Fiche du document numéro 34700

Num
34700
Date
Mardi 3 décembre 2024
Amj
Auteur
Taille
104207
Titre
Procès en appel de Philippe Manier à la Cour d’assises de Paris - Jour 20
Sous titre
Compte rendu de l’audience du lundi 2 décembre 2024
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
La cinquième semaine du procès en appel de Monsieur Philippe HATEGEKIMANA a commencé ce lundi 2 décembre par l’audition de Monsieur Eric MUSONI, condamné à perpétuité pour crime de génocide, et notamment pour sa participation à l’attaque de Nyamure. Il explique qu’avant la grande attaque sur la colline de Nyamure, ils y menaient déjà des attaques, et que les réfugiés qu’ils « essayaient de tuer », arrivaient à les repousser en jetant des pierres. Il indique avoir participé à ces attaques car il était sous l’influence d’intellectuels, qu’il considérait comme ses chefs, qui lui disaient que les Tutsi étaient les ennemis. Il situe l’attaque le 27 ou 28 avril 1994. Il explique que ses chefs sont allés chercher des gendarmes en renfort et qu’il aurait alors vu passer sur la route, en provenance de Nyanza, un véhicule Daihatsu dans lequel étaient des militaires et des gendarmes. Il soutient que le véhicule a été garé à l’école primaire de Nyamure. Il précise qu’avant l’assaut, il leur a été demandé d’encercler la colline et d’abattre les Tutsi qui tentaient de s’échapper. Il affirme que les forces armées tiraient sur les Tutsi et que les miliciens tuaient ceux qui s’échappaient. Il souligne qu’il y avait un fusil qui « ressemblait à un petit mortier, qui lançait des obus et faisait des explosions ». Il estime le nombre de victimes à environ 4 000 ou 5 000.

Il soutient connaître l’accusé, il indique que son surnom est BIGUMA et qu’il le connait en tant que gendarme à Nyanza. Il affirme que l’accusé était présent durant l’attaque, qu’il se tenait derrière les assaillants et qu’il communiquait les ordres aux gendarmes devant. Il aurait dirigé l’attaque selon lui. Le Président de la Cour souligne une contradiction par rapport à son précédent témoignage. En effet, il aurait dit ne pas savoir qui il était avant qu’une personne lui dise qu’il s’agissait du commandant de la gendarmerie le soir du 20 avril. Le témoin confirme sa position selon laquelle il l’aurait connu avant car il était gendarme dans la sous-préfecture de chez lui. Il reconnait l’accusé lors de l’audience. En outre, le Président relève qu’il n’a pas été interrogé sur l’attaque en 2018 car il avait soutenu ne pas avoir participé à l’attaque de Nyamure, ce à quoi le témoin répond qu’il avait pourtant plaidé coupable pour l’attaque de Nyamure depuis longtemps. Il précise avoir été accusé à tort sur des faits commis dans le secteur de Murama.

Il confirme ses propos tenus devant les gendarmes en 2018, selon lesquels le 20 avril BIGUMA serait venu de Nyanza afin de les « sensibiliser » à la colline de Cyegera. Il soutient l’avoir vu dans un véhicule Toyota, dans lequel il y avait un mégaphone qu’il avait toujours avec lui. Il précise avoir pu se tromper sur la couleur du véhicule. Après sa venue, dans la nuit les massacres ont commencé à cet endroit. Enfin, interrogé par Maître ALTIT, avocat de la défense, sur la position du mortier, le témoin affirme que l’arme était placée au sommet de la colline afin de tirer sur ceux qui s’échappaient. Il précise en outre que les gendarmes avaient des uniformes tachetés verts et noirs, et des bérets rouges.

Monsieur Télesphore NSHIMIYIMANA, condamné pour sa participation à trois attaques lors du génocide, est la deuxième personne de la matinée à témoigner. Il dit avoir « travaillé » avec l’accusé pendant le génocide lors des attaques de Giseke et de Nyamure. Il précise qu’il n’avait jamais vu l’accusé avant l’attaque de Nyamure, et qu’il ne l’a revu ensuite que lors de l’attaque de Giseke. Il explique que l’adjudant-chef a demandé aux militaires du camp de Gitarama de venir en renfort à Nyamure, c’est là qu’il l’a vu, il ne connaissait pas encore son nom. Le témoin faisait partie de ces renforts accompagnés par le sergent Major Emmanuel NDINDABAHIZI, ils étaient environ 40 à 50 militaires. Il indique être arrivé vers 11h30 à la colline, où ils ont retrouvé des civils qui étaient prêts à attaquer. Il affirme que ces derniers ont encerclé la colline et que les militaires ont tiré. Il précise que les civils frappaient les Tutsi avec des gourdins et les machettes. Il explique être reparti avec les autres vers 18h30. Ils seraient arrivés vers 21 au camp militaire.

