Fiche du document numéro 34342

Num
34342
Date
Lundi 12 septembre 2022
Amj
Taille
163519
Titre
Ouverture du Colloque international
Sous titre
Huye, 12 Septembre 2022
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Conférence
Langue
FR
Citation
Dr Jean-Damascène Bizimana
Ministre de l’Unité nationale
et de l’Engagement civique

Monsieur Antoine Anfré, Ambassadeur de France au Rwanda ;
Monsieur Dr Didas Kayihura, Vice Chancelier de l’Université du Rwanda ;
Chers professeurs, enseignants et chercheurs ici présents et ceux qui nous suivent par vision conférence participant à ce colloque dédié aux « Savoirs, Sources et Ressources du génocide commis contre les Tutsi au Rwanda » ;
En introduisant mon allocution, je voudrais du fonds de mon cœur, vous souhaiter, au nom du Gouvernement rwandais, mes salutations les plus amicales et les bienvenues dans notre pays, le Rwanda, et dans cette ville de Huye.
Je ne saurais avoir des mots adéquats pour dire à chacun notre reconnaissance pour le temps précieux que vous avez consacré à la préparation de ce colloque et aux efforts que vous avez manifestés pour y participer personnellement, que ce soit physiquement que ce soit par vision conférence depuis différents endroits du monde.
J’aimerais adresser un mot particulier de remerciement au professeur Vincent Duclert et à son comité qui ont travaillé sans relâche pour l’aboutissement de ce colloque. Vous avez mené un travail de combattant qu’il convient de reconnaître et de valider. Cher Vincent, merci pour votre travail assidû qui voit ce colloque se tenir dans la période voulue.
A regarder de très près, on peut dire que ce colloque aurait dû avoir lieu immédiatement après le génocide car la mémoire était encore fraiche, les faits étaient récents et les témoins avaient des souvenirs plus vifs qu’aujourd’hui plus de 28 ans après les faits, sans oublier que bon nombre de ces témoins dont plusieurs de vos collègues professeurs d’université, anciens étudiants et personnel sont décédés au fil des années, emportant par là des connaissances irremplaçables qu’ils avaient sur le génocide perpétré contre les Tutsi.
Cela étant dit, il n’est jamais tard pour bien faire, ce colloque tombe à points nommés car nous sommes à deux ans de la 30ème commémoration du génocide commis contre les Tutsi qui sera un moment particulier de réflexion sur ce drame que le milieu universitaire doit aussi prendre en considération à l’instar d’autres institutions tant nationales qu’internationales.
La tenue de ce colloque sur le site de l’Université du Rwanda à Huye, l’ancienne Université Nationale du Rwanda (UNR) est un événement plein de sens pour plusieurs motifs historiques qui doivent avoir leur place dans ce colloque.
Je vais développer assez brièvement au moins trois faits historiques liés au génocide commis contre les Tutsi qui ont un lien direct avec le milieu universitaire rwandais qui soulignent combien la tenue d’un tel colloque et le partenariat international dans la recherche sur le génocide est une démarche intellectuelle profondément importante.
Je vais aussi de ma part, me fondre dans un exercice de recherche pour vous présenter des faits historiques fouillés qui montrent que le travail de recherche que vous entamez à travers ce colloque est un travail qui scientifiquement justifié, justifiable et bien fondé.

Premièrement,
L’Université nationale du Rwanda a été créée en 1963 par les Pères Dominicains Canadiens, cela fait maintenant 60 ans. Cette même année, le Rwanda a subi de sanglants massacres ethniques visant les Tutsi, particulièrement dans la préfecture de Gikongoro où plus de 20.000 morts ont péri. Des témoins internationaux dont la plupart étaient basés ici à Butare ont lancé des cris d’alarme contre ces massacres en les qualifiant de génocide. L’un d’eux, Mr Denis Gilles Vuillemin, de nationalité suisse qui était coopérant de l’UNESCO, enseignant au groupe scolaire de Butare a fait un cahier de notes chaque jour sur la période de décembre 1963 à février 1964 relatant les récits et le déroulement des tueries qu’il observait à Gikongoro.
