Fiche du document numéro 452

Num
452
Date
Vendredi 29 avril 1994
Amj
Auteur
Taille
136124
Titre
Entretien avec Françoise Carle. Situation au Rwanda
Tres
Quesnot : « Nous
sommes aussi coupables, car les accords d'Arusha auxquels nous avons
activement contribué sont trop déséquilibrés. On a poussé les Hutus
à signer, surtout l'accord Arusha 4 donnant un avantage exorbitant
au FPR dans l'encadrement de la future armée rwandaise. On a fait
pression sur les Hutus pour qu'ils signent des conditions
intenables. »
Mot-clé
Type
Interview
Langue
FR
Citation
Bruno Delaye, Christian Quesnot le 29 avril 1994

Entretiens avec Françoise Carle

Situation au Rwanda.

Bruno Delaye :

“On n’a pas encore reçu beaucoup d'images, mais les télévisions vont
maintenant au Rwanda, et les images qui vont arriver pendant le week-
end vont gâcher la soirée du dimanche : ce n’est pas beau à voir.

La communauté internationale ne fait rien. Les Nations Unies proposent
un embargo sur les armes ! Mais cela n'empêchera pas l’armée rwandaise
d’avoir des machettes, et le FPR a des armes lourdes.

Les pays de la région essaient d'imposer un cessez le feu, chacun avec
ses arrière-pensées.

La grosse difficulté, c’est une certaine apathie française. J’ai eu un mal
fou à convaincre Matignon d'envoyer une aide humanitaire. Ils devraient
se rendre compte, aussi, que devant les télévisions les Rwandais vont
appeler au secours. Ce sont des gens d'expression française, ils ne diront
pas "Help !", ils diront "au secours", et l’opinion les entendra. Quand on
dit au secours en anglais, en somalien ou en éthiopien, tout le monde s’en
fout, mais en français ça aura un certain effet. Matignon a fini par
envoyer 48 tonnes de secours, mais sans accompagnement. Ce sont les
ONG qui devront les distribuer. C’est à dire qu'il n’y a rien de fait.

Le silence français est assourdissant.

L'organisation tutsie est excellente, elle a su sensibiliser en faveur des
tutsis, et faire considérer les autres comme une bande d’assassins
choyés, équipés par la France. Cette idée-là est la tendance dominante
partout.

Les collègues diplomates disent : il faut attendre le rapport du secrétaire
général de l'ONU, attendre les résultats de la mission de l'ONU... Mais il
ne sortira rien de l'ONU ! La décision d'instaurer un embargo est
parfaitement hypocrite. On aura peut-être un cessez le feu, et le
démembrement de l’état rwandais ; les hutus iront s’entasser au sud - le
pays est très, très peuplé - et ils vivront de l’aide internationale.

Au Burundi, chaque jour passé sans crise est un miracle. Le Zaïre est déjà
fragile : l'armée n’est pas payée, elle pille en compensation. On va arriver
à un démembrement complet. Les Belges sont lamentables sur toute la
ligne - d’ailleurs, chez eux, Flamands et Wallons, c’est comme hutu et
tutsi. Ils sont incapables de mener une politique africaine. Et on nous dit
qu'il faut agir avec la Belgique, la communauté internationale. Cela ne
veut rien dire pour le Rwanda.

Au Conseil restreint mercredi, j'espère qu'il y aura des propositions. Il en
faut, sur le plan humanitaire, et pour stabiliser le Burundi. Et il faudrait
traiter le Zaïre de façon différente. Je vais horrifier par mes propos, mais
on a besoin de Mobutu : il faut le sortir de son relatif isolement.

Le véritable problème est cette espèce d’atonie générale.

Christian Quesnot :

Je connais le Rwanda. Ce qui se passe est abominable. Des gens m'ont
dit : ce sont des Noirs, pas des Blancs, ils peuvent crever ! Au Burundi
cela ne va pas tenir, au Zaïre non plus, et cela gagnera la Tanzanie. Nous
sommes aussi coupables, car les accords d’Arusha auxquels nous avons
activement contribué sont trop déséquilibrés. On a poussé les Hutus à
signer, surtout l’accord Arusha 4 donnant un avantage exorbitant au
FPR dans l'encadrement de la future armée rwandaise. On a fait pression
sur les Hutus pour qu'ils signent des conditions intenables.

Le FPR est le parti le plus fasciste que j'aie rencontré en Afrique. Il peut
être assimilé à des "khmers noirs". Il a une complicité belge. On a dit : les
Hutus ont abattu l'avion d'Habyarimana. Mais c’est faux. Ce sont des
mercenaires, recrutés par le FPR ou issus de lui, qui ont abattu l'avion.
Et alors, la garde présidentielle, dont le chef avait été tué avec le
Président et qui n’est pas composée d'enfants de choeur, s’est mise à
massacrer : on avait tué leur Président. C'était exactement ce que
voulait le FPR, car le président Habyariamana constituait le seul
véritable obstacle à sa prise de pouvoir.

Derrière tout cela il y a aussi Museweni (le président ougandais), qui
veut créer un Tutsiland avec la complicité objective des anglo-saxons qui
estiment que Museweni doit devenir le leader régional et assurer la
stabilité dans la zone des Grands Lacs. Ils se trompent, car une ethnie
majoritaire à 90 % n’acceptera pas la domination d'une ethnie
minoritaire tutsie (10 %)

Tant que nous avons eu sur place environ une compagnie de
parachutistes qui formaient les militaires rwandais, il n'y a pas eu de
massacres. Notre présence militaire a empêché le FPR de s’emparer du
pouvoir par la force, et a permis d'amener les deux parties à une table
de négociations et à signer les accords d’Arusha. Notre présence militaire
aurait arrêté les massacres. A Kigali, 2500 soldats de l'ONU ont été
incapables d'arrêter quoi que ce soit. L'introduction du multilatéralisme
en Afrique est criminelle. Nous devrions tous avoir honte.”

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