Fiche du document numéro 4523

Num
4523
Date
Mercredi 3 août 1994
Amj
Taille
879839
Surtitre
On a reçu ça
Titre
Le choléra qui cache le génocide
Lieu cité
Lieu cité
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Source
Type
Tribune
Langue
FR
Citation
Je suis chercheur, et j'aime mon pays. Ma femme est d’origine rwandaise. Elle aime autant la France que le Rwanda, où elle est née. C’est pourquoi j'ai écrit cette lettre ouverte avec l'espoir que la raison puisse se faire entendre dans ce terrible drame.

Est-il en particulier convenable que les autorités françaises continuent, comme par le passé, à dialoguer poliment avec des gens qui ont fait assassiner des milliers de civils ? Je suis malade quand je lis dans la presse que nos généraux discutent avec le préfet de Kibuyé ou le bourgmestre de Gishyita. Ces gens-là ont fait rassembler 4300 Tutsis, hommes, femmes, enfants, nourrissons, dans l’église de Kibuyé, 9000 autres dans le stade, et les ont massacrés, à coups de grenade et à la Kalachnikov, « pour aller plus vite », rapporte le journaliste du Figaro-Magazine (samedi 16 juillet), et ont fini le travail à la machette. Les murs de l’église et le sol sont encore couverts de sang séché.

Parmi ces femmes, ces hommes et ces enfants, il y avait ma famille. Des enfants beaux et gentils, des Paysans et des paysannes totalement apolitiques. Ils sont morts dans la terreur, ils ont eu une mort horrible, inimaginable, parce qu'ils étaient tutsis. D’autres étaient hutus, ils ont été tués parce qu’ils étaient modérés et vivaient en paix et se mariaient volontiers avec les Tutsis. Ma femme connaît ce préfet, qui a son âge, elle connaît le bourgmestre de Gishyita, son village. Cette réalité lui est totalement insoutenable.

Les villageois réfugiés au Zaïre sont toujours encadrés par les bourgmestres et les miliciens qui ont organisé le génocide. A Goma, des Tutsis (nombreux dans cette ville) ont été lapidés, d’autres ont été « battus à mort par la foule sous le nez des militaires français » (le Monde du 22 juillet), parce qu’ils étaient grands, fins et avaient des traits européens caractéristiques de cette ethnie. Faut-il maintenant se servir de cette catastrophe humanitaire pour faire avaler à l’opinion la pilule du génocide? Faut-il réhabiliter les F.A.R., les miliciens, les commanditaires et les acteurs du génocide? Faut-il, en raison du choléra, oublier les 500 000 morts tués à la grenade et à la machette?

Merci de tout faire pour ne jamais les oublier.

JEAN-PAUL GOUTEUX,
MARIE MUKASHEMA

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024