Interrogé par Monsieur le Président de la Cour sur les véhicules dans lesquels ils sont arrivés, le témoin déclare qu’il y avait trois véhicules et non deux ; une Daihatsu, de couleur jaune, qui appartenait à la laiterie arrivée avec le groupe de Biguma, une autre Daihatsu arrivée de Gitarama à bord de laquelle il était, et une Toyota Pick up blanche qui transportait les civils Interahamwe. Il indique que les véhicules se sont garés à l’école primaire. Ils avaient plusieurs types d’armes : des fusils R4, des lances roquettes, des fusils MGL qui servent à lancer des grenades et un mortier 60. Il précise que le mortier était installé à l’école, et qu’environ quinze bombes ont été lancées. Il précise que les gendarmes quant à eux avaient des fusils FAR et G3. Il explique que lorsqu’ils sont arrivés sur la colline, les militaires sont passés sur le côté droit et les gendarmes sur le côté gauche. BIGUMA aurait, selon lui, tiré en l’air pour déclencher l’attaque. Ils ont alors tiré sur les Tutsi et leur ont lancé des bombes dessus, la population civile les suivait afin d’achever les Tutsi avec leurs machettes. Il indique qu’après l’attaque, ils sont allés au bar, accompagnés de BIGUMA et du sous-préfet, avant de retourner au camp militaire. Le Président de la Cour relève que dans sa précédente déclaration, le témoin a affirmé qu’il avait appris à ce moment le nom de BIGUMA. Néanmoins, durant l’audience il affirme l’avoir su « le lendemain du jour où [ils ont] pris ce verre dans le bar ».

Monsieur le Président de la Cour souligne que lors des précédentes auditions, il n’est pas indiqué clairement que le témoin était militaire. Cependant, il est relevé par une partie civile qu’il a mentionné une formation militaire. Il est donc souligné qu’il n’a pas clairement été interrogé sur ses fonctions et que c’est pour cela qu’il n’en a pas parlé. Interrogé sur l’attaque de Giseke, dont la Cour n’est pas saisie, il revient sur ses précédentes déclarations. Il soutient que BIGUMA n’a pas distribué les armes contrairement à ce qu’il avait dit précédemment.

Questionné par Monsieur l’avocat général, le témoin indique qu’il ne connaissait pas Mathieu NDAHIMANA le jour de l’attaque de Nyamure, et précise qu’il n’a pas entendu d’hélicoptère ce jour-là. L’avocat général souligne alors que les faits sur cette colline se sont déroulés sur plusieurs jours, et déduit, du fait qu’il ne mentionne qu’environ 3 000 ou 4 000 morts et qu’il n’ait pas entendu d’hélicoptère, que le témoin n’était surement pas présent le dernier jour, mais lors d’une attaque précédente. La défense relève que le témoin avait été interrogé sur l’attaque de la colline contrairement à ce qui a été indiqué précédemment. Le témoin explique alors qu’il n’a pas souhaité répondre à leur question car il avait peur que sa réponse ait des conséquences sur lui.

