Fiche du document numéro 34645

Num
34645
Date
Samedi 9 novembre 2024
Amj
Taille
1646993
Titre
Le négationnisme de Michela Wrong au service de l’idéologie génocidaire
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Les publications et interventions médiatiques de Michela Wrong s’inscrivent dans la lignée des productions négationnistes, de minimisation, et de banalisation du génocide des Tutsi. Wrong emploie un discours complotiste qui repose sur les préceptes de l’idéologie génocidaire. Les procédés négationnistes qu’elle emploie comprennent : le déni de la nature du crime de génocide par une manipulation de désignation du génocide des Tutsi ; la tentative d’établir une équivalence des responsabilités et de dépeindre le génocide des Tutsi comme un conflit interethnique par la promotion de la théorie du double génocide ; une manipulation des faits historiques dans un but de renverser la responsabilités entre victimes et bourreaux ; la déformation des faits liés à l’attentat contre l’avion d’Habyarimana entrainant une interprétation tronquée de l’histoire et une omission latente de la planification du génocide ; la stigmatisation des Tutsi par des clichés racistes et des théories du complot issus de l’idéologie hamitique, constituant la base idéologique du projet génocidaire.

Le discours de Michela Wrong se décline en plusieurs procédés dont le but est de nier des aspects inhérents au génocide. Elle évoque un « génocide au Rwanda » ou un « génocide rwandais », et bien que cela semble être un aveu de la part de Wrong, qu’il y a eu “génocide”, elle va tout au long de ses interventions, utiliser des procédés divers de manipulation du langage, afin de nier, minimiser et banaliser le génocide des Tutsi. Nous allons ici tenter de déconstruire certains de ces procédés de négation en effectuant une analyse critique de son discours.

Déni de l’essence du crime de génocide par une manipulation de désignation du génocide des Tutsi

Michela Wrong emploie les expressions « génocide au Rwanda » et « génocide rwandais dans plusieurs de ses interviews et publications, comme par exemple, dans un de ses derniers articles publié dans Foreign Affairs intitulé « Kagame’s Revenge : Why Rwanda’s Leader Is Sowing Chaos in Congo » [La revanche/vengeance de Kagame, pourquoi le dirigeant rwandais sème le chaos au Congo] (mai/juin 2023). Dans cet article, Wrong fait référence à « Rwanda’s 1994 genocide », que l’on peut traduire de la manière la plus usuelle en français par « le génocide rwandais de 1994 ». Dans son ouvrage Do Not Disturb : The Story of a Political Murder and an African Regime Gone Bad publié en 2021, la désignation « Rwandan genocide » [génocide rwandais] est utilisée sur la quatrième de couverture, puis « the genocide » [le génocide], ou « the 1994 genocide » [le génocide de 1994], sont employés environ 40 fois dans l’ouvrage. Ceci ne comprend pas l’emploi de l’expression dans du discours rapporté. Dans l’édition française du livre publié par Max Milo, sous le titre Assassins sans frontières : Enquête sur le régime de Kagame (2023), « le génocide rwandais » est utilisé 4 fois, « le génocide au Rwanda » 3 fois, et « le génocide » (tout seul) environ 64 fois. Dans l’intégralité des références au génocide des Tutsi dans son livre, dans les deux versions, le mot « génocide » n’est jamais accompagné de « des Tutsi » ou « commis contre les Tutsi ». Du fait de la régularité de l’emploi de cette désignation, « le génocide », qui fait omission du groupe ciblé dans l’intégralité de son livre, nous pouvons déduire que Wrong fait un choix délibéré de désigner ainsi le génocide des Tutsi.

Wrong en effet choisit de ne jamais employer la désignation officielle « génocide des Tutsi », ou en anglais, « genocide against the Tutsi », établie par un décret français et par une résolution des Nations unies. Le décret no 2019-435 du 13 mai 2019 fixe la date de « Commémoration annuelle du génocide des Tutsi » au 7 avril, et la résolution A/72/L.31 de l’assemblé générale des Nations unies, qui a été adoptée le 26 janvier 2018 (environ un an avant le décret voté en France) établit la date du 7 avril comme « International Day of Reflection on the 1994 Genocide Against the Tutsi in Rwanda » ou « Jour international de réflexion sur le génocide des Tutsi au Rwanda en 1994 ».

De même qu’on ne désigne pas la Shoah ou « le génocide des Juifs » par « génocide en Allemagne » ou « génocide allemand », car cela impliquerait une omission explicite du groupe ciblé par le projet d’extermination, et par conséquent une négation de la Shoah, on ne peut faire omission du groupe ciblé par le projet d’extermination des Tutsi. Cet usage tronqué de la désignation du génocide des Tutsi est d’autant plus problématique qu’il fait partie des stratégies de négation privilégiées des négationnistes connus du génocide des Tutsi, visant à nier la nature-même des évènements s’étant produits entre avril et juillet 1994.

Cette désignation incomplète propose une version révisée des évènements en « massacres de masse indiscriminés » de toutes les communautés du Rwanda, telles qu’elles étaient assignées jusqu’en juillet 1994, à savoir, « Hutu », « Tutsi » et « Twa ». S’il n’y a pas de groupe ciblé identifié, il n’y a alors pas de génocide. Ainsi, Michela Wrong, en faisant omission délibérée du groupe ciblé dans les désignations : « génocide » ou « génocide rwandais », nie la nature-même du crime de génocide, créant une confusion quant au sens du mot, et quant aux faits s’étant produits au Rwanda de 1959 jusqu’à la publication de l’ouvrage (période que Wrong couvre plus ou moins dans son livre).

Déni du crime de génocide par un refus d’identification du groupe réellement ciblé

Comme démontré plus haut, Wrong fait omission du groupe ciblé dans sa désignation du génocide. Pour aller plus loin dans l’analyse de ses propos, lorsqu’on lui demande expressément d’identifier le groupe ciblé par le projet d’extermination, elle évoque systématiquement deux groupes, « Tutsi » et « Hutu », tronquant ainsi, comme nous l’avons vu plus haut, la définition-même du mot « génocide », et opérant par conséquent, selon des procédés propres au discours négationniste. Dans une interview intitulée « Rwanda/RDC Congo : quel est le rôle de Paul Kagame ? / Michela Wrong », publiée sur Aloha News le 25 juillet 2024, comme elle le fait systématiquement dans toutes ses interventions médiatiques, après avoir cité la minorité tutsi comme le principal groupe ciblé, Wrong ajoute un « mais aussi », puis elle évoque l’idée que les Hutu, ou bien certains Hutu, ont aussi été visés. En effet, après que son interlocuteur lui demande ce qui s’est passé après l’attentat contre l’avion d’Habyarimana, Wrong lui répond : « Tout de suite après, il y a eu le génocide, on a eu trois mois, 100 jours de massacres, avec la minorité tutsi particulièrement ciblée, mais aussi il y avait des Hutu qui jouaient un rôle dans la politique, étaient considérés comme des réformistes, ou ils étaient mariés avec des Tutsi, ou ils hébergeaient ou protégeaient des Tutsi. Eux aussi se sont fait massacrer… Alors il y a eu des tueries partout… » (00:11:06 – 00:11:48). On constate ici la manière dont Wrong progressivement détourne l’objet de ses propos, en partant de « qui a été ciblé ? », pour finir sur « qui a été ‘massacré’ ? », créant ensuite une confusion par rapport au groupe ciblé par le projet d’extermination, remettant ainsi en question la nature-même du crime de génocide.