Le 4 février 1964, Denis Gilles Vuillemin publia dans le journal Le Monde une partie de son témoignage intitulé « L’extermination des Tutsis. Les massacres du Ruanda sont la manifestation d’une haine raciale sérieusement entretenue. » Il finira par démissionner de ce poste de coopérant en ses termes : « il ne m’est plus possible de rester au service d’un gouvernement responsable ou complice d’un génocide. Je ne peux partager l’indifférence et la passivité de la grande majorité des Européens d’ici, des agents de l’assistance technique bilatérale ou multilatérale. Je la considère comme une complicité objective. Comment pourrais-je enseigner dans le cadre d’une aide UNESCO dans une école dont les élèves ont été assassinés pour l’unique raison qu’ils étaient Tutsis ? Comment pourrais-je enseigner des élèves qu’on assassinera peut-être dans quelques mois ou dans quelques années ?»
La qualification de génocide à ces tueries de décembre 1963 est apparu également dans différents journaux internationaux au cours des mois de janvier et février 1964 dont voici quelques exemples :
- Le quotidien The Times dans son édition du 29 janvier 1964 a mis ce mot en manchette avec le titre « “Genocide” Charge in Rwanda. »
- Le quotidien belge Le Soir dans son édition du 2 et 3 février 1964, titrait à sa Une « Déclaration d’un missionnaire anglais du Rwanda : Les Bahutu continuent d’exterminer les Watutsi. Les 250 000 membres de la tribu des anciens seigneurs menacés de liquidation. »
- Le 5 février 1964, le quotidien britannique The Guardian publiait des extraits de l’appel au monde lancé la veille par Lord Bertrand Russell, prix Nobel de littérature qui avait hossé le ton en ces termes : « Depuis le génocide des Juifs par Hitler, le plus terrible génocide systématique a lieu au Rwanda au cœur de l’Afrique »
- Le magazine belge Pourquoi Pas ? du 6 février 1964 choisit de frapper le lecteur par une interrogation vive intitulé : « Au Rwanda, République-charnier. Sommes-nous complice de génocide ? »
- Ce 6 février 1964 l’hebdomadaire catholique français Témoignage Chrétien reprend de larges extraits des écrits de Missionnaires de Cyanika, Kaduha et Nyamasheke. Ce périodique catholique titrait l’article « Massacres au Ruanda » avec deux sous-titres : « Une extermination pure et simple », « La plupart des tueurs sont chrétiens ». Ces missionnaires écrivent à trois reprises que les massacres ont été prémédités et organisés avec l’aide des autorités et qu’ils devaient être qualifiés de génocide.
- La revue Informations Catholiques Internationales du 15 février 1964, reprend la même qualification.
- Toujours ce 15 janvier 1964, l’hebdomadaire Témoignage Chrétien reprit l’appel signé par « un groupe de missionnaires vivant au Rwanda » qui interpellait la chrétienté européenne en ces termes : « Nous autres, Catholiques, serions-nous les derniers à sortir de cette conspiration du silence qui nous rend complices passifs de ce génocide ??? Nous demandons, avec insistance que la presse catholique envoie sur place, ses reporters et fasse une enquête loyale et informe loyalement les catholiques et le monde entier de ce véritable génocide, perpétré par le pays africain catholique, chanté et loué par notre littérature missionnaire... ».
La concomitance de ces articles vous montre à quel point ces massacres exécutés une année après l’indépendance constitue une tradition criminelle qui culminera à l’extermination totale des Tutsi entre avril et juillet 1994. L’Université n’a pas été épargné par ces tueries puisque parmi le peu d’étudiants qu’il possède, certains d’entre eux ont eu des parents tueurs, d’autres ont été victimes des exécutions génocidaires de cette époque.
Sur le plan international, ce premier génocide a également fait l’objet de certains débats gouvernementaux et diplomatiques.
