Fiche du document numéro 34377

Num
34377
Date
Mercredi 5 août 1998
Amj
Taille
30635
Sur titre
L'ex-ministre de la Coopération de Balladur et le conflit du Rwanda
Titre
Le machiavélisme racial de Debré
Sous titre
Le Retour du Mwami, Bernard Debré, éd. Ramsay, 109 F.
Nom cité
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Apparemment, la recherche africaniste ne sert à rien, puisqu'on peut publier aujourd'hui sur la région des Grands Lacs un ouvrage, qui aurait eu du succès en 1898. Si on y ajoute les erreurs (le président M'Bizimungu pour Bizimungu, Fred Rugema pour Rwigyema) et les confusions (Juvénal Habyarimana confondu avec un homonyme prénommé Joseph ; le terme ubwoko, qui désigne le clan, traduit par ethnie ; etc.), gageons qu'un historien ferait aussi bien sur le cancer de la prostate.

Bernard Debré aurait eu la révélation du grand complot qui menace l'Afrique. Telle la «coulée blanche» des Hamites jadis décrite par Gobineau dans son Essai sur l'inégalité des races, une «marche séculaire des Tutsis», après avoir mis la main sur l'Ouganda, le Rwanda, le Burundi et le Zaïre, aurait menacé le Congo et le Gabon. Pourquoi pas la Guinée-Bissau ? Le Burundi a beau être victime d'un embargo dont l'Ouganda est l'un des promoteurs, une «fédération tutsie» de la région serait en marche. Le président ougandais Museveni a beau s'être appuyé depuis la guérilla des années 1981-1986 sur l'ensemble bantouphone du sud du pays, notamment sur les Bagandas, son ascendance maternelle en ferait un Tutsi viscéral.

Le même mépris de la chronologie se retrouve dans la hantise d'un deuxième Fachoda. Les initiatives américaines, observées depuis 1994 dans le vide laissé par la faillite française et belge dans la région, sont projetées aux origines de la crise. Museveni devient un pion des Etats-Unis, alors que la NRA avait été aidée essentiellement par la Libye de Kadhafi. Le génocide des Tutsis en 1994 aurait été l'œuvre cynique d'un «plan de tutsification» («un moyen de faire bouger les Tutsis de l'intérieur», sic), dont le but était de «se débarrasser des Hutus en trop grand nombre». Dans cette ligne, l'auteur lance des pseudo-révélations relevant du secret-défense, comme si le million de morts du Rwanda n'exigeait pas que les «preuves» et les témoins soient confrontés avec transparence. Cette fois, il se fait le porte-parole de thèses qu'on avait vues s'exprimer dans des cercles très particuliers de notre pays dès juin et juillet 1994 sur la responsabilité du FPR dans l'attentat du 6 avril, malgré les observations et les témoignages qui accablent la mouvance extrémiste hutue au pouvoir dès le 8 avril. Le manichéisme racial est le fil conducteur de ce livre. L'histoire du pays, ses traditions et sa vie politique ne seraient que le reflet d'un duel primordial des «agriculteurs bantous» et des «pasteurs venus de l'Est». L'anthropologie du siècle dernier est imputée aux Tutsis eux-mêmes, en fonction des écrits de politiciens rwandais des années 50. L'opposition à Habyarimana, président hutu, ne peut avoir été le fait que de Tutsis, si bien qu'Agathe Uwilingiyimana, Premier ministre hutue assassinée le 7 avril 1994, est qualifiée arbitrairement de tutsie. M. Debré ne cesse de faire agir comme un seul homme «les Hutus» ou «les Tutsis» : pourquoi rêver de voir «lions et gazelles gambader ensemble» (p. 115)?!

Jean-Pierre Chrétien est historien CRA (Paris-I-CNRS), dernier ouvrage paru, «le Défi de l'ethnisme», Karthala 1997.

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