Wrong désigne les Interahamwe et l’armée rwandaise comme étant ceux qui ont commis « le génocide », ou une partie du génocide car elle nuance cela ensuite en disant que le FPR, qu’elle assimile par des stratégies discursives variées à toute la communauté tutsi, est aussi responsable du génocide, ce que nous allons démontrer plus bas. Elle indique ainsi que les Hutu ont « aussi » été « ciblés » par les Intarahmwe et l’armée rwandaise, créant une confusion délibérée entre : 1) le fait que les « Tutsi » ont été ciblés pour ce qu’ils étaient, comme cela a été le cas dans le projet génocidaire, et 2) le fait que certains Hutu ont été assassinés pour ce qu’ils faisait ou ne faisaient pas. Elle dit en effet que les Hutu « ciblés » par les Interahamwe et l’armée rwandaiseétaient des « réformistes », sans expliquer ce qu’elle entend ici par cette désignation. Wrong ainsi omet un détail important. Pour comprendre qui sont ces Hutu « réformistes » et pourquoi et par qui ils ont été assassinés, il est important de s’attarder sur le rôle majeur des escadrons de la mort, que Wrong omet de traiter dans son ouvrage et dans ses interviews, tout comme elle omet d’évoquer la planification et la préparation du génocide.

Le journaliste britannique Andrew Wallis, ayant effectué un travail de recherche approfondi sur l’Akazu (« maisonnée » en kinyarwanda et qui dénotait un réseau officieux contrôlant le pays en coulisses par la belle-famille d’Habyarimana, notamment sa femme Agathe et son beau-frère, Protaïs Zigiranyirazo, réseau considéré comme étant celui des architectes du génocide des Tutsi), dans son livre Stepp’d in Blood : Akazu and the Architects of the Rwandan Genocide Against the Tutsi (2019), pour présenter ce qu’étaient les escadron de la mort, se base sur un rapport réalisé en 1990 par la League Rwandaise des Droits de l’Homme. Il écrit que l’« escadron de la mort » était un groupe qui « travaillait sous l’identité du ‘Réseau zéro’ en opération depuis les années 1980. Le rapport nomme 22 membres (…) [d’un] réseau ‘criminel’, en commençant par Habyarimana lui-même (…) [et] indique que des fonds de plusieurs millions de francs rwandais aurait été rendus disponibles pour que l’escadron de la mort fasse son travail sur les opposants du régime, et qu’il était là uniquement pour servir les intérêts des ‘princes du Nord’ qu’on appelait généralement Akazu » (p. 303, les traductions de l’anglais sont les miennes). Ainsi ce qu’entend Wrong par Hutu « réformistes » étaient visés par l’escadron de la mort du Akazu.

Quel lien alors existait-il entre ces « réformistes » et les Tutsi qui eux étaient ciblés pour ce qu’ils étaient ? Andrew Wallis explique dans son livre que même dans les zones rurales, « les groupes locaux du parti MRND [d’Habyarimana] tenaient des réunions dans lesquelles on insistait sur l’idée que le FPR était ‘l’ennemi’ et que tous collaborateurs (…) étaient des ibyitso — traitres (…) Des réunions avaient été appelées à partir de 1991, où chaque Hutu était exhorté à combattre le FPR. Ceux qui décidaient de ne pas combattre étaient considérés comme des collaborateurs » (p. 290-291). Ainsi, comme Wallis conclut : « Au niveau national, les Hutu des partis politiques d’opposition », que Wrong appelle ici « réformistes », « étaient appelés traitres » (p. 291). Les Hutu qui étaient donc visés l’ont été pour avoir refusé de combattre le FPR, ou dans le contexte du projet génocidaire conçu par le Akazu, ont refusé de participer au projet d’extermination des Tutsi. Ils étaient assassinés parce qu’ils étaient considérés comme des « traitres », c’est-à-dire, des « alliés » des Tutsi. ibyitso se traduit également du kinyarwanda par « infiltré », ce qui implique que ceux qui étaient appelé les « collaborateurs » hutu, étaient non seulement vus comme des « traitres » par les planificateurs du génocide, mais ils étaient considérés comme faisant partie d’un groupe homogène (tutsi) qui comprenait toute la minorité tutsi, qu’on désignait donc collectivement comme « ennemi », les premiers en raison de ce qu’ils faisaient ou ne faisaient pas, à savoir, combattre le FPR, ou tuer des Tutsi, et les seconds, pour ce qu’ils étaient. Parce que le terme Tutsi était devenu équivalent d’« ennemi », et de « traitre », alors les non-Tutsi qui refusaient de participer au projet génocidaire « devenaient » des « Tutsi » aux yeux des génocidaires. Nous pouvons déduire que lorsque Wrong emploie « mais aussi il y avait des Hutu [qui étaient ciblés] », elle nie l’essence-même du crime du génocide des Tutsi, qui ciblaient un groupe défini, les Tutsi. Désigner le génocide des Tutsi de 1994 sans identifier le groupe ciblé, ou nuancer ses caractéristiques en y ajoutant les Hutu dits « réformistes », relève d’un discours négationniste.

Promotion de la théorie négationniste du double génocide par le principe d’équivalence morale

Wrong ne s’arrête pas à l’omission délibérée du groupe ciblé dans la désignation du génocide des Tutsi, ou dans l’affirmation que des Hutu ont aussi été ciblés par les Interahamwe et l’armée rwandaise, mais l’un de ses arguments centraux consiste à accuser le FPR — qu’elle qualifie de mouvement rebelle tutsi, stigmatisant ainsi le groupe tout entier — d’avoir ciblé de manière systématique les Hutu (pour ce qu’ils étaient), avant, pendant, et après le génocide. Elle défend l’argument selon lequel la violence qui s’est produite au Rwanda relèverait d’un conflit interethnique, qu’il s’agit d’une violence généralisée où tous les acteurs ayant pris part dans les évènements seraient coupables. Il y aurait ainsi, ce que la journaliste Linda Melvern appelle dans ce contexte, « une équivalence morale », par « l’idée qu’il y a eu deux génocides, l’un ayant presque anéanti la minorité tutsi, et le deuxième secrètement commis par le FPR, dominé par les Tutsi, contre les Hutu » (Melvern 2020). Wrong adhère en effet à la théorie négationniste du double génocide, basant ses arguments principalement sur le « rapport » controversé dit de « Gersony », et le « Rapport Mapping » aussi controversé que le premier.

