Fiche du document numéro 403

Num
403
Date
Vendredi 20 novembre 1998
Amj
Taille
265809
Titre
10.B.2. Lettre de M. Sébastien Ntahobari au Président Paul Quilès, 20 novembre 1998, Historique du contrat DYL Invest
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Annexes, pp. 569-572
Type
Langue
FR
Citation
-569-

Sébastien NTAHOBARI
Monsieur Paul Quilès
Président de la Mission d'Information
sur le Rwanda

Attn : Monsieur le Député Bernard Cazeneuve
C/o : Assemblée Nationale
Palais Bourbon
126, rue de l'Université
75007 Paris

Gagny, le 20 novembre 1998

Monsieur,

Comme demandé à l'audition du 17 novembre 1998, je vous retrace ci-après l'historique du contrat DYL Invest : J'ai demandé au Col Kayumba comment cela se faisait-il que le ministère de la Défense s'adressait à un particulier, en l'occurrence Monsieur Lemonier, pour la fourniture d'armes et munitions au lieu d'une société bien connue. Il m'a tout simplement répondu que c'était imposé par la Présidence ! En 1992, Monsieur Lemonier aurait rencontré la délégation présidentielle à Dakar et aurait négocié l'affaire avec le médecin du président, le Dr Akingeneye, qui aurait convaincu le Col Sagatwa que Monsieur Lemonier était crédible. Quelques mois plus tard, le ministère de la Défense a reçu les instructions de passer commande à Dyl Invest. Après une remise de pro-forma, qui est approuvée, le contrat est signé début mai 1993. Au cours de ce mois, je reçois du ministre de la Défense, Monsieur Gasana, les instructions que je vous ai dites de faire les inspections des livraisons partielles, vu que je me trouvais plus proche du fournisseur et qu'il était plus coûteux de dépêcher chaque fois un représentant au départ de Kigali. Comme je vous l'ai dit dans ma lettre du 05 novembre 1998, Monsieur Lemonier a arrêté les livraisons au premier trimestre 1994. Le litige a abouti à l'assignation de Dyl Invest devant Le tribunal de grande instance d'Annecy. En avril, quand le ministre des Affaires étrangères, Monsieur Bicamumpaka, donna mandat au Capt Baril de récupérer les montants des matériels payés et non livrés, ce dernier a chargé Maître Hélène Clamagirand du dossier. Lorsqu'elle a eu fini la rédaction de l'acte d'assignation le 18 août 1994, elle m'a demandé qui elle devait mettre comme représentant du ministère de la Défense, étant donné qu'il y avait un nouveau gouvernement. Je lui ai dit que je n'avais pas d'objection à ce qu'elle mette mon nom étant donné qu'il s'agissait d'un dossier que je connaissais très bien. Elle a dit : OK. Auparavant elle m'avait posé la question : Est-ce que vous êtes toujours en fonction ? Je lui ai répondu : En tous cas je suis encore là, je ne suis pas encore rappelé.

Vous m'avez demandé si ce n'était pas là une tentative de récupérer de l'argent pour un gouvernement génocidaire. Comme je vous l'ai écrit dans ma précédente lettre, il s'agissait de défendre les intérêts de l'Etat uniquement, il fallait faire démarrer la procédure. Le gouvernement intérimaire était déchu, il y avait un nouveau pouvoir, un nouveau

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gouvernement du FPR depuis Le 19 juillet 1994. Il était inimaginable pour moi que le tribunal convoquerait au procès quelqu'un d'autre que Kigali ou l'ambassade du Rwanda à Paris.

Vous m'avez demandé si je ne savais pas que Maître Clamagirand était l'avocat de Barril et je vous ai répondu que non. Si Clamagirand est “l'avocat de Barril', ça ne m'étonnerait pas en tout cas. Dire que je le savais, non, puisque ni Barril ne m'a jamais dit que Clamagirand était “son” avocat, ni Clamagirand ne m'a jamais dit qu'elle était l'avocat de Barril. Je ne me suis jamais posé de question là dessus et je n'ai pas posé de question non plus. Je savais que Clamagirand travaillait dans un cabinet d'avocats tout court. Quand je vous disais que j'ignorais que Clamagirand était l'avocat de Barril vous m'avez dit que je mentais et j'étais très affligé car c'était la vérité.

