Fiche du document numéro 34584

Num
34584
Date
Mardi 15 octobre 2024
Amj
Auteur
Taille
69542
Titre
Procès de Rwamucyo à la Cour d’assises de Paris - 10ème jour
Sous titre
Compte rendu de l’audience du 14 octobre 2024
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Cette troisième semaine d’audience s’est ouverte par l’audition de Faustin KIGABO. Ancien professeur à la Faculté de sciences de l’UNR, il a connu RWAMUCYO car ils étaient dans le même Petit Séminaire à Rwesero. Il a été interrogé par le Président sur sa condamnation par une juridiction Gacaca à 19 ans de prison pour sa participation à des rondes pendant le génocide des Tutsi. La Cour a ainsi décidé de l’entendre au titre de simple renseignement, et non en tant que témoin, considérant qu’il y avait un lien de connexité avec les faits reprochés à l’accusé. Dans ses déclarations, Faustin Kigabo a affirmé avoir été obligé par les autorités à effectuer des rondes. Il a ainsi raconté qu’un jour de mai 1994, lorsqu’il effectuait une ronde dans le secteur de Huye, il a entendu des cris. Il s’est alors séparé de son groupe et a vu Eugène RWAMUCYO accompagné d’une dizaine de détenus qui ramassaient des cadavres dans une forêt d’eucalyptus et qui les chargeaient dans une camionnette pick-up blanche. L’accusé l’aurait chassé plutôt « méchamment ». Il a également déclaré que lorsqu’il était en prison, un co-détenu l’aurait informé que RWAMUCYO d’être un agent du FPR. Interrogé par le Président, il a affirmé avoir croisé l’accusé une seule fois lorsqu’il travaillait à l’UNR. C’était un jour où un meeting politique du CDR avait lieu au stade. Il l’a alors croisé dans la rue avec une cravate, signe distinctif du CDR. S’agissant des rondes à Butare, ce serait le préfet Tutsi qui les auraient obligés, afin apparemment d’éviter que des massacres similaires à ce qu’il se passait dans les préfectures voisines se produisent. A ce moment-là, Hutus et Tutsi y participaient. Tout a changé lorsque le préfet a été destitué car il ne voulait pas « travailler ». Les premiers massacres se sont produits le soir même, et les rondes se sont arrêtées car tout le monde a eu peur. Elles ont repris en mai 1994, lorsqu’on leur a dit qu’ils pouvaient reprendre, mais cette fois il n’y avait que des Hutus. Leur objectif était alors de combattre les soldats du FPR infiltrés. Pour cela, il a affirmé qu’il n’y avait qu’un seul fusil pour les quatre groupes. S’agissant des massacres, il a déclaré que pendant le génocide les Tutsi étaient automatiquement fusillés, même sans preuve de leur ethnie. Toutefois, il n’aurait jamais assisté à des massacres, ni même vu des cadavres (sauf la fois où il a croisé RWAMUCYO). Interrogé sur sa rencontre en mai 1994 avec RWAMUCYO, il n’a pas vraiment su répondre aux questions du président, il n’a fait que répéter qu’il l’avait chassé et n’a pas donné d’autres précisions. S’agissant de la réunion des enseignants de l’UNR avec Jean Kambanda, il a affirmé ne pas y avoir assisté et ne pas savoir qu’il y avait eu une réunion.

Le Président l’a ainsi confronté à ses déclarations en 2013 devant les gendarmes de l’OCLCH, devant lesquels il avait déclaré avoir reçu une note du vice-recteur de l’UNR sur cette réunion. Faustin KIGABO a alors dit qu’il y avait assisté, mais qu’il ne savait pas qu’il allait rencontrer le Premier ministre. Il ne se souvient pas de la réunion, ni si RWAMUCYO y a participé. Répondant aux questions des avocats de la défense, il a affirmé que si c’était pour une question d’hygiène, RWAMUCYO avait raison de le repousser, mais simplement il aurait pu le faire plus gentiment. Confronté à ses déclarations de 2013 devant les gendarmes dans lesquelles il a affirmé que les signes distinctifs des membres du CDR étaient des foulards et des chapeaux et non des cravates, il a répondu qu’il ne se souvenait plus de ce que RWAMUCYO portait. Il était confus en 2013.

Charles ONANA, qui était sensé être entendu après Faustin KIGABO, ne se présentera finalement pas car il serait souffrant.