En effet, dans l’interview citée plus haut, Wrong déclare : « eux aussi avaient beaucoup de sang sur les mains. Ils ont commis des massacres eux-mêmes, des exactions, des atrocités dans les années qui ont suivi, dans les forêts du Congo, contre des déplacés hutu qui s’étaient enfui du pays, mais aussi on a compris qu’il y a eu beaucoup de massacres et atrocités commis avant le génocide » (00:02:50 – 00:03:19). Avec l’emploi double de l’adverbe « aussi » et celui de « eux-mêmes » dans ce passage, Michela Wrong établit une équivalence entre ce qu’elle qualifie de « génocide » et de « massacres du FPR », tendant vers une interprétation des évènements selon laquelle il s’agirait d’un conflit interethnique, où chacun des deux groupes avait l’intention de détruire l’autre, de manière concordante.

Puisque les Tutsi étaient ciblés de manière systématique et préméditée dans le génocide par les extrémistes hutu, l’usage du procédé d’équivalence ici par Michela Wrong suggère, que les Hutu étaient ciblés, de manière systématique et préméditée par les combattants du FPR. Dans cette affirmation qui accuse le FPR d’avoir visé les Hutu, tout comme les Tutsi ont été visés par les extrémistes hutu et l’armée rwandaise d’Habyarimana, Michela Wrong invite dans son interprétation les thèses négationnistes du double génocide et du « génocide » comme élément intégral d’un cycle de violence interethnique entre Hutu et Tutsi. La thèse de Wrong selon laquelle des « massacres systématiques et prémédités » par le FPR/APR contre la population hutu du Rwanda ont eu lieu, repose sur des rumeurs non-corroborées. Wrong se base sur ce qu’on appelle vulgairement le « rapport Gersony », qui n’a toutefois jamais été établi en tant que « rapport », car les conclusions de l’expert américain Robert Gersony, mandaté pour enquêter sur ces rumeurs, avaient entièrement été rejetés par les représentants de l’ONU, ayant été affectés sur ce dossier.

En effet, Jean-Paul Kimonyo dans Rwanda demain, une longue marche vers la transformation (2017) rappelle le contexte de la controverse du « rapport Gersony » auquel Wrong fait 32 références dans son livre dans les chapitres 7, 12, 13, et 14 — pour soutenir son argument d’un « génocide » des Hutu par le FPR/APR (ou ce qu’elle entend comme des « massacres ciblés contre les Hutu », et donc systématiques ou prémédités qui constituent la définition du mot « génocide »). Kimonyo écrit que :

“Le 20 août 1994, le journal le Soir se fit l’écho d’un premier rapport rédigé par l’ONG néerlandaise Novib en collaboration avec deux associations zaïroises et une rwandaise. Elle rapporta les propos de quatre réfugiés blessés affirmant qu’ils avaient survécu au massacre d’une centaine de Hutu perpétré par des militaires du FPR. Sous la pression des ONG, le HCR décida de mener une enquête confiée à une équipe de trois consultants conduite par l’expert américain Robert Gersony (…) elle parcourut ainsi le pays durant cinq semaines entre le mois d’aout et début septembre 1994 (…) A l’issue de sa mission, l’équipe de Robert Gersony conclut que le FPR s’était rendu coupable de massacres soutenus et systématiques de civils hutu. Selon ces conclusions, le FPR aurait tué entre 5000 et 10 000 Hutu par mois de fin avril à fin juillet 1994 (…) Gersony remit ses conclusions au Haut-commissaire des Nations unis, Sadako Ogata, qui les transmit au Secrétaire général Boutros-Ghali (…) au Rwanda, Gersony commença par briefer les représentants de Nations unies en présence de la délégation onusienne venue de New York. Dans un livre de mémoire, Shaharyar Khan [Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU] écrit : « Nous avons écouté Gersony avec horreur et une certaine incrédulité car sa description contrastait non seulement avec les politiques professées par le gouvernement, mais aussi avec les rapports que nos Milobs [observateurs militaires], les représentants des Nations unies sur le terrain, les ONG et les observateurs des droits de l’homme nous avaient envoyés. » (…) Au sortir de cette rencontre, la délégation venue de New York tint une réunion avec les responsables onusiens basés au Rwanda. Ces derniers rejetèrent tous les accusations de Gersony.“(p.151-153)

Le rejet total des accusations de Gersony, ajoute la journaliste Linda Melvern, « n’avait aucune importance pour les médias (…) les chiffres de Gersony avaient apparu dans le New York Times dans lequel on pouvait lire qu’‘une série de tueries et de persécutions par les soldats du FPR étaient dirigées contre les populations hutu.’ » Puis Melvern ajoute qu’« En 1999, les chiffres de Gersony ont été publiés dans un livre-rapport de Human Rights Watch publié par Alison Des Forges (…) [qui] avait décrit ces chiffres comme ‘la première preuve convaincante de tueries systématiques et généralisées par le FPR et revendiqua que les Nations unies avaient censuré le ‘rapport Gersony’ en disant qu’il n’existait pas. » Ainsi, bien que les conclusions de Gersony eussent été rejetées en bloc, Wrong continue à utiliser ce « rapport » controversés pour soutenir son argument d’une culpabilité « équivalente » du FPR à celle des extrémistes hutu et des gouvernements successifs d’Habyarimana et intérimaire.

Wrong suggère par ailleurs que le FPR aurait directement contribué au génocide des Tutsi, voire en serait responsable, suivant la méthode d’accusation en miroir, mais également par omission explicite de la planification du génocide, qu’elle n’évoque jamais dans son livre, ou dans ses interviews. Puis, elle affirme que le FPR aurait commis des « crimes de génocide » au Congo, en se référant au très critiqué « Rapport Mapping ». Elle déclare en effet dans la même interview en répondant à son interlocuteur qui demande si le FPR a mis fin au génocide :

“[Avant] d’arriver au moment du génocide, le FPR avait commis beaucoup d’exactions, et on sait ça maintenant parce qu’il y a eu des témoignages. Alors on sait que le mouvement avait déjà du sang sur les mains. Après cela, il y a la question de qui a fait descendre l’avion, parce que c’est ça qui a déclenché le génocide. Et après cela pendant que le génocide avait lieu, il y avait aussi des massacres commis par le FPR eux-mêmes, des atrocités. Et après quand ils ont pris le pouvoir, les forces de Kagame sont entrées au Congo et ils ont commis 617 massacres, des atrocités dans les forêts du Congo contre les Hutu réfugiés qui s’étaient cachés là-bas. Présenter ça comme ‘le FPR a mis fin au génocide c’est très banal, c’est beaucoup trop simple. C’est une histoire où il y a un mouvement qui, oui il y a eu sans aucun doute un génocide, mais aussi il y a mouvement rebelle qui a du sang sur les mains, et il faudrait qu’on admette ça.” (00:25:00-00:26:15)

Plusieurs éléments sémantiques et stylistiques sont à relever dans cet extrait démontrant que Michela Wrong établit ici une équivalence morale entre les bourreaux et les victimes, faisant omission de la planification du génocide, tout en promouvant l’idée d’un double génocide, pour ainsi interpréter les évènements historiques du Rwanda comme un conflit interethnique, et par là nier le génocide des Tutsi. On constate qu’au-delà de l’équivalence, elle fait une tentative directe de renversement des responsabilités accusant le FPR/APR d’être coupable des évènements qui se sont produits entre avril et juillet 1994. En effet, l’usage dans cet extrait par Wrong du procédé d’énumération, qui est une figure stylistique d’amplification, exprimé ici par Wrong sous forme d’une anaphore, à savoir l’emphase faite par la répétition de la même formule en début de phrase, en l’occurrence ici l’usage de la formule « Après cela », « Et après », « Et après », permet à Wrong de lister, par ce procédé double d’amplification (énumération + anaphore), des arguments qui ont pour but d’aboutir à la conclusion que le FPR serait le coupable. A cette énumération s’ajoute le chiffre « 617 » ayant ici une fonction hyperbolique, tel qu’employé par Wrong, qui attribue la totalité des « 617 massacres » énumérés dans le « Rapport Mapping » au FPR, bien que le « Rapport » accuse tous les groupes armés ayant opéré en RDC. Cette manipulation flagrante « des preuves » par des fausses vérités, ou l’usage des approximations, est un motif récurrent chez Wrong et confirme une démarche conspirationniste qui remet en question la crédibilité de toutes ses affirmations.

