Fiche du document numéro 33340

Num
33340
Date
Jeudi 16 mars 1995
Amj
Auteur
Taille
31309
Titre
Les milices hutus à la reconquête du pouvoir
Sous titre
Un reportage, diffusé par la BBC, prouve l'existence de camps d'entraînement de miliciens hutus au Zaïre, et la collusion entre extrémistes hutus du Rwanda et du Burundi qui cherchent à reprendre le pouvoir aux Tutsis.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La tête sertie de feuillages, grenade à la ceinture, ils chuchotent plus qu'ils ne parlent. Les uns brandissent leur Kalachnikov comme un étendard, les autres font tournoyer leur machette, en retrait, deux hommes, tapis dans un bosquet, guettent armés d'arcs et de flèches. Ils viennent de maîtriser «l'ennemi». Les vainqueurs dépouillent rapidement leurs deux victimes et disparaissent aussitôt dans la nuit. Simulacre d'attaque pour simulacre d'armée. Le reportage, dont sont extraites ces images, diffusé hier soir par la BBC et réalisé au début du mois par la journaliste canadienne Elizabeth Jones, apporte pour la première fois la preuve de l'existence de camps d'entraînement de miliciens hutus en territoire zaïrois et la collusion entre extrémistes hutus du Burundi et les Interahamwe, leurs homologues du Rwanda, engagés dans la même obsession de reconquête du pouvoir sur la minorité tutsi.

Si cette scène peut sembler ridicule tant ces miliciens en guenilles semblent maladroits, elle rappelle avec effroi les massacres auxquels certains d'entre eux admettent avoir participé au printemps dernier au Rwanda et qui se sont soldés par le génocide de centaines de milliers de Tutsis. Tournées près du camp de Kamanyola, où se trouvent 27.000 réfugiés hutus rwandais et burundais, à un jet de pierre des frontières du Rwanda et du Burundi, ces images sont d'un embarras considérable pour le Haut commissariat aux réfugiés. Le responsable du HCR pour la région d'Uvira, où est situé ce camp, avait récemment éludé la question sur la présence de miliciens hutus à Kamanyola. Confrontée à la preuve, alors qu'elle n'avait jusqu'ici, disait-elle, qu'entendu des rumeurs, l'agence de l'Onu qui assure l'assistance aux 800.000 Rwandais et Burundais regroupés dans l'est du Zaïre, continue de vouloir, déclarait hier un porte-parole à Genève, «assurer son mandat» et «poursuivre son aide aux populations dans le besoin».

En novembre, Médecins sans frontières avait retiré ses équipes de la région, arguant de la terreur exercée par les miliciens et de leur volonté affichée de se servir des camps comme base arrière à leurs opérations militaires en territoire rwandais. Le général Bizimungu, chef d'état-major des anciennes Forces armées rwandaises (FAR), rencontré en novembre à Goma dans son exil zaïrois, avait formellement démenti tout entraînement de réfugiés hutus, qu'ils soient militaires ou miliciens, et affirmé qu'aucune arme n'avait résisté au filtre mis en place par les autorités zaïroises lors de leur exode du Rwanda en juillet.

Pour réaliser son reportage, Elizabeth Jones a gagné au bout de six mois la confiance des miliciens hutus et de leurs leaders. Et notamment de Hassan Ngeze, l'ancien rédacteur en chef du journal extrémiste Kangura qui continue à être diffusé dans les camps de réfugiés. Cet ancien cordonnier rwandais, quasiment analphabète, qui figure aujourd'hui sur la liste des personnes les plus recherchées par le Tribunal international pé nal sur le Rwanda, mis en place par les Nations unies, circule librement au Zaïre et se rend fréquemment au Kenya où les anciens dignitaires hutus du régime ont trouvé refuge. Considéré comme un des planificateurs du génocide et un dirigeant des milices Interahamwe, il entretient des relations étroites avec les extrémistes hutus burundais du Front pour la défense de la démocratie (FDD), comme en témoigne le second volet du reportage.

Assis autour d'une table dans un hôtel de Bukavu, Hassan Ngeze disserte en compagnie de Christian Sendegeya, ancien vice-président de l'Assemblée nationale burundaise et bras droit de Léonard Nyangoma, l'ancien ministre burundais de l'Intérieur, fondateur du FDD, leader des extrémistes hutus du Burundi, accusé de lancer ses commandos en territoire burundais à partir du Zaïre qui s'est récemment engagé à l'expulser. «La collusion entre les deux groupes repose avant tout sur le fait qu'ils s'abreuvent de la même idéologie ethniste», explique Jean-Bosco Daradangwe, porte-parole de l'armée burundaise à majorité tutsie. «Cette complicité était avérée dès octobre 1993, se souvient l'officier, lorsque nous avons découvert que l'équivalent de trois bataillons de miliciens hutus du Burundi suivaient, aux côtés des Interahamwe, un entraînement militaire dispensé par les FAR.»

Cette complicité, alors occasionnelle entre les deux groupes, recouvre aujourd'hui tous les domaines. Nombreuses sont les attaques en territoire burundais où l'on retrouve pêle-mêle miliciens burundais, Interahamwe rwandais et ex-soldats des FAR. «Toutes les conditions d'un nouveau génocide sont aujourd'hui réunies au Burundi», déclarait la semaine dernière un communiqué de la Fédération internationale des droits de l'homme (FIDH). Ces «commandos» hutus mixtes, qui surgissent du Zaïre et de Tanzanie en territoire burundais, défendent en fait un objectif commun. Pour les Burundais, rendre le nord du pays totalement incontrôlable afin de déstabiliser durablement le gouvernement en place à Bujumbura, jugé trop laxiste vis-à-vis de la minorité tutsie, et permettre ainsi à leurs «frères» du Rwanda de lancer leurs opérations de reconquête du pouvoir en territoire rwandais.

Cette stratégie est aujourd'hui prise au sérieux tant à New-York, où le Conseil de sécurité vient de proposer un accroissement de la présence de l'ONU dans la région en condamnant «les activités de ceux qui, au Burundi ou à l'étranger, cherchent à annuler les accords sur le partage du pouvoir», qu'au Rwanda, où pour la première fois, un commando en armes d'ex-soldats gouvernementaux et de miliciens hutus a été interpellé en plein cœur de la capitale Kigali. Hier, les représentations diplomatiques française, italienne et belge à Bujumbura annonçaient la mise en place commune d'un plan d'évacuation de leurs ressortissants du Burundi, «en cas d'urgence».

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024