kagame a réussi à bloquer pendant deux ou trois ans, n’est paru que quand ils ont enlevé le mot de génocide… [inaudible], vous voyez.

[06’ 30’’]

Marc Voinchet : Eh bien oui, mais parce que ce n’en est pas un ! Mais parce que ce n’en est sans doute pas un, de génocide, par rapport au génocide tutsi par les Hutu. Ce sont des crimes de guerre !… C’est sans doute très affreux mais…

[06’ 40’’]

Hubert Védrine : Vous avez sans doute un avis personnel sur le sujet.

[06’ 42’’]

Marc Voinchet : Non, mais…

[06’ 43’’]

Hubert Védrine : En tout cas, je veux dire simplement que le rapport des Nations Unies a été débattu largement. Et la France n’a pas joué de rôle, ni dans le rapport, ni dans le fait de le retarder, ni dans le fait qu’il soit finalement publié. Donc, c’est une discussion qui est très, très ouverte, aux Nations Unies et ailleurs. Le rapport, donc, sur les quatre millions de morts d’après, il est également très, très sévère. Ce sont des morts directes ou indirectes. Et c’est d’ailleurs parce que Kagame a été, disons progressivement…, pas encore lâché mais moins soutenu par ses protecteurs anglo-saxons du début, qui le protégeaient parce qu’ils protégeaient l’Ouganda de Museveni – vous voyez, c’est plutôt un enchaînement – qu’il a cherché à se rapprocher de la France et qu’il a renoncé à demander à la France qu’elle reconnaisse une responsabilité. Qu’à l’évidence elle n’a pas ! Puisque ce que la France à l’époque a tenté de faire, c’est de leur imposer à tous un accord de paix qui rendait furieux les extrémistes des deux camps, les fameux accords d’Arusha. La France à l’époque est d’ailleurs tellement contente [sourire] d’avoir atteint les accords d’Arusha qu’elle avait retiré à peu près tous ses soldats, sauf quelques conseillers techniques qui étaient restés.

[07’ 38’’]

Marc Voinchet : Alors le débat se fait sur l’idée qu’on aurait peut-être dû les retirer avant ! Voilà, qu’on a au fond toujours appliqué cette politique française en Afrique…

[07’ 44’’]

Hubert Védrine : Oui, c’est…

[07’ 44’’]

Marc Voinchet : Du côté de ceux qui ont le pouvoir et contre les rébellions. Et qu’au fond, on aurait mieux fait…

[07’ 46’’]

Hubert Védrine : Non, parce que la France était du côté de l’imposition de l’accord de paix. Et ce qu’on dit depuis, en disant : « Elle n’était que dans un camp », si c’était le cas, et si le juge Trévidic a raison, là, dans cette affaire, les extrémistes hutu n’auraient pas eu à faire un attentat [sourire] contre un président dont le principal défaut était d’appliquer la politique de réconciliation de la France. Donc tout ça pour dire que je crois qu’il faut rester prudent, que ça ne clôt pas la controverse, que Dieu merci il n’y a pas de négationnisme sur le génocide, mais un vrai débat politique sur les origines, les causes, l’enchaînement. Qu’il est tout à fait souhaitable que la France ait maintenant les rapports les plus nombreux possibles avec le Rwanda de Kagame. Mais en ce qui concerne le débat franco-français – mais ailleurs, c’est un débat aux Etats-Unis, en Belgique, dans le reste de l’Afrique –, je pense pas qu’on puisse considérer que tout ça est complètement conclu.

[08’ 37’’]

Marc Voinchet : « Le Monde selon Hubert Védrine », à retrouver et télécharger sur franceculture.fr.

[Fin de la transcription à 08’ 42’’]

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