Fiche du document numéro 34155

Num
34155
Date
Vendredi 12 avril 2024
Amj
Taille
123273
Titre
Paul Kagame : « À ceux qui nous accusent, pourquoi ils ne soutiennent pas le M23 ? »
Soustitre
Accusé de soutenir les rebelles du M23, le président du Rwanda s’est expliqué lors d’une conférence de presse à Kigali, à l’occasion des 30èmes commémorations du génocide. Afrikarabia l’a interrogé sur son image dans les pays occidentaux liée à la crise dans l’Est de la RDC. Paul Kagame est également revenu sur la vidéo tronquée d’Emmanuel Macron et les relations entre Paris et Kigali.
Nom cité
Nom cité
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Lieu cité
Mot-clé
M23
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation


Ammu KANNAMPILLY – Journaliste de l’AFP : Ma question concerne le mouvement du 23 mars dans l’est de la RDC. Votre gouvernement a précédemment nié soutenir le mouvement. Ce déni tient-il toujours un an et demi plus tard ? Et quelle est la relation actuelle entre le gouvernement rwandais et le M23 ?

Paul KAGAME : – Eh bien, à ceux qui nous accusent, je demanderai pourquoi ils ne soutiennent pas eux-mêmes le M23. Y compris l’AFP. Vous, en tant que journaliste, pourquoi ne soutenez-vous pas le M23 ? Oui, pourquoi votre question « est-ce que vous soutenez le M23 ou vous ne soutenez pas le M23 » ? Tout d’abord, qu’est-ce que le M23 ?

Le M23 est une organisation née au Congo et hors du Congo. C’est le point numéro un. Deuxièmement, ce sont des Congolais. Et vous entendrez même le Congo l’admettre. Maintenant, pourquoi existent-ils ? Pourquoi se battent-ils ? Pourquoi ont-ils des armes ? C’est une autre question. C’est aussi une question simple. Le M23 existe existent parce qu’on leur a refusé leurs droits en tant que citoyens de ce pays. On les appelle « les Tutsis du Rwanda ».

« Le M23 existe parce qu’on leur a refusé leurs droits en tant que citoyens de ce pays »



Très bien, mais il faut aussi être un peu instruit sur l’histoire. Nous avons des communautés rwandaises au Congo, qui sont congolaises. D’ailleurs, ce ne sont pas seulement des Tutsis, c’est la même structure sociale de notre pays qui se retrouve aussi au Congo. En fait, on en trouve dans d’autres pays voisins, mais ils sont citoyens de ces pays.

Nous avons 100 000 personnes originaires de cette communauté, 100 000 qui vivent ici au Rwanda dans des camps de réfugiés depuis deux décennies. Pourquoi ? Parce qu’ils sont arrachés à leurs foyers ancestraux, persécutés et envoyés à travers l’Ouganda. D’ailleurs, ils sont encore plus nombreux en Ouganda. Il y en a 100 000 ici, il y en a des centaines de milliers là-bas, en Ouganda.

« 100 000 personnes originaires de cette communauté vivent ici au Rwanda dans des camps de réfugiés depuis deux décennies. Pourquoi ? »



Le M23 est donc né de cette situation. C’est pourquoi j’ai posé la question, et j’ai dit : eh bien, pourquoi si personne d’autre ne le fait, pourquoi le ferions-nous ? Pourquoi sommes-nous accusés, en tant que Rwanda, de soutenir le M23 ? Et je dis que même ceux qui nous accusent devraient s’auto-accuser de ne pas soutenir le M23 parce que c’est comme s’ils étaient d’accord avec l’injustice qui est faite à cette communauté. Sinon, si vous n’êtes pas d’accord avec cette injustice, vous soulèveriez des questions.

