Fiche du document numéro 34590

Num
34590
Date
Vendredi 18 octobre 2024
Amj
Taille
1899961
Titre
Génocide des Tutsi du Rwanda : le négationnisme en débat au tribunal de Paris [1/5]
Sous titre
« Contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce un crime de génocide » : c’est l’incrimination qui a conduit le polémiste franco-italo-camerounais Charles Onana et son éditeur Damien Serieyx devant la XVIIe chambre du tribunal correctionnel de Paris. Parmi les plaignants, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Ibuka-France, Survie, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR). En 2020 ils avaient porté plainte avec constitution de partie civile contre Charles Onana et son éditeur pour plusieurs passages du livre « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise » paru fin 2019 aux Éditions de l’Artilleur. Un juge d’instruction a mis en examen les deux hommes avant de les renvoyer devant le tribunal correctionnel. Le sujet et la qualité des nombreux témoins cités ont conféré au procès un caractère emblématique. Les débats ont mobilisé quatre jours d’audience (les 7, 8, 10 et 11 octobre 2024). Nous en rapportons la teneur en quatre épisodes. Le jugement a été mis en délibéré au 9 décembre prochain.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Lundi 7 octobre, les supporters de Charles Onana ont déployé une banderole devant le tribunal de Paris.

Synthèse des notes d’audience de Survie, Ibuka France et divers observateurs sous la direction et contextualisation de Jean-François DUPAQUIER

1er jour : 7 octobre 2024

Ce lundi 7 octobre à 13 h 30, l’audience de la XVIIe chambre s’ouvre sous forte tension. Sur le parvis du palais de justice des Batignolles, des Congolais ont déployé des banderoles de soutien à Charles Onana et à son dernier livre « Holocauste Congo : l’Omerta de la communauté internationale » (L’Artilleur, 2023). Un ouvrage que le régime du président Tshisekedi semble avoir acheté et diffusé à des dizaines de milliers d’exemplaires pour alimenter sa campagne idéologique contre le président du Rwanda. C’est cet ouvrage qui alimente les conversations des Congolais venus « en force », mais ce n’est pas celui dont il est question devant le tribunal.

Charles Onana arrive entouré de quatre ou cinq gardes du corps. Plus d’une centaine de ses partisans se masse devant la salle d’audience. Une équipe de la Radio Télévision Nationale Congolaise (RTNC) est là et allume ses projecteurs. Les téléphones sont brandis pour filmer l’accusé du jour. En fond sonore on entend une sorte de gimmick : « C’est un héros !  ».

« C’est un héros ! »

« Les parties civiles n’oseront peut-être pas se montrer », se hasarde un Congolais au milieu des rires. Si, elles sont là. Elles entrent après le public venu soutenir la défense. Les policiers qui contrôlent l’accès annoncent qu’il n’y a plus de place dans la salle (les auditions se dérouleront dans une plus grande salle à partir du mardi). Les Congolais jouent des coudes pour escorter l’accusé Onana. Avec son habituel sourire conquérant, il fait une entrée en scène un peu comme au théâtre, encadré de ses gardes du corps identifiés par leur carrure et leurs brassards. Damien Serieyx, patron des éditions L’Artilleur, fait pâle figure dans le sillage du pétulant « docteur en sciences politique, spécialiste de l’Afrique des Grands lacs et des conflits armés ». Pourtant, Damien Serieyx est poursuivi comme auteur principal de l’infraction en tant que responsable légal du livre, Charles Onana comme complice.

La « XVIIe » est une chambre mythique…

Du côté des parties civiles, une vingtaine de personnes, sans compter leurs avocats. Les deux groupes se regardent en chiens de faïence. Visiblement, la présidente ne s’attendait pas à une telle affluence. En général, les débats de la prestigieuse « XVIIe », aussi appelée « chambre de la Presse » attirent surtout des journalistes. Elle est composée de magistrats spécialisés, chargés de faire respecter la vénérable loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 et les principes de la diffamation en droit français.
Devant la porte de la salle, le panneau indicatif de l’affaire comporte une petite erreur. Il est indiqué que l’audience porte sur « la contestation de crimes commis pendant la seconde guerre mondiale ». La force des habitudes…

La XVIIe est une chambre mythique. Les grands médias français sont partagés entre admiration et crainte de la présidente, Madame Delphine Chauchis, Première vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal.

« …les débats y restent passionnants »

La Présidente est entourée de deux assesseurs discrets. « Les débats y restent passionnants », a écrit France Inter dans un compte-rendu d’audience[1]. « Les habitués s’appellent Eric Zemmour ou Alain Soral ; ce jour là, l’écrivain négationniste Hervé Ryssen est condamné pour contestation de crime contre l’humanité. Il avait publié un tweet accolant l’affiche du film « La Vérité si je mens » à une photo du portail du camp d’extermination d’Auschwitz ». C’était le 5 février 2021[2].

« Contestation de l’existence d’un crime contre l’humanité, en l’espèce un crime de génocide », c’est justement l’accusation dont va répondre Auguste-Charles Onana, dit Charles Onana, qui, lui, n’a pas (pas encore ?) la réputation d’Eric Zemmour ou d’Alain Soral. Il n’est connu que des cercles africanistes, de certains hauts-gradés français et des communautés congolaise et rwandaise pour des thèses qu’on qualifiera – pour le moment – de « controversées ». Présomption d’innocence !

« L’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle »

« La thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un “génocide” au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle ». C’est ce qu’écrit Charles Onana à la page 198 de son livre « Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise – Quand les archives parlent », paru le 30 octobre 2019 . Le « journaliste d’investigation » (?) y affirme également que « le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs » (p. 34). Ou encore : « Continuer à pérorer sur un hypothétique “plan de génocide” des Hutus ou une pseudo-opération de sauvetage des Tutsis par le FPR est une escroquerie, une imposture et une falsification de l’histoire » (p. 460).

Des propos qui ont alerté la Ligue des droits de l’Homme, la Fédération internationale pour les droits humains et Survie qui voient là une opération de négation du génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda en 1994. Ces trois associations se sont réunies pour porter plainte contre Charles Onana et les éditions du Toucan qui ont publié son ouvrage (sous le label de L’Artilleur). D’autres se sont également portées parties civiles : Ibuka France, la Ligue Internationale contre le racisme et l’antisémitisme, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda et la Communauté rwandaise de France.

« Rien à voir avec le génocide des Juifs »

Madame Delphine Chauchis, la présidente, apparaît d’emblée très professionnelle. Elle démontre une parfaite connaissance du dossier, écoute beaucoup et patiemment, s’exprime peu et toujours à bon escient. Ce n’est pas une mince affaire que de réorganiser l’agenda avec au total 21 témoins. Des conciliabules entre magistrats et avocats il ressort que chaque témoin disposera d’une heure La présidente doit donc ajouter au calendrier initial deux demi-journées. Les cinq officiers supérieurs français cités par Charles Onana témoigneront à partir du mardi après-midi, à commencer par le général Lafourcade, ancien patron de l’opération Turquoise. On finira par le colonel Jacques Hogard, ancien commandant d’un des groupes de Turquoise, aujourd’hui conseiller militaire de Marion Maréchal le Pen appelée aujourd’hui Marion Maréchal. On verra que tous font partie du fan club.

Ce lundi 7 octobre , l’audience a débuté par un point avec les avocats des parties, puis par l’appel des témoins. Madame Chauchis rappelle le dossier d’instruction : historique de la plainte, résumé du livre pour contextualiser les propos poursuivis, énoncé des phrases poursuivies. Elle rappelle et liste les modes de négation implicites identifiés par les parties civiles qui s’ajoutent à la négation pure et simple :
• La négation du génocide via la minoration
• La négation du génocide via la confusion du statut des victimes
• La disqualification des institutions judiciaires.

A la juge d’instruction, Charles Onana avait déclaré ne pas se sentir redevable de citations isolées de leur contexte par les parties civiles. Il préférerait répondre de l’ouvrage complet dans lequel elles s’insèrent.

Charles Onana ne se sent pas redevable de « citations isolées »

Les arguments des parties civiles à l’appui de leur plainte sont également résumés par la Présidente, Madame Delphine Chauchis.

Charles Onana est appelé à la barre, décline son identité. Bon orateur, il fait une présentation initiale aussi lisse que possible.

