Citation
L’audience a commencé par l’audition de Jean Baptiste MUSABYIMANA. En prison depuis novembre 1994, il a été condamné à trente ans de prison par la juridiction Gacaca pour sa participation à l’attaque de Nyamure ainsi que pour avoir tenu la barrière de Nyagacyamo. Cette barrière avait été érigée au carrefour entre le secteur de Gatonde et celui de Nyamure, sur demande du conseiller de secteur. Aucun Tutsi n’y aurait été arrêté ou tué. Les gendarmes n’ont joué aucun rôle particulier, et il n’y a jamais vu Biguma. Mais le jour de l’attaque de Nyamure, il a vu un véhicule 4×4 Toyota Hilux rouge transportant trois gendarmes passer près de la barrière. Les gendarmes leur ont donné l’ordre de se rendre sur la colline. Lui était avec quatre autres personnes sur la barrière, mais d’autres villageois étaient déjà partis. Ils étaient armés de machettes et de gourdins et ils les ont suivis à pied. Ils ont garé le véhicule à l’école primaire de Nyamure et eux ont emprunté un sentier qui menait à la colline. Les combats avaient déjà commencé lorsqu’ils sont arrivés, il y avait déjà des tirs. Les Tutsi qui échappaient aux balles étaient achevés à coups de machette ou de gourdin par les civils. Lui dit n’avoir lancé que des pierres sur les réfugiés. Il n’aurait pas tué ce jour-là car il était dans un groupe de gendarmes qui tiraient des balles.
Le Président lui demande pourquoi est-ce que devant les autorités suédoises il avait affirmé qu’il s’agissait de militaires. Il a répondu qu’à l’époque il ne savait pas les distinguer. Ce n’est que plus tard, lors de la collecte d’informations, qu’il a su qu’il s’agissait de gendarmes. Ceux avec qui il montait sur la colline n’avaient en plus pas de bérets, car c’était la bataille. Il ne connaît pas Biguma, et ne l’a jamais vu. Il explique avoir grandi à la campagne, dans la région du Mayaga loin de la ville.
L’avocat général lui a demandé des précisions sur l’organisation à la barrière de Nyagacyamo. Il a expliqué qu’il n’y avait pas vraiment d’organisation fixe, ceux qui y allaient la journée tenaient la barrière le lendemain soir. Sur l’attaque de la colline de Nyamure, il dit n’avoir entendu ni hélicoptère, ni explosion venant d’une arme lourde. Il n’y a pas non plus vu Mathieu Ndahimana.
Me Altit pour la défense l’a ensuite interrogé sur cette collecte d’informations dont il a parlé. Monsieur MUSABYIMANA a expliqué que cela s’était passé vers 2003-2004, les prisonniers étaient réunis par secteur et chaque secteur choisissait un chef. Souvent, il s’agissait de prisonniers qui avaient eu des postes à responsabilité avant, conseiller de secteur ou responsable de cellule par exemple, ou sinon des prisonniers qui savaient lire. Lui son chef était son conseiller de secteur celui qui avait fait ériger les barrières.
Me Altit lui a demandé pourquoi dans ce cas, il avait parlé de militaires devant les suédois en 2014 alors qu’il avait appris entre temps qu’il s’agissait de gendarmes. Le témoin a expliqué qu’il ne voulait pas compromettre le contenu de ses aveux antérieurs.
