Fiche du document numéro 34062

Num
34062
Date
Lundi 8 avril 2024
Amj
Taille
0
Surtitre
Le grand invité Afrique
Titre
Génocide des Tutsis au Rwanda : à l'époque, « il était difficile de mettre un nom sur ce qui se tramait » [Invitée : Maria Malagardis]
Soustitre
Au Rwanda, il y a 30 ans, Pourquoi les diplomates et les militaires étrangers qui étaient sur place n’ont pas voulu en voir les signes annonciateurs, dans les six mois qui ont précédé la tragédie ? C’est le thème du roman « Avant la nuit », que publie Maria Malagardis, chez Talent Éditions. La plupart des personnages et des événements décrits dans le livre ont réellement existé. Maria Malagardis, qui est grand reporter au journal français Libération, répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
Nom cité
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Nom cité
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Source
RFI
Type
Émission de radio (son)
Langue
FR
Citation
Le roman « Avant la nuit » de Maria Malagardis se concentre sur les signes annonciateurs du génocide au Rwanda en 1994. © Talent éditions

RFI : Dans votre livre Avant la Nuit, vous racontez la montée des périls au Rwanda, dans les six mois qui précèdent le génocide. Nous sommes avec deux casques bleus, un officier canadien et un officier sénégalais, qui enquêtent sur l’assassinat de six enfants hutus, un crime qui a vraiment eu lieu en novembre 1993. Les regards se tournent vers les rebelles du FPR, mais, en fait, c’est beaucoup plus compliqué que cela.

Maria Malagardis : Oui, ce qu’ils vont découvrir, peu à peu, chapitre après chapitre, c’est que c’est vraisemblablement une manipulation, forcément monstrueuse, pour susciter, on suppose, la colère des habitants, des familles concernées. Et, finalement, il s’agira, bien sûr, du déclenchement du génocide, avec les signes annonciateurs que l’on découvre mois après mois et qui sont souvent des épisodes qui ont vraiment eu lieu.

Votre livre nous permet de recroiser des personnages qui ont vraiment vécu, comme le sinistre Théoneste Bagosora, l’un des cerveaux du génocide. Et comme le général Dallaire, le chef canadien des casques bleus. Vous racontez comment un informateur rwandais haut placé, prénommé Jean-Pierre, prévient le général Dallaire dès le mois de février 1994 que les autorités rwandaises sont en train de constituer des listes de Tutsis à éliminer.

Oui, absolument, Jean-Pierre a existé. Sous ce nom, il a décidé de livrer des informations à l’ONU et au général Dallaire. Sauf que, à New York, on va refuser d’exfiltrer cet homme et sa famille, qui était la condition pour laquelle il était prêt à livrer tout ce qu’il savait. Et Jean-Pierre va disparaître dans la nature quand il va voir que la communauté internationale ne souhaite pas l’aider à quitter le pays.

Vous dîtes que Jean-Pierre informe le général Dallaire de l’existence de caches d’armes et que, du coup, le général Dallaire se met à rechercher ces caches. Et qu’à chaque fois qu’il se rend sur un site, il n’y a plus aucune arme sur place. Comme si quelqu’un avait averti les extrémistes hutus qu’il fallait les enlever à la dernière minute… Et vous évoquez l’existence d’un espion des extrémistes hutus à l’intérieur du quartier-général de l’ONU, l’informaticien Calixte. A-t-il vraiment existé ?

C’est encore une fois un personnage composite. Il y a eu un informaticien qui se prénommait Calixte, qui travaillait dans une autre organisation des Nations unies et qui va se révéler un fervent défenseur de l’idéologie génocidaire et qui va prendre part au génocide. Mais il y avait des soupçons que la mission de l’ONU était gangrénée par des espions. En fait, ce qui est fascinant, quand on regarde les mois qui précèdent le génocide, c’est de se rendre compte du nombre de choses que l’on savait. Avec toute la difficulté, parce qu’il ne faut pas, non plus, céder au regard rétrospectif… Avec toute la difficulté, peut-être, d’envisager l’énormité du projet.

Vous racontez aussi, Maria Malagardis, comment une note des services secrets belges (on est au mois de février 1994) avertit le gouvernement de Bruxelles que les autorités rwandaises pourraient planifier l’assassinat de casques bleus belges pour les pousser à partir.

Oui, ça fait partie des aspects les plus dingues.

Elle a vraiment existé cette note !

Elle a vraiment existé cette note, elle est disponible désormais, elle a été déclassifiée. Elle a été transmise au corps diplomatique sur place, elle a circulé dans les chancelleries. Ce qu’explique le major Hock, à l’époque le plus haut responsable des services secrets belges, c’est que, vraisemblablement, cet assassinat est planifié pour pousser les Casques bleus à partir. Et c’est effectivement ce qui va se passer [le 7 avril 1994], ce qui laissera le champ libre aux génocidaires pour procéder au massacre.

Ces dix casques bleus belges, ils ne sont pas morts instantanément, ils ont d’abord été désarmés, puis faits prisonniers, puis massacrés. Cela a duré plusieurs heures. Apparemment, quand le chef de ces dix casques bleus envoie par talkie-walkie l’information à ses supérieurs de Kigali qu'« On nous demande de désarmer… », le chef de Kigali leur dit « Obéissez. ». Cela malgré cette note, deux mois plus tôt, des services secrets belges.

Oui, c’est quelque chose qui revient souvent dans le roman. Je pense que cela fait partie, certainement, de la nature humaine. On a du mal à accepter que le pire soit en train de se produire. Cet officier, qui était leur supérieur, à ce moment-là, dans la stupeur du 7 avril au matin, au lendemain de l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, il sent bien que la situation dérape, mais il ne peut pas imaginer que cela ira jusqu’à l’assassinat, qui a été effectivement atroce. Voilà, c’est difficile de mesurer l’ampleur d’une catastrophe et je pense, j’imagine, qu’on le constate à plusieurs périodes de l’Histoire.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024