Fiche du document numéro 3840

Num
3840
Date
Samedi 25 juin 1994
Amj
Taille
110739
Titre
Pour les Tutsis, Turquoise arrive trop tard.
Lieu cité
Cote
reutfr0020011106dq6p00x4o par Michela Wrong
Source
Type
Dépêche d'agence
Langue
FR
Citation
CYANGUGU (RWANDA), 25 juin, Reuter - Alors les soldats français ont commencé à prendre position dans le sud-ouest du Rwanda, une évidence semble s'imposer: l'opération Turquoise intervient peut-être trop tard.

Sur les 55.000 Tutsis qui vivaient dans le département de Cynagugu sur les rives fertiles du lac Kivu, il n'en reste que 10.000 - 8.000 sont dans le camp de réfugiés de Nyarushishi et les autres sont disséminés dans les collines.

Les prêtres de la région estiment que la moitié des 45.000 Tustsis disparus sont morts dans les massacres qui ont suivi l'assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana le 6 avril. L'autre moitié a fui au Zaïre voisin.

Tout cela arrive trop tard. Où étiez-vous en avril? demande un prêtre tutsi. C'est une région hutue maintenant. Chaque maison a été brûlée, tout le monde a été tué, toutes les fosses septiques sont remplies de cadavres.

C'est sans objet de dire: il faut persuader les deux communautés à vivre ensemble. Il n'y a plus de communauté tutsie, ajoute le prêtre terrifié d'être cité nommément.

L'homme n'hésite cependant pas à montrer aux journalistes un cahier sur lequel il a consigné quotidiennement les massacres qui ont quasiment anéanti sa communauté.

Un registre glaçant à lire. Sur les 10 paroisses de Cyangugu, sept ont été le théâtre des tueries des milices hutues qui ont pris d'assaut les cliniques, les écoles et les églises où les Tutsis terrifiés se réfugiaient.

Deux mois plus tard, les villageois commencent à peine à effacer les traces de ces scènes macabres. Dans le village de Shangi, où les troupes françaises ont découvert un charnier, les femmes lavaient samedi les taches de sang sur les murs de l'église.


Les Hutus comptent sur Paris



Le prêtre local et les gendarmes ont refusé de parler mais les soldats n'ont pas eu de peine à trouver la fosse.

Près de l'église aux vitres cassées, le sol est jonché de vêtements et de chaussures. Dans un champ de manioc proche, des mottes de terre recouvrent à peine des membres humains et des vêtements en décomposition.

Tandis que les 200 parachutistes français, avant-garde des 2.500 hommes promis par Paris, patrouillent la région la même scène se répète.

Les prêtres rayent de la carte les paroisses - Shangi, Hanika, Nyamasheke, Mibirizzi, Muyange, N'kanka, Nyabitimo - où les fidèles ont été poignardés, fusillés ou tués à coups de machettes.

Si les troupes françaises sont là pour sauver ce qui reste de Tutsis, les Hutus semblent avoir un autre point de vue sur leur rôle. Nous souhaiterions que cette opération aille au delà d'une mission humanitaire. Nous aimerions que les Français contraignent le Front patriotique du Rwanda (FPR) à accepter un cessez-le-feu, dit le ministre des Affaires étrangères rwandais, Jérôme Bicamumpaka, en visite à Cyangugu.

L'évêque de la ville Ghaddee Ntihinyurma ne cache absolument pas que lui-même et les responsables hutus comptent sur les troupes françaises pour stoppper l'avance des rebelles du FPR.

Nous savons que les Français sont là seulement pour aider les populations. Mais nous espérons que s'ils restent ici, le FPR ne viendra pas, déclare-t-il.

Les responsables militaires français, soucieux d'apaiser l'hostilité du FPR à leur présence, refusent catégoriquement à jouer ce rôle. Les troupes françaises ont d'ailleurs systématiquement désarmé des miliciens hutus et démantelé leurs barrages. /RS

(c) Reuters Limited 1994

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