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La quatrième semaine du procès à l’encontre de Monsieur Eugène RWAMUCYO a commencé ce lundi 21 octobre 2024 par l’audition de Monsieur Antoine NDORIMANA, rescapé du massacre de l’église de Nyumba. Durant son audition, Monsieur NDORIMANA, originaire de la commune de Gishamvu, décrit comment il a survécu au génocide alors qu’il n’était âgé que de neuf ans. Il explique notamment s’être réfugié à la paroisse de Nyumba, dans la salle de célébrations religieuses de la « veille église » avec ses parents, frères et sœurs, avec sa famille maternelle. Il souligne que d’autres personnes s’étaient réfugiées dans l’église, dans des salles de classe de l’école primaire ainsi que dans la cour. Il déclare que lorsqu’il était réfugié dans l’ancienne église, « les interahamwe sont entrés munis de machettes, de lances, et de gourdins. Le premier à être entré, a frappé les personnes avec une lance, il piquait les personnes avec cette lance, moi-même il m’a piqué à côté de mon oeil droit (le témoin a montré sa cicatrice). J’étais assis, quand il m’a enfoncé cette lance je suis tombé. Ceux qui détenaient des machettes et des gourdins ont commencé à frapper les gens avec. Pour certains ils découpaient les chevilles, les autres, les cous ». Il précise ensuite qu’ils retournaient les personnes afin de vérifier si elles respiraient encore, ils les ont alors frappées dans le dos avec des gourdins. Ils dépouillaient aussi les vêtements que portaient les victimes. Il ajoute ensuite que « le lendemain matin sont venues de Butare les autorités, ces autorités venaient enterrer les cadavres qui gisaient là ». Il mentionne la présence de deux fosses communes creusées par un Caterpillar. Interrogé sur cela par Monsieur le Président LAVERGNE, le témoin précise que le Caterpillar est arrivé sur les lieux lorsqu’il était dans la vieille église, et qu’il y creusait déjà des fosses. Lorsqu’il est sorti de la vieille église, il ajoute que les autorités « l’envoyaient détruire les salles de classe ». Il souligne avoir vu des personnes encore vivantes être jetées dans la fosse commune. Lui aussi a été forcé d’entrer dans une fosse afin d’être enterré vivant. Le témoin ainsi que deux femmes ont pu s’échapper de la fosse, il précise en outre avoir, lorsqu’il était dans la fosse, entendu les blessés, dont les chevilles étaient « découpées », criaient à l’aide.
Interrogé par Maître MATHE, conseil de l’accusé, il ajoute que « le conducteur n’était peut-être pas au courant » que des personnes allaient être enterrées vivantes, néanmoins ceux qui « ont donné les instructions savaient ». Il relate avoir été dans un camp de Tutsi à l’hôpital de Butare. Après avoir passé quelques jours là-bas, la Croix-Rouge lui aurait dit de se rendre au bureau de la préfecture. Au bureau de la préfecture, il explique que des bus amenaient des personnes en dehors de la ville afin de les exécuter. Il a notamment été souligné par la défense, lors de son audition, que ses propos concordent avec ses précédentes déclarations.
Madame Immaculée MUKAMPUNGA, rescapée du grand séminaire de Nyakibanda a ensuite été entendue. Elle déclare qu’elle, sa famille ainsi que de nombreuses personnes qui cherchaient un refuge, ont été rassemblées à l’IGA qui est le centre communal de formation permanente, à côté du grand séminaire de Nyakibanda. Elle explique, une fois tout le monde rassemblé, que des personnes armées de machettes, de gourdins et de petites haches sont venues les tuer. Elle précise que les policiers avaient des fusils. Elle décrit avoir réussi à rester en vie, en se cachant avec ses enfants parmi les cadavres et en se recouvrant de sang. Après l’attaque, elle relate avoir tenté de donner à boire aux personnes blessées. Elle souligne que la présence de ces personnes vivantes lui fait penser qu’elles ont été enterrées vivantes le lendemain avec les autres victimes. Elle raconte avoir été ensuite hébergée une nuit chez la mère de son beau-frère et y avoir entendu le lendemain de l’attaque des bruits d’engins. La femme qui l’accueillait lui aurait alors expliqué que ces engins ensevelissaient l’école. Elle précise à la Cour que cette femme le savait car ses enfants, qui partaient « travailler » (c’est à dire participer aux opérations d’ensevelissement), avaient vu et entendu le Caterpillar. Le Président de la Cour a interrogé la témoin sur la potentielle détention d’armes par les réfugiés à Nyumba, afin de faire un parallèle avec le discours prononcé par le Président Théodore SINDIKUBWABO sur Radio Rwanda 19 avril 1994, dans lequel il affirmait que les habitants étaient effrayés car il semblerait que les réfugiés disposaient de très puissantes armes, fusils, grenades. Madame MUKAMPUNGA a alors affirmé que les réfugiés ne possédaient pas d’armes, ils n’avaient ni fusils, ni grenades, ils n’avaient rien.