Un deuxième témoin a été entendu ce matin. Il s’agit de Silas MUNYAMPUNDU. Le Président a d’abord rappelé sa carrière. Juge de 1984 à 1994, puis bourgmestre de Ntyazo jusqu’en 2000, il a été vice-maitre de Nyamure jusqu’en 2006. Retraité aujourd’hui, il explique quand même travailler à son compte dans l’agriculture et l’élevage. Pendant le génocide, il s’est caché dans les brousses jusqu’au 29 avril, date à laquelle il s’est enfui au Burundi avec sa famille. Il n’a rien vu de ses propres yeux s’agissant des faits qui intéressent la cour. Cependant, une fois nommé bourgmestre de Ntyazo, il explique avoir appris par la population que beaucoup de personnes avaient été tuées sur la colline de Nyamure et que les corps étaient encore là. Il s’y est rendu en août 1994 avec d’autres autorités locales pour procéder aux inhumations des corps. En comptant les crânes, ils ont dénombré environ 11 000 victimes. Il a constaté que beaucoup de personnes avaient été tuées par balles, mais aussi que certaines avaient été victimes d’explosions car leur poitrine était déchiquetée. Les explosions se voyaient aussi au sol. Il s’agissait d’une colline rocheuse, les impacts d’obus ont détaché des roches qui ont blessé voire tué des gens. Les obus avaient pour but de faire peur, de les disperser.
Interrogé sur le schéma de l’attaque, Monsieur MUNYAMPUNDU a appris que les Interahamwe avaient encerclé la colline et que les réfugiés s’étaient défendus avec des pierres pour ne pas qu’ils arrivent jusqu’à eux. Comme les Interahamwe étaient proches de personnalités importantes telles que les conseillers des secteurs alentours et Mathieu Ndahimana, ils sont allés leur demander de l’aide. C’est ce dernier qui est parti chercher des renforts avec son ambulance aux militaires et aux gendarmes de Nyanza. Il a appris cela des survivants, comme Valens Bayingana, mais aussi de Mathieu Ndahimana lui-même une fois rentré d’exil. Il était quelqu’un d’important en tant que dirigeant du centre de santé de Nyamure, il était fort et avait de l’influence sur la population et les Interahamwe. Il lui a dit qu’à ce moment-là il était à la chasse de toute la gente Tutsi dans le but de tous les tuer.
Monsieur MUNYAMPUNDU a connu Philippe Hategekimana à l’école secondaire de Nyanza, bien que ce dernier ait deux ans de plus que lui. Selon lui, Philippe Hategekimana avait « la haine des Tutsi ». Cela se voyait qu’il n’était pas content quand par exemple il y avait des jeux et qu’il était en présence d’un Tutsi. En 1973, il y a eu des troubles à l’école. Les élèves Tutsi, dont lui-même, ont été sortis des classes, frappés et renvoyés. C’est Philippe Hategekimana qui était à la tête de ces attaques de la part des élèves Hutu. Quand il est revenu à l’école, les relations ont repris entre les élèves Tutsi et les élèves Hutu dont Hategekimana. Quand lui est devenu magistrat et Hategekimana gendarme, ils ne se sont pas beaucoup vus. En revanche, ils se sont croisés régulièrement début 1994 lorsque Hategekimana travaillait à Nyanza et lui à Nyamiyaga. Il ne lui a rien manifesté comme idée extrémiste à ce moment-là, ils ne faisaient que se saluer.
Le Président interroge l’accusé. Lui ne se rappelle pas de Silas MUNYAMPUNDU 54 ans après, sachant qu’il avait deux ans de moins que lui. Il dit avoir été vice-doyen de l’école, donc c’est normal qu’il le connaisse. Philippe Hategekimana va ajouter un autre élément, et va affirmer qu’il était un bon footballeur mais pas Silas Munyampundu. Le Président va lui demander comment il peut affirmer cela s’il ne le reconnait pas. L’accusé va se reprendre et dire que s’il avait été bon footballeur il l’aurait reconnu il aurait été dans l’équipe de foot numéro 1 de l’école, comme lui. Il a ensuite confirmé qu’il y avait bien des troubles dans les écoles en 1973 et que les Tutsi avaient été chassés. Toutefois, il nie y avoir pris part.