Je donne deux exemples :
LE CONSEIL DE CABINET BELGE (Conseil du Gouvernement) du 7 FÉVRIER 1964 dans son PROCÈS-VERBAL N° 110 note ceci : «
COMMUNICATION DU PREMIER MINISTRE.
Situation des techniciens belges au Rwanda.
« Compte tenu de la situation confuse dans ce pays et plus particulièrement des accusations formulées contre le Gouvernement de cet Etat, ne serait-il pas opportun que, par le canal de notre ambassade, des instructions soient données aux techniciens belges se trouvant au Rwanda sur l’attitude à adopter à l’égard de l’opération en cours de liquidation des "Tutsi" ? L’affaire prenant une dimension internationale, il faut en effet se garder que la Belgique puisse être accusée de participation à un "génocide". Les Rwandais ont, en maints endroits, massacré des Tutsi et brûlé leurs habitations. »
Au sein des organisations internationales, le mot génocide qualifiant les tueries commises à Gikongoro est également apparu début 1964 dans les rapports internes du Haut-Commissariat aux Réfugiés et du Comité International de la Croix-Rouge.
Exemple :
Un extrait du Rapport sur la situation dans la région de Bugesera, et d’autres régions sur la base des informations reçues et recueillies par le délégué du CICR, G.C. Senn, 17 avril 1964 :
« La peur des Tutsi et leur manque de confiance dans l’administration actuelle s’accentuent. L’insécurité est permanente, puisque tout Tutsi peut être accusé par quiconque en a envie d’être un ’Inyenzi’ - c’est-à-dire un ’cafard’, selon le nom donné aux activistes et organisations militaires tutsi depuis l’accession des Hutu au pouvoir, par allusion aux activités réputées souterraines des Tutsi qui se déplacent et agissent en secret après la tombée de la nuit.
Dans deux cas établis, des ministres du gouvernement ont publiquement proféré des menaces contre la population tutsi : le ministre des Travaux publics a déclaré « nous devrions tuer tous les Tutsi dans la capitale », et le ministre de la Justice a déclaré, à la demande du secrétaire de l’ambassade des USA, que tout était calme dans le pays, mais lorsqu’on lui a demandé s’il y avait une part de vérité dans les rumeurs de massacres des Tutsi, il est devenu très agité et a déclaré que tous les Tutsi devraient être exterminés.
Les menaces sont souvent aussi dirigées contre les Européens, qui osent s’intéresser au bien-être ou à la protection des Tutsi, et cela vaut également pour les missions, chaque fois qu’elles tentent de protéger ou de s’intéresser à un Tutsi.
Peu à peu, il devient possible obtenir plus d’informations sur la question du nombre de victimes dans la préfecture de Gikongoro pendant les émeutes :
Dans la zone de la paroisse de Kaduha (Pères blancs), le nombre de victimes est de 1630 ; les Pères blancs se basent sur leurs registres paroissiaux. 2071 maisons ont été incendiées. Le centre paroissial (c’est-à-dire la mission) a abrité pendant les évènements 4600 personnes.
Les informations sur la paroisse de Cyanika: le chiffre donné par les missionnaires (les Pères Blancs) était « environ 10 000 ».
Les abbés (indigènes) de la paroisse de Kibeho refusent de mentionner des chiffres, car ils n’osent pas exprimer une opinion concernant qui a été tuée pendant les émeutes. »
Ces quelques exemples que je prends pour ce premier génocide de 1963 commis spécifiquement à Gikongoro, mais aussi ailleurs dans le pays, correspondent nettement aux mêmes faits de préparation et d’exécution du génocide commis en 1994 et qui nécessitent leur examen dans ce colloque scientifique tenu 60 ans plus tard car ils sont la preuve évidente le très longue et vielle tradition du processus génocidaire visant les Tutsi du Rwanda.