L’audience a repris en début d’après-midi avec l’audition de Monsieur Damascène BUKUBA, jugé et innocenté lors des Gacaca. Il était présent à Rwesero lors du génocide. Il explique qu’une barrière a été mise en place à Rwesero, après l’attentat, le 8 avril, mais précise ne pas se souvenir vraiment des dates. Il indique qu’ils appelaient cette barrière la barrière de RUGARAMA, mais qu’elle correspond aussi à la barrière de l’AKAZU KAMAZI. Le Président de la Cour relève qu’il avait précisé lors de sa précédente audition que la population avait été sensibilisée, qu’il fallait tuer les Tutsi. Le témoin infirme ces propos et explique qu’il souffrait lors de son audition et qu’il n’était pas en mesure d’être auditionné ce jour-là. Il avait notamment souligné cet état lors de l’audition, expliquant que sa mère était décédée la veille. En outre, le témoin explique que BIGUMA passait en voiture au niveau de la barrière mais sans s’arrêter, à l’exception d’une fois où il aurait déposé deux gendarmes avant de repartir. Il est soulevé qu’il n’a pas mentionné cela dans ses précédentes déclarations, ce qu’il explique encore par le fait qu’il ne se sentait pas bien ce jour-là. Il ajoute connaître de vue l’accusé car ce dernier était gendarme en ville. Il le reconnaît en visioconférence le jour de l’audience. Questionné sur un groupe d’une vingtaine de Tutsi qui a été tué à cette barrière, le témoin soutient qu’il n’était pas présent, mais qu’il avait su qu’ils avaient été tués car ils n’étaient pas là le lendemain matin. Il ajoute que deux gendarmes étaient restés à la barrière cette nuit-là. Il précise que les Tutsi arrêtés à la barrière étaient mis dans la maison de Boniface. Interrogé par Maître GISAGARA, avocat de parties civiles, le témoin précise avoir entendu pendant le génocide que BIGUMA surveillait les barrières. Maitre GUEDJ a ensuite demandé au témoin s’il avait fui sur une autre colline du 15 avril au 15 mai, ce à quoi le témoin a répondu par l’affirmative. Réinterrogé, le témoin dit qu’il ne peut finalement pas confirmer ces dates.

Madame Anne–Marie MUTUYIMANA, rescapée du génocide, a ensuite été entendue. Elle était âgée de 9 ans au moment du génocide et vivait près de l’école primaire de Nyamure. Elle et sa famille ont fui après l’attentat, ils ont d’abord trouvé refuge chez un cousin de son père, avant d’aller se réfugier quelques jours sur la colline de Nyamure. Elle explique qu’un jour son père a appris que les gendarmes de Nyanza allaient venir attaquer la colline, ils ont alors quitté la colline pour aller se réfugier chez une connaissance. De cette cachette, elle entendait les tirs sur la colline. Elle précise que cela a duré un long moment. Ils étaient morts de peur. Elle avait l’impression « que la colline tombait avec le bruit que cela faisait ». Le soir les tirs se sont arrêtés, et ils ont dû quitter leur cachette. Elle, ses deux grandes sœurs et son frère sont partis de leur côté, ils se sont cachés en contrebas de l’école, dans des fossés mais ils ont été débusqués. Elle réussit à échapper aux assaillants en se glissant sous une plante rampante. Elle pensait que son frère et ses sœurs avaient été tués, mais par miracle elle apprit quelques jours plus tard qu’ils avaient survécu. Elle explique avoir réussi à rejoindre son père, ils se réfugient alors tous les deux à Kavumu, là où une de ses sœurs les rejoint. Son père, Monsieur François KAREMERA, catéchiste à l’église centrale de Nyamure et secrétaire à la paroisse de Nyanza, était recherché, c’est pourquoi ils durent quitter cette cachette. Ils se sont alors rendus dans sa famille maternelle, ils ont été débusqués et amenés à la barrière du petit centre de Kirundo. Son père a été torturé toute la nuit. Il a été tué. Les femmes et les filles ont été épargnées, afin d’être tuées plus tard « pour servir de couverture à l’enterrement d’HABYARIMANA ». Elle a alors pu retourner vers chez la famille de sa mère, où les maisons avaient été détruites. Elle est restée dans les ruines jusqu’à la fin du génocide. Elle précise à la Cour que de nombreux membres de sa famille ont été tués lors de l’attaque sur la colline de Nyamure. Enfin, la défense demande à la Cour de prendre acte de ses déclarations selon lesquelles sa fratrie a survécu, car il y a eu des confusions dans l’acte de notoriété, « frère » pouvant signifier « cousin germain » en kinyarwanda.

Maître PHILIPPART a présenté ses conclusions visant à ce que les faits concernant la colline de Karama fassent partie des faits saisis par la Cour. Elle explique notamment que ces faits sont traités de manière « enchevêtrée » aux autres faits dans l’ordonnance de mise en accusation. Elle ajoute, en réponse aux conclusions de la défense visant à écarter les parties civiles qui témoigneraient sur Karama, qu’il n’est pas possible d’anticiper leurs propos et qu’aborder ces faits permet d’apporter des éléments relatifs à l’existence d’un plan concerté. Maître BERNARDINI, aussi conseil de parties civiles, a soutenu cette demande.