Me Philippart va lui rappeler que lors de la première semaine d’audience et de son interrogatoire de personnalité, il avait affirmé qu’à l’école il n’y avait pas de discriminations à l’égard des élèves Tutsi, et qu’il y avait au contraire une bonne entente. L’avocat général a demandé plus de précisions sur ce qu’il s’est passé en 1973 et Philippe Hategekimana va affirmer qu’il conteste que des élèves Tutsi aient été frappés en 1973. Interrogé par Me Karongonzi sur ce qu’il sait de la mort du bourgmestre Nyagasaza, le témoin va répondre avoir collecté comme information que c’est Philippe Hategekimana qui l’a arrêté et ramené à Nyanza pour le tuer. C’est lui qui était l’homme fort de la gendarmerie, il était l’adjoint du commandant. L’accusé a souhaité préciser que c’est le sous-lieutenant qui était l’adjoint de Birikunzira, pas lui. Le témoin a réagi en disant que dans la réalité c’est ça qui ressortait. L’avocate générale veut l’interroger ensuite sur la personnalité de l’accusé. Il va expliquer qu’en tant que vice-doyen il s’occupait de distribuer la viande, et qu’à ce titre il était surnommé Ngurube, c’est-à-dire « porc » ou « cochon ». Ils lui donnaient des surnoms car il était connu à l’école pour des actes de méchanceté. C’est possible que ceux qui lui ont donné le surnom Biguma l’ont fait aussi pour ces raisons, mais il ne peut pas l’affirmer. L’accusé a demandé à ce moment-là au Président s’il pouvait demander aux interprètes de traduire le nom Biguma en Kinyarwanda. Ils ont alors expliqué que c’était comme si vous donniez quelque chose à quelqu’un et que vous lui retiriez. C’est assez péjoratif, car c’est quand quelqu’un veut atteindre un objectif, ou a une chance, et que vous l’en empêchiez ou la retiriez à la dernière minute. Philippe Hategekimana a expliqué que Biguma était le surnom donné à l’inspecteur de l’ESO qui, à la toute fin de la formation, faisait échouer les élèves. C’est comme ça qu’il a eu ce surnom. Comme ils avaient le même nom de famille, on disait qu’il était son petit-frère pour lui faire du mal.
L’avocat général a ensuite interrogé le témoin sur ce qu’il savait de la présence d’un hélicoptère pendant l’attaque de Nyamure. Il a appris des informations qu’il a collectées que cet hélicoptère survolait Nyamure pour encourager les gens qui étaient là, mais pour lui il se dirigeait vers l’Isar Songa. En le voyant, les Tutsi ont sûrement pensé qu’il y avait des forces supplémentaires, ça a dû jouer dans l’esprit des gens. Me Guedj l’a interrogé sur la fiabilité du témoignage du Mathieu Ndahimana, qui dans ses auditions, a affirmé que Monsieur Munyampundu mentait. Selon Ndahimana, il n’aurait pas participé à l’attaque de Nyamure et il lui aurait uniquement parlé des premières attaques qui ont échoué. Le témoin répond que c’est lui qui ment, il a bien dirigé la grande attaque.
En début d’après-midi, la Cour a rendu son arrêt concernant la colline de Karama. Si la colline de Karama est proche de Nyamure et de l’ISAR Songa, il s’agit de faits distincts. Il n’apparaît pas que l’accusé ait été interrogé sur les faits de la colline de Karama au cours de l’instruction. La colline n’a en plus fait l’objet d’aucune vérification, aucune remise en situation. Les magistrats de la chambre de l’instruction ont par ailleurs bien distingué chacun des faits en les citant de manière très précise, avec des intitulés très clairs, sans équivoque et où il n’est jamais fait mention de la colline Karama. La Cour estime pour ces raisons qu’elle n’est pas saisie de ces faits et qu’ils ne font pas partie des faits pour lesquels Philippe Hategekimana a été mis en accusation devant la Cour d’assises.