Dans cet extrait, selon Wrong le FPR a 1) commis des crimes de génocide avant avril 1994, qu’elle appelle ici des « exactions » (commises de manière systématique) contre la population hutu, et qu’elle a qualifié de « campagne de purification ethnique » « quatre ans avant le génocide », au moment où elle été citée comme témoin à décharge, le 7 novembre 2024, au procès en appel de Philippe Hategekimana, condamné à perpétuité en France pour son rôle dans le génocide des Tutsi. Dans cet extrait d’interview elle affirme ensuite que 2) le FPR a fait « descendre l’avion » d’Habyarimana, et que c’est une preuve selon elle qu’il est responsable du génocide qui aurait selon elle été « déclenché » par cet attentat. Il s’agit ici de l’argument type de négation du génocide des Tutsi qui dit que « le génocide » serait une réaction spontanée et non l’exécution d’un plan prémédité, et qui nie par ailleurs le fait que le FPR a été exonéré de cette accusation par un non-lieu, suite à l’enquête manipulée et controversée du juge Bruguière. Cette enquête a été en effet qualifiée par Bernard Maingain, l’un des avocats des militaires de l’armée patriotique rwandaises mis en cause, dans son livre Le cri du Falcon : Kigali 6 avril 1994 (2024), de « manipulation sans précédent dans l’histoire judiciaire de la France » « [signée] par le premier cercles des génocidaires et certains de leurs amis français » avec « faux témoins, fausse boite noire, faux tubes lance-missiles, fausse localisation des tirs, faux messages de stations d’écoute, faux certificats établis au sein de l’armée française… ». Wrong finit son argument de la responsabilité du FPR/APR par 3) l’accusation de « crimes de génocide », faisant référence ici au chiffre « 617 », selon le controversé « Rapport Mapping », qui sera déconstruit plus plus bas dans cette analyse.

La conclusion de l’argument de Wrong dans cet extrait est une indication directe de sa volonté de renverser les responsabilités vers le FPR/APR, procédé caractéristique de négation du génocide des Tutsi, qui consiste à renverser les rôles entre victime et bourreau, pour aboutir à la conclusion qu’il n’y aurait dans cet événement (le génocide des Tutsi), ni coupable ni innocent, ou bien où tous seraient coupables, de manière équivalente, d’une violence « inter-ethnique », supprimant ainsi l’occurrence d’un génocide. Elle conclut cet extrait en effet par un énoncé conspirationniste, dont l’objectif final ici est de diaboliser le FPR, et donc de le déclarer coupable du génocide, en niant explicitement le fait établi, que le FPR a mis fin au génocide. En effet, elle déclare, par un procédé antithétique, qu’il y aurait une contradiction entre les « faits » et les « mots », à savoir entre la liste de faits qu’elle énumère, montrant à ses yeux la culpabilité du FPR, et ce qu’elle considérerait être « la version officielle », expression qu’elle utilise dans son livre, qui dit que le FPR a mis fin au génocide. Elle dit en effet : « Présenter ça comme ‘le FPR a mis fin au génocide’ c’est très banal, c’est beaucoup trop simple. »

Wrong dans son livre nie également que Paul Kagame et le FPR ont mis fin au génocide, et ce dans le seul objectif de dépeindre une image plus négative du FPR, pour soutenir son argument de culpabilité du mouvement. Elle met cette affirmation systématiquement entre guillemets pour marquer sa distance. Au chapitre 2 elle écrit : « Le président Paul Kagamé, considéré comme ‘celui qui a mis fin au génocide’ » (p. 74 version Kindle). Puis au chapitre 11 elle déclare : « Malgré l’étiquette … » (ce terme étiquette est pour Wrong un synonyme de la formule « histoire officielle » communément utilisée par les négationnistes du génocide des Tutsi et que Wrong utilise dans son livre au chapitre 11 en parlant de la politique mémorielle, ainsi qu’au chapitre 21 où elle s’indigne que ceux qui remettraient en question « l’histoire officielle » serait taxés de « négationnistes » p. 614 version Kindle) « … dont est généralement affublé le FPR aujourd’hui et qui le présente comme ‘l’ancien groupe rebelle qui a mis fin au génocide’ » (p. 360 version Kindle). Ou encore au chapitre 17, elle écrit : « l’homme qui est régulièrement considéré par l’Occident comme ‘celui qui a mis fin au génocide’ » (p. 538 version Kindle).

Enfin, dans l’extrait de l’interview de Wrong citée plus haut, l’emploi de l’antithèse à la fin de l’extrait caractérisée par l’usage de l’adverbe d’opposition « mais » est une marque de négation cette fois-ci explicite du génocide des Tutsi. En effet la phrase : « oui il y a eu sans aucun doute un génocide, mais aussi il y a mouvement rebelle qui a du sang sur les mains » indique qu’elle remet en question de manière frontale la première partie de sa déclaration (partie A) — qu’elle énonce par simple stratégie de ne pas être accusée de « négationniste », comme elle l’a montré dans plusieurs de ses interventions — à savoir, qu’« il y a eu un génocide », par la deuxième partie (partie B) de son énoncé introduit ici par « mais ». L’antithèse, où la partie A est contredite par la partie B de son énoncé, séparées par l’adverbe d’opposition « mais », tente d’indiquer en d’autres termes que selon Wrong, il est impossible de parler de génocide contre un groupe, les Tutsi, alors que ce même groupe serait coupable de, ou aurait provoqué, ce génocide (du fait de ce qu’elle nomme les « exactions » contre la population hutu avant le génocide, et la supposée responsabilité du FPR dans l’attentat contre l’avion) et qui constitue selon elle « l’histoire officielle ». Elle remet par ailleurs doublement en question cette « version officielle » par l’expression « il faudrait qu’on admette ça », en d’autres termes, « il faudrait » selon elle « admettre » qu’il y a une autre version de l’histoire que « celle que tout le monde croit », i.e., « l’histoire officielle ».