Vous m'avez appris que le Col Sagatwa avait écrit à Barril en novembre 1993 lui demandant de récupérer l'argent du contrat Dyl Invest. J'étais très surpris naturellement puisque c'était la première fois que je l'apprenais. Mais pourquoi alors Barril n'a pas exécuté ? Pourquoi Sagatwa n'a pas demandé au ministre qui a signé le contrat de le dénoncer réglementairement ? Sachant les directives antérieures de Sagatwa, quelle a était l'attitude de Barril avec le ministre Bicamumpaka en avril 1994 lorsqu'il lui demandait à nouveau la même chose ? Tant d'interrogations auxquelles je ne peux pas trouver de réponse.

Commande de matériels d'un million de dollars au Capitaine Barril par l'intermédiaire de l'attaché militaire, matériels non livrés et partage de l'argent cinq cent mille/cinq cent mille !

Je vous ai dit que c'était faux et vous avez insisté que je mentais et que je vous cachais des choses. Ce que je vous disais était la vérité car je ne suis pas un voleur. J'étais même très surpris et déstabilisé en apprenant pareille chose. Je me suis dit que sûrement le renseignement en votre possession était faux. Vous ne m'aviez pas dit de quel type de matériels il s'agissait et l'acheteur. Cette affaire a continué à tourner dans ma tête en me demandant de quoi il pouvait bien s'agir. Je me suis rappelé enfin des fonds envoyés de Nairobi par le ministre Bizimana en juin 1994, je crois. Je me dis maintenant que ce doit être ça ! Si vous m'aviez dit qu'il s'agissait de l'argent envoyé de Nairobi pour le Capt Barril je vous aurais dit que c'était vrai et vous détaillé la chose sans problème. Voici le fait véridique : En juin 1994, le ministre de la Défense, Bizimana Augustin, a transféré des fonds sur le compte de l'ambassade à Paris. Il a envoyé un fax instruisant de donner au Capt Barril un montant de 1.200.000 Dollars pour un contrat de services et assistance qu'il avait signé avec le gouvernement. Le peu d'éléments que vous me donniez, au demeurant très troublants, ne me mettaient pas sur les rails. Ceci étant, la comptabilité a établi le chèque de l'équivalent de un million deux cent mille dollars. L'adjoint de Barril est venu le récupérer à l'ambassade même. Mr Bizimana ne m'a pas dit de quelles prestations il s'agissait, Barril et son adjoint non plus. Il paraît que c'était très secret. Personnellement je suis resté très sceptique que Barril ait daigné remplir son contrat mais je n'avais pas de preuves. Sans conviction, vers octobre 1994 je lui ai fait un courrier de restituer à l'ambassade le solde éventuel qui n'aurait pas été consommé afin de lui permettre de payer les salaires du personnel, étant donné que l'ambassade ne recevait plus de fonds de fonctionnement. Vous vous en doutez bien que je n'ai pas reçu de réponse. Je n'avais pas de preuves et j'ignorais les termes du contrat. Seul Bizimana peut attester s'il a été satisfait ou pas, sinon Barril dira toujours qu'il a tout utilisé, un point et c'est tout ! Ceci étant dit, je n'ai jamais reçu aucun rond de Barril, vous pouvez le vérifier. Je demeure un homme sans biens ni ressources. Je m'excuse de ne pas avoir accroché



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de suite, vous m'aviez donné si peu d'éléments. Je suis à votre disposition pour tous éclaircissements complémentaires éventuels.

Au cours des auditions, je vous ai répété qu'à Paris nous ne savions pas que les massacres étaient de caractère génocidaire. Même le Général Huchon et le Col Delort ne me disaient de dire à Kigali d'arrêter le génocide mais les massacres. Tout Le monde, les médias, parlaient de massacres en cette période. Je savais qu'il y avait des massacres après l'assassinat du président, les caques bleus belges, les opposants politiques au MRND, les populations tutsi, sans avoir une idée réelle de l'ampleur de ces massacres concomitants avec les combats militaires qui avaient repris comme avant les accords de paix. Mais il n'y a pas de massacres minimes, c'est pourquoi je les condamnais et appelais à leur arrêt par tous les moyens comme je vous l'ai dit à la première audition et dans mon précédent courrier. Ce que je puis ajouter, est que la France n'a rien à voir avec le génocide rwandais. C'est le seul pays qui a fait quelque chose pour l'arrêter et l'opération Turquoise aurait considérablement limité les pertes en vies humaines si elle avait reçu à temps le feu vert du Conseil de Sécurité de l'ONU.