« Je vais commencer par l’élément central, la négation du génocide. Je dirai d’abord que je n’ai pas de conflit d’intérêt, je ne suis pas rwandais, je n’étais pas en lien avec les gouvernements rwandais d’avant 1994. Je me suis intéressé à cette affaire parce que j’étais juste perplexe de constater qu’il y avait un point sombre dont on ne voulait pas parler : l’attentat du 6 avril. Je m’étais posé la question de savoir pourquoi cet attentat n’éveillait pas d’intérêt[3]. »

Des arguments aux antipodes de la plainte

[M. Onana va développer une série d’arguments aux antipodes de la plainte pour négationnisme :
• Initialement le FPR aurait été le seul à parler de génocide.
• Ce sont les Américains qui ont poussé à reconnaître ce mot.
• La France aurait été active dans les négociations de paix d’Arusha.
• Le FPR serait seul responsable de l’exode des Hutu au Zaïre.
• Il n’y aurait aucune preuve des accusations contre Turquoise.
• Les Français n’auraient pas aidé les génocidaires à fuir au Zaïre.
• Il n’y aurait aucune planification du génocide.
• Dans son livre il ne confondrait jamais les civils tutsi avec les rebelles armés du FPR.
• Il aurait été le seul à consulter les archives, notamment de l’Élysée.
• Sa thèse intitulée « Rwanda : l’Opération Turquoise et la controverse médiatique (1994-2014). Analyse des enquêtes journalistiques, des documents secret-défense et de la stratégie militaire » aurait été reçue avec les félicitations du jury.[4]]

Charles Onana : « Je cherche à comprendre »

Charles Onana poursuit : « Je rencontre dans ce contexte Deo Mushayidi, rescapé du génocide dont toute la famille a été exterminée. Il essayait de revivre à travers sa femme et ses enfants. Il me dit : « On va travailler sur cette histoire d’attentat.  ». Deo avait été représentant officiel du FPR en Suisse. Nous commençons l’enquête avec beaucoup de risques à Nairobi, où sont implantés d’anciens agents du FPR. Des gens ont été assassinés à Nairobi : je suis conscient que je prends des risques pour ma vie. Je n’ai pas d’à priori quand je commence cette enquête, je ne connais pas les subtilités comme Deo.

J’ai une curiosité intellectuelle : je cherche à comprendre. Même dans le livre incriminé [Rwanda, la vérité sur l’opération Turquoise] je n’ai pas de certitude. En 2002, quand paraît Les secrets de la justice internationale. Enquêtes truquées sur le génocide rwandais (Éditions Duboiris, 2005) écrit donc avec Mushayidi, Paul Kagame porte plainte contre nous pour diffamation. Nous rassemblons 4 000 documents de preuve. Quarante-huit heures avant le procès, Monsieur Kagame et l’État rwandais se sont désistés. On m’a traité de négationniste, de génocidaire…

« Je fais ce travail en prenant pour acquises les accusations portées contre Turquoise »

« Je découvre qu’il y a de plus en plus d’accusations contre l’opération Turquoise d’une gravité extrême : les militaires de Turquoise ont été complices des génocidaires, ont violé des femmes, etc… Je décide de faire un travail de thèse là-dessus car je constate qu’il n’y a pas de travail scientifique qui a été réalisé sur le sujet. Donc je fais ce travail en prenant pour acquises les accusations portées contre Turquoise et j’examine les sources.

Ce que je lis sont principalement des sources de troisième ou quatrième main, je me dis que je dois avoir accès aux archives des Nations Unies concernant Turquoise. Et je vais avoir de grosses surprises. Le FPR avait dit qu’il y avait un génocide et voulait un tribunal pour juger les criminels ; je découvre que le FPR s’est opposé à Turquoise au motif qu’il n’y n’avait plus de Tutsi vivant à sauver… mais même s’il n’en restait qu’un seul, cela suffisait à justifier une intervention.

[Charles Onana parle de sa rencontre avec le Représentant permanent de la France aux Nations Unies, Jean-Bernard Mérimée. Plus tard il est reçu par Carla Del Ponte, ancienne procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), qui lui fait des confidences qu’elle confirmera plus tard dans ses mémoires, affirme-t-il.]

Charles Onana se garde de parler de « double génocide »

[Charles Onana ajoute en substance qu’il ne confondait pas la « population civile tutsi », victime de génocide et de massacres, « avec les rebelles tutsi qui menaient des actions militaires violentes. » Il se garde de parler de « double génocide, sa phrase favorite.

Charles Onana se donne beaucoup de mal pour échapper à une éventuelle sanction. Il ajoute considérer « le génocide contre les Tutsi comme étant un fait incontestable ». Il déplore qu’« on me prête des intentions qui ne sont pas les miennes ». Pour justifier la qualification d’« escroquerie » à propos de la « planification » du génocide, M. Onana affirme qu’elle renvoie au FPR, « qui la met en avant dès le mois d’avril 1994 sans pour autant « en apporter la preuve ». Et d’insister sur l’« offensive menée par le FPR pour renverser le régime au pouvoir ». C’est à l’époque, selon lui, le « déclencheur » des évènements qui ont suivi].

« Kagame a dit à Del Ponte qu’il était hors de question d’enquêter sur le FPR »

Charles Onana poursuit sa déposition : « Kagame a dit à Del Ponte qu’il était hors de question d’enquêter sur le FPR. Je me rends compte ensuite que je ne peux pas enquêter sur Turquoise sans partir de l’offensive du FPR de 1990 pour prendre le pouvoir. Je cherche dans les archives de l’ONU, de la MINUAR, de l’Élysée et me rend compte que la question de la guerre ne se pose pas. Rassemblant les éléments concernant la guerre et posant de nouvelles questions, je découvre que le FPR veut la conquête du pouvoir mais qu’on accuse la France d’avoir fait exfiltrer les génocidaires. Je rencontre le général Hogard et d’autres responsables militaires et politiques, comme l’ex-premier ministre du Gouvernement intérimaire rwandais, Kambanda[5]. On accuse aussi la France de livraisons d’armes aux génocidaires sur le territoire zaïrois. J’interroge les Zaïrois et à chaque fois je me rends compte que ces accusations ne tiennent pas[6].

La présidente : « Vous devez répondre ce sont les propos de votre ouvrage sur l’existence du génocide des Tutsi… »

Madame la Présidente : Là vous vous attardez sur ce qui concerne l’opération Turquoise dans votre livre. Mais aujourd’hui, ce dont vous devez répondre ce sont les propos de votre ouvrage sur l’existence du génocide des Tutsi…

Charles Onana : Je ne nie pas du tout le génocide. Je ne le fais pas et je ne le ferai pas, ayant des amis qui ont survécu au génocide. Sur 660 pages du livre, combien de pages sont mises en cause ? Le gros de mon travail ne porte pas là-dessus. Qu’on me montre un seul passage où je nie le génocide des Tutsi et là alors je le reconnaîtrai…

« Pourquoi mettre le mot génocide entre guillemets ? »

Madame la Présidente : – Vous avez bien compris qu’il vous est reproché de contester le génocide des Tutsi selon les modalités lues dans mon rapport initial ?

Charles Onana : Je ne vais pas faire le travail des avocats à leur place. Ce qu’il faut que vous sachiez c’est que je travaille en sciences politiques, dont le but est d’analyser les discours des institutions et des acteurs politiques. Le FPR et le GIR [gouvernement dit « intérimaire »] sont des acteurs politiques qui sont en affrontement. Précision : je ne confonds pas les Tutsi civils qui sont victimes de violence avec les rebelles Tutsi qui mènent une action violente. Je ne confonds pas les Tutsi victimes et les rebelles du FPR qui ont conquis le pouvoir à Kigali. Qui, madame la Présidente, utilise en premier le terme génocide ? C’est le FPR. Les parties civiles s’amusent beaucoup avec les guillemets…

Madame la Présidente : – Justement, vous pouvez vous expliquer là-dessus ?

Charles Onana : – J’ai écrit un livre de 668 pages : ce n’est pas un supermarché où l’on prend ce qui nous arrange. Qu’on me montre une phrase où je nie le génocide ! J’ai par contre plusieurs pages où je reconnais le génocide. Mes contradicteurs vont venir avec la question de l’intention : mon intention est de permettre au lecteur d’avoir un spectre de compréhension plus large. Comment peut-on me prêter des intentions qui ne sont pas les miennes ?