L’après-midi est réservée aux parties civiles. La première à être entendue est Grâce BYUKUSENGE, représentée par Me Gisagara. À l’époque du génocide, elle habitait avec sa famille à Ntyazo, secteur de Nyamure. Avant le génocide, elle a subi des discriminations à l’école. Alors qu’elle avait réussi son examen d’entrée en études supérieures et que les résultats avaient été annoncés, sa place a été donnée au dernier moment à un élève Hutu. Son père lui a dit d’aller passer une semaine chez sa tante à Gitarama, à qui on venait de tuer le mari. Elle y est restée deux semaines car sa tante ne voulait pas la laisser partir. Après l’attentat du 6 avril 1994, elle a fait constater à sa tante que l’on commençait à manger les vaches des Tutsi à Gitarama, mais elle n’imaginait pas la tournure que ça allait prendre. Les détracteurs sont arrivés chez eux. Un homme Hutu lui a proposé de la cacher, mais elle a préféré rentrer chez ses parents. Même si elle devait mourir, elle préférait être avec ses parents. Elle y a trouvé beaucoup de Tutsi venus se réfugier de partout. Le climat n’était pas bon là-bas non plus. Le matin, des gens sont venus leur dire d’aller barrer la route à une attaque venant du Bugesera. Tout le monde, Hutu comme Tutsi, est parti ensemble. Les Hutu de chez eux n’avaient pas encore commencé à tuer. Avec sa famille, ils sont montés à Nyamure. Ils y ont retrouvé une foule de gens. Plusieurs attaques sont arrivées, dont le but était de les tuer mais aussi de piller leurs biens. Les enfants et les femmes ramassaient des pierres pour les donner aux jeunes garçons et aux hommes pour qu’ils les repoussent. Mais au bout d’un moment, ils ont remarqué qu’ils perdaient les batailles.
Un jour, vers 14 heures, alors qu’elle se trouvait près d’une femme qui était en train d’accoucher, une attaque est arrivée. Ils se sont tout de suite dit qu’ils allaient être exterminés. Un véhicule est arrivé par Kavumu et s’est arrêté à l’école de Nyamure. Ils sont descendus, certains portaient des uniformes et d’autres pas. Ceux qui étaient avec elle lui ont dit qu’il s’agissait de gendarmes, elle n’était pas en âge de faire la différence. Ils sont montés sur la colline. En essayant de fuir, elle s’est rendue compte avec d’autres réfugiés que les Interahamwe les avaient encerclés. Ceux qui connaissaient Biguma ont dit en le voyant arriver sur la colline : « c’est fini pour nous, il va nous exterminer ». Celui qui était désigné comme Biguma est venu vers eux et leur a tiré dessus avec un fusil. Une pluie de balles s’est abattue sur eux juste après, c’était comme s’il avait donné un signal. Avec ceux qui n’étaient pas blessés, elle est partie en courant et a couru en direction de chez elle. Elle a constaté que sa maison avait été détruite et est donc repartie dans les brousses vers Gatare. Elle est tombée sur une barrière, ils l’ont fait s’asseoir. Ils se sont mis à tuer les gens assis. Mais quelqu’un est intervenu pour leur dire de ne pas tuer les femmes et enfants.
Entre temps, ils avaient été roués de coups. Elle est partie se cacher dans les brousses mais elle était blessée au dos. Elle ignorait que son père se cachait dans un buisson près d’elle. Elle a su qu’il était là quand les Interahamwe l’ont trouvé. Il les a suppliés de l’épargner et leur a dit qu’il pouvait leur donner de l’argent. Ils sont partis chez sa grand-mère qui leur a remis 7 000 francs rwandais. Mais finalement, ils ont décidé de le tuer. Elle a entendu les cris des Interahamwe qui s’en vantaient. D’autres gens qui se trouvaient dans les buissons lui ont dit qu’il fallait partir sinon ils allaient mourir. Ils sont partis vers Nyabisindu à Gitarama. Réfugiés dans une église, ils ont retrouvé un certain nombre de Tutsi. Les attaques se sont enchaînées, ils ont tué des gens à travers les barbelés, ont violé des filles. Après plusieurs jours, des militaires de Gitarama sont arrivés pour leur dire que ce lieu n’était pas fait pour les réfugiés et qu’ils allaient les emmener ailleurs à Kabgayi. En réalité, c’était pour les regrouper tous en un même lieu pour les tuer. Mais les Inkotanyi les ont trouvés avant qu’ils ne soient tous morts. Beaucoup d’entre eux étaient blessés à force d’être battus. Elle-même a reçu des soins pour son dos après avoir été emmenée au Bugesera. Ils leur ont dit ensuite que la paix était revenue et qu’ils pouvaient repartir chez eux. Mais ils n’ont retrouvé que des ruines, tout était détruit. Elle espérait retrouver des membres de sa famille, mais ils étaient tous morts. L’avocate générale a rappelé que son témoignage concordait avec celui de Foibe MUHIGAYANA qui a témoigné la semaine dernière. Me Alexis Guedj lui a demandé si elle n’avait pas entendu le nom d’autres gendarmes, comme Birikunzira, mais elle a répondu n’avoir entendu que celui de Biguma.