Des théories du complot au blanchiment du projet génocidaire

Comme nous l’avons indiqué plus haut, les affirmations de Wrong s’inscrivent dans une continuité discursive négationniste basée sur l’équivalence et le renversement des responsabilités, suivant le postulat que fait Wrong dans tout son travail, à savoir, si le FPR est désigné coupable de quelque chose, il est alors responsable de tout, donc du génocide. Ce postulat, et tous les arguments qu’elle utilise, indique chez Wrong une volonté de blanchir le projet génocidaire et de rendre les Tutsi responsables de leur propre extermination. Sa démarche est résumée dans une de ses interventions les plus récentes. Dans une interview sur ABC Radio National, chaine radio publique australienne, publiée sur ABC Listen le 3 octobre 2024, l’animateur de la radio, Hamish Macdonald, demande à Michela Wrong, qui selon elle est responsable du génocide : « Michela, I know you’ve researched this extensively. You’ve written a book about it. Can you help us understand who was to blame? [Michela, vous avez effectué une recherche poussée sur la question. Vous avez écrit un livre dessus. Est-ce que vous pouvez nous aider à comprendre qui est responsable ?] » (00:16:20 – 00:16:29). Wrong répond: « I think the people to blame are the people who committed the killings. First and foremost. [Je pense que ceux qui sont responsables sont ceux qui ont commis les massacres. D’abord et avant tout.] » (00 :16 :30 – 11:16:35). Puis elle continue :

“There were widespread killings, and they were carried out by members of the Rwandan army. And they were also carried out by members of the Hutu militias who had been training and forming. But I think it is important to talk about context. And one of the things that people tend to focus upon is the fact that the plane had been brought down with the president and that had sent out to the Hutu community this message of, you know, the inyenzi as the Tutsi, the RPF, were called the inyenzi, the cockroaches, they’re coming and they’re coming to get you. And so when the plane, came down, all the, you know, Hutu militias and the army, rolled into action. But it is important to point out that the invasion that the RPF had launched in 1990, four years earlier had changed the atmosphere in Rwanda. You know, they had been one million refugees, Hutu refugees created by that invasion who had gathered around Kigali, living in really squalid refugee camps. There have been reports, widespread reports of ethnic killings being conducted by the RPF massacres. And people were hearing about that in Kigali. And so a sort of psychosis had taken place in which local Tutsis were then seen as being members of sort of possible traitors, a sort of Fifth Column community. And that’s why the Hutu militias and the Hutu army, you know, turned on the Tutsi who were living inside Rwanda.“(00:16:39 – 00:18:08)

“Il y avait des massacres généralisés, et ils ont été perpétrés par des membres de l’armée rwandaise. Ils ont également été perpétrés par des membres des milices hutu qui avaient été formées et entraînées. Mais je pense qu’il est important de parler du contexte. Et l’une des choses sur lesquelles les gens ont tendance à se focaliser est le fait que l’avion avait été abattu avec le président et que cela avait envoyé à la communauté hutu ce message de, vous savez, les inyenzi, comme les Tutsi, le FPR, étaient appelés les inyenzi, les cafards, arrivent et ils viennent vous chercher. Ainsi, lorsque l’avion s’est écrasé, toutes les milices hutu et l’armée sont entrées en action. Mais il est important de souligner que l’invasion lancée par le FPR en 1990, quatre ans plus tôt, avait changé l’atmosphère au Rwanda. Un million de réfugiés, des réfugiés hutu créés par cette invasion, s’étaient rassemblés autour de Kigali, vivant dans des camps de réfugiés sordides. Il y a eu des rapports, de nombreux rapports sur les massacres ethniques perpétrés par le FPR. Les gens en entendaient parler à Kigali. Une sorte de psychose s’est donc installée, les Tutsi locaux étant alors considérés comme des traîtres possibles, une sorte de communauté de la Cinquième Colonne. C’est pourquoi les milices et l’armée hutu se sont retournées contre les Tutsi qui vivaient au Rwanda.“(00:16:39 – 00:18:08)

Nous constatons ici l’accent mis par Wrong sur ce qu’elle appelle le contexte. Dans cet extrait, mais aussi dans le reste de ses publications et interventions, Michela Wrong fait une analyse sélective, et propose une description conspirationniste du contexte, tout en omettant des points capitaux. Après avoir rapidement indiqué que « des membres de l’armée rwandaise » et « des membres des milices hutu » sont « à blâmer » pour le génocide, elle nuance à nouveau ses propos par un « mais » qui a une fonction double ici, 1) questionner, comme cela est commun dans les théories de conspiration, « l’histoire officielle » qui accuse les premiers (armée et milice) d’être responsables du génocide et 2) proposer une version alternative de cette « histoire officielle », en parlant de « contexte » où le FPR serait lui « responsable », car il aurait provoqué le génocide.

Wrong ici en effet accuse le FPR d’avoir créé « le contexte » ayant mené à un climat de « psychose » par son « invasion » en octobre 1990, et ses actions pendant les quatre années de guerre, jusqu’à l’attentat, qu’elle accuse, dans son livre et les interviews citées plus haut, d’avoir été exécuté par le FPR. Elle fait référence ici à une supposée « Cinquième Colonne » qui aurait été la perception généralisée que tous les Tutsi étaient « des traitres » ou des « infiltrés », donc des membres du FPR. Wrong ici omet d’important aspects de ce contexte et effectue ainsi une interprétation sélective et biaisée des évènements. En effet, elle ne parle pas des mécaniques de l’état qui avaient été mises en place pour que le génocide soit exécuté méthodiquement, et de la propagande d’état stigmatisant et diabolisant la minorité tutsi qui avait mené à des pogroms à plusieurs reprises durant les trente années avant l’offensive du FPR. Elle fait omission dans cette interview, et partout où elle intervient, le rôle des médias de la haine dont Kangura et la RTLM fondés et gérés par des membres de l’état et qui incitaient dès 1990, ainsi avant ces dits « rapports sur les massacres ethniques », à voir tous les Tutsi comme des « traitres », des « menteurs », des « envahisseurs », et à voir les femmes tutsi comme des « prostituées espionnes ». Elle omet de préciser que les « Dix Commandements des Hutu » publiés d’abord en 1959, avaient été réédités par Kangura en 1990, textes dans lesquels tous les Tutsi étaient décrits par des clichés coloniaux racistes nés de l’idéologie hamitique. Wrong omet la mise en place des barrières seulement quelques heures après l’attentat et la disponibilité de centaines de milliers de machettes livrées de Chine juste avant le 6 avril.