Charles Onana : – J’ai écrit un livre de 668pages, ce n’est pas un supermarché »

Madame la Présidente : – Pourquoi alors que vous nous dites qu’il n’y a pas d’intention de négation, prenez-vous la précaution de dire qu’il ne faut pas se méprendre sur ce que vous dites ?

Charles Onana : – Parce que je suis traité de négationniste par le gouvernement rwandais.

Madame la Présidente : – Quand avez-vous commencé le travail qui a abouti à la thèse et au livre ?

Charles Onana : – Le travail sur Turquoise m’a pris environ 10 ans après mon constat de l’absence de travail scientifique sur le sujet.

« Le travail sur Turquoise m’a pris environ 10 ans »

Madame la Présidente : – Vous dites cela, mais vous dites aussi que les chercheurs ont produit de la matière… qui irait simplement dans un sens qui n’est pas le vôtre ?

Charles Onana : – Je parlais de la recherche sur Turquoise ! Les autres chercheurs répètent juste les mêmes accusations sans fondement.

Madame la Présidente : – Vous avez travaillé sur le TPIR. Avez-vous connaissance du constat judiciaire de 2006 ? Il y a des travaux sur le TPIR où vous développez l’origine de l’emploi du mot génocide, que vous mettez en doute : ce terme n’aurait pas été utilisé au terme d’une analyse de preuve, mais de manière beaucoup trop rapide…

Charles Onana : – Vous remarquerez que je ne porte pas de jugement de valeur sur cette décision du TPIR [concernant le constat judiciaire]. Est-ce permis pour un politologue de retracer le cheminement qui a abouti à cette décision ? D’ailleurs, je préviens que je ne nie pas le génocide. J’ai été formé dans les universités à la réflexion cartésienne. Le travail intellectuel est un exercice d’humilité…

Onana : « Le travail intellectuel est un exercice d’humilité… »

Madame la Présidente : – Pouvez-vous expliciter ce dont vous parlez quand vous mentionnez des lois mémorielles qui ont entravé la recherche ?

Charles Onana : – En Belgique, il y a eu un projet de loi sur le négationnisme. Monsieur Reyntjens a dit que c’était dangereux pour la recherche. Les parties civiles parlent de négation implicite ; si je voulais nier pourquoi je recourrais au négationnisme implicite ?

Questions de l’avocat de la Communauté Rwandaise de France : – Je vais exaucer votre vœu et vous citer une phrase où vous niez le génocide des Tutsi : la page 34 de votre livre. « Il est désormais établi que l’actuel régime de Kigali ne supporte pas les universitaires, les journalistes et les auteurs dont les travaux nuancent ou contredisent le dogme ou l’idéologie du « génocide des Tutsi ». L’arme de destruction massive qui a été trouvée pour disqualifier ou pour discréditer le travail des chercheurs américains est de les traiter de « révisionnistes » ou de « négationnistes », un vocabulaire réservé en général aux auteurs qui nient l’Holocauste des Juifs et que certains veulent étendre abusivement et maladroitement à la tragédie rwandaise. Soyons clair, le conflit et les massacres du Rwanda n’ont rien à voir avec le génocide des Juifs ! Toute tentative de mariage forcé ou de comparaison entre ces deux événements distincts est abusive et déplacée. »

Pour vous, il est donc injustifié de comparer la Shoah au génocide des Tutsi ?

[Gros rire dans la salle côté défense. Rappel à l’ordre de Madame la Présidente qui menace d’exclure des débats toute personne qui continuerait à réagir ostensiblement.]

« Il est donc injustifié de comparer la Shoah au génocide des Tutsi ? »

Charles Onana : – L’accusation a parfaitement le droit d’interpréter mes propos comme elle le souhaite.

Me Gisagara, avocat de la CRF : – Pourquoi rédigez-vous cette phrase si vous ne niez pas le génocide ?

Charles Onana : – Dans cette phrase je ne nie pas le génocide. Au contraire, je suis malheureusement un chercheur précautionneux et je voulais justement prendre des pincettes pour appeler à la vigilance lorsque l’on compare des situations très différentes. Le contexte de la Shoah et du Rwanda ne sont pas du tout les mêmes : il n’y a jamais eu d’armée de Juifs qui ont combattu le Führer. Le contexte dans lequel les choses se sont passées au Rwanda n’a absolument rien à voir avec celui de la Shoah : c’est par humilité que j’ai écrit cette phrase.

Me Goldman (LICRA) : – Connaissez-vous la définition juridique du génocide ?

Charles Onana : – Je ne répondrai pas à cette question.

Me Goldman : – Saviez-vous qu’il y a la notion de « plan concerté » dans la définition ?

Charles Onana : – Le TPIR n’a pas validé la planification, en tout cas le procureur.

« La définition juridique du génocide ? Je ne répondrai pas à cette question »

Me Goldman : – Il y a deux passages où vous qualifiez cette planification « d’escroquerie » (page 198 ; page 460), « d’imposture » (page 460)…
Charles Onana : – Par qui ? Pouvez-vous relire sans tronquer ma citation ?

Me Goldmann : – « Ceci démontre, s’il en était encore besoin, que la thèse conspirationniste d’un régime hutu ayant planifié un « génocide » au Rwanda constitue l’une des plus grandes escroqueries du XXe siècle.  » (page 198)

[L’accusé commence à s’énerver. Madame la Présidente demande à Charles Onana de s’expliquer calmement.]

Charles Onana : – A aucun moment de cette phrase je ne parle du Tribunal, je parle uniquement du FPR. Ce que j’écris est précis.

« Pouvez-vous citer un passage où vous reconnaissez le génocide ? »

Me Heinich (Survie) : – Vous prétendez qu’il y a plein de passages où vous reconnaissez le génocide. Pourtant je n’en ai pas trouvé : pouvez-vous citer un exemple ?

Charles Onana : – C’est un livre de 660 pages, je n’ai pas tout en tête. Je laisserai mon avocat répondre car je ne voudrais pas me tromper et me mettre en porte-à-faux…

Me Heinich : – Pourquoi n’avez-vous pas dit d’emblée que vous vous étiez intéressé au génocide, mais à « cette affaire » ?

Charles Onana : – Il paraît que la répétition est pédagogique alors je vais vous redire que je me suis d’abord intéressé à l’attentat du 6 avril 1994. Je ne me suis pas dit « Je vais enquêter sur le génocide », mon ami Deo était bien plus au fait de ce qu’il s’était passé. Moi je m’intéressais à l’attentat dont le rapport des Nations-Unies faisait l’élément déclencheur du génocide.

Me Heinich : « Nous avons compté 160 fois où vous utilisez le mot génocide entre guillemets contre 12 fois sans guillemets »

Me Heinich : – Je reviens sur l’utilisation des guillemets. Nous avons compté 160 fois où vous utilisez le mot génocide entre guillemets contre 12 fois sans guillemets… La répétition est pédagogique, dites-vous ?

Charles Onana : Je mets les guillemets quand il s’agit du terme génocide employé du point de vue du FPR, qui est le premier à avoir utilisé ce mot et je ne le mets pas quand je le reprends à mon compte.

Me Heinich : – Qu’entendez-vous par « […] Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple […] » ? (page 437)

Charles Onana : – C’est une citation du titre du livre de Fabrice Epstein [avocat de Pascal Simbikangwa, Un génocide pour l’exemple, aux éditions du Cerf, 2019].

Me Heinich : – Pourtant la citation du livre vient après, elle est entre guillemets là – avant c’est donc votre propre discours. C’est vous qui écrivez ?
Charles Onana : – Je fais cette citation par honnêteté intellectuelle.

Me Heinich : – Vous citez dans votre livre le rapport [du rapporteur spécial de la commission des Droits de l’Homme des Nations Unies] René Deni-Segui. Mais vous en manipulez les conclusions, pour prétendre que la qualification de génocide n’était pas encore acquise quand ce rapport a été rédigé [le 28 juin 1994].

« Vous manipulez les conclusions de René Deni-Segui »

Charles Onana : – Le secrétaire général [des Nations Unies] et Degni-Ségui disent eux-mêmes qu’il faut faire encore des enquêtes à ce moment-là.

