Fiche du document numéro 34013

Num
34013
Date
Mercredi 10 avril 2024
Amj
Taille
807371
Sur titre
Commémorations
Titre
30 ans du génocide au Rwanda : le rétropédalage d’Emmanuel Macron, révélateur des tabous et non-dits sur le passé de la France
Sous titre
Le revirement de la communication présidentielle au moment des commémorations du génocide des Tutsis a été largement commenté. Un couac qui en dit long sur les pressions persistantes sur le passé de la France au Rwanda.
Nom cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Lors de la commémoration du génocide, à Paris, le 7 avril. (Thomas Samson /AFP)

Mais que s’est-il passé entre jeudi à 15 h 20 et dimanche à 11 h 20 ? En l’espace de trois jours, la communication présidentielle sur le message d’Emmanuel Macron prévu ce dimanche, à l’occasion des commémorations des 30 ans du génocide des Tutsis au Rwanda, a connu quelques fluctuations inédites.

Comment des «éléments de langage» diffusés jeudi en fin de matinée, évoquant un génocide que la France aurait pu «arrêter», mais sans en avoir la «volonté», ont-ils pu passer à la trappe ? Pour céder la place dimanche après-midi, à une vidéo qui se concentre sur la répétition d’un discours vieux de trois ans, et du coup forcément un peu édulcoré ? Dans lequel le président français, en déplacement en mai 2021 à Kigali, la capitale du Rwanda, reconnaissait certes «une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire».

«C’était déjà à l’époque un discours assez courageux», plaide l’équipe de communication présidentielle, qui rappelle que des termes «très clairs», par exemple sur le fait que la France était «aux côtés du régime génocidaire», avaient alors été employés. Jamais, il est vrai, un président français n’était allé si loin dans la reconnaissance des responsabilités françaises à l’époque.

Mais visiblement, les communicants de l’Elysée avaient sous-estimé l’effet explosif suggéré par cette absence de «volonté» d’arrêter le génocide, énoncée dans la première version soumise aux médias. Il y a eu des «maladresses», admet-on désormais du côté de l’exécutif français. Sauf que dans le cadre du regard rétrospectif sur le passé de la France au Rwanda, chaque mot compte. Et celle qui était attribuée au Président jeudi annonçait sans équivoque un pas supplémentaire dans la reconnaissance du soutien actif de la France au camp des extrémistes qui déclenchèrent le bain de sang.

Passé toujours clivant



D’après les informations recueillies par Libération, il n’y aurait pas eu plusieurs vidéos tournées successivement, comme cela a pu être affirmé. En revanche, il y a bien eu «un ou deux, voire trois scripts du discours qui ont circulé, notamment via WhatsApp, et l’équipe de com a puisé dans ces éléments pour en divulguer certains, sans filets», raconte un proche du président. Avant que la déflagration médiatique ne conduise à un rétropédalage. Dans une confusion totale, les représentants français présents à Kigali ce dimanche n’étant visiblement même pas au courant. Et au plus mauvais moment, le jour de la commémoration du déclenchement du génocide, le 7 avril.

Cette journée reste toujours sensible au Rwanda. Les déclarations françaises sont toujours d’autant plus attendues que Paris a été, à partir de 1990, l’allié le plus actif du régime qui va conduire au génocide. Quatre ans de compromissions troublantes, pendant lesquels les dirigeants français ont ignoré tous les signaux d’alerte, renforçant au contraire leur collaboration militaire, diplomatique et financière, aux côtés de ceux qui préparaient le bain de sang.

La reconnaissance de ce passé reste clivante en France. Il aura suffi d’une phrase pour que l’équipe de l’Elysée se retrouve «prise en étau entre ceux qui se réjouissaient d’une avancée et ceux qui y voyaient la réouverture du dossier de la complicité de la France dans le génocide», explique l’un de ses membres.

Reste ce soupçon qui colle à la France : cette fameuse «complicité», habilement évacuée en 2021 par les conclusions de la commission d’historiens présidée par Vincent Duclert et mandatée par Emmanuel Macron pour examiner les archives françaises. La voilà qui resurgit suite à ces «maladresses», déchaînant soudain les foudres de ceux qui défendent le bilan de la présidence de François Mitterrand au Rwanda.

«Des pressions terribles»



«Il ne faut pas se faire d’illusions, derrière ce retrait de la phrase incriminée, il y a des pressions terribles. Et notamment de certains acteurs, comme Hubert Védrine [secrétaire général de l’Elysée à l’époque, ndlr]. Il a appelé tout le monde, il fait encore peur. Il a ses réseaux et cherche à garantir une vérité officielle qui le protège juridiquement», affirme un haut fonctionnaire. Une opinion qui semble confirmée par la réaction de Jean Glavany, le successeur d’Hubert Vedrine à la tête de l’Institut François-Mitterrand depuis 2022.

Dans un communiqué, avec en-tête de l’institution, publié ce dimanche, celui qui fut l’un des plus proches collaborateurs du président socialiste exige «un démenti formel» des propos attribués à Macron ce jeudi, dénonçant «une communication hasardeuse», avant de se lancer dans un long plaidoyer en faveur du rôle de la France au Rwanda.

Quelques jours auparavant, dans une autre lettre datée du 28 mars, dont Libération a eu connaissance, également assumée en tant que président de l’Institut François-Mitterrand, le même Jean Glavany s’était adressé au mémorial de la Shoah, qui présente une exposition en plein air dans le IVe arrondissement à Paris, pour les 30 ans du génocide des Tutsis. Affirmant avoir été «alerté par des riverains», ce farouche défenseur de la mémoire de l’ancien président réclamait cette fois le retrait de «trois ou quatre panneaux», dénonçant «une exposition partiale sur le rôle de la France» qui aurait été conçue par «des militants fanatisés».

Parmi les panneaux présentés par le Mémorial de la Shoah, figure ce portrait de François Mitterrand publié au dos du numéro 6 de la revue extrémiste Kangura, en décembre 1990 au Rwanda. Assorti de la légende, «un véritable ami du Rwanda». Dans le même numéro, on trouve les «Dix commandements des Bahutu», enjoignant la majorité hutue du pays à se désolidariser de la minorité tutsie, considérée collectivement comme des traîtres. Un pamphlet aux accents prophétiques dont la publication est considérée comme une étape essentielle de la propagande qui mena au génocide.

Arrière-garde



Cette offensive de l’arrière-garde des héritiers des années Mitterrand a peut-être infléchi le discours de Macron le 7 avril. Lequel apparaît finalement comme un révélateur de ce qui reste de tabous et de non-dits dans l’histoire commune entre les deux pays. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que des clashs se produisent au moment des commémorations du génocide des Tutsis. Avec une régularité déconcertante, ils ont même lieu tous les dix ans.

En 2004, Renaud Muselier, alors secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères du gouvernement de Jacques Chirac, quitte les cérémonies à Kigali, juste après que le président rwandais, Paul Kagame, a reproché à la France, dans son discours, «de rester là, sans s’excuser». Dix ans plus tard, Christiane Taubira, pressentie pour représenter la France et le gouvernement de François Hollande aux vingtièmes commémorations, annule in extremis son déplacement après que le même Kagame a accusé dans une interview les soldats français d’avoir été «des acteurs du génocide». Cette fois-ci, Paris s’est noyé tout seul, révélant tout de même un malaise persistant, trente ans après le drame.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024