L’audience a repris vers 14h, avec l’audition de Tatien RUTAGANDA, entendu comme simple renseignement. Il a rencontré Eugène RWAMUCYO pour la première fois début 1993 dans le cadre d’une réunion à l’ONAPO, pour qui il travaillait comme consultant depuis fin 1992. Il a ainsi fait partie, en tant que géographe, d’une mission consistant à visiter les camps de déplacés afin de faire état des problèmes d’hygiène, de salubrité et environnementaux. RWAMUCYO était le coordinateur de cette mission. Avant la mission, il n’aurait vu l’accusé que deux fois au siège de l’ONAPO à Kigali, mais il sait qu’il y venait régulièrement. Le Président l’a interrogé sur les constatations faites pendant la mission : ils y ont fait un constat alarmant, infrastructures abimées, manque de nourriture, problèmes d’accès aux soins. Lui ne faisait que de simples constats visuels de l’érosion dans les camps. Le Président a ensuite fait une lecture du rapport final. Interrogé sur certains termes du rapport, comme la comparaison des camps avec des camps de concentration, les réfugiés « factieux », il affirme ne pas pouvoir répondre car il n’a pas participé au rapport et ne l’a pas lu. S’agissant de son parcours pendant le génocide, il serait parti de Kigali une semaine après le début des massacres pour se rendre dans le nord dans sa commune natale, qui se trouvait dans une zone tampon. Il a affirmé avoir vu des morts seulement sur le chemin, pas à Kigali. Dans sa commune natale, il affirme ne pas connaître de Tutsi qui ont été tués. Il a ensuite fui début juillet 1994 vers le Nord Kivu au Congo avant de rentrer au Rwanda en 1996.

Interrogé par un juré sur sa perception d’Eugène RWAMUCYO, il a affirmé ne pas être bien placé pour être un témoin de personnalité. Toutefois, dans son travail, il semblait très méthodique. Il a ensuite été vague sur la raison de son témoignage. Il a simplement indiqué être venu car il a reçu une convocation. La Défense l’a ensuite interrogé sur sa commune natale, Tumba. L’avocate a insisté sur le fait que sur les 30 000 habitants recensés à l’époque, il n’y avait que 23 Tutsi, ce qui explique pourquoi il ne connaitrait pas de Tutsi qui auraient été tués.

Vers 16h30, Eric GILLET a été appelé à la barre. Avocat belge arrivé au Rwanda en 1991 dans le but de défendre des journalistes emprisonnés après l’attaque du 1er octobre 1990, il y est ensuite retourné pour participer à l’enquête de la FIDH sur les violations des droits de l’Homme au Rwanda depuis cette attaque. Il a indiqué avoir notamment travaillé sur le massacre de 2 000 personnes de la communauté des Bagogwe, une communauté Tutsi vivant au pied des volcans dans le Nord du pays. Dans le rapport publié en 1993, il a ainsi été conclu que des crimes de génocide contre cette communauté avaient été commis. De leur enquête, Eric Gillet explique qu’ils en ont déduit des schémas de fonctionnement que l’on retrouvera plus tard pendant le génocide. La première caractéristique a été la manière dont les autorités publiques se sont articulées pour commettre des massacres : administration centrale, armée, gendarmes, entreprises publiques, rôle des milices de plus en plus important, rôle fondamental des administrations locales et notamment des bourgmestres. En effet, sur ce dernier point, il précisa que les massacres épousaient déjà à l’époque les limites administratives du pays. Une deuxième caractéristique aura été la propagande. Il cite à ce titre les dix commandements du Hutu et également un document de décembre 1993, demandé par le président Habyarimana et qui définit l’« ennemi ». Ce document cite ainsi le Tutsi, considéré comme complice du FPR, le Hutu modéré, et tous ceux qui ont une lecture de la société rwandaise autre qu’ethniste. Ce document fondera la propagande du génocide en 1994.

Eric GILLET a également insisté sur l’importance des intellectuels, à la fois dans l’histoire du Rwanda mais aussi dans l’histoire du génocide. Il cite par exemple Leon Mugesera, Grégoire Kayibanda ou encore Vincent Ntezimana. Ils sont intervenus pour préparer, penser le génocide, puis ensuite pour le justifier auprès de la Communauté internationale. En effet, les génocidaires ont été très attentifs à cette réaction, et c’est ce manque de réaction qui selon lui leur a permis d’étendre le génocide à la préfecture de Butare. Il a également parlé des spécificités de la « langue » du génocide au Rwanda. Contrairement à la langue des nazis qui était très hyperbolique, les génocidaires au Rwanda utilisaient un langage de tous les jours : on travaille, on désherbe. Ce langage a été intégré par tous, même par les Tutsi. Dans ses réponses aux questions des parties, il a expliqué entre autres le terme de « pacification », les accusations de manipulation de la parole des témoins, et également l’enjeu majeur que représentait à l’époque l’ensevelissement des corps pour les génocidaires.