Me Heinich : – Si l’on poursuit la lecture du rapport, on voit qu’il est dit que la qualification de génocide est « d’ores et déjà acquise ». Comment expliquez-vous donc que vous ayez tronqué ce rapport ?

Charles Onana : – La formulation « d’ores et déjà » montre qu’il faut encore enquêter.

Madame la Procureur : – Vous avez parlé de Deo Mushayidi. Comment vous êtes vous rencontrés ?

Charles Onana : – Lors d’un voyage aux États-Unis organisé par le département d’État.

Me Pire (Avocat de la Défense) : – Dans cet extrait des pages 190-191, vous écrivez ensuite que cela ne signifie pas qu’il n’y a pas eu de génocide. Vous dites qu’à l’époque les enquêtes sont encore nécessaires ?

Charles Onana : « J’écris génocide sans guillemets quand je reprends le mot à mon compte »

Charles Onana : – Oui, mais juste après j’écris que cela ne signifie pas que le génocide n’a pas existé et j’écris le mot génocide sans guillemets car je le reprends à mon compte.

Me Pire demande de précisions sur les références aux travail d’Allan Stam et Christian Davenport dans le livre de Charles Onana.

Charles Onana : – Ces chercheurs ont travaillé pendant dix ans à la demande de l’association Ibuka et du gouvernement de Kigali. Ils ont constaté que plus le FPR avançait, plus les Tutsi étaient massacrés. Ils ont aussi demandé à Ibuka combien de victimes Tutsies ont été tuées : ils ont répondu 300 000. Et lorsqu’on leur a demandé combien il y avait de Tutsi avant le génocide : ils ont répondu 600 000. Comme il y a eu entre 1 million et 1,5 million de morts au total, ils en ont déduit que c’était des victimes Hutu. Les deux chercheurs ont dû quitter le Rwanda sous 24 heures. Heureusement ils étaient américains, sinon ils auraient été liquidés comme on dit…

Me Pire : – Vous mentionnez une campagne menée par le FPR pour imposer le mot génocide. Avez-vous dit que le mot génocide des Tutsi ne correspondait pas à la réalité des faits ?

Charles Onana : – Quand je parle de la réalité des faits je parle des faits qui se déroulent sur le plan militaire. J’ai édité le livre de Jacques-Roger Booh-Booh qui discutait avec le FPR et tous les autres et Jacques-Roger Booh-Booh dit que ce qu’on lit, ça ne s’est pas passé comme ça.

« J’ai édité Jacques-Roger Booh-Booh qui dit que ça ne s’est pas passé comme ça »

Me Pire : – Pouvez-vous nous expliquer ce que vous avez constaté quant à la planification ?

Charles Onana : – J’ai constaté que le FPR avait dressé la liste de ceux qu’il voulait voir accuser et qu’il a dit qu’il y avait un plan de génocide et qu’il en avait les preuves. Or, il y a au moins deux ou trois jugements du TPIR où il est écrit que le procureur a été incapable d’en apporter la preuve. Le FPR n’a pas non plus apporté les preuves annoncées…

Me Pire : – Vous avez publié d’autres ouvrages qui ont traité de la situation au Rwanda, par exemple sur l’attentat. Utilisez-vous les guillemets dans ce livre ?
Charles Onana : – Non. Dans mon livre sur l’attentat, quel intérêt j’ai de nier le génocide des Tutsi ? Je prends des risques mais je suis devant vous.

Me Pire : – Vous pouvez nous expliquer ces risques ?

Charles Onana : – Mon ami Tutsi Deo a été mis en prison par le régime de Kigali actuel, au Rwanda depuis quatorze ans. Je suis inquiet [sa voix tremble d’émotion, les larmes montent].

Onana : « Je prends des risques mais je suis devant vous »

Madame la Présidente : – Vous êtes inquiet pour lui ou pour vous ?

Charles Onana : – Pour nous deux ! Et je tiens à dire que le sort de Deo n’intéresse pas les parties civiles qui prétendent défendre les rescapés. Le président Kagame a dit publiquement en juillet que les négationnistes du génocide doivent mourir un jour. Je suis aussi inquiet pour un autre ami. L’association Survie a fait un procès médiatique contre moi après le dépôt de la plainte : j’ai été condamné avant d’être entendu.

Madame la Présidente : – Quelle est votre situation personnelle ? Votre revenu mensuel moyen ?

Charles Onana : [Grosse hésitation] C’est fluctuant… je ne sais pas vous répondre… et je ne veux pas me tromper. Je suis très fatigué…

Me Pire : – Nous fournirons la feuille d’imposition.

Madame la Présidente : – Un autre aspect de votre situation personnelle à partager ?

Charles Onana : Que je suis en danger. C’est tout.

Présentation habile mais généralement hors-sujet

[Sur la forme, une présentation initiale habile mais sur le fond généralement hors-sujet, comme on s’y attendait: Charles Onana se montre intarissable sur la nature selon lui maléfique du FPR, sur les injustices médiatiques, toujours selon lui, vis-à-vis de l’opération Turquoise, sur les crimes de Kagame (curieusement, il ne dit rien rien sur le Congo). Il insiste sur l’absence de conflits d’intérêts et parle de « proximité avec des rescapés tutsi ».]

Murmures et quelques applaudissements dans la salle. La présidente met en garde le public. Charles Onana se retire, l’éditeur Damien Serieyx est invité à son tour à la barre.

Madame la Présidente : Que pouvez-vous nous dire sur les faits reprochés ?

Damien Serieyx : – Que je suis étonné de me retrouver là, c’est la première fois. J’ai décidé de publier ce manuscrit parce qu’aucune étude scientifique à ce jour n’avait été faite sur le sujet. C’est un livre très dense qui m’a paru très sérieux . Je l’ai lu, je l’ai fait lire. Le livre m’a semblé extrêmement documenté. J’ai vérifié moi-même un certain nombre de sources : il y avait là une richesse éditoriale à offrir. Et enfin, ce livre venait d’une thèse soutenue à l’université Lyon-3 qui avait obtenu les félicitations du jury et avait donc été validé par l’université française. En tant qu’éditeur, j’ai rédigé moi-même la 4e couverture. Elle contient une validité explicite de la réalité du génocide.

L’intervention de l’éditeur Damien Serieyx

Madame la Présidente : Pouvez-vous expliquer la citation de Shimon Peres sur la quatrième de couverture ?

Damien Serieyx : – Cette phrase fait référence à l’opération Turquoise. Peres s’adresse à Mitterrand et lui dit « Si nous avions fait une telle opération pendant la Seconde Guerre mondiale, nous n’aurions pas connu la Shoah ».
Madame la Présidente : – Mais dans l’ouvrage, il y a des passages qui ne concernent pas uniquement Turquoise…

Damien Serieyx : – Je ne partage pas ce sentiment.

Madame la Présidente : – Ce n’est pas un sentiment, c’est le résultat d’une lecture objective de l’ouvrage.

Damien Serieyx : – Ce sont des éléments nécessaires pour présenter le contexte.

La Présidente : « Avez-vous lu la thèse?»

Madame la Présidente : – Avez-vous lu la thèse ? Quelle différence avec l’ouvrage publié ?

Damien Serieyx : – J’ai lu la thèse et il y a des passages que Charles a montré et qui sont identiques au livre.

Madame la Présidente : – Comment avez-vous pris connaissance de ce travail ? Le manuscrit vous a-t-il été recommandé ?

Damien Serieyx : – Non, Charles est venu me le présenter.

Madame la Présidente : – Avez-vous publié d’autres livres sur l’Afrique ou sur le génocide ?

Damien Serieyx : Quelques livres sur l’Afrique mais pas sur cette thématique particulière. J’ai publié deux autres livres de Charles : un livre sur l’attentat et un sur le Congo.

Madame la Présidente : – Le livre sur l’attentat a-t-il été attaqué ?

Damien Serieyx : – Non.

« Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple », vous êtes sérieux ?

Me Delhoume (LDH, FIDH) : – Quand vous publiez un livre historique, faites-vous des vérifications ? Par exemple, concernant l’extrait (page 437) sur « Pascal Simbikangwa, condamné en France non pour la vérité mais pour l’exemple […] », vous êtes sérieux ? Avez-vous fait des recherches sur cette décision de condamnation ?