Le deuxième fait historique qui ne doit pas manquer dans un tel colloque concerne l’année 1973. A cet époque, le pouvoir du président Kayibanda était usé par différentes pratiques dont l’idéologie de l’ethnisme et du régionalisme et la corruption touchant les plus hautes instances du Parti PARMEHUTU et du régime dans son ensemble. Pour tenter de camoufler ces abus, le recours à la diabolisation des Tutsi fut lancé comme un pont de secours visant l’unité des Hutu au détriment de la population rwandaise dans son ensemble. Le pouvoir organisa une opération appelée Déguerpissement dans laquelle des élèves et étudiants des écoles secondaires et de l’Université nationale du Rwanda furent activement impliqués.
Au cours de cette opération, les listes des Tutsi furent établis et affichés dans chaque école et dans établissement public et privé en les sommant de quitter les lieux volontairement sous peine d’exécution sommaire pour ceux qui n’obéissaient pas immédiatement à cet ordre violent et injuste.
Un rapport du 19 février 1973 établit pour le Gouvernement rwandais par le recteur de l’Université Nationale du Rwanda d’alors, Mr Sylvestre Nsanzimana, indique le déroulement des faits, leur cause et justifications alléguées par les étudiants pour chasser leurs camarades Tutsi.
Le recteur Nsanzimana signale que les événements ont commencé dans la nuit du 15 au 16 février 1973. Il indique que vers 18h de ce 15 février 1973, une première liste comprenant 14 étudiants tutsi a été affiché et que dans la nuit les événements se sont intensifiés, les étudiants hutu prenant toutes sortes d’objets pour chasser leurs camarades tutsi en scandant que l’Université appartient aux Hutu. Bilan des étudiants chassés ce soir-là : 190 étudiants tutsi ou considérés comme tels. Le recteur note qu’il n’y a pas eu de morts, mais qu’il y a eu certains blessés qui ont dû passer par la radioscopie pour voir s’ils n’ont pas eu de fracture. Un extrait de son rapport montre la gravité des faits, je cite :
« Les étudiants restés à l’Université sont farouchement opposés à la réintégration au sein de l’Université Nationale du Rwanda de ceux qu’ils ont chassés. Dans les circonstances actuelles, toute tentative de les ramener à l’Université Nationale du Rwanda se heurterait à un refus des plus catégoriques de la part de leurs collègues restés au campus et qu’une réintégration d’autorité exigerait des mesures de protection et de sécurité particulièrement exceptionnelles sans pour autant éliminer les risques de confrontation sanglantes, tant l’animosité est poussée à l’extrême ».
Eh bien ! Ces étudiants hutu qui chassaient leurs camarades tutsi en 1973 dans ce contexte de haine idéologique sont les mêmes qui, une fois terminés les études universitaires, ont embrassé la carrière professionnelle et militaire, et ont continué à diriger le pays dans une politique d’ethnisme, de haine raciale, divisionniste et ségrégationniste qui ont conduit à la préparation et à l’extermination totale des Tutsi en 1994. C’est donc dire que les intellectuels formés dans cette Université contiennent un grand nombre de tueurs qui n’ont pas été la lumière du peuple telle que la devise de l’Université le stipulait, mais sont devenus de redoutables assassins, et aujourd’hui plusieurs d’entre eux sont encore marqués, dans leur vieillesse, par le brouillard du négationnisme.
En 1994, cette Université est devenue comme partout dans le pays un site d’extermination ayant emporté des centaines d’étudiants, de professeurs et de personnel tutsi menés par des cadres de la même Université Nationale du Rwanda dont le président de l’époque Théodore Sindikubwabo et son premier ministre, Jean Kambanda pour ne citer qu’eux étaient des anciens de cette Université et originaires de cette préfecture de Butare.
Nous avons donc un devoir de vérité et d’honnêteté intellectuelle pour les jeunes générations pour bâtir un environnement et un encadrement scientifique digne que l’histoire du génocide a assombrie.
Je souhaite que ce colloque soit un moment d’échanges fructueux qui ouvrira des horizons meilleurs de partenariat inter-universitaire pour une recherche sérieuse sur le génocide commis contre les Tutsi et ses retombées permettra un partenariat académique international conforme aux progrès de notre époque.
Je déclare ce colloque ouvert et vous souhaite pleins succès dans tous vos travaux.
Je vous remercie.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024