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L’audience de ce vendredi 18 octobre a débuté par l’audition d’un premier témoin, Joseph RWANDANGA. Condamné à 15 ans de prison pour des faits liés au génocide, le Président a décidé de ne pas lui faire prêter serment. Habitant de la ville de Nyumba au moment du génocide, il a affirmé que des réunions avaient eu lieu dans le but d’expliquer à la population Hutue « ce qu’elle devait faire ». Il fallait selon lui chasser les Tutsi pour qu’ils quittent le pays et que les Hutus soient plus épanouis grâce aux biens des Tutsi. Interrogé sur l’attaque de l’église de Nyumba à laquelle il a participé, il a indiqué que les policiers utilisaient des fusils et des grenades tandis que les civils se servaient de pierres qu’ils ramassaient. Étaient également présents le bourgmestre et le sous-préfet, qu’il connaissait d’ailleurs bien étant donné qu’il avait lui-même été conseiller communal. Il faisait en effet parti du MRND. Interrogé sur le parti CDR, il se disait apparemment que « c’était eux les vrais Hutus », des « purs-sangs ». Cela se mesurait à leurs narines : si deux doigts pouvaient rentrer, alors ils étaient de vrais Hutus. Le Président l’a ensuite questionné sur l’ensevelissent des cadavres après les massacres de l’église. Il a répondu ne pas en avoir entendu parler. Toutefois, il déclare que deux semaines plus tard, alors qu’il était malade et qu’il se rendait à l’hôpital, il aurait vu un caterpillar creuser une grande fosse. Ensuite, il y aurait eu des annonces pour demander à la population de prendre les corps qui se trouvaient à l’église, au presbytère et entre les maisons, pour les mettre dans cette fosse. A la question de savoir s’il était possible qu’il y ait eu des survivants, il a répondu que non, que tout le monde était mort. Le Président a alors fait une lecture de son audition devant le juge d’instruction français en 2017, où il a affirmé que des blessés encore vivants avaient été ramassés et jetés dans la fosse. Il a ainsi affirmé qu’il ne l’avait pas vu à la fosse de Nyumba, mais à une autre fosse. Enfin, il ne connaitrait pas Eugène RWAMUCYO mais il aurait entendu [que] le Caterpillar était à lui. Ce sont des personnes présentes sur place qui en parlaient.
Le deuxième témoin, Thomas NYAMWIGENDAHO, a également été entendu à titre de simple renseignement par la Cour. En effet, il a été condamné à 12 ans et 6 mois de prison pour des massacres à la paroisse de Nyumba. Habitant de Gishamvu, il dit avoir eu connaissance de réunions des autorités locales, avec notamment le sous-préfet Assiel SIMBALIKURE, le bourgmestre Pascal KAMBANDA et le conseiller de secteur Célestin KUBWIMANA. Il dit ne pas y avoir assisté car il n’était qu’un simple habitant. Interrogé par le président sur l’attaque de l’église de Nyumba, il raconte qu’il y avait environ 300 assaillants, plus nombreux que les réfugiés, et qui sont entrés dans l’église avec des fusils et des armes traditionnelles. Lui-même était armé d’un bâton. Il dit avoir été forcé d’y aller et n’avoir fait qu’acte de présence. Il n’aurait tué personne. S’agissant de l’ensevelissement des cadavres, il affirme avoir observé sur [la] colline à un kilomètre la machine ensevelir les corps. La machine aurait creusé une fosse devant l’école de Nyumba. Contrairement à son interrogatoire à l’époque devant les gendarmes, il affirme ne pas avoir vu de prisonniers sur les lieux, il aurait simplement vu la voiture de la prison passer depuis la colline. Le Président s’est dit surpris de cette contradiction.
L’après-midi, Jean Damascène RUZIBIZA a témoigné devant la Cour. Condamné à 12 ans de prison pour des faits liés au génocide, il a également été entendu à titre de simple renseignement et n’a pas prêté le serment des témoins. Il a déclaré que le génocide à Gishamvu avait débuté par des massacres entre le 18 et le 20 avril 1994. Ensuite, il y a eu des opérations d’ensevelissement, durant lesquelles il y avait une benne dans lesquelles étaient chargés les cadavres pour les mettre dans les fosses creusées avec un Caterpillar. Cette machine aurait creusé des tranchées au milieu du terrain des élèves. Les corps qui se trouvaient dans l’église, dans l’école et dans le presbytère y ont été enterrés. D’autres corps ont été déposés dans une classe. Le Caterpillar aurait ensuite poussé les murs, les faisant tomber par dessus les corps. Le Président l’a ensuite interrogé sur ses activités en tant que « encadreur de la jeunesse » puis en tant que recenseur. Il a ainsi mentionné les « fiches » de la population, sur lesquelles étaient inscrits notamment les noms, les lieux d’origine, le secteur d’habitation, l’ethnie, et le nombre d’enfants. Mais pour lui, ces fiches n’ont pas été utilisées pendant le génocide, car on connaissait déjà sur quelles collines habitaient les Tutsi. S’agissant des réunions, il dit que tous les membres de la population du secteur étaient conviées au réunions organisées par le conseiller Célestin KUBWIMANA. Elles avaient pour but d’encourager la population à tuer des Tutsi. Des rondes ont eu lieu pour encercler les Tutsi afin qu’ils ne s’enfuient pas, tandis que les barrières devaient les empêcher de prendre la fuite vers le Burundi.
