Fiche du document numéro 34212

Num
34212
Date
Jeudi 9 mai 2024
Amj
Taille
920001
Titre
Rwanda : François-Xavier Nsanzuwera, « le Battant »
Sous titre
François-Xavier Nsanzuwera, ancien procureur de la République du Rwanda puis Avocat général au Bureau du Procureur du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR), publie coup sur coup deux livres qui abordent des aspects très divers du génocide commis contre les Tutsi. Deux ouvrages nourris de son expérience de défenseur des droits de l’homme, de magistrat, de rescapé et aussi d’exilé.
Nom cité
Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
François-Xavier Nsanzuwera avec la journaliste Maria Malagardis © DR

Depuis qu’il a pris sa retraite du TPIR, la parole publique de François-Xavier Nsanzuwera (FXN) s’est libérée. En 2018 il a publié La Battante : renaître après le génocide des Tutsis [1]. Assistant au verdict du procès du colonel Théoneste Bagosora surnommé « Colonel Apocalypse », il croise Inès, une rescapée comme lui. Ils s’étaient réfugiés ensemble à l’Hôtel des Mille Collines à Kigali pendant le génocide. Elle lui insuffle sa formidable énergie de « battante ». Un instinct de vie qui ne le quitte plus, et qu’il l’amène à publier en ce début 2024, coup sur coup, deux nouveaux livres : La rage de vivre et Briseurs de destins [2].

Dans ce dernier ouvrage, il s’efforce de comprendre et d’expliquer à la fois la « banalité » et l’efficacité meurtrière de ce quatrième génocide du XXe siècle. Il en a côtoyé les principaux acteurs à une époque où ceux-ci apparaissaient comme des politiciens et des militaires relativement ordinaires et fréquentables. Avant qu’ils ne s’enfoncent dans un régime justement qualifié de « nazisme tropical » par le grand historien Jean-Pierre Chrétien.

La banalité des promoteurs du génocide



Né au Rwanda en 1956, François-Xavier fut d’abord, comme procureur de la République, l’observateur le mieux documenté des prémices de l’horreur. En 1992, il enquêta sur les massacres provoqués par le régime dans la région du Bugerera, au Sud de Kigali (plus de 300 civils tutsi assassinés en quelques jours).

Impuissant à faire sanctionner les tueurs, il publiait l’année suivante son premier livre, La Magistrature rwandaise dans l’étau du pouvoir exécutif [3], un ouvrage où déjà la mécanique du pire était analysée : « Plus que jamais la peur est là. Peu de gens osent dénoncer l’arbitraire. L’on se réfugie derrière le silence ».

S’il ne devait exister qu’un seul « grand témoin » du génocide commis contre les Tutsi du Rwanda en 1994, ce serait lui, François-Xavier Nsanzuwera. A bien des titres. Comme Rwandais en grand deuil, d’abord. Son père, son grand-père, ses deux sœurs, le mari de la plus âgée et leurs deux jeunes enfants ont été assassinés dans les premiers jours du génocide. Sa survie et celle de son épouse tiennent du miracle.

Ayant occupé des postes cruciaux au sein du système judiciaire rwandais puis de la justice pénale internationale, FXN connaît par cœur leurs avancées et leurs faiblesses. Ses hautes fonctions ne l’ont jamais empêché d’agir et de témoigner, aussi bien dans des procès de la justice internationale que devant des cours d’assises à Bruxelles et à Paris, ou dans des colloques, récemment encore au Mémorial de la Shoah, à Drancy (Seine-Saint-Denis).

S’il ne devait exister qu’un seul « grand témoin » du génocide commis contre les Tutsi du Rwanda en 1994, ce serait lui, François-Xavier Nsanzuwera



Toujours étonné, jamais blasé de l’horreur, de sa voix douce, timide et chantante, au fil de Briseurs de destins François-Xavier répète les questions qui le hantent. Ces questions sont reliées par des fils invisibles. Comment les organisateurs du génocide en sont-ils arrivés là ? Pourquoi aucun des accusés n’a convenu de sa culpabilité ? Pourquoi le génocide des Tutsi du Rwanda s’accompagne-t-il jusqu’aujourd’hui d’un négationnisme massif ? Refermant ses portes en 2015 après avoir mis en accusation 93 personnes, condamné 62 et acquitté 14, le TPIR a-t-il « fait le job » ?