L'autre dossier sur lequel vous ne m'avez pas questionné et que Kayumba a traité de l'ambassade est celui de MILTEC. Ce fournisseur londonien n'a fait que deux chargements en Europe de l'Est et qui ont été déchargés à Goma. Les tractations d'Andrews de Chypres n'ont pas abouti pour les raisons que je vous ai déjà dites et pourtant ce sont elles qui ont retenu Kayumba à l'ambassade pendant si longtemps. Si j'ai oublié l'un ou l'autre point, ou ai été incomplet, je vous demanderais de bien vouloir me l'indiquer afin que je le complète volontiers.

Vous m'avez demandé ce qu'était l'association dont j'étais membre et s'il y avait de Tutsi dedans. Cercle Solidarité des Rwandais de France(CSRF) est une association culturelle. Ses membres actuels sont tous Hutu. Elle est ouverte à tout le monde sans discrimination aucune, Rwandais et non-Rwandais. En tant qu'association de réfugiés, elle mène aussi des débats sur les droits de l'homme.

Revenant sur Mr Khan de Rome et le 1er Conseiller d'ambassade à Addis, je n'avais pas la conviction que ce dernier recherchait des armes pour l'exécution du génocide. Je crois qu'il avait en tête uniquement les combats entre l'armée du FPR et l'Armée rwandaise comme il y en eu depuis 1990 car il n'était pas plus informé que les autres du caractère génocidaire des massacres parallèles. Heureusement que l'affaire Khan n'a été qu'une tentative d'escroquerie.

Moi, ceux qui étaient en mesure de me renseigner sur l'ampleur des massacres étaient Kayumba et Rwabalinda qui venaient de Kigali. Ils ne les ont jamais mimimisés. Ils se sont étalés davantage sur le plan militaire, les combats dans Kigali, au Mutara, à Byumba, l'avancée du FPR dans Kibungo, les pillages, les interventions infructueuses pour arrêter les massacres à cause d'insuffisance d'effectifs, les déserteurs, des affrontements interethniques graves mais encore non généralisés dans certaines communes surtout dans celles où certains Tutsi avaient manifesté de la joie après l'annonce de la mort du président à la radio, enfin la situation telle qu'ils l'avaient laissée au moment de quitter Kigali. Ils ne m'ont jamais affirmé que ces massacres étaient planifiés.

A la première audition, vous m'avez dit : Parlez-moi de Rwabalinda. Je vous ai répondu que c'était un gars bien, un excellent officier. Vous avez dit : Oui, mais, pourquoi un téléphone crypté ? Je pensais que vous parliez du téléphone par satellite qu'il a emmené pour le chef d'État-major pour ses déplacements sur le terrain et je vous ai répondu : Pour communiquer

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avec l'Etat-major et le ministère. Vous sembliez insatisfait mais êtes passé à une autre question. Dans la suite, en y réfléchissant encore, j'ai réalisé que nous ne pensions pas à la même chose, car vous ne m'avez pas dit qu'il s'agissait du téléphone que le Gén Huchon lui a confié pour le Chef d'Etat-major, le Gén Bizimungu, afin que celui-ci puisse transmettre à Paris des renseignements protégés pour la sécurité de militaires français de l'opération Turquoise qui était en préparation. Ce fut une confusion de ma part sans volonté de dissimulation, je vous prie de m'en excuser, je n'étais pas bien aiguillé, alors que le téléphone par satellite n'était même pas crypté, bien que, on avait décidé de le faire au plutôt lorsque l'argent pour équiper au moins 5 téléphones de ce périphérique serait disponibilisé.

Restant à votre disposition pour tous éclaircissements complémentaires éventuels, je vous prie d'agréer, Monsieur le Député, l'assurance de ma haute considération.

Sébastien Ntahobari

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024