Interrogée sur Mathieu Ndahimana, elle dit avoir su après le génocide qu’il avait dirigé un grand nombre d’attaques et qu’il avait entraîné beaucoup d’Interahamwe, mais elle ne l’a jamais vu.
La deuxième partie civile à être entendue est Florence NYIRABARIKUMWE. En avril 1994, elle était âgée de neuf ans et elle était en vacances. Des parents de sa mère et des voisins de sa localité d’origine (Ruhango) sont arrivés chez eux, à Muyira dans la cellule de Nyamure. Ils sont arrivés très apeurés, ce qui a fait peur à sa mère. Ils leur ont dit qu’un génocide avait lieu chez eux et qu’ils sont venus chercher refuge. Ils sont partis tous ensemble à la colline de Nyamure, où ils ont retrouvé beaucoup d’autres personnes. Ils sont restés quelques jours pendant lesquels ils ont subi plusieurs attaques. Ils voyaient arriver beaucoup de gens en contrebas de la colline avec des feuilles de bananiers sur la tête. Ils venaient en chantonnant « exterminons-les, exterminons-les ». Les hommes jetaient les pierres ramassées par les femmes et les enfants. Cela a duré plusieurs jours. Quelques jours plus tard, vers 14h, elle a vu la sœur de mère déchirer des billets. Elle a entendu sa mère dire que ça en était fini pour nous. Alors que sa mère essayait de les rassembler avec ses frères et sœurs, Florence Nyirabarikumwe a vu un bout de chair tomber à côté d’elle. Elle a perdu connaissance à ce moment-là : elle dit être tombée comme morte.
En réalité, elle avait été blessée mais elle ne s’en est pas rendue compte. Quand elle s’est réveillée, on lui a conseillé de faire la morte pour ne pas être repérée. Quand les assaillants sont partis, elle s’est relevée et s’est assise. Elle n’a vu que des cadavres partout. Ses parents et ses frères et sœurs étaient près d’elle, mais tous avaient été tués. Elle a passé plusieurs jours au milieu des cadavres, elle n’arrivait plus à réfléchir. Quelques jours plus tard, elle a entendu une voix qui lui disait « partons d’ici pour ne pas qu’on y meure ». Elle n’a pas vu la personne qui lui a dit cela. Elle est donc retournée chez elle. Devant chez sa tante, elle a vu que les maisons étaient en train d’être détruites, donc elle a changé de chemin vers chez un ami de la famille qui pouvait peut-être la cacher. Mais celui-ci l’a chassée avant même qu’elle n’atteigne sa propriété. Elle a quand même réussi à ce qu’on lui donne de l’eau. En buvant, elle s’est rendue compte qu’elle avait des plaies dans la gorge. On lui a dit d’aller chez la femme de son oncle, qui avait été épargnée à cause de sa vieillesse. Elle est restée chez elle pendant un moment. Un jour, un homme est venu voir sa tante. En la voyant, il a demandé « mais qui est cet enfant ? ». En apprenant qui elle était, cet homme l’a frappée. Il a dit : « si je reviens et que je vous retrouve là, je vous tuerai ». Elle a donc fui la maison. Elle a appris plus tard que cette femme avait été tuée juste après.