Damien Serieyx : – Non, j’ai regardé le livre d’Epstein et j’ai considéré qu’Onana reprenait les mots d’Epstein [dans Un génocide pour l’exemple, aux éditions du Cerf, 2019].

Me Delhoume : – Mais ensuite, il y a une citation du livre d’Epstein, donc les propos incriminés sont de la plume d’Onana ?

Damien Serieyx : – Pour moi ces propos correspondaient au livre cité.
Me Gisagara (CRF) : – Avez-vous vérifié les sources utilisées ? De quelles sources s’agit-il ?

Damien Serieyx : – Je ne suis pas historien, mais Onana m’a présenté des facs similés de documents dont les notes du général Quesnot [chef d’état-major particulier du président Mitterrand en 1994] ou de Monsieur Dallaire [commandant la MINUAR, mission des Nations-Unies d’assistance au Rwanda] : ce sont des sources fiables.

« Je ne suis pas historien, mais Onana m’a présenté des sources fiables »

Me Gisagara : – Pourtant, c’est Monsieur Graner qui a le premier consulté ces archives. Comment pouvez-vous être sûr que ces documents [présentés par M. Onana] étaient fiables ?

Damien Serieyx : – J’ai vu les signatures de Quesnot et Dallaire, ça m’a suffit.
Me Heinich : – Saviez-vous qu’aucun des passages visés par la plainte ne figure dans la thèse initiale ?

Damien Serieyx : – Je ne les avais pas pointés précisément.

Me Heinich : – Un rapport rédigé par des universitaires a critiqué la thèse. Cette derniere a fait l’objet de controverse. En avez-vous eu connaissance ?
Damien Serieyx : – Oui, mais pour moi les félicitations du jury étaient un gage suffisant.

Me Heinich (Survie) : – Savez-vous qu’après il y a eu encore un rapport sur cette thèse ?

Damien Serieyx : – Non. Mais comme je vous l’ai dit, c’est une thèse qui a été validée par l’université française ! Avec les félicitations du jury ! Ce qui m’a suffit.

Me Pire (Avocat de la défense) : – Vous attendiez-vous à être poursuivi pour des propos du livre concernant le génocide ?

Damien Serieyx : – Non, je le répète : je suis étonné.

Audition du colonel Luc Marchal

Premier témoin cité par Charles Onana, le colonel belge fait assez bonne impression lors de sa présentation initiale. D’apparence solide, modéré, il construit son témoignage autour de son expérience sur le terrain dans la région des Grands Lacs, de ses années au Congo-Zaïre comme coopérant militaire en 1977 et pendant la guerre des 80 jours[7], jusqu’à son arrivée au Rwanda en décembre 1993 en tant que commandant du secteur Kigali de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR).

Luc Marchal estime être un bon connaisseur de la région des Grands Lacs et de l’histoire du Rwanda bien qu’il n’ait mis les pieds au Rwanda que durant quatre mois.

Il décrit la situation à Kigali quand il y arrive en décembre 1993. Selon lui, le gouvernement se conformait de bonne foi aux exigences des Accords
d’Arusha, mais le FPR, pas du tout. Il juge que le Front patriotique attisait les tensions, ses troupes portant ostensiblement des armes malgré le confinement des armes en centre-ville.

Selon lui, sa nationalité belge était un atout pour comprendre la société rwandaise où cohabitent différentes communautés ethniques, comme dans son pays natal. Il glisse que les relations entre Hutu et Tutsi au Rwanda rappellent la fracture entre Wallons et Flamands. En quelque sorte, les Belges seraient plus à même de comprendre le Rwanda.

Selon Marchal, sa nationalité belge était un atout pour comprendre le Rwanda

« J’ai toujours exercé une attitude de stricte neutralité », affirme le militaire. Les violences commises contre les Tutsi à cette époque sont selon lui la faute du FPR. Le colonel Marchal évoque à ce propos une réunion tenue entre son supérieur le général Dallaire et des responsables du FPR. Un des représentants de la rébellion aurait déclaré quelque chose comme « on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs ».

Sont totalement absents de ses souvenirs l’appareil d’État rwandais, les milices et les canaux de diffusion de la propagande de haine.

L’échec de la mise en place des institutions de transition est imputé par le colonel Marchal à de vagues « désaccords entre les partis ». Ici encore, peu de souci du contexte ni d’évaluation de la disproportion des forces.

Le colonel belge précise que les accords d’Arusha avaient le soutien de « l’immense majorité de la population rwandaise et le FPR est responsable de leur échec, en refusant de jouer le jeu démocratique ».

Pas un mot sur les milices

Il cite aussi Jacques-Roger Booh-Booh, représentant spécial du Secrétaire général des Nations-unies qui écrit que le FPR était « contre la paix ». Sans préciser que Jacques-Roger Booh-Booh l’écrit dans un autre livre signé de Charles Onana et édité par lui, « Le patron de Dallaire parle ».

Le colonel Luc Marchal profère ensuite des « vérités alternatives » qui ne peuvent tromper que des personnes totalement ignorantes de l’histoire récente du Rwanda. Selon lui :

Dans la nuit du 6 au 7 avril les militaires des FAR étaient rentrés dans leur caserne, on circulait dans Kigali sans voir de militaire ni de quadrillage organisé.

le FPR n’avait eu aucune volonté de respecter le protocole sur les zones de conciliation d’armes, qu’il avait pour mission de vérifier. Pour lui, la situation de la population civile Tutsi importait peu au FPR, tant que cela servait ses intérêts.

Le FPR aurait attaqué juste après l’attentat et cela prouverait qu’il était prêt depuis des mois.

Après le 6 avril c’est le chaos complet, pillage, et pour voler on tue, les gendarmes sont occupés à autre chose.

Les premiers massacres sont les centaines de tués le 7 avril par le FPR muni de listes : professions libérales, médecins, enseignants, avocats.

En réaction les crimes du FPR ont suscité les autres massacres, c’est la seule explication plausible du génocide.

Début avril, le FPR aurait refusé toute intervention de la MINUAR et toutes les demandes de cessez-le-feu de l’armée rwandaise destinées à mettre fin aux massacres.

Le FPR aurait seulement voulu la guerre et n’aurait jamais sauvé de Tutsi.
Des murmures du côté des parties civiles accompagnent cette série de contre-vérités et d’interprétations pour le moins hasardeuses.

Une série de « vérités alternatives » et d’oublis majeurs

Le colonel Marchal parle beaucoup des « massacres », des « hostilités ». Le terme génocide est absent de son propos, de même qu’il n’apparaît nulle part dans sa préface du livre de Charles Onana en cause. L’officier belge ajoute que les troupes de l’APR n’ont pas porté secours à leurs « frères tutsi ».

De même, il reproche au FPR de ne pas avoir sollicité les troupes occidentales pour permettre l’évacuation des Tutsi menacés par les tueurs. Il semble oublier comment ses propres « Casques bleus » belges ont abandonné aux tueurs les quelque 3 000 Tutsi de l’ETO qui s’étaient rassemblés sous leur protection.

Luc Marchal affirme que dans les jours suivant le 6 avril 1994, le génocide pouvait être « jugulé » mais que la guerre relancée par le FPR marquait en fait le signe que ces massacres étaient l’aboutissement d’un processus prévu de longue date…

Le colonel Marchal oublie qu’il a abandonné aux tueurs les quelque 3 000 Tutsi de l’ETO

Madame Delphine Chauchis le laisse achever sa déclaration puis lui demande les liens entre ce témoignage et l’objet de la plainte. Le colonel est hors-sujet. Lorsque la présidente l’y ramène, le colonel Luc Marchal est déstabilisé et dévie systématiquement.

Lorsque les avocats des parties civiles lui demandent s’il partage le « constat judiciaire » du Tribunal pénal international pour le Rwanda, il affirme que tous les accusés du chef d’entente en vue de commettre le génocide ont été acquitté. Les avocats des parties civiles lui font remarquer que le Premier Ministre ainsi que plusieurs ministres du Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR) ont été condamnés pour ce motif.

En guise de conclusion, Luc Marchal rappelle avoir été membre du jury d’homologation de la thèse de Charles Onana en 2017 et lui réitère toute « la considération pour le travail d’investigation » de celui-ci. Il conclut sur le besoin de porter la voix des victimes de « l’holocauste des Grands lacs ».

