Fiche du document numéro 33301

Num
33301
Date
Mercredi 13 décembre 2023
Amj
Taille
273363
Titre
Transcription partielle [non officielle] de l'audition d'Hubert Védrine par la Commission des affaires étrangères et la Commission de la défense nationale et des forces armées
Nom cité
Mot-clé
Fonds d'archives
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Hubert Védrine : « On n’a pas à rougir de ce qu’on a fait »

Transcription partielle de l’audition d’Hubert Védrine, le 13 décembre 2023, par la Commission des affaires étrangères et la Commission de la défense nationale et des forces armées sur « la politique africaine de la France : bilan et perspectives »

Lien :
https://www.youtube.com/watch?app=desktop&v=HpgkBSZyml8&embeds_referring_euri=https%3A%2F%2Fwww.google.com%2F&source_ve_path=Mjg2NjY&feature=emb_logo

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DE GAUCHE A DROITE : THOMAS GASSILLOUD, HUBERT VEDRINE ET JEAN-LOUIS BOURLANGES

NB. – Les principaux bégaiements ont été supprimés.

Sur la Françafrique

[08’ 33’’]

Hubert Védrine : Eh bien, d’abord je remercie les…, les présidents…, les deux présidents de m’avoir invité à venir devant vous. Ça m’est arrivé déjà plusieurs fois depuis que je ne suis plus ministre, il y a très longtemps. C’est toujours une…, un contact très…, très intéressant, très précieux, stimulant. C’est un peu une pression parce que je n’ai pas les…, les… J’ai une réflexion on va dire historique, dans la durée, mais je n’ai pas forcément des tas d’éléments absolument à jour. Mais enfin je suis content d’être là. J’aurais été très content de le faire avec Dominique de Villepin. [S’adressant à Jean-Louis Bourlanges] Je suis d’ailleurs venu à votre invitation avec Alain Juppé, je crois ?

Jean-Louis Bourlanges : Oui, oui. C’est [inaudible].