La troisième personne de la journée à avoir été entendue est Madame Annonciathe NYIRABAJYIWABO, qui a participé à la recherche à l’identification des corps se trouvant dans les fosses du site de la paroisse catholique de Nyumba ainsi que celles se trouvant dans le site du Grand Séminaire de Nyakibanda. Elle déclare avoir participé à l’identification des corps afin d’essayer de retrouver le corps de son mari. Elle met en avant les défis liés à l’identification des corps, en raison de leur état de dégradation, certains ayant été « mangés par des chiens ». Elle souligne qu’il y avait de nombreux corps dans chacune des fosses, et que les autorités avaient notamment réquisitionné des prisonniers afin de les aider dans cette tâche. Elle précise que la lenteur du processus d’exhumation des corps s’explique par la nécessité de les faire sécher avant de pouvoir procéder aux enterrements le « jour de l’anniversaire » des attaques. Elle ajoute que désormais les corps sont enterrés au fur et à mesure.
Marie-Chantal TWAGIRUMUHOZA, qui aurait été témoin de faits reprochés à l’accusé, a ensuite été entendue à titre de simples renseignements. Elle déclare avoir rencontré l’accusé en août ou septembre 1993, lorsque celui-ci s’est rendu chez elle avec des malles comprenant des armes afin de les stocker à son domicile familial. L’accusé aurait été envoyé par le chef du parti MRND, Mathieu NGIRUMPATSE époux de la fille du grand-père de Madame TWAGIRUMUHOZA. Le père de la témoin aurait alors refusé de faire de leur maison un stock d’armes. Elle explique que les armes ont par la suite été cachées chez son voisin et qu’elle a pu observer que des armes étaient régulièrement transportées, il s’agissait selon elle de les faire entrer dans Butare à l’insu de la population. De plus, elle déclare avoir vu Monsieur Eugène RWAMUCYO « au cours des mois de mai et juin 1994, à l’hôpital de l’université de Butare (CHUB). Derrière la maternité où l’on entassait les corps des Tutsi tués ». Elle soutient l’avoir vu accompagner de personnes en salopettes grises, sur lesquelles était inscrit au dos le terme « Hygiène » en lettres blanches. Elle ajoute « ils portaient des gants disant qu’ils tentaient de ramasser, d’enlever les saletés des Tutsi ». Elle souligne avoir vu beaucoup de véhicules, dont des camions bennes de marque Nissan et deux tracteurs qui appartenaient à l’ISAR et à la faculté d’agronomie. Elle affirme que les camions bennes ramassaient les cadavres des victimes Tutsi et précise qu’elle ne savait pas où ils étaient emmenés. Interrogée sur ce jour, elle indique que l’accusé était accompagné de Monsieur Sosthène MUNYEMANA et du responsable du service de stomatologie. Elle explique qu’elle souhaitait consulter le docteur MUNYEMANA car, étant enceinte, il se chargeait de son dossier. Elle soutient que, lorsqu’elle l’avait cherché dans l’hôpital, il lui avait été dit que celui-ci « s’occupait de la chasse des Tutsi qui étaient à l’université ». C’est ce jour-là, qu’elle aurait vu l’accusé et le docteur MUNYEMANA ensemble, donner des directives afin de ramasser les corps. En outre, elle affirme avoir vu l’accusé à la barrière de MATYAZO. Elle explique avoir été arrêtée et assise par terre à cette barrière. C’est là qu’elle déclare avoir vu l’accusé, accompagné d’une personne avec une caméra. Elle décrit avoir vu l’accusé avec une « liste de perquisition », mais ne savait pas ce que cela signifiait. Elle indique qu’ils recherchaient son père. Elle affirme aussi avoir vu une femme, qu’ils appelaient Mamérique, dont elle pense qu’elle travaillait à la radio car « elle disait qu’elle allait donner les photos à la radio » afin de montrer que la ville était propre. Le 2 juillet 1994, la témoin a appris la mort de son père. Un voisin lui aurait dit que son père aurait été tué « par des militaires qui étaient avec Eugène RWAMUCYO ». Selon elle, l’accusé serait à l’origine de la mort de son père car il aurait été persécuté à partir de la visite de l’accusé à leur domicile ayant pour objectif de stocker les armes. Interrogée sur ces persécutions, elle précise que son père aurait été battu une fois dans la rue, que des pierres étaient jetées sur le toit de sa maison, et que la femme de son père aurait été assassinée. Elle ajoute pour finir que l’accusé aurait été, selon ce qu’elle a entendu, en charge de toutes les fosses de la préfecture de Butare. Selon elle, certaines fosses auraient été creusées dès décembre 1993 car « les travailleurs » de chez elle, disaient qu’ils « allaient travailler chez Rwamucyo » lorsqu’ils allaient creuser des fosses. Il est précisé que ces dernières déclarations ne sont pas en lien avec les faits retenus dans le dossier de l’accusé. Après avoir été questionnée sur sa participation en tant que témoin à d’autres procédures par l’avocat général du ministère public, Madame TWAGIRUMUHOZA déclare avoir déposé dans le procès à l’encontre de Monsieur MUNYEMANA, elle affirme y avoir évoqué l’accusé. Interrogée ensuite par la défense, elle explique avoir été contactée par le parquet de Kigali en 2020 qui lui aurait informé que Sosthène MUNYEMANA aurait bénéficié d’un non-lieu sur les faits pour lesquels elle avait témoigné, c’est à ce moment-là qu’elle aurait appris pour l’arrestation de Monsieur RWAMUCYO. Elle affirme aussi avoir été contactée il y a un an par une équipe de français : Hubert et une autre personne dont elle ne sait pas le nom. Ces derniers seraient revenus il y a cinq mois afin d’obtenir son témoignage sur les faits commis par l’accusé, c’est à ce moment qu’elle aurait demandé à se constituer partie civile.