Applaudissements de toute la partie congolaise du public. La présidente coupe court en exigeant l’évacuation des derniers rangs… puis se contente des départs volontaires de celles et ceux qui ont applaudi.

Luc Marchal nie la préméditation du génocide

Madame Chauchis demande au colonel Marchal s’il a pris connaissance de la raison de sa présence au tribunal. Elle précise qu’elle l’interroge sur le lien entre son témoignage et le génocide.

Réponse laborieuse de Luc Marchal. Il parle de guerre, d’évolution politique lente. Il évoque Kigali comme une ville « en état de siège » en 1993 avec un « menace latente » qui plane sur elle, sans plus de précision.

Il répète que l’attentat a constitué un traumatisme pour « l’immense majorité des Rwandais ». « Les choses ont commencé à déraper » après l’attentat [il nie la préméditation du génocide].

La parole est donnée aux avocates de la partie civile.

Me Rachel Lindon, représentante d’Ibuka l’interroge sur le magazine extrémiste Kangura. Marchal concède qu’il est « indéniable qu’il y avait des extrémistes » sans les situer de façon précise dans leur proximité avec les membres du gouvernement : « Je regrette, c’était une minorité ».

Marchal : « Les extrémistes voulaient déstabiliser la MINUAR »

Le colonel Marchal précise que les extrémistes avaient pour but de déstabiliser la MINUAR et évoque de « fausses informations » dans lesquelles il range « l’Akazu » [le groupe mafieux dirigé par Agathe Habyarimana, l’épouse du président de la République]. Le but de ces «  fausses informations » aurait été de diaboliser Habyarimana. Il affirme que le TPIR a montré, via le témoignage de sa veuve, que « Jean-Pierre », le lanceur d’alerte du génocide était en fait un agent du FPR. [A ce moment de son témoignage, les propos du colonel Marchal semblent assez décousus].

Marchal répète qu’il n’y a pas eu planification du génocide. Il prend pour preuve le fait que le colonel Bagosora n’a pas été condamné pour ce chef en appel : « Des instances judiciaires ont décidé qu’il n’y avait pas de planification ».

L’avocate lui demande s’il conteste l’existence d’une planification en vue de
commettre le génocide. Il répond par une anecdote : dans les heures qui suivent
l’attentat du 6 avril, il dit assister à un comité de crise des Forces armées rwandaises et décrit comme « abattus » les membres dudit comité, qui auraient supplié la MINUAR de soutenir la mise en place des institutions de transition.

Une interview où Paul Kagame aurait reconnu avoir fait abattre l’avion présidentiel

Le colonel Marchal conclut en déclarant que, vers 2h30 du matin le 7 avril 1994, dans la voiture qui le ramenait dans ses quartiers, il « n’a pas vu d’éléments militaires des FAR dans Kigali ».

L’avocate de Survie lui lit la liste des condamné-es par le TPIR pour « entente en vue de commettre un génocide ».

Quand on lui demande de répondre à la citation d’Onana sur « l’escroquerie », Luc Marchal biaise et ne répond rien de très précis.

Après les questions, Marchal conclut en se référant à une interview dans laquelle Paul Kagame avouerait avoir donné l’ordre d’abattre l’avion d’Habyarimana. Il répète que le FPR est responsable de l’attentat et de la reprise de la guerre.

C’est le moment des questions de l’avocat de Charles Onana. Il demande à Marchal d’expliquer la différence entre « Tutsi de l’intérieur » et « Tutsi de l’extérieur ».

Le colonel Marchal : « Selon Kagame, les Tutsi de l’intérieur étaient des collabos. »

Selon Luc Marchal, les premiers massacres sont commis par le FPR sur des listes préétablies

L’avocat revient sur l’idée que le FPR n’aurait jamais pensé à sauver les Tutsi menacés : « Il suffisait de faire des zones protégées pour que les Tutsi aillent s’y réfugier », répond Luc Marchal.

Il explique que les troupes du FPR dans le CND avaient en fait initié les combats dans le sillage de l’attentat et qu’elles avaient pour feuille de route de fixer les troupes d’élite des FAR pour les empêcher d’aller se battre au nord… [il ne rappelle pas que ce détachement du FPR ne compte que 600 hommes , cherchent justement à s’extraire de Kigali pour survivre, qu’ils y sont assiégés et bombardés].

En répondant à l’avocat, Luc Marchal ajoute que : « en quelques heures, on est passé du calme au chaos le plus total » et que le « premier massacre de masse » le 7 avril 1994 est commis par le FPR sur la base de listes préétablies.

« Habyarimana était considéré comme un dieu et la réaction s’est amorcée
d’elle-même : c’est tuer ou être tué », dit le colonel pour parler des massacres qui s’enclenchent alors.

Audition du colonel Semus Ntawuhyganayo

Le colonel Semus Ntawuhiganayo, ex-journaliste, ex-porte-parole [?] du gouvernement post-génocide, ex-responsable du service des renseignements intérieurs, est cité par Charles Onana. Lui même « a été sauvé » par le FPR après l’attentat et le début du génocide. Il a été emmené jusqu’à Byumba, parce qu’il était menacé par les proches du régime en place.

Il a fini par fuir le Rwanda. Il vit actuellement en exil sous une fausse identité.

Il commence par un exposé succinct de l’évolution politique du Rwanda dans les années 1990-1994 : la dictature d’Habyarimana et la pression induite sur son pouvoir avec l’apparition des partis d’opposition en 1991.

Semus Ntawuhiganayo embraye sur les silences qui règnent aujourd’hui au Rwanda sur l’attentat du 6 avril 1994 et sur les massacres commis contre les Hutu par l’Armée patriotique rwandaise (APR).

Il dit avoir demandé à Paul Kagame, lors d’une réunion, de lancer une enquête nationale sur l’attentat « qui a été la gâchette ayant déclenché le génocide ». Il dit sentir à partir de ce moment que sa position est menacée.

Ntawuhyganayo : « Et les massacres commis contre les Hutu par l’APR ? »

Semus Ntawuhiganayo explique que les Hutu ont été visés par des massacres, et affirme que Kagame fait assassiner les dissidents parce qu’ils contestent « l’histoire officielle ». Il reconnaît le génocide contre les Tutsi… mais insiste sur le fait que d’autres sont morts.

Il développe en détail et avec précision ce qu’il appelle « les crimes de Kagame ». Il souligne la nécessité de les distinguer du génocide des Tutsi, qui n’est pas de même nature. Il n’adhère pas aux phrases d’Onana poursuivies (notamment selon Semus Ntawuhiganayo il y a bien eu planification du génocide commis contre les Tutsi).

Cependant, il dit ne pas voir à quel moment l’ouvrage de Charles Onana conteste la réalité du génocide des Tutsi. Il retient que M. Onana aurait simplement affirmé que des Hutus et des Twas avaient également été tués. Il parle d’ « acharnement » pour qualifier ce qui arrive à ceux qui évoquent « ceux dont on ne parle pas » [les morts hutu].

« Prendre en compte que Charles Onana est menacé par Paul Kagame »

Lors de son interrogatoire, Semus Ntawuhiganayo affirme faire une distinction entre le génocide des Tutsi, et les crimes contre l’humanité commis contre les Hutus et les Twas : pour lui, pas de double génocide. Ntawuhiganayo ajoute pourtant que les Tutsi n’ont pas été tués indistinctement, contrairement aux Hutus. Il ajoute que l’auteur du livre incriminé a fait ses recherches sérieuses et en a tiré des conclusions légitimes.

Interrogé par la défense sur la planification du génocide, Semus Ntawuhiganayo déclare qu’il n’avait aucune preuve d’un plan concerté, mais qu’il savait que des milices Interahamwe étaient entrainées pour tuer les Tutsi avant même le génocide. Il ajoute qu’il faut prendre en compte que Charles Onana est menacé par Paul Kagame, celui-ci mettant toujours ses menaces à exécution.

La Présidente lui demande ce qu’il pense de la théorie du double génocide. Semus Ntawuhiganayo ne reprend pas cette thèse à son compte mais dit qu’il soutient qu’il n’y a pas que des Tutsi qui ont été tués et il donne comme exemple… sa maison détruite en 1994. Il affirme que des Hutu ont été victimes de crimes contre l’humanité.