Dans sa référence à une « Cinquième Colonne » et une supposée « psychose », qui seraient une réaction « spontanée » aux « actions du FPR », Wrong omet la conspiration comme partie intégrante du projet génocidaire notamment révélée dans le rapport de la commission militaire rwandaise de décembre 1991. Elle avait été établie par Habyarimana et dirigée par le Colonel Théoneste Bagosora, considéré comme le plus haut responsable du génocide, et qui avait promis qu’il allait provoquer « l’apocalypse » après la signature des accords d’Arusha. Dans ce rapport « l’ennemi » est désigné comme « le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur et nostalgique du pouvoir (…) et qui veut reconquérir le pouvoir au Rwanda », « recruté » entre autres parmi les « réfugiés Tutsi », « les étrangers mariés aux femmes Tutsi », et « les peuples nilo-hamites de la région ». Selon ce document, est « reconnu » comme « ennemi » également, et cela est un point important qui remet en question l’argument d’une supposée « psychose » de la population et d’une prétendue cinquième colonne, tout individu qui « refuse de combattre l’ennemi », rappelant ainsi, que l’on soit Tutsi ou Hutu, tout le monde était appelé aux barrières et contraint de tuer. Ce rapport datant de décembre 1991 n’est qu’une mise en application des « Dix commandements des Hutu », mandatée par le chef d’état lui-même. Cette désignation de « l’ennemi » a été distribuée à tous les officiers. Wrong, ainsi omet de mentionner cette machine étatique et les moyens d’état mis au service d’extermination d’une partie de la population.

Wrong cherche ici et dans tout son travail journalistique à confondre toutes les victimes, tandis que le gouvernement et son armée ne cherchaient à en protéger aucune. En effet aucune « psychose » contre des prétendus « traitres tutsi » ne peut expliquer que des familles entières ont été massacrées en seulement 100 jours, y compris des bébés, des enfants, des vieillards. L’idée d’une « cinquième colonne » est un fantasme né à l’époque coloniale et qui ne peut expliquer que 1/3 des victimes du génocide avaient entre 0 et 14 ans. « L’ennemi tutsi » était désigné, non pas par ce que les présumés « Tutsi » faisaient, mais pour ce qu’ils étaient, pour un prétendu « crime originel ». L’idée de cette « cinquième colonne » est tout simplement impossible à établir. Cela se jouait au faciès. C’est un crime des caractéristiques physiologiques. On était ciblé suite à une théorie de conspiration basée sur des critères coloniaux qui avait établi des hiérarchies entre des « vrais » et des « faux nègres », et qui faisait qu’on était mis sur des listes d’exécution. Le génocide était un projet d’état et non une « angoisse » du peuple. C’est l’état qui a entretenu « l’angoisse », pendant trente ans. Et Wrong ici en accusant les Tutsi d’avoir provoqué leur propre extermination et d’être responsables de leur mort, cherche à faire disparaitre toute la mécanique étatique génocidaire. Elle se prête ainsi à un exercice de blanchiment du projet génocidaire.

De la thèse conspirationniste du « féodalisme tutsi » au blanchiment de l’idéologie hamitique responsable du génocide des Tutsi

Comme démontré plus haut, Wrong dans cette interview, comme ailleurs, convoque les préceptes des « Dix commandements des Hutu ». Dans ses interventions et publications elle avance l’argument que les Tutsi seraient tous des aristocrates qui auraient la nostalgie du pouvoir, qui seraient tentaculaires, car infiltrés partout, des menteurs, et Paul Kagame en serait la représentation la plus « parfaite ». Dans la lignée des théories de conspiration, d’un discours négationniste et d’une tentative supplémentaire de justifier le génocide en cherchant à diaboliser les victimes ou en renversant les responsabilités, Wrong fait en effet systématiquement omission des pogroms de 1959 qui marquent le début des persécutions et massacres ciblés des Tutsi. Elle suggère qu’il s’est agi d’une « révolution hutu » née dans l’objectif d’abolir « la monarchie tutsi » qui était selon elle à l’origine de la fuite de la famille de Paul Kagame. Elle affirme en effet dans l’interview sur Aloha News : « parce qu’il y avait une révolution hutu au Rwanda, et la monarchie tutsi royale, et sa famille faisait partie de cette aristocratie, ils ont été expulsés du pays » (00:03:36 – 00:03:55). De même, dans une interview antérieure intitulée « Michela Wrong : vérité sur le président rwandais » publiée sur la chaine You Tube d’Omerta Media le 19 avril 2023, elle déclare : « après qu’il y a eu la révolution hutu dans les années 60, il y a eu toute la cour royale qui était expulsée du Rwanda par les Hutu, et ils ont pris la fuite, et ils se sont retrouvés en Ouganda » (00:03:40 – 00:04:06).

Il faut ici préciser que Paul Kagame et sa famille ont fui le Rwanda en 1961, au moins deux ans après ce que Wrong appelle « la révolution hutu ». Wrong omet de dire dans ces deux interviews que cette « révolution hutu » n’était pas une « révolution » mais un massacre de masse de la minorité tutsi, et qu’entre 1959 et 1963, 20,000 Tutsi avait étaient tués lors des pogroms qui ont débuté cette année-là, et que 150,000 Tutsi ont fui durant cette période dans les pays limitrophes. Ainsi, la famille de Paul Kagame n’a pas été « expulsée » lors d’une « révolution sociale » parce qu’ils auraient été des « aristocrates ». Wrong semble vouloir dire que les autres centaines de milliers de Tutsi persécutés et tués dans les années 1960, faisaient tous partie de la « cour royale ». Les membres de la famille de Paul Kagame, comme les autres centaines de milliers d’autres Tutsi, ont fui pour leur survie, pour avoir été systématiquement ciblés parce qu’ils étaient des Tutsi.

Wrong fait également ici, et dans tout son travail, une omission délibérée des textes fondateurs de l’idéologie du génocide datant d’avant l’exil de Paul Kagame et de sa famille, et qui ont engendré la xénophobie et le discours de haine ayant incité aux pogroms contre la minorité tutsi. On notera ici l’omission faite par Michela Wrong du Manifeste des Bahutu publié en 1957, co-signé notamment par Grégoire Kayibanda et Joseph Habyarimana Gitera, et des Dix commandements Hutu publié par ce dernier en 1959. Le premier texte avait établi en 1957, une démarcation raciale claire, en se basant sur le mythe hamitique, entre Hutu et Tutsi, envisageant un système politique, social et économique national basé sur l’exclusion systématique des Tutsi. Dans le deuxième texte publié en 1959 par Gitera, texte qui sera ensuite réédité par le media de haine Kangura en 1990, on y lit par exemple au Commandement numéro 5 : « Si l’on se vengeait du mal fait par le Tutsi, aucun individu de son espèce ne survivrait plus au Rwanda » (cité par Antoine Mugesera).

On voit ainsi chez Michela Wrong, une volonté délibérée de détourner les faits. En faisant omission des pogroms de 1959, elle nie « que le grain du génocide de 1990-1994, a été bel et bien semé en 1959 » (Mugesera). Dans un souci constant de vouloir dépeindre le FPR — crée en 1986 par des réfugiés tutsi ayant fui le Rwanda pour survivre à un projet d’extermination qui avait débuté en 1959 — comme un groupe sanguinaire, avec une mentalité de rebelle, elle tente de justifier la théorie du complot qui affirme qu’il y eu « génocide », mais, que la violence aurait été commise par tous les côtés, et que donc il n’y aurait ni victime, ni coupable.

