Fiche du document numéro 33829

Num
33829
Date
Mercredi 13 mars 2024
Amj
Taille
1402404
Titre
Au Rwanda, l’opposante Victoire Ingabire interdite de scrutin
Sous titre
La plus célèbre opposante au président Paul Kagame ne pourra pas se présenter aux présidentielles en juillet suite au verdict de la Haute Cour de justice ce mercredi. Mais le parcours de Victoire Ingabire est semé d’ambiguïtés.
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FDU
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Victoire Ingabire à Kigali (Rwanda) le 13 mars. Agée aujourd’hui de 55 ans, elle avait été condamnée en dernière instance à quinze ans de prison fin 2013 pour «terrorisme et négation du génocide» qui s’est déroulé en 1994, contre la minorité tutsie. (Guillem Sartorio/AFP)

«Je ne suis pas d’accord avec cette décision, elle est clairement politisée», a martelé Victoire Ingabire devant la Haute Cour de justice, située dans le quartier populaire de Nyamirambo à Kigali, capitale du Rwanda. Visiblement, l’opposante s’attendait à voir rejetée sa requête pour retrouver ses droits civiques et pouvoir se présenter à l’élection présidentielle prévue le 15 juillet. Aussitôt le verdict connu, un communiqué préparé à l’avance, faisant part de sa réaction, était diffusé sur les réseaux sociaux. Elle y exprime sa «déception» tout en soulignant que sa «détermination est intacte».

Pour justifier leur décision, les quatre juges présents ont surtout invoqué des raisons procédurales : la loi prévoit un délai de cinq ans après certaines condamnations pénales pour retrouver les droits civiques. Ingabire avait été libérée suite à une grâce présidentielle en 2018, il y a tout juste cinq ans. Mais selon les juges, elle devra attendre la fin de la durée initiale de sa peine et cinq années supplémentaires pour reconquérir ses droits civiques.

Agée aujourd’hui de 55 ans, elle avait été condamnée en dernière instance à quinze ans de prison fin 2013 pour «terrorisme et négation du génocide» qui s’est déroulé en 1994, contre la minorité tutsie dans ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs. Victoire Ingabire n’était alors pas au Rwanda mais aux Pays-Bas, pendant cette tragédie qui fera près d’un million de morts en trois mois. Très vite après le génocide, elle s’engage en politique au sein d’un nouveau parti, le Rassemblement républicain pour la démocratie au Rwanda (RDR), auquel adhérent également de nombreux hauts responsables de l’armée génocidaire défaite ou des milices Interahamwé, lourdement impliquées dans le bain de sang. Cette ambiguïté initiale va marquer tout son parcours politique.

Des liens étroits



Que ce soit en tant que présidente du RDR à partir de 2005 puis du parti qu’elle va fonder par la suite, les Forces démocratiques unifiées, FDU-Inkingi, l’opposante entretiendra des liens étroits avec les mouvements qui rassemblent les anciens responsables du génocide. En 2009, son nom apparaît dans un rapport du groupe d’experts de l’ONU qui enquête sur l’insécurité à l’est de la république démocratique du Congo (RDC), le pays voisin du Rwanda. Les experts y dénoncent les exactions des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), dernier avatar des mouvements rassemblant les héritiers des forces génocidaires en exil en RDC. Et évoquent la présence de Victoire Ingabire à leurs côtés lors de réunion en vue d’un «dialogue interrwandais».

Un an plus tard, en 2010, Victoire Ingabire rentre au Rwanda avec l’intention de se présenter aux présidentielles prévues la même année. Elle se rend immédiatement au mémorial du génocide de Gisozi à Kigali. Sans nier le génocide contre les Tutsis, elle demande alors publiquement aussi «la reconnaissance des Hutus qui furent victimes de crimes contre l’humanité». Une façon «d’évoquer à mots couverts le thème du double génocide qui voudrait que pour faire bonne mesure dans l’horreur, les Tutsis aient eux aussi commis un génocide à l’encontre des Hutus», dénonceront dans le Monde le rabbin David Meyer et Eugène Mutabazi, président d’une association de rescapés rwandais.

Plusieurs perquisitions



Rentré en même temps qu’elle, le vice-président de son parti sera le premier à être arrêté. Joseph Ntawangundi est rattrapé par son passé : accusé d’avoir participé au génocide, dans une école vétérinaire dont il était le directeur, il avait déjà été condamné par contumace en 2007. Rejugé en mars 2010, il finira par reconnaître les faits. Un mois plus tard, c’est au tour de Victoire Ingabire d’être incarcérée. Remise en liberté conditionnelle puis à nouveau arrêtée en octobre, elle va d’abord faire appel à un avocat américain, Peter Erlinder, accusé par la justice rwandaise d’avoir nié le génocide des Tutsis. Deux semaines après son arrivée au Rwanda, il sera expulsé.

Le procès démarre en septembre 2011. Les charges vont vite s’alourdir. Car au nom de l’entraide judiciaire, la police néerlandaise effectue plusieurs perquisitions dans son domicile à Zevenhuizen près de La Haye aux Pays-Bas. Les policiers vont alors découvrir, entre autres, des bordereaux de transfert d’argent à plusieurs hauts responsables des FDLR et le compte rendu d’un meeting à Bruxelles détaillant un accord avec ces derniers pour créer une nouvelle organisation militaire afin de renverser le gouvernement du Rwanda. Le 30 octobre 2012, Victoire Ingabire est condamnée à huit ans de prison, peine alourdie à quinze ans en décembre 2013 après que son avocat a fait appel.

Absence d’alternance



Libérée suite à une grâce présidentielle en 2018, Victoire Ingabire n’a pas pour autant abandonné le combat politique. En novembre, dans un zoom qui a filtré sur les réseaux sociaux, Victoire Ingabire avait confessé son «admiration» pour les wazalendo, ces civils armés par le gouvernement congolais qui expriment régulièrement leur haine du Rwanda accusé de soutenir le mouvement rebelle M23. Elle dénonce aussi régulièrement le régime de Paul Kagame, homme fort du pays depuis 1994 et président depuis 2000, qui se représente une nouvelle fois aux présidentielles. Seuls deux candidats se sont pour l’instant déclarés à l’élection du 15 juillet, Paul Kagame et Frank Habineza, chef du Parti vert démocratique qui avait obtenu 0,45 % des voix lors du dernier scrutin de 2017.

Le Rwanda est souvent critiqué pour l’absence d’alternance au sommet du pouvoir. Elu président par le Parlement en avril 2000, Paul Kagame, crédité du spectaculaire développement du pays, a obtenu plus de 90% des voix aux présidentielles qui se sont tenues depuis au suffrage universel à chaque élection, en 2003, 2010 et 2017. En vertu d’amendements constitutionnels passés en 2015, le dirigeant de 66 ans peut potentiellement rester au pouvoir jusqu’en 2034.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024