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Le tribunal administratif de Paris a examiné jeudi une requête déposée par des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda et deux associations qui accusent l’Etat français de « complicité de fait » dans la tragédie survenue en 1994, a constaté l’AFP.
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C’est la première action intentée devant la justice administrative sur le Rwanda, après plusieurs échecs devant la justice pénale.
Signée d’une vingtaine de victimes ou témoins du génocide et de deux associations, « Rwandais Avenir » et le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), la requête avait été déposée en avril 2023 devant le tribunal administratif de Paris.
« Il s’agit de faire reconnaître le caractère gravement fautif et systémique d’une série d’actes manifestement illégaux » de l’Etat français au Rwanda, a déclaré devant les juges l’avocat des requérants, Me Serge Lewisch.
L’Etat français « pouvait éviter ce génocide : non seulement il n’en a rien fait, mais son soutien politique, diplomatique, militaire aux extrémistes hutu a été continu avant, pendant et après le génocide qu’ils ont commis », a-t-il ajouté.
L’enjeu de ce contentieux était de savoir si les faits incriminés constituaient des « actes de gouvernement », comme l’a estimé le rapporteur public, qui a demandé le rejet de la requête pour « incompétence » juridictionnelle.
Les « actes de gouvernement » bénéficient en effet d’une totale immunité juridictionnelle, en général pour des raisons de diplomatie, de sûreté intérieure ou extérieure ou de faits de guerre.
« Si les actes de gouvernement permettent d’exonérer d’une complicité de génocide, alors dans ce cas, Nuremberg n’existe plus », s’est agacé Me Lewisch auprès de l’AFP, en référence au célèbre procès de responsables nazis après la Shoah.
Les requérants accusent notamment Paris de ne pas avoir dénoncé « le traité d’assistance militaire de 1975 à un gouvernement rwandais génocidaire ».
Ils ciblent l’ancien secrétaire général de l’Elysée Hubert Védrine et plusieurs militaires, en particulier l’amiral Jacques Lanxade, chef d’état-major des armées en France en 1994. Ce dernier aurait, selon les requérants, « outrepassé ses pouvoirs » et « modifié l’équilibre des pouvoirs au profit du militaire et au détriment du civilo-politique. »
La requête vise également l’opération Turquoise, qui a fait l’objet par la justice pénale en octobre 2023 d’un non-lieu général, contesté par les parties civiles qui ont fait appel.
Dans cette enquête pénale, les parties civiles accusent la France de « complicité de génocide » pour avoir, selon elles, sciemment abandonné pendant trois jours les civils tutsi réfugiés dans les collines de Bisesero, laissant se perpétrer le massacre de centaines d’entre eux par les génocidaires, du 27 au 30 juin 1994.
Mais selon les magistrats, les investigations n’ont pas établi la participation directe des forces militaires françaises à ces exactions, pas plus que leur complicité par aide ou assistance aux génocidaires, ou même par abstention. La cour d’appel de Paris doit rendre sa décision le 11 décembre.
La requête administrative s’appuie en outre sur le rapport de la commission d’historiens présidée par Vincent Duclert, basé sur l’analyse d’archives françaises, qui a conclu aux responsabilités « lourdes et accablantes » de la France.
Le rapport Duclert avait toutefois écarté toute « complicité » de génocide de la France.
La décision du tribunal administratif - mise en délibéré au 14 novembre - pourrait notamment ouvrir droit à réparation pour les requérants, qui réclament 33 millions d’euros par personne physique, et 21 millions par association.
Selon l’ONU, les massacres au Rwanda ont fait plus de 800.000 morts entre avril et juillet 1994, essentiellement au sein de la minorité tutsi.