La présidente insiste et lui demande s’il fait une différence entre génocide et crime contre l’humanité : il répond de façon cohérente en expliquant notamment que « le FPR n’a pas massacré indistinctement » contrairement aux génocidaires qui tuaient tous les Tutsi, des bébés aux vieillards.

« Les génocidaires massacraient indistinctement, des bébés jusqu’aux vieillards »

Le colonel Semus Ntawuhiganayo évoque l’imprégnation idéologique à la racine du génocide et contredit sans le savoir le témoin précédent, Luc Marchal. Il conclut en mentionnant le fait que les ethnies existent bel et bien selon lui au Rwanda et que c’est la richesse du pays.

Interrogé sur les organisations de défense des droits de l’homme qui ont une « vision partiale » du génocide, Semus Ntawuhiganayo répond qu’Ibuka est un exemple, du fait que l’association se concentre uniquement sur les victimes tutsi.

Maitre Rachel Lindon réagit en rappelant l’objet social d’Ibuka est de « perpétuer la mémoire de toutes les victimes du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda ».

« Les organisations de défense des droits de l’homme ont une vision partiale du génocide »

Semus Ntawuhiganayo était cité par Charles Onana, et dit qu’il le soutient entièrement, mais sa déposition n’est guère cohérente et va pour une part dans le sens des parties civiles. Aussi, l’avocat de la défense est contraint de contre-interroger son témoin : « Avez-vous vu un document prouvant la planification ? »

Ntawuhyganayo répond qu’il a publié à l’époque un article sur les entraînements
menés par les Interahamwe. Ces entrainements alertaient sur les risques de violences à grande échelle (il évoquait alors 300 000 morts et 3 millions de réfugiés potentiels).

Son raisonnement sur l’attentat, vers lequel l’avocat le ramène, est que si Kagame et les autres autorités de Kigali cherchent à étouffer toute enquête, c’est que le FPR est coupable.

Audition de Madame Bojana Coulibaly, citée par l’association CRF

Mme Coulibaly est manager du programme des langues africaines à Harvard et chercheuse en analyse du langage. Elle commence par expliquer que pour analyser le discours de Charles Onana dans les propos qui lui sont reprochés, elle va se baser sur la méthode qualitative d’analyse critique de discours qui examine le lien entre discours et idéologie. Mme Coulibaly explique que pour analyser les propos de Charles Onana, il est important de contextualiser le texte dans l’œuvre de l’auteur et dans la période historique et politique où le texte a été publié.

Mme Coulibaly explique qu’elle va développer son exposé en trois points : montrer que Charles Onana :
1) nie et minimise le génocide ;
2) utilise les mêmes procédés rhétoriques que les cerveaux du génocide de 1994 ;
3) fait la promotion de l’idéologie du génocide dans un contexte de prolifération des discours de haine et de violence contre la minorité tutsi en République démocratique du Congo.

Bojana Coulibaly : « M. Onana fait la promotion de l’idéologie du génocide »

Mme Coulibaly commence à décortiquer la rhétorique de Charles Onana et son lien avec le négationnisme, en montrant que le négationnisme n’a pas besoin d’être explicite. Elle utilise des exemples tels que l’emploi systématique des guillemets sur les mots « génocide », « génocidaires », ou « extrémistes hutu ». Elle explique que les guillemets permettent à l’auteur de faire un commentaire subjectif sur l’emploi des mots mis entre guillemets et de les remettre en question.

Elle ajoute que la préface du colonel Luc Marchal, qui fait partie intégrante du livre, évite la mention du mot génocide, bien que le sujet du génocide soit traité dans le livre par Charles Onana, qui le nie par un certain nombre de procédés stylistiques.

Bojana Coulibaly liste l’usage des champs lexicaux et des mécanismes rhétoriques qui s’éloignent de la démarche scientifique : les confusions et équilibrisme entre victimes de génocide et groupe ciblé dans un objectif de renversement des responsabilités. De même les termes complotistes tels que l’expression répétée tout au long du livre sur « l’histoire officielle », les questions rhétoriques avec lesquelles Onana cherche à mettre en doute les faits établis du génocide, les euphémismes qui permettent d’atténuer la gravité du crime de génocide, telles que les expressions : « tragédie rwandaise », « drame rwandais », « les massacres du Rwanda ».

« Un objectif de renversement des responsabilités »

Madame Bojana Coulibaly analyse ensuite les similarités avec les textes de génocidaires comme Bagosora et Ngirumpatse pour montrer la filiation entre Onana et les principaux idéologues du génocide. Elle montre que dans les textes publiés lors de son exil au Cameroun juste après le génocide, Théoneste Bagosora, considéré comme le « cerveau du génocide », utilise des procédés rhétoriques qu’Onana reprend dans son ouvrage. Dans un texte intitulé « Le Conseil de Sécurité de l’ONU induit en erreur sur le prétendu ‘génocide Tutsi’ au Rwanda », publié en 1996, Bagosora met le mot génocide entre guillemets, comme le fait Onana, et utilise des adjectifs qualificatifs du mot « génocide » dans l’objectif de le nier, tels que « prétendu » repris également par Onana qui par ailleurs utilise l’adjectif synonyme « quelconque ».

« Bagosora met le mot génocide entre guillemets, comme Onana »

Mme Coulibaly relève également l’emploi des questions rhétoriques chez Bagosora notamment par rapport à l’attentat du 6 avril où Bagosora, tout comme Onana, cherche à implicitement accuser le FPR d’être coupable. Bagosora emploie également des euphémismes tels que le terme « massacres » à la place de « génocide ».

De même, Mme Coulibaly explique que Mr. Onana dans un chapitre du livre entier s’attarde sur le terme « génocide » où il avance que ce serait la propagande du FPR qui aurait poussé la communauté internationale à employer le terme. Mme Coulibaly indique que ceci est également une reprise des paroles de Bagosora qui écrit dans le texte cité : « L’utilisation du terme ‘génocide’ pour désigner les massacres interethniques a été adoptée par le FPR pour attirer la sympathie et obtenir le soutien de la communauté internationale. »

Mme Coulibaly relève également l’emploi abondant chez Onana du champ sémantique de la « féodalité », et de la « monarchie » renvoyant aux clichés du « Tutsi envahisseur », « Tutsi étranger ». Onana écrit par exemple « le monarque Tutsi », « la monarchie tutsie », « le régime monarchique dans la mémoire des Hutus » p. 62 ; « souvenir de l’oppression du puissant et certitude qu’il revient pour remettre le peuple en esclavage » p. 63

« Onana tente de justifier la haine envers les Tutsi »

Bojana Coulibaly explique qu’Onana tente de justifier la haine envers les Tutsi qui serait le résultat d’une oppression de type féodale des Hutu. Il nie par là qu’il y a eu génocide comme dans l’exemple : « Les Hutus … désormais nouveaux « seigneurs », n’ont jamais oublié les sévices et les humiliations qu’ils eurent à subir sous la monarchie tutsie. Ils ont gardé des séquelles et un profond ressentiment. » (p. 71).

Mme Coulibaly montre qu’on retrouve ces arguments chez Bagosora qui écrit dans un texte publié en octobre 1995 intitulé « L’assassinat du Président Habyarimana ou l’ultime opération du Tutsi pour sa reconquête du pouvoir par la force au Rwanda ». Elle le cite : « C’est donc suite à tout ce constat que j’ai pensé à rédiger ce modeste document… pour montrer à la communauté internationale les origines lointaines et les différentes phases de ce conflit qui n’en finit pas et qui n’est rien d’autre qu’un conflit séculaire entre hutu et tutsi où la minorité tutsi veut toujours s’approprier le monopole du pouvoir à tout prix alors que la majorité hutu le lui a refusé depuis sa révolution sociale de 1959 après quatre siècles de servage féodo-monarchique. »

« Onana parle de « tragédie rwandaise » comme Mathieu Ngirumpatse »

Mme Coulibaly montre également que l’emploi par Onana de l’expression « tragédie rwandaise » à la place de « génocide » pour le minimiser est un procédé utilisé par Mathieu Ngirumpatse, condamné pour son rôle dans le génocide par le TPIR, dans un texte intitulé “La tragédie rwandaise : l’autre face de l’histoire”. Elle indique que tous ces textes sont disponibles sur la base de données en ligne France Génocide Tutsi.