Les premières questions de Maître Mathe ont visé le rapport de la commission d’enquête internationale sur les violations des droits de de la commission internationale publié cosigné par la FIDH. Sur ce sujet, Maître [Mathe] n’a pas posé des questions sur le fond. Elle s’est limitée à faire un certain nombre d’observations de nature à semer le doute dans les esprits. Ainsi, elle a relevé que le témoin avait un lien avec une partie civile, la FIDH. Et sans que l’on comprenne pour quelle raison, elle a plusieurs fois posé au témoin la question de savoir pourquoi l’embargo avait duré jusqu’au 8 mars 93. A cette question, se sont ajoutées d’autres : la présence de Jean Carbonare avait-elle eu un impact spécial sur le rapport ? Le témoin avait-t-il des liens avec la communauté rwandaise de Belgique et notamment avec les représentants du FPR ? Le témoin a reconnu qu’il avait des liens avec la communauté rwandaise de Bruxelles mais que cela n’affectait pas son jugement et il a assuré que la présence de Carbonare dans la commission n’avait pas posé de problème particulier. Maître Mathe a demandé au témoin de confirmer que l’attaque du FPR en février 1993 était une violation du protocole de cessez-le-feu conclu en août 92.

La deuxième série de questions de Maître Mathe était centrée sur la révolution sociale. Après avoir lu les titres de chapitre du document intitulé le Manifeste des Bahutu, Maître Mathe a demandé au témoin si ce document n’était pas l’expression normale d’une revendication de justice sociale. « Oui », a répondu le témoin. Puis Maître Mathe a évoqué un document paru en mai 1958 et signé « Abagaragu b’i Bwami » (Serviteurs de la Cour). Après en avoir lu quelques lignes, elle a demandé au témoin de confirmer que les Tutsi répondaient à la demande d’égalité et de partage en prétextant qu’ils n’avaient rien de commun avec les Hutu. Le témoin a refusé de réponde. Affirmant qu’il n’avait aucune expertise sur la révolution sociale, il a prévenu qu’il ne répondrait plus à cette ligne des questions dont le but est la banalisation ou le déni du génocide sous le prétexte qu’ils sont tous également coupables. La tension est légèrement montée ! Furieuse, Maître Mathe a repris l’interrogatoire en posant la question sur le document « Définition de l’ennemi ». Pour elle, ce document n’apporte rien à la compréhension du génocide. Premièrement, les rapporteurs de la commission chargée de définir l’ennemi étaient deux hommes au-dessus de tout soupçon, le Major Cyiza et le général Marcel Gatsinzi. Elle a relevé, par ailleurs que le TPIR l’avait écarté des pièces à conviction dans le procès Bagosora au motif que cette définition n’englobait pas tous les Tutsi et qu’en situation de guerre, il appartient à l’armée de définir l’ennemi. Intervenant dans le débat, le président de la Cour a souhaité savoir s’il y avait un accord sur le texte qu’il avait sous les yeux, était le bon texte. Maître Mathe a terminé son interrogatoire par ce qu’elle appelle des tropes. Le premier serait la phrase prêtée depuis longtemps au colonel Bagosora, à savoir « je vais préparer l’apocalypse ». Sur l’appui de témoignages dont celui de Kanyarushoke (ancien ambassadeur du Rwanda en Ouganda), Maître Mathe a soutenu que Bagosora n’a jamais prononcé cette phrase pour la simple raison qu’il n’était pas présent à la réunion à l’issue de laquelle on prétend qu’il l’a prononcée, une réunion d’octobre 1992. Le témoin a répondu que ces mots avaient été prononcés à l’issue d’une réunion de janvier 1993. Enfin, le deuxième trope serait l’achat des machettes, comme preuve de la planification du génocide. Maître Mathe a relevé que le procureur du Mécanisme de suivi des travaux du TPIR avait exclu cet élément dans l’acte de mise en accusation de Félicien Kabuga. Le président est intervenu pour dire que la renonciation par le procureur d’un élément dans l’acte d’accusation ne constitue pas un jugement.

Par Léna Jaouen , Stagiaire Commission Justice Ibuka France

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024