Blanchiment des figures négationnistes et promotion de l’idéologie génocidaire

Dans sa démarche de blanchiment du projet génocidaire, Wrong tend à défendre et utiliser comme référence des acteurs de discours négationniste qui soutiennent l’idéologie du génocide, et qui continue depuis trente ans à être disséminée, et à faire des ravages, dans la région des Grands Lacs. Wrong dans son livre, ainsi que dans ses interviews présente Victoire Ingabire comme « opposante » politique qui serait victime de censure et de violation des droits. Au chapitre 21 de son livre, Wrong écrit : « Lorsque Victoire Ingabire, leader en exil du principal mouvement d’opposition hutu, est revenue au Rwanda en janvier 2010, dans l’intention de se présenter aux élections, son premier geste a été de visiter le Mémorial du génocide à Kigali et de demander pourquoi les restes des victimes hutu n’étaient pas exposés aux côtés de ceux des Tutsi. Elle n’a pas tardé à être arrêtée (…) » (p. 612 version Kindle). Wrong ici délibérément manipule les faits et suggère qu’Ingabire fait référence aux victimes hutu dits « modérés » tuées par le gouvernement génocidaire et les Interahamwe pendant le génocide des tutsi de 1994 au Rwanda. C’est ce qui le lecteur, à qui ce livre s’adresse, comprend en lisant ce passage. Pourtant, Ingabire durant cette conférence de presse à laquelle fait référence Wrong, dit quelque chose de complètement différent en quittant le mémorial. Elle déclare : « Uru rwibutso ruragarukira mu by’ukuri ku bantu bahitanywe n’itsembabwoko ry’abatutsi. Haricyari uruhare rundi rw’itsembatsemba ryakorewe abahutu kuko nabo barabaye bafite abantu babo bishwe. » et qui se traduit par « Ce mémorial se limite aux victimes du génocide commis contre les Tutsi. Il manque la partie des victimes du génocide des Hutu car eux aussi ont du chagrin, ils ont aussi perdu les leurs. » (00:01:30–00:01:38). Ingabire ici clairement prononce un discours négationniste, dans le lieu-même de commémoration des victimes du génocide des Tutsi, à travers la référence au double génocide. Wrong ainsi, non seulement promeut ce discours négationniste du double génocide, comme nous l’avons vu, mais elle défend le discours négationniste de Victoire Ingabire pour laquel elle a été condamnée et a servi une peine de prison au Rwanda.

Il est important également de préciser que Victoire Ingabire, contrairement à la qualification que lui donne Wrong, c’est-à-dire « chef du parti d’opposition hutu en exil », Ingabire est la chef du parti politique dont la branche armée, les Forces Démocratiques de la Libération du Rwanda (FDLR), a été formée par les responsables du génocide des Tutsi qui se sont enfuis au Zaire. Cette force génocidaire sème la violence contre les communautés des Tutsi congolais depuis trente ans, et ce après avoir promis de revenir au Rwanda pour « finir le travail », et après avoir attaqué plusieurs fois la population rwandaise en traversant la frontière. Le rapport du Groupe des Experts des Nations unies de novembre 2009 (S/2009/603) indique au paragraphe 103. « Le Groupe a obtenu confirmation que les chefs militaires des FDLR étaient en contact téléphonique avec des membres du parti politique Forces démocratiques unifiées (FDU-Inkingi) exilés en Belgique, dont Jean-Baptiste Mberabahizi, ainsi qu’avec Naom Mukakinani, l’épouse d’un responsable politique du FDU-Inkingi, Michel Niyibizi. Le Groupe explique plus avant que Victoire Ingabire, la Présidente du FDU qui se trouve aux Pays-Bas, a assisté à des réunions du « dialogue interrwandais » auxquels participaient des sympathisants des FDLR ». De même,la police néerlandaise a fourni des preuves de transferts d’argent par Ingabire aux responsables des FDLR et de contacts réguliers avec ces derniers. Ainsi le financement par Ingabire et son lien politique direct avec la force génocidaire ont bien été établis. Pourtant, Michela Wrong continue à blanchir cette figure négationniste qui dirige un groupe armé, composé de ceux qui ont commis le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda et qui tuent depuis trente ans les populations congolaises.

De la fétichisation à la négrophobie de Michela Wrong

S’ajoute à la liste des théories de conspiration par Wrong convoquant les clichés coloniaux racistes des « Dix commandements », des références à la présumée « culture du mensonge » des Tutsi dans un long passage de l’introduction de son livre. Dans le tout premier paragraphe, Wrong écrit : « les Rwandais m’ont souvent répété qu’ils adoraient tromper les autres, ne pas dire toute la vérité ». Elle poursuit quelques paragraphes plus loin « C’est, semble-t-il, une pratique qui ne date pas d’hier. » (p. 22 version Kindle). Puis : « D’un point de vue historique, il n’est peut-être pas surprenant que la dissimulation et le secret aient été des valeurs prisées » (p. 23 version Kindle). Puis elle fait toute une démonstration, en s’improvisant tantôt historienne, tantôt linguiste, tantôt sociologue, tantôt anthropologue, où elle se met à interpréter des mots en kinyarwanda qu’elle analyse en « mode de vie ». Sa démonstration tout au long de ces premières pages du livre déborde de racisme, de négrophobie, de xénophobie, et de fétichisation, dans la tradition des explorateurs coloniaux qui « découvrent » une communauté de « nègres extraordinaires », qui seraient donc des « faux nègres », car ils sont « organisés », « intelligents », « fascinants », et qui n’ont donc rien à voir avec les « vrais nègres ».

Wrong fait des tentatives ratées dans ce début du livre de ne pas paraitre raciste, mais tout au long du livre, elle ne fait que confirmer son obsession, son fantasme, sa fétichisation des « Tutsi » qu’elle essentialise, et voit comme des « créatures d’un autre monde » qui la fascinent au point qu’elle les voit « partout en même temps », capables d’atteindre n’importe qui, et n’importe où. Elle fantasme sur une menace omniprésente et omnipotente tutsi, un péril tutsi. Il s’agit en effet chez Wrong d’une fétichisation obsessionnelle des Tutsi, qu’elle objectifie avec des références constantes, à leur « couleur de peau », à leur « taille élancée », à leurs « traits fins », comme ceux des Ethiopiens, et dans la tradition des mesures anthropométriques réalisés par les Belges qui ont figé ces traits physiques dans les cartes d’identités ayant servi à l’extermination de cette minorité. Elle fétichise ces Tutsi au départ — elle ne cache en effet jamais son admiration première pour Paul Kagame — pour finir par les diaboliser. Wrong se transforme en réalité en négrophobe manifeste.