« Ceux qui nous accusent devraient s’auto-accuser de ne pas soutenir le M23 »



Pourquoi ces gens de M23 sont traités ainsi ? Pourquoi avons-nous 100 000 réfugiés ici au Rwanda ? C’est par là que vous devriez commencer la question, sans demander au Rwanda : « Soutenez-vous le M23 ou non ? ». Êtes-vous toujours en train de nier ça ? Vous posez la mauvaise question. La question n’est pas de savoir si quelqu’un soutient ou non le M23. La question est de savoir quel est réellement le problème du M23. C’est en fait la question que vous auriez dû poser. Quel est le problème ? Qu’est-ce que c’est que cette chose appelée M23 ? Sont-ils des êtres humains, sont-ils des Rwandais, sont-ils des Congolais ? Pourquoi existent-ils ? Pourquoi ont-ils des armes et combattent-ils dans leur propre pays ? C’est la bonne question qu’on devrait me poser.

« La question n’est pas de savoir si quelqu’un soutient ou non le M23. La question est de savoir quel est réellement le problème du M23 »



Donc, que le Rwanda soutienne ou soit associé d’une manière ou d’une autre [au M23] n’a en fait aucune importance. Cela n’a aucune importance pour la question ou même pour vous, si vous voulez vous informer et éduquer le public, la question aurait dû être simple. En fait, demandez-moi « qu’est-ce que vous entendez par M23 ? ». Qu’est-ce que c’est ? Voilà la bonne question. C’est sur cela que j’aimerais être interrogé, plutôt que de savoir qui appuie ou non le M23.

Jean-François DUPAQUIER – Journaliste à Afrikarabia : Monsieur le Président, si vous analysez la presse francophone de ces derniers jours, vous observez beaucoup d’articles favorables au Rwanda. Cependant il y a souvent un titre accessoire qui pose la question : « Mais qui est réellement Kagame ? ». La propagande de vos ennemis, notamment au Congo, vous décrit comme un tyran cruel et sanguinaire. Pourquoi n’essayez-vous pas de changer cette image ? Par exemple, sur vos photographies officielles, vous avez toujours l’air sévère et distant, ce qui peut contribuer à alimenter la polémique. Pourquoi n’arborez-vous pas un léger sourire, comme tous vos collègues présidents de par le monde ? Est-ce que finalement vous aimez – ou n’aimez pas – être craint, parfois détesté dans le monde occidental ?

Paul KAGAME : – Je pense que vous avez bien résumé les questions qui ont été posées mais qui n’ont pas été posées aussi… directement [il rit]. Concernant le sourire… Je pense que je dois emprunter soit du talent, soit directement le sourire à certaines personnes. Mais le fait que ce soit le sourire qui me manque n’est pas de ma faute. Peut-être que cela survient par hasard.

J’observe la façon très intéressante de poser votre question. J’essaie d’y répondre de cette façon, en commençant par la question : qui suis-je en tant que personne ? Je suis la personne que vous voyez. Je ne cache rien. Cependant, vous voyez en moi ce que je suis. Si nous nous basons uniquement sur l’apparence ou sur quoi que ce soit de ce genre, est-ce qu’on peut me décrire seulement sur mon apparence physique ? Je veux dire : ce que vous voyez, et ce que vous obtenez avec moi ?

« Je suis la personne que vous voyez. Je ne cache rien »



Dans la plupart des cas, mes actes et mes paroles ont tendance à s’harmoniser. Mon apparence peut être différente de cela, peut être différente de mes actes et de ma façon de penser. De toute façon, la description des « looks » n’est-elle pas également subjective ?

Il y a des gens qui me voient à travers mes regards comme une personne terrible. Il y en a peut-être d’autres qui diront qu’après tout, il n’y a rien de mal à cela. C’est donc subjectif, mais les mots que vous avancez, « tyran », « cruel »… Vous ne pouvez pas être mauvais à ce point, cruel ou tyran ou « assoiffé de sang »… peu importe [ce que dit la propagande de mes ennemis]. Vous imaginez que si j’étais comme ça, un tyran, je pourrais le cacher ?

« Ces individus ne représentent pas grand monde par rapport à la population du Rwanda »



Si j’étais comme ces gens m’ont décrit, le jugement s’adresse soit aux habitants de ce pays, soit à ceux d’ailleurs [ça se verrait]. Ces individus [qui m’accusent] ne représentent pas grand monde par rapport à la population du Rwanda, même si le Rwanda est très petit.