Elle poursuit son exposé en montrant que l’idéologie dont Charles Onana fait la promotion dans les propos et dans l’ouvrage est dangereux. Elle parle de l’idéologique hamitique – idéologie anti-tutsi qui a servi de base au génocide contre les Tutsi, invoquant une inégalité des groupes ethniques – et ses conséquences actuelles au Congo. Selon elle, Onana reprend cette idée du Tutsi envahisseur ou élément étranger et ses écrits, considérés comme une référence aujourd’hui, s’inscrivant dans la prolifération des discours de haine et actes de violence en République Démocratique du Congo (RDC) qu’elle étudie.

« Un discours de haine qui sert aujourd’hui de référence en RDC »

Bojana Coulibaly reprend la définition de l’historien Henry Rousso du mot « négationnisme » dans Le syndrome de Vichy publié en 1987. Elle rappelle que l’historien définit le « négationnisme » comme « un système de pensée, une idéologie et non une démarche scientifique » qui serait selon Henry Rousso du « révisionnisme ». Mme Coulibaly réitère qu’en effet M. Onana ici n’a pas une démarche scientifique de type « révisionniste », mais qu’il fait bien du négationnisme comme elle l’a démontré plus haut.

La Présidente demande alors à Bojana Coulibaly si les sources utilisées par M. Onana sont recevables, selon elle.

Mme Coulibaly dit que le problème n’est pas tant les sources qu’utilise Onana, mais la manière dont il prétend en tirer ses conclusions, les tronquant.

Les clichés misogynes ou xénophobes de M.Onana

Afin de montrer que Charles Onana fait la promotion de l’idéologie du génocide, Mme Coulibaly se réfère notamment au reste de son œuvre dont le livre Ces tueurs Tutsi, au cœur de la tragédie rwandaise publié en 2009, où par exemple il reprend le cliché de la « femme tutsi » qualifiée de prostituée espionne.

Bojana Coulibaly indique que ce cliché a été utilisé notamment dans le magazine de haine Kangura dans le numéro 35 et que ce discours a servi à appeler à la haine contre la femme tutsi avant et pendant le génocide. Elle montre aussi que dans ce livre, Onana utilise d’autres clichés xénophobes tels que le cliché du « Tutsi menteur » ou « Tutsi criminel ». Elle ajoute que le titre du livre en soi est un titre xénophobe puisqu’il serait équivalent à la formule « Ces tueurs juifs ».

Les messages de haine d’Onana comme source d’inspiration

La première question est posée à Mme Coulibaly par Me Gisagara, avocat de la CRF. Il lui demande si en tant que chercheure sur le discours de haine en RDC, elle peut élaborer sur les conséquences directes du discours d’Onana.
Mme Coulibaly répond que le discours d’Onana, comme elle l’a indiqué, sert de référence en RDC. Elle dit qu’Onana est régulièrement invité à la présidence congolaise. Elle ajoute qu’un député élu à l’Assemblée nationale congolaise nommé Justin Bitakwira, sanctionné par l’UE pour ses messages de haine anti-Tutsi, évoque directement les livres de Charles Onana comme une source d’inspiration.

Madame Bojana Coulibaly révèle qu’on enregistre en RDC depuis deux ans une prolifération des messages de haine contre la communauté tutsi congolaise. Elle ajoute que ce discours de haine a déjà entrainé des passages à l’acte avec des lynchages en public, des gens brulés vifs et actes de cannibalisme documentés contre des Congolais qu’on accuse avoir le « faciès tutsi », ou qu’on qualifie de « Rwandais », ou d’« étranger ». On constate, dit-elle, une reprise des éléments de l’idéologie hamitique, comme dans la mention faite par Bitakwira et Onana d’un « Empire Hima-Tutsi ».

Le mot génocide utilisé avec des guillemets environ 160 fois, sans guillemets 12 fois

L’avocat d’Onana prend ensuite la parole et pose une première question sur l’emploi des guillemets sur le mot génocide. Il lui dit que le mot génocide a aussi été utilisé sans les guillemets et si elle peut expliquer cela.

Mme Coulibaly répond que le mot a été mis entre guillemets environ 160 fois et sans les guillemets douze fois. Elle ajoute que la fréquence et la quantité du mot entre guillemets est suffisant pour montrer cet emploi systématique des guillemets. Elle a ajouté que le lecteur est influencé de manière subconsciente par la répétition d’un procédé stylistique et que par conséquent le lecteur retient qu’il n’y aurait en fait pas eu de génocide. Elle explique également que l’absence de guillemets peut-être une omission de l’éditeur ou bien comme cela est le cas une citation qui rapporte le texte d’origine sans l’altérer, comme cela est la convention des règles de citation.

« Le lecteur est influencé de manière subconsciente »

L’avocat d’Onana pose ensuite une question sur les origines bosniaques de Madame Coulibaly pour demander s’il est possible de faire un parallèle entre la qualification de génocide employée par la Bosnie avant la reconnaissance officielle en 1995 pour appeler l’aide de la communauté internationale, et l’emploi du mot génocide par le FPR avant qu’il ne soit reconnu par les instances judiciaires (de façon à justifier l’emploi des guillemets par son client).

Mme Coulibaly répond que le génocide contre les Tutsi du Rwanda de 1994 a été reconnu par les institutions internationales telles que les Nations Unies et par des décrets notamment en France, tout comme l’est le génocide de Srebrenica de juillet 1995, et qu’ici la question du « avant » de cette reconnaissance ne se pose pas. Elle ajoute qu’Onana remet en question l’existence du génocide des Tutsi après qu’il ait été reconnu.

Prochain article : Le négationnisme vu par des hauts-gradés français

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1 – https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/dans-le-pretoire/a-la-17eme-chambre-si-madame-pecresse-croit-vraiment-ca-il-faut-qu-elle-arrete-la-politique-6086589

2 – L’écrivain antisémite Hervé Lalin, dit Ryssen, a déjà été condamné près d’une quinzaine de fois pour diffamation, injure ou provocation à la haine en raison de la race ou de la religion. Ryssen et le prêtre Olivier Rioult ont été condamnés à des amendes pour injures et incitation à la violence envers les juifs le 7 février 2022. Les propos incriminés qualifiant le peuple juif d’« insupportable », d’« abominable » ou encore comparant les juifs à des « serpents ». avaient été tenus dans une vidéo diffusée sur YouTube à l’été 2019.

Le 5 février 2021, la XVIIe chambre tribunal correctionnel de Paris l’a condamné à 3 200 euros d’amende pour « diffamation publique », « provocation publique à la haine en raison de l’origine, la race ou la religion » et « contestation de crime contre l’humanité ».

3 – La modestie (?) de M. Onana n’est pas conforme à la vérité. Le mardi 29 janvier 2004, Jean-François Dupaquier est convoqué à la Direction nationale anti-terroriste, le service de police qui assiste le juge Bruguière, chargé de l’enquête sur l’attentat. Lors d’une discussion informelle avec Pascal Bize, officier de police à la DNAT, ce dernier lui dit : « Nos informateurs, ce sont Charles Onana, André Guichaoua et Claudine Vidal. » Cette anecdote est rapportée dans le livre de Jean-François Dupaquier, « Politique, militaires et mercenaires français au Rwanda, chronique d’une désinformation », Ed. Karthala, 2014, pp 450-451. Le rôle de M. Onana dans l’enquête truquée du juge Bruguière reste à éclaircir.

4 – Sous la direction de Jean-Paul Joubert, Université Lyon 3, 2017. En réalité, les mentions « honorable », très honorable », « Très honorable avec les félicitations du jury » ne sont plus reconnues par l’Université depuis 2016.

5 – Jean Kambanda a été arrêté le 18 juillet 1997 à Nairobi, puis condamné à la prison à vie. Au TPIR, on ne trouve aucune trace d’une demande d’audition en prison par Charles Onana, autorisation très difficile à obtenir. Monsieur Onana devrait s’expliquer sur la date et les circonstances de cette « rencontre » , si veut être crédible.

6 – Ces livraisons sont pourtant confirmées par plusieurs témoins que M. Onana se garde de citer.

7 – « La guerre des 80 jours » désigne La première guerre du Shaba, un conflit qui a opposé durant 80 jours le Zaïre (aujourd’hui République démocratique du Congo) et l’Angola en 1977.La Belgique s’en était mêlée.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024