Il est intéressant d’ailleurs de relever le choix de Stephen Smith pour la préface du livre de Wrong. Ce même Stephen Smith écrit dans un livre qu’il publie en 2003 intitulé Négrologie : Pourquoi l’Afrique meurt — le titre du livre est particulièrement représentatif de son contenu — que « Nous y sommes : des Africains se massacrent en masse, voire – qu’on nous pardonne ! – se bouffent entre eux. Les 3,3 millions de morts au Congo-Kinshasa viennent après quelques 800 000 suppliciés à la machette, lors du génocide au Rwanda en 1994 ; après 200 000 Hutu qui ont trouvé la mort, entre octobre 1996 et mai 1997, dans la jungle de l’ex-Zaïre » (p. 24). Wrong ne choisit en effet pas Smith par hasard pour préfacer son livre. Tous les deux soutiennent vivement la théorie négationniste et conspirationniste du double génocide. Cela s’explique lorsqu’on voit la négrophobie obsessionnelle, qui transparait dans leur travail, au sein duquel ils décrivent les Rwandais comme des groupes en constante tension inter-ethnique, et qui donc « se massacrent en masse » et « se bouffent entre eux », selon les mots de Stephen Smith. Wrong dans le chapitre 12 de son livre fait un commentaire ethniciste et négrophobe similaire : « Étant donné l’histoire toxique du Rwanda, certaines solutions apparaissent non pas comme des méthodes de derniers recours, mais comme un tour supplémentaire de l’horrible roue de la Fortune ethnique du pays » (p. 397 version Kindle).

Le « Rapport Mapping », enseigne de la théorie conspirationniste et négationniste du double génocide

Stephen Smith n’est pas novice en tant que journaliste dans le contexte du Rwanda. Il a couvert le Rwanda à Libération à l’époque du génocide et il a été un des premiers à publier les rumeurs sur les présumés massacres systématiques et ciblés de la population hutu par le FPR entre avril et juillet 1994, mais aussi après, suivant ainsi l’argument d’un double-génocide. En effet, le 27 février 1996, Stephen Smith publie l’article « Rwanda : exécutions massives de Hutus dans l’ombre du génocide des Tutsis » dans lequel il écrit : « le Front patriotique rwandais (FPR), émanation de l’ethnie minoritaire tutsie, a toléré, voire organisé, le massacre d’au moins plusieurs dizaines de milliers de civils au fur et à mesure de son avancé et depuis sa prise de pouvoir en juillet 1994. » Wrong se base sur les publications de Smith, basées sur des rumeurs non-corroborées, ainsi que sur les conclusions biaisée et détournées de Gersony, comme évoqué plus haut, mais aussi sur le controversé « Rapport Mapping ». Wrong fait en effet de nombreuses références au « Rapport Mapping » pour suggérer que des « crimes de génocide » auraient été commis par le FPR. Ce dont Wrong fait omission est le fait qu’il s’agit d’un rapport qui ne constitue aucune preuve et n’a jamais fait l’objet d’aucune enquête judiciaire confirmant les accusations évoquées. Wrong omet de préciser que la Haute-Commissaire du Conseil des Droits de l’Homme, ayant mandaté ce projet, a déclaré le 1 octobre 2010, au moment de la publication du rapport que :

“[il] ne s’agit pas d’une enquête judiciaire. Il n’a pas été destiné au départ à en être une et il ne prétend pas être autre chose que ce qu’il est – un exercice préliminaire. L’objectif était de recueillir des informations de base sur des incidents survenus au cours de la période donnée. Par conséquent, il n’a donné lieu ni à des enquêtes approfondies, ni au rassemblement de preuves suffisantes pour être admissibles devant un tribunal. Le rapport Mapping n’établit pas non plus de la responsabilité pénale individuelle (…)

Le rapport note que la grande majorité des 617 incidents graves qu’il décrit, montre la commission de multiples violations des droits de l’homme et/ou du droit international humanitaire, qui pourraient constituer des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre, voire souvent les deux à la fois. Dans certains cas, il invoque même la possibilité que des actes de génocide aient été commis. Toutefois, le rapport souligne que ces questions ne peuvent être tranchées que par un tribunal compétent. Le rapport n’a pas émis, et ne pouvait pas émettre, des conclusions définitives quant à la nature du crime.“

Les mots de la Haute-Commissaire Madame Navi Pillay montrent explicitement que ce document ne peut être recevable comme la preuve de massacres systématiques et ciblés par le FPR contre la population hutu en République démocratique du Congo. Il s’agit pour Michela Wrong d’une simple volonté de promotion d’un discours conspirationniste et négationniste qui reflète sa profonde négrophobie.

Sources :

Conférence de presse de Victoire Ingabire, 16 janvier 2010. https://www.youtube.com/watch?v=CD2f8Vu-YY4

Interview avec Michela Wrong. « Dictators & Demagogues 07 : Rwanda’s Paul Kagame ». ABC Radio National, ABC Listen, le 3 octobre 2024. https://www.abc.net.au/listen/programs/take-me-to-your-leader/paul-kagame-rwanda/104292166

Interview avec Michela Wrong. « Rwanda/RDC Congo : quel est le rôle de Paul Kagame ? / Michela Wrong » Alohanews, 25 juillet 2024,https://www.youtube.com/watch?v=fnVgVlanNZw

Interview avec Michela Wrong, « Michela Wrong : Vérité sur le président rwandais » Omerta https://www.youtube.com/watch?v=L_ebXyRVm9w

Kimonyo, Jean-Paul. Rwanda demain, une longue marche vers la transformation. Paris : Karthala, 2017. Extrait disponible sur France Génocide Tutsi https://francegenocidetutsi.org/CritiqueRapportGersonyKimonyoOctobre2017.pdf

Melvern, Linda. « Moral Equivalence : The Story of Genocide Denial in Rwanda » Journal of International Peacekeeping. 8 avril 2020. https://brill.com/view/journals/joup/22/1-4/article-p190_190.xml?language=en

Mugesera, Antoine. « Les Dix commandements des Hutu de Gitera de 1959 face à ceux de Kangura de 1990 » https://francegenocidetutsi.org/AntoineMugeseraDixCommandements.pdf

Pillay, Navi. « Déclaration de la Haut-Commissaire des Nations Unies Navi Pillay” OHCHR https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Countries/CD/HC_Statement_on_Release_FR.pdf

Rapport du Groupe des Experts des Nations unies S/2009/603. https://www.undocs.org/Home/Mobile?FinalSymbol=S%2F2009%2F603&Language=E&DeviceType=Desktop&LangRequested=False

Rapport de la commission rwandaise. Décembre 1991. https://www.justiceinfo.net/fr/137947-justice-info-rapport-cense-origine-complot-genocidaire-rwanda.html

Smith, Stephen. « Rwanda : exécutions massives de Hutus dans l’ombre du génocide des Tutsis », Libération, 27 février 1996, https://www.liberation.fr/evenement/1996/02/27/rwanda-executions-massives-de-hutus-dans-l-ombre-du-genocide-des-tutsis_161810/

Smith, Steven. Négrologie : Pourquoi l’Afrique meurt. Babelio, 2003

Wallis, Andrew. Stepp’d in Blood : Akazu and the Architects of the Genocide Against the Tutsi. Winchester, UK : Zero Books, 2019

Wrong, Michela. « Kagame’s Revenge : Why Rwanda’s Leader Is Sowing Chaos in Congo » Foreign Affairs. 13 avril 2023, https://www.foreignaffairs.com/africa/rwanda-congo-uganda-kagames-revenge

Wrong, Michela. Do Not Disturb : The Story of a Political Murder and an African Regime Gone Bad. Public Affairs, 2021

Wrong, Michela. Assassins sans frontières : Enquête sur le régime de Kagame (2023). Max Milo, 2023. Version Kindle

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