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La deuxième journée du procès en appel à l’encontre de Monsieur Philippe HATEGEKIMANA a débuté par l’audition de Monsieur Gregory KALITA, enquêteur de personnalité, ayant rencontré l’accusé en 2020 à la maison d’arrêt de Nanterre. L’enquêteur de personnalité a décrit le parcours professionnel de l’accusé ainsi que sa situation familiale. Il souligne des contradictions entre le récit de l’épouse de l’accusé et celui de Monsieur HATEGEKIMANA concernant leur parcours depuis leur départ du Rwanda.
L’accusé a ensuite été interrogé. Il affirme tout d’abord s’être reconnu dans la description réalisée par l’enquêteur. Il est revenu sur sa jeunesse dans une famille d’agriculteurs, il a souligné ne pas être pauvre, sa famille possédant six vaches et une propriété. Il a aussi mentionné sa scolarité. Il a indiqué être très sportif. C’est parce qu’il voulait pratiquer du sport qu’il serait entré à l’armée. Il affirme avoir appris lors de sa formation et dans les bataillons à manipuler différentes armes telles que des armes individuelles et collectives, des fusils automatiques, des pistolets et aussi des armes lourdes telles que le mortier.
Interrogé par les conseils des parties civiles sur les pogroms contre les Tutsi en 1963, l’accusé soutient ne pas s’en souvenir et affirme que les Tutsi avaient aussi facilement accès à l’école des sous-officiers que les Hutu. En outre, l’accusé indique que sa sœur s’est mariée avec un Tutsi et qu’il s’est occupé de ses enfants après le décès de leurs parents. Interrogé sur l’existence d’une maîtresse par son conseil, l’accusé précise avoir eu un enfant avec une femme Tutsi avec laquelle il entretenait une relation extra-conjugale. Le Président la Cour a alors souligné que cette information n’était pas indiquée dans le dossier. L’accusé a expliqué ne pas avoir voulu mentionner cela avant, car son épouse n’était pas au courant.
Questionné sur sa présence sur le front entre 1990 et 1993, il indique avoir été chef de peloton et affirme que l’armée recrutait beaucoup de jeunes sans les former. Il précise que l’objectif était d’empêcher que le FPR progresse vers l’intérieur. Il ajoute qu’ils étaient aidés par la France, notamment au niveau des armes lourdes, car les militaires rwandais ne savaient pas se servir des mortiers. Il soutient en outre avoir souffert d’une discrimination régionaliste, car étant originaire du Sud il serait resté plus longtemps que les autres sur le front. Les soldats du Sud n’étaient pas considérés, selon lui, comme « des vrais Hutu ». Il explique aussi que là où le FPR passait, il commettait des massacres, il massacrait la population. Il ajoute qu’il ne sait pas « si c’était seulement des Hutu, il y avait peut-être des Tutsi ».
L’interrogatoire de l’accusé a été suspendu provisoirement, afin de procéder à l’audition de Monsieur Abudance HITIYAREMYE, habitant de Nyanza pendant le génocide. Le témoin explique avoir connu Monsieur MANIER lorsqu’il allait faire son permis de conduire à la gendarmerie en 1993. Il indique l’avoir par la suite croisé dans la rue et au café. Interrogé par la Défense, il précise avoir perçu l’accusé comme un « homme gentil qui saluait les gens, qui aimait discuter avec les gens », et précise ne rien connaître de lui, il passait seulement les saluer. Le témoin affirme ne jamais avoir vu l’accusé pendant le génocide.
En outre, il affirme qu’à Nyanza les massacres ont commencé fin avril, il parle alors de personnes en uniforme noir et de personnes camouflées dans des feuilles de bananier. Il soutient que les barrières ont été mises en place à partir des massacres, qu’il y en avait à l’entrée de la ville, à l’intérieur et peut-être à la sortie. Selon lui, ces barrières avaient pour but d’éviter qu’il y ait des infiltrations. Il précise que les cartes d’identité étaient contrôlées mais qu’il ne sait pas s’ils contrôlaient l’appartenance ethnique ou l’absence de carte d’identité.