S’agissant des massacres qui ont eu lieu entre le 18 et 20 avril 1994, il a expliqué que la commune de Gishamvu étant composée de dix secteurs, cinq secteurs étaient partis à Nyumba et cinq autres à Nyakibanda. Lui s’est rendu à Nyumba, sur instruction du sous-préfet Assiel SIMBALIKURE. Des policiers et militaires étaient armés de fusils tandis que la population avait des armes traditionnelles. Les ordres étaient de tuer tous les Tutsi présents sans distinction. Il a avoué y avoir tué une personne. Le bourgmestre avait ensuite payé des gens pour qu’ils creusent et enterrent les cadavres. Mais au vu de l’état des cadavres, un Caterpillar y a été emmené. Il n’a pas vu mais ceux qui enterraient les cadavres se sont vantés d’avoir achevé les survivants. Cela serait venu de consignes des autorités. Il dit enfin n’avoir jamais entendu parler d’Eugène RWAMUCYO avant sa convocation à l’audience.
Vers 16h30, le dernier témoin de la journée a été entendu depuis le tribunal de Florence en Italie. Il s’agit de Michel MURENZI, prêtre et ancien enseignant au grand séminaire de Nyakibanda. Il a connu RWAMUCYO quand ils étaient séminaristes ensemble vers 1979/1980. Il a affirmé ne pas avoir su à l’époque les raisons du départ de RWAMUCYO du Grand Séminaire. Il l’aurait ensuite revu en 1994, lorsqu’il est passé par Butare et que la personne qui l’accompagnait lui a dit que c’était lui et qu’il était devenu médecin. Il a ensuite expliqué qu’il était devenu enseignant au Grand Séminaire de Nyakibanda en 1991 et que c’est là qu’il se trouvait quand le génocide a débuté avec un de ses confrères. Il ne serait sorti qu’une seule fois pour se rendre à Butare car son confrère était menacé de mort en tant que Tutsi. Ce serait l’un des réfugiés qu’ils avaient accueillis qui aurait entendu qu’il était menacé. Interrogé sur les barrières, il a déclaré que les personnes présentes ne faisaient simplement que vérifier si les personnes avaient des armes et s’ils avaient un permis de circuler. Selon lui, il n’y avait pas de traitement différencié selon l’ethnie. Il aurait simplement entendu parler de Tutsi qui étaient emmenés pour être interrogés. Arrivé à Butare le 20 avril, il n’aurait vu aucun cadavre. Ils se sont enfermés au Petit Séminaire jusqu’au 27 avril. Il a dit également ne jamais avoir entendu parler des Interahamwe.
Le Président l’a ensuite questionné sur les massacres qui ont eu lieu près du Grand Séminaire. Il a dit que c’est le Service de santé publique de Butare qui s’est occupé des cadavres. Au départ, il a raconté avoir entendu creuser et n’avoir vu les fosses que plus tard car il ne sortait pas beaucoup. Ensuite, il a affirmé avoir vu une pelleteuse creuser depuis un mûr du séminaire. Il aurait parlé au chauffeur. Il a également raconté avoir vu Eugène RWAMUCYO un matin alors qu’il passait voir si « tout se passait selon les normes sanitaires ». Ils se sont salués sur la place devant le séminaire mais il ne l’aurait pas invité à entrer. Le Président s’est dit surpris car il avait précédemment dit qu’il n’était pas sorti du séminaire, seulement sur un mur. Il a répondu être sorti pour prendre l’air. Il n’aurait vu aucun cadavre car il n’y en avait pas devant l’entrée principale du séminaire. Le Président lui a ensuite demandé s’il y avait eu des survivants. Il a alors raconté la fois où le chauffeur de la pelleteuse lui avait amené une fille, mais que le temps d’aller lui chercher un verre de lait pour la réconforter elle avait été attrapée. Le Président l’a ensuite confronté à ses déclarations devant le tribunal de Lucques en Italie ainsi que devant le juge d’instruction français lors de sa confrontation avec l’accusé. Il a affirmé en effet à ces deux occasions qu’il avait vu des cadavres en rentrant au Grand Séminaire et qu’il y avait vu des survivants. Il a répondu que c’était une déduction qu’il avait faite en voyant la fille. Il a également affirmé devant le tribunal de Lucques que Eugène Rwamucyo venait au séminaire de temps en temps pendant les trois ou quatre jours d’ensevelissement des cadavres et qu’il l’aurait vu au moins deux fois. Il a répondu que les faits remontaient à trente ans et que sa mémoire pouvait défaillir. Sur le fait qu’il ait déclaré pendant ses auditions que Rwamucyo donnait des instructions, il a déclaré que c’était une déduction par rapport au chauffeur de la pelleteuse qui ne connaissait pas les normes sanitaires. Il ne l’aurait finalement jamais vu ou entendu donner des instructions.
Par Léna Jaouen, Stagiaire Commission Justice Ibuka France