Me Paruelle a tenu à ce que l’on montre la seule photo qui lui reste de sa famille, où elle nous a montré notamment son père. Florence Nyirabarikumwe a voulu poser une question à l’accusé : « puisque vous étiez Rwandais pendant le génocide, que vous avez dirigé beaucoup de personne, toi tu étais où, qu’est ce qui se passait là où tu étais ? ». L’accusé a répondu qu’il n’était pas présent lors de ces faits.
La journée s’est terminée par l’audition de Gloriose MUSENGAYRE, représentée par Me Bernardini. Âgée de 15 ans au moment du génocide, elle habitait avec sa famille dans la commune de Ntyazo, dans le secteur de Cyimvuzo. Ils étaient une fratrie de dix enfants. Ils ont appris la mort de Juvénal Habyarimana à la radio. À partir de là, ils passaient leur journée à la maison, et la nuit ils se cachaient dans des buissons. Son père a proposé de fuir mais de manière dispersée, pour qu’il y ait des survivants. Son père avait bien conscience de la gravité des choses, mais elle et ses frères et sœurs pensaient partir seulement pour un temps. Elle est partie avec sa grande-sœur et une cousine sur la colline de Karama, mais elles ne sont pas restées longtemps au vu des tueries qui avaient déjà commencé. On leur a dit de fuir les lieux et de suivre les autres pour se réfugier au Burundi. Elles se sont allées vers l’Isar Songa. Sur la route, elles ont rencontré des hommes qui avaient été émasculés. Elles ont eu peur, ils ne parlaient plus mais étaient encore en vie. À l’Isar Songa, elles ont retrouvé un grand nombre de Tutsi. Elle s’est dit qu’elle était enfin en sécurité. Mais un avion est arrivé et a commencé à tirer sur eux. Les adultes leur ont demandé de se cacher. Une femme enceinte l’a attrapée par le bras pour qu’elle reste avec elle. Elles ont réussi à se cacher et sont restées cachées pendant une semaine. Le lendemain de l’attaque, elles ont vu des assaillants revenir pour achever ceux qui étaient blessés par les balles. À un moment donné, la femme avec qui elle était a commencé à avoir des contractions. Comme la femme n’arrivait pas à accoucher, elle lui a dit qu’il valait mieux aller chercher de l’aide dans une maison. Elles ont marché pendant deux jours sans trouver un endroit où accoucher. Le troisième jour, elles sont tombées sur des barrières érigées sur la route. Elles ont été frappées. Le Président des Interahamwe locaux a demandé à ce qu’on les conduise à un centre de santé. À leur arrivée, la femme a accouché. Les Interahamwe sont revenus ensuite et les ont emmenées à une fosse en contrehaut du centre de santé. D’autres personnes étaient alignées à côté de la fosse. Certains ont accepté de sauter dans la fosse, mais elle a refusé. Elle est partie dans les brousses. Les Inkotanyi l’ont trouvée dans la forêt.
Le Président lui demande si c’était un avion ou un hélicoptère qui les a attaqués à l’ISAR Songa. L’interprète a précisé qu’en Kinyarwanda c’était un terme générique qui pouvait signifier avion ou hélicoptère, mais il s’agit bien d’un hélicoptère selon Gloriose MUSENGAYRE.
Le Président a ensuite clôturé l’audience par la lecture de plusieurs auditions de personnes entendues au cours de l’instruction. Certains, comme Jean de Dieu BUCYIBARUTA et Ildephonse KAYIRO, mettent en cause Biguma et Mathieu Ndahimana dans les attaques de Nyamure et de Karama. Azarias Mbarushimana n’a mis en cause que Mathieu Ndahimana dans l’attaque de Nyamure avec des gendarmes de Nyanza, mais ne parle pas de Biguma. Révérien Ngendahimana a entendu parler de la participation de Biguma à l’attaque mais ne l’a pas vu.
Léna JAOUEN, Stagiaire Commission Justice Ibuka France