À la suite de cette audition, l’interrogatoire de l’accusé a repris. Tout d’abord, il est interrogé sur ses fonctions au sein de la brigade jusqu’au 6 avril 1994. Il explique avoir utilisé le véhicule de la compagnie qui correspondait à une camionnette Toyota rouge. Il indique être resté principalement à l’intérieur mais sortir parfois afin de vérifier le ravitaillement des camps et vérifier si les gendarmes se comportaient correctement dans leur mission. Il affirme qu’à la gendarmerie il y avait des fusils automatiques et un ou deux mortiers de 60 qui servaient lorsque les gendarmes partaient au front. Interrogé ensuite par la Président de la Cour sur l’existence de discriminations ethniques et ou régionalistes, l’accusé affirme qu’il n’y avait pas de difficultés entre les Hutu et les Tutsi mais qu’il y en avait un peu entre les personnes du Sud et du Nord car « les gendarmes du nord se croyaient plus Hutu que les gendarmes du Sud ». Il souligne aussi une réticence des Hutu du Nord à exécuter ses ordres, il le remarquait par leur regard.
Concernant ces discriminations, Maître Louis FALGAS demande à l’accusé s’il maintient que les Tutsi n’étaient pas victimes de discrimination, malgré son affirmation selon laquelle les Hutu du Nord traitaient les Hutu du Sud comme des Tutsi. L’accusé a confirmé sa position. L’accusé a ensuite été interrogé sur ses fonctions à partir de l’attentat du 6 avril 1994. Il explique que des réunions ont été organisées à la gendarmerie après l’attentat afin d’expliquer la situation aux gendarmes. Il précise avoir mené « une sorte de filature » dans tout le camp afin « de savoir ce que tout le monde pensait », selon lui « c’était calme » pendant deux ou trois semaines, « jusqu’au 20, 25 avril ». Il mentionne ensuite quatre gendarmes qui étaient en colère, sortaient à son insu le soir. Ces gendarmes auraient harcelé et menacé des Tutsi de l’extérieur. Il le savait grâce à d’autres gendarmes qui leur faisaient des rapports. Il dit ne pas avoir entendu parler de massacre, ni vu de massacre à cette période. Il dit n’avoir vu que réfugiés militaires qui venaient de Kigali. Il explique que les barrages, étaient des « points de contrôle », ils contrôlaient les véhicules pour voir s’il y avait des éléments du FPR, des infiltrés. Il précise que les personnes sans document d’identité étaient suspectes. Il soutient ne pas y avoir participé. De plus, le sous-préfet n’aurait pas été convaincu qu’il était Hutu notamment car il lui aurait reproché de cacher des Tutsi. En outre, l’accusé affirme aussi qu’il n’y avait pas assez d’effectifs pour sauver la population, de nombreux hommes étant affectés aux provisions et à la défense du camp.
Le Président de la Cour a ensuite procédé à la lecture des déclarations de l’accusé faites devant le juge d’instruction. Il y relève certaines contradictions. Concernant le sous-préfet, l’accusé avait déclaré devant le juge d’instruction qu’il l’avait menacé car il ne tuait pas assez de Tutsi. L’accusé a alors répondu : « c’est comme cela qu’il était, il aurait aimé que je sois sur le terrain, ce qui n’avait pas été le cas ». Le Président relève aussi qu’il avait mentionné avoir vu des morts aux barrières lors de son départ alors qu’aujourd’hui il affirme ne pas avoir vu de mort. L’accusé affirme alors avoir vu des morts sur la route. Interrogé par un juré l’accusé précise ensuite qu’il y avait « probablement » des massacres à l’extérieur du camp.
Enfin, questionné par les conseils des parties civiles sur sa femme, l’accusé a exercé son droit au silence. Concernant les demandes de la défense, la Cour rejette la demande concernant la transcription intégrale des débats. Elle sursoit à statuer sur la demande d’irrecevabilité des parties civiles. Sur la demande de transport au Rwanda, la Cour considère que l’information orale des débats n’est pas suffisamment avancée, elle sursoit à statuer en attendant. Sur la demande de communication des pièces, elle sursoit aussi à statuer, et de même pour la question des auditions des détenus au Rwanda.
L’audition de Michela WRONG est déplacée vendredi 8 novembre à 15h.
Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France