Ce ne sont que des individus isolés. Cinq en France, dix en Amérique, trois en Chine, deux en Belgique, etc. Si vous les additionnez tous, même s’ils ne disent pas exactement les mêmes choses sur moi, ils sont ultra-minoritaires. Ils ne profitent que de leur petite plate-forme [sur les réseaux sociaux] pour faire entendre leurs messages. Il y a beaucoup de gens qui ne connaissent même pas Kagame et apprennent à le connaître parce qu’un journaliste a dit [telle ou telle chose]… quelqu’un dans la presse a dit, et dans de nombreux cas, d’après mon expérience, certains d’entre eux ont commencé par entendre ce qu’a dit le journaliste et ils ont fini par le dire [à leur tour].

« Ce qu’on écrit sur nous est complètement différent de ce que nous avons vu ou vécu »



Ils peuvent dire que cette personne nous a menti et, pendant de nombreuses années, elle nous a menti sur ce que nous avons vu, ce que nous avons entendu, que ce soit cette ville, que ce soit cette personne, que ce soit ceci ou cela…

Ce qu’on écrit sur nous est complètement différent de ce que nous avons vu ou vécu. Cependant, il y a une particularité dans la presse occidentale : il y a des choses qui ont été dites ou écrites sur ce pays voici 30 ans, voici 25 ans, qui sont répétées inlassablement. Cela signifie que, selon eux, rien n’a changé. Par exemple, on parle du Rwanda, de sa « population très pauvre ». Nous sommes pauvres, oui. Nous ne sommes certainement pas au niveau des pays développés. Mais cette pauvreté constatée en 1995, en 2000 même, n’est plus celle de 2024. Pourtant quelqu’un continuera à écrire dans la presse que la pauvreté est la même qu’il y a 25 ans. Que Kagame et son apparence… et ainsi de suite…

« Il y a des choses qui ont été dites ou écrites sur ce pays voici 30 ans, qui sont répétées inlassablement »



J’ai essayé ces derniers jours, j’ai essayé [de sourire]. Ce n’est peut-être pas un bon sourire, mais j’ai essayé. Il est vrai que le Kagame que vous avez vu en 1994, en 1995, en 2000 encore n’était pas souriant. Car il n’y avait pas de quoi sourire.

Alors je n’ai pas souri. Mais maintenant, avec quelques progrès… je peux me permettre de sourire, de temps en temps. Mes cheveux étaient noirs, maintenant ils sont gris, et à présent ils sont en train de disparaître… Je deviens un peu chauve… Si vous pensez à ce que vous étiez lorsque je vous ai vu il y a vingt ans, c’est pareil.

Si je passais mon temps à sourire, ce serait un mensonge. Je ferais semblant. Finalement, le Kagame que vous voyez, que vous l’aimiez ou que vous ne l’aimiez pas, sera là de toute façon… Je n’ai besoin de personne qui m’aime ou me déteste pour vivre ma vie. Je vis ma vie, que vous m’aimiez ou non, et j’aurai mes opinions, je les exprimerai. Je ferai des choses sans dépendre de tel ou tel individu ou de tel pays, même s’il est puissant. Nous sommes tous des êtres humains créés, disent-ils parfois, par Dieu. Je ne sais pas, peut-être… Mais donc que quelqu’un ait des pouvoirs sur moi, je peux vous dire que ce n’est pas possible.

« Le Kagame que vous avez vu en 1994 n’était pas souriant. Car il n’y avait pas de quoi sourire »



Et c’est pourquoi je ne peux pas accepter que quiconque ait des pouvoirs sur quelqu’un d’autre au point de nous dicter notre conduite et que même les plus puissants n’aient pas de pouvoir sur nous, comment nous vivons, comment nous agissons…

Kagame a été façonné par cette philosophie, cette compréhension, j’essaie comme n’importe quel être humain de faire de mon mieux. Je fais ce que je peux faire, je fais ce que je dois faire. Je peux avoir des défauts, faire des erreurs, reconnaître et faire de bonnes choses et en bénéficier, et en faire bénéficier les autres. En fait me connaître n’est pas compliqué. C’est simple, c’est moi. Et puis d’autres choses dont nous pouvons discuter plus tard.