L’accusation quant à elle a demandé le rejet de la demande à la Cour, aux motifs que les réquisitions du parquet, l’ordonnance de renvoi et l’ordonnance de mise en accusation, n’évoquent de précision sur la colline de Karama, et que cette demande pourrait violer le droit à l’information de l’accusé. La Défense rejoint ces observations.

Monsieur Cyriaque NYAWAKIRA, rescapé du génocide est la dernière personne de la journée à avoir témoigné. Il était âgé de 15 ans lors du génocide. Il explique avoir fui avec sa famille lorsque les Hutu de sa commune ont commencé à se retourner contre les Tutsi. Il indique que sa maison a été incendiée. Il explique qu’ils ont fui vers la colline de Nyamure car ils pensaient pouvoir rejoindre la frontière de ce côté grâce à la présence du bourgmestre NYAGASAZA. Il est parti avec sa petite sœur de 13 ans. Ils ont rejoint leur famille élargie à Gati. Ils sont confrontés à des Interahamwe, mais arrivent à fuir et à rejoindre la colline de Nyamure vers la nuit du 14 au 15 avril. Il estime y être resté environ 2 semaines, mais précise ne pas avoir de dates certaines.

Le Président de la Cour résume ses anciennes déclarations que le témoin confirme. Il ajoute qu’un jour un Hélicoptère est venu, il a fait plusieurs fois le tour de la colline avant de repartir. Il estime qu’un ou deux jours après, il y a eu la grande attaque où les gendarmes étaient présents. Il précise que les gendarmes dirigeaient l’attaque. Il explique que les gendarmes sont venus avec des véhicules qui correspondaient à des Daihatsu ou à des Pick up et qu’ils se sont garés près de l’école primaire. Il indique que les réfugiés ont été tirés dessus avec des grenades ou des roquettes, c’était des « choses qui explosaient ». Il dit avoir vu Mathieu NDAHIMANA lors de l’attaque, il le connaissait car il l’avait soigné plusieurs fois. Il précise qu’il avait mené des attaques les jours précédents sur la colline, seul avec les Interahamwe.

Néanmoins, interrogé après par Maître DUQUE, conseil de la défense, il précise ne pas pouvoir affirmer s’il était là le jour de la grande attaque, mais qu’il était néanmoins là lors des autres attaques. Il affirme avoir réussi à survivre à l’attaque grâce à la pluie, les gendarmes ayant cessé de tirer vers 18h, la pluie étant trop abondante. Sa mère, ses trois petits frères, ses oncles et tantes n’ont quant à eux pas survécu. Il indique n’avoir jamais vu l’accusé mais avoir entendu parler de lui après l’attaque. Enfin, le témoin est interrogé sur l’attaque à Karama. La défense déclare s’opposer à ce que Karama soit abordé. Le Président souligne alors qu’une partie civile peut raconter son récit.

Concernant Karama, le témoin confirme qu’un hélicoptère a survolé les lieux, que les réfugiés ont résisté aux attaques pendant trois jours et qu’ensuite des gendarmes de Nyanza, des militaires, des Interahamwe et des policiers municipaux sont arrivés en renfort, et que l’attaque a commencé vers 9h du matin. Il est blessé par balle par un militaire. La pluie le sauve, car les assaillants vont s’abriter. Le témoin précise que les Interahamwe sont restés pour achever les survivants. Ils dépouillaient les cadavres et violaient les femmes. Son cousin, l’a retrouvé et l’a amené se réchauffer près d’une maison qui brulait. Le témoin lui a alors demandé de partir afin qu’il ait plus de chance de survivre. Le témoin s’est résigné à se cacher dans un buisson. Sa blessure s’infectait et commençait à sentir mauvais ce qui attirait les chiens. Il explique avoir réussi à rentrer chez lui malgré tout, en se déplaçant la nuit. Il est arrivé mi-mai, au moment où les Inkotanyi arrivaient. Il raconte avoir retrouvé sa petite sœur à la fin du génocide, mais que celle-ci est tombée malade du virus du Sida, inoculé par les Interahamwe qui l’ont violée lors de l’attaque à Karama. Elle est en décédée.

Enfin, le témoin demande à la Cour d’interroger les avocats de la défense sur les motifs de leur refus d’aborder les faits relatifs à Karama. Maître DUQUE lui répond qu’il s’agit d’une question de procédure pénale, et que cela n’est pas par rapport à lui ou à son expérience. Sur ces propos, l’audience est suspendue.

Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024