A défaut d’apporter des réponses tranchantes, François-Xavier Nsanzuwera appuie sur toutes les touches du clavier des questions. Et il connaît comme personne la partition du TPIR, telle citation d’audience, tel paragraphe de condamnation, piochés parmi les centaines de milliers [millions ?] de pages des archives de la justice internationale.

François-Xavier Nsanzuwera appuie sur toutes les touches du clavier des questions



Avant 1994, FXN fréquentait personnellement certains des accusés. Ainsi Mathieu Ngirumpatse. Né en 1939, président de l’ancien parti unique MRND, il a été condamné à la prison à vie par le TPIR en décembre 2011 pour son rôle crucial dans le génocide. François-Xavier Nsanzuwera l’appréciait pour avoir « écrit des chansons parmi les meilleures de la musique rwandaise. […] Même aujourd’hui, j’écoute les larmes aux yeux ses deux plus belles chansons, que j’aime beaucoup. Il s’agit de Mushumbu ushagawe, composé en 1978 pour le jubilé de Mgr Bigirumwami, premier évêque rwandais [NDLR : un évêque tutsi], et Inganji y’ingabe, composé en 1989. Comment cet artiste aimé et admiré est-il devenu un des cerveaux du génocide ? »

Mathieu Ngirumpatse était ministre de la Justice en 1992, au moment des massacres du Bugesera. A ce titre, il avait refusé le transfert-sanction de François-Xavier Nsanzuwera vers une province lointaine où les extrémistes pouvaient espérer en finir avec lui, comme ils l’ont fait pour tant d’autres « gêneurs ». Comme ministre de la Justice, Ngirumpatse lui a vraisemblablement sauvé la vie.

Mathieu Ngirumpatse, poète et bourreau de son peuple



Briseurs de destins est l’occasion d’une dizaine de portraits, tout en nuances, des pires génocidaires. Avec presque toujours cette question lancinante : comment en sont-ils arrivés là ? A défaut d’explication individuelle, François-Xavier Nsanzuwera apporte une réponse générale : « Le génocide a été pensé par une élite extrémiste hutue, mais celle-ci ne l’a pas exécuté au nom de tous les Hutus. Ces personnes qui ont été reconnues coupables par le TPIR étaient des hommes rationnels ; la plupart ont fait des études universitaires, ont été formés dans des écoles de guerre ; certains occupaient des postes de responsabilité au sommet de l’Etat. Parler de ces génocidaires, c’est se souvenir qu’environ 13 % des Rwandais ont été tués parce qu’une certaine élite politico-militaire voulait garder le pouvoir à tout prix. Parler de ces condamnés pour génocide, c’est rappeler que l’homme "normal" est capable des pires atrocités ».

FXN est un pédagogue et un érudit. Briseurs de destins parlera aussi bien aux spécialistes du génocide des Tutsi du Rwanda, attentifs à ses citations rares et appropriées, qu’à ceux qui aspirent pour la première fois à découvrir et à tenter de comprendre « le pire du pire ».

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François-Xavier Nsanzuwera, Briseurs de destins. Les cerveaux du génocide des Tutsis, 250 pages, Presses Universitaires Saint-Louis, Paris, 30 euros.

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1 – François-Xavier Nsanzuwera, La battante : Renaître après le génocide des Tutsis, préface d’Antoine Garapon, Fauves Editions, Bruxelles, 2018.

2 – François-Xavier Nsanzuwera, La rage de vivre. Rwanda, 7 avril 1994, le récit d’un survivant, Ed. Michalon, Paris, 160 pages, 17 euros, et Briseurs de destins. Les cerveaux du génocide des Tutsis, Presses Universitaires Saint-Louis, Paris.

3 – François-Xavier Nsanzuwera, La Magistrature rwandaise dans l’étau du pouvoir exécutif : la peur et le silence complices de l’arbitraire, éditions Collectif des Ligues et Associations de défense des droits de l’homme au Rwanda (CLADHO), 1993.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024