Je pense avoir répondu à votre bonne question.

Journaliste du média français ITEM : J’avais deux questions à vous poser. Tout d’abord, la présidence française a divulgué jeudi dernier [jeudi 4 avril] un extrait du discours d’Emmanuel Macron. Il était censé être prononcé dimanche. Mais la vidéo qui a été diffusée et le discours ne correspondaient pas à ce qui avait été annoncé. De plus, Emmanuel Macron devait venir [au Rwanda] et finalement il a annulé. Est-ce qu’il y a eu un problème ? La position française ne semble pas très claire pour le moment. Et ma deuxième question concerne le fait que des soldats rwandais ont été envoyés au Mozambique en 2021 dans le but d’aider et de renforcer les relations mozambicaines et rwandaises. Cela a-t-il également renforcé les relations entre le Rwanda et la France ?

Président Paul KAGAME : – En ce qui me concerne, les relations entre le Rwanda et la France sont bonnes et l’ont été ces derniers jours. Bien sûr, derrière cela, il y a cette longue histoire de problèmes liés à ce qui s’est passé dans notre pays au cours des trente dernières années.

Donc, mon sentiment jusqu’à présent est que nous avons fait des progrès, mais il y a peut-être encore des gens dans les structures politiques et autres de la France qui sont cramponnés à ce qui s’est passé autrefois.

Ils vivent encore politiquement dans le passé. Nous ne pouvons progresser que grâce à des personnes qui veulent regarder vers l’avenir et nous avançons ensemble. Je ne connais pas la proportion entre les uns et les autres. Pour porter un jugement, je pense que le peuple français est composé de gens raisonnables, et nous pouvons travailler ensemble. Parfois, ce sont les politiciens qui sont en cause.

« Les relations entre le Rwanda et la France sont bonnes et l’ont été ces derniers jours »



J’ai entendu parler de cela, des contradictions dans les déclarations ou de ceci ou de l’édulcoration de cela. Mais c’est tout. J’ai entendu dire que c’était arrivé. Mais pour moi, je me concentre sur les bonnes choses qui peuvent survenir. Nous progressons, ces petits problèmes, je pense, seront toujours là. Même si vous parlez du chef de l’État qui a fait ceci et cela.

Mais ce n’est pas à moi de m’attarder là-dessus et d’en parler. Peut-être que lorsque vous aurez l’occasion de lui parler [à Emmanuel Macron] à votre retour, vous pourrez lui demander, vous pourrez avoir une meilleure réponse que celle que je suis capable de vous donner. De notre côté, nous avons toujours la volonté de continuer à progresser, indépendamment de la mauvaise histoire que nous avons eue.

Concernant le Mozambique, nous nous sommes impliqués au Mozambique à l’invitation de nos frères et sœurs du Mozambique, et nous sommes là-bas en faisant ce que nous pouvons et en travaillant avec les Mozambicains pour freiner l’insécurité qui régnait depuis quelques années.

Et je pense que de bons progrès ont également été réalisés. La manière dont les Français interviennent dans ce domaine, si c’est votre question, est peut-être liée au fait qu’ils y investissent comme d’autres pays.

En fait, de nombreux pays ont des investissements au Mozambique, soit ces pays travaillent ensemble à travers leurs entreprises, soit de différentes manières : c’est la France, c’est les États-Unis, c’est l’Inde, c’est le Japon, c’est la Corée… Nombreux sont ceux qui y travaillent. Naturellement, les investissements doivent être réalisés dans un environnement stable.

Et puisque nous y sommes, c’est une contribution à la stabilité de la zone dans laquelle ces pays investissent.

Nous avons des discussions, nous nous parlons, de notre contribution et de leurs investissements là-bas, nous avons de bonnes discussions et une compréhension de la manière dont nous pouvons continuer à stabiliser cette zone, c’est l’essentiel. Y compris avec la France.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024