Fiche du document numéro 34059

Num
34059
Date
Mercredi 10 avril 2024
Amj
Taille
172074
Titre
Comment l’Élysée a relancé les débats sur le rôle de la France au Rwanda
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Certains y voient un nouveau flottement de la communication de l’Élysée, quand d’autres affirment qu’il s’agit d’un rétropédalage en règle. Derrière ce débat, la question des responsabilités françaises dans le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994.

Le sujet est naturellement revenu ce week-end alors que ce pays célébrait le 30e anniversaire des massacres, qui ont conduit à la mort d’au moins 800 000 personnes. Emmanuel Macron avait dit qu’il ne ferait pas le déplacement. Mais l’Élysée annonçait jeudi la diffusion d’une vidéo à cette occasion précisant que « le chef de l’État rappellera (…) que la France, qui aurait pu arrêter le génocide (…), n’en a pas eu la volonté ». Ces quelques mots sur le « manque de volonté » ont suffi à agiter les esprits car ils ont très vite été interprétés comme le signe d’un rapprochement supplémentaire avec Paul Kagame.

Mais dimanche, jour de la cérémonie, ces mots n’ont pas été prononcés dans la vidéo présidentielle. Dans le message, inhabituellement court pour Emmanuel Macron et dont la diffusion est demeurée très restreinte, il se contente de n’avoir « aucun mot à ajouter, aucun mot à retrancher » à ceux prononcés lors de son discours de mai 2021.

La simple allusion à ce discours - certes bien accueilli à Kigali à l’époque, car mettant fin à des années de brouilles diplomatiques - a déçu. Si Paul Kagame n’en a rien dit, sur les réseaux sociaux, l’irritation des associations du souvenir face au refus de Paris de demander pardon était palpable.

C’est en France, comme presque toujours quand il s’agit du Rwanda, que la polémique a enflé, à gauche comme à droite. À peine le communiqué de l’Élysée de jeudi publié, l’Institut François Mitterrand s’offusquait. Gardienne de la mémoire de l’ancien président, cette fondation est déjà agacée par un rapport publié en 2021 sous la direction de l’historien Vincent Duclert. Le texte conclu à des « responsabilités lourdes et accablantes » de la France et se montre peu amène sur l’« aveuglement » du président Mitterrand et de son entourage. Les réseaux militaires s’émouvaient eux aussi de la tonalité des propos prêtés à Emmanuel Macron, redoutant une mise en cause du rôle de l’armée française.

Tout le week-end, les communicants de l’Élysée se sont attachés à déminer, multipliant les appels aux rédactions, assurant que le président n’a jamais envisagé un « manque de volonté ». « S’il y a eu des erreurs de communication, je les assume », disait ainsi Anastasia Colosimo, conseillère pour la presse internationale du président. « C’est une polémique qui est vaine », déclarait pour sa part Stéphane Séjourné depuis le Quai d’Orsay.

Les dénégations sont cependant restées sans grand impact. En France, les relations avec le Rwanda sont un sujet hautement sensible. Les mots sont normalement pesés au trébuchet, faisant naître un doute sur ce brusque amateurisme. « Cette communication hasardeuse, ainsi que l’absence de démenti clair, est de nature à créer de la confusion sur la position du président », estime Jean Glavany à la tête l’Institut François Mitterrand.

Dès lors, faut-il croire à une volonté finalement contrariée de l’Élysée ou à l’erreur d’une petite main ? En février, l’annonce de l’invitation de l’association des Soulèvements de la Terre à discuter avec le président au Salon de l’agriculture avait suscité une intense colère avant d’être démentie et attribuée à une maladresse de communication.

« Je ne pense pas que le président ait reculé, glisse un ancien ambassadeur. Il ne ferait pas d’avancées sur une telle question par un simple message vidéo. » Mais si la polémique a pris, c’est que le fond du message était en réalité crédible. Dans l’entourage du président, plusieurs conseillers sont notoirement favorables à la présentation d’excuses au peuple rwandais, pour tourner la page et redorer l’image de la France en Afrique. Leur plaidoyer gagne des partisans. Antoine Anfré, l’ambassadeur de France à Kigali fut, au début des années 1990, en poste en Ouganda d’où il alertait sur les risques existants au Rwanda. Surtout cette déclaration sur l’« absence de volonté » prêtée au président n’a rien de bien révolutionnaire. Elle ressemble à celle prononcée par le même Emmanuel Macron en 2021 : « Nous avons, tous, abandonné des centaines de milliers de victimes à cet infernal huis clos. »

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024