Pour finir, les représentants du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), Madame Dafroza MUKARUMONGI GAUTHIER et Monsieur Alain GAUTHIER, ont été entendus à titre de simples renseignements.
Tout d’abord, Monsieur Alain GAUTHIER raconte comment ils ont été amenés à créer l’association CPCR en 2001. Il souligne en outre, les conséquences du génocide sur la famille de sa femme dont tous les membres, ou presque, ont été assassinés. Il explique qu’à la création du CPCR, ils se sont d’abord constitués parties civiles dans six plaintes, et que très rapidement ils ont décidé de s’emparer eux-mêmes de dossiers. Concernant l’accusé, il précise l’avoir connu le 4 avril 2002 lors d’un colloque au Sénat intitulé « Demain le Rwanda », qui ne « rassemblait que des négationnistes ». Au regard de propos tenus par l’accusé lors de ce colloque, il décide alors de s’intéresser à ce dernier, ils partent avec son épouse à Butare rencontrer des témoins. Ils déposent une plainte en France à son encontre en 2007. Il décrit leur méthode de travail qui consiste à se rendre sur les lieux des crimes afin de rencontre des témoins qui sont des rescapés, des tueurs ayant purgé leur peine, ou des prisonniers. Ils remettent les différentes informations à leur avocat, chargé de rédiger la plainte. Monsieur Alain Gauthier précise que le dossier de Eugène RWAMUCYO est probablement celui leur ayant amené le plus d’insultes depuis des années. Pour appuyer ses propos, le Président du CPCR a lu à la Cour différents messages d’insultes reçus depuis le début du procès.
Interrogé par le Président de la Cour, sur sa perception d’Eugène RWAMUCYO lors du colloque, Monsieur GAUTHIER raconte l’avoir revu en 2010, quand il comparaissait à la Cour d’Appel de Versailles. L’accusé l’aurait alors pointé du doigt en l’accusant de l’avoir fait arrêter. Il précise qu’il ne connaît pas personnellement l’accusé et, par conséquent, ne peut évoquer des aspects de sa personnalité, hormis ce qu’il a entendu dire. Le représentant du CPCR a ensuite été interrogé par la défense sur les méthodes de collecte des données de l’association. Il indique obtenir des documents du Parquet de Kigali, qui dans l’impossibilité de juger les accusés en raison des refus d’extradition, remet les documents afin que ces personnes puissent être jugées en France. Interrogé sur ses liens avec le gouvernement rwandais, Monsieur GAUTHIER confirme avoir reçu une fois une somme du gouvernement, somme allouée par le ministère de la justice dans un procès, dont la décision est publique.
La journée s’est ensuite achevée avec l’audition de Madame Dafroza MUKARUMONGI GAUTHIER. Elle explique être originaire de Butare. Elle précise que cette région à la particularité d’être une région où sont établis beaucoup de couples mixtes et que le génocide en 1994 a ainsi fait des dégâts énormes dans cette région où les membres des familles s’entretuaient entre eux. Elle indique que les violences à l’encontre des Tutsi ont commencé dès 1959, elle fait notamment référence aux massacres de 1963 qui ont eu pour conséquence la déportation de nombreux rescapés au Sud-Est de Kigali. En outre, Madame MUKARUMONGI raconte s’être rendue à Kigali en février 1994. Elle affirme avoir entendu durant cette période, la RTLM émettre des appels au meurtre. Elle souligne que les Tutsi étaient déjà visés en février. De plus, la représentante du CPCR décrit le processus visant à inhumer de manière digne les cadavres, celle-ci y ayant participé plusieurs fois. Elle décrit à la Cour l’état de certaines fosses et la recherche en vain des proches assassinés. Elle déclare que « ce sont les fosses du désespoir, chacun scrute le moindre signe ». Elle ajoute qu’en « 1994 au Rwanda les Tutsi n’ont pas été enterrés, ils ne sont pas morts paisiblement, ils sont morts dans des souffrances atroces, décapités, chassés comme des gibiers, ils ont été jetés à moitié vivants ou à moitié morts dans des énormes trous, dans des rivières, déchiquetés par des chiens ». Enfin, elle conclut en citant les noms de nombreuses victimes du génocide des Tutsi.
Par Ella Grappin, Stagiaire Commission Justice Ibuka France