Hubert Védrine : Enfin, bon, c’était une plaisanterie. Je suis d’accord avec une partie de ce que dit Dominique de Villepin [sourire] qui s’explique parce qu’il dit lui-même souvent qu’il est un homme du Sud. Un homme du Sud né au Maroc, élevé au Venezuela, en poste très tôt en Inde. Et…, et donc il a une sensibilité – ¬qui n’efface pas les autres, la mienne, la vôtre – mais il a des…, des tas d’antennes, hein, dans ce qu’on appelle « le Sud global ». Qui n’est d’ailleurs pas global, qui est hétéroclite, enfin, qui a beaucoup de…, qui pèse dans le débat, y compris l’affaire de l’avenir de l’Afrique puisque toutes les puissances au monde n’ont pas une politique africaine mais une politique en Afrique. Pas dans toute l’Afrique, il n’y a quasiment personne qui a une politique dans toute l’Afrique. Il y a plus de 50 pays. Bon. Alors, je pense qu’il faut distinguer pour réfléchir sur tout ça l’Histoire, que je ne vais pas développer parce qu’on n’est pas devant une académie historique [sourire]. Il arrive à des assemblées de voter des lois mémorielles. A mon avis c’est une sottise, enfin, bon. C’est un…, un mélange des genres en tout cas. Mais en tout cas il y a l’Histoire et mon avis, en résumé, c’est que plus personne en France et en Europe ne connaît l’Histoire longue de l’Afrique. Il n’y a presque plus aucun spécialiste de ce qu’était l’Afrique avant les colonisations. La colonisation est très peu connue puisqu’elle n’est abordée que sous l’angle moral. C’est…, c’est mal, donc. Donc tout est mal. Donc il n’y a pas d’analyse et…, et…, alors qu’elles sont très différentes. Ce n’est pas les mêmes selon les pays : il y en a qui ont été atroces et sanglantes, d’autres qui se sont passées facilement. Bon, etc. Et donc on les…, on ne les connaît pas, on mélange tout. Les décolonisations sont peu connues, en fait, maintenant. La première époque des décolonisations sont mal connues. L’époque dans [laquelle] Houphouët-Boigny invente la Françafrique. Ce n’est pas la France qui a inventé la Françafrique. C’est la demande de Senghor, d’Houphouët, etc. Ceux qui avaient demandé au général de Gaulle de maintenir des bases en disant : « Si l’armée française ne reste pas on va être obligé de faire des armées, nous. Et ils vont faire des putschs [sourire]. Et ça va coûter cher », etc. Bon. Donc il y a toute une période des décolonisations réussies ! Réussies si vous vous reportez à la…, disons la…, la…, aux écrits, même aux médias de l’époque, notamment en Afrique. Il y a une période qui est très optimiste. On disait : « C’est formidable ». On ne s’en est pas bien sorti partout. Je ne parle pas de l’Algérie, hein. Là je parle de l’Afrique, bon. Donc il y a des périodes très mal connues et la politique française en Afrique, qu’il faudrait analyser en différenciant quand même ce qu’il s’est passé sous les différents Présidents, avec des évolutions permanentes. Notamment la césure du discours de La Baule de François Mitterrand qui, à un moment donné, constate que l’URSS est sur sa fin et que donc les régimes africains à qui on disait : « Faudrait quand même réprimer un peu moins, sortir des gars de prison », etc., disaient : « Vous m’emmerdez trop. On va faire un…, une alliance avec l’URSS ». Bon. A un moment donné, ils ne peuvent plus. Donc on se dit : « C’est le moment d’avancer ». D’où l’arbitrage du discours de La Baule, avec une phrase-clé – dans un discours par ailleurs interminable [sourire] – qui était de dire : « On ne va laisser tomber personne mais on va aider plus favorablement les pays qui vont avancer vers la démocratie ». Avec un débat, encore maintenant, sur quels ont été les effets. Il y a des…, il y a des pays d’Afrique dans [lesquels] les minoritaires se sont dit : « Si on ne prend pas le pouvoir tout de suite, on est fichu ». Donc il y a des effets complètement paradoxaux qui sont tout à fait oubliés mais, en moyenne, il y a eu des élections, des constitutions, des ceci, des cela. Donc il y a une césure. Je ne dis pas ça parce que je travaillais avec Mitterrand. Il y a vraiment une césure historique par rapport à ça. Il faudrait reconstituer toutes les évolutions en rappelant que la fameuse Françafrique – c’est dans le dictionnaire de Flaubert, ça – est annoncée…, on met fin à la Françafrique régulièrement, tous les ans depuis 30 ans, bon. C’est complètement idiot parce qu’il n’y a plus personne en France qui connaisse bien l’Afrique. [S’adressant aux membres des commissions] Peut-être vous : il y a peut-être ici 10 des seuls spécialistes de l’Afrique. Les journalistes ne connaissent pas. Les…, il y a…, les anthropologues, il n’y en a plus. Donc la connaissance des Afriques – moi je mets un « s » tout le temps – en France s’est effondrée. Les Africains, les dirigeants africains, pour qui c’est quand même très, très important de savoir ce qui se décide à Paris, ou à Bruxelles ou ailleurs, sont plus aguerris en réalité. Mais dans l’autre sens, non. Donc il n’y a plus de Françafrique au sens sociologie d’avant. Les relations, les liens, la connaissance, le terrain. Quelques hommes d’affaires, mais quelques grands chefs d’entreprise où ils ont une connaissance très utilitaire, très spécialisée. Donc il y a un effondrement de la Françafrique. Pas sous le…, au sens qu’on donne d’habitude à cette formule, qui donc n’existe plus depuis longtemps, mais sous la forme…, un effondrement sociologique. Bon. Mais on n’est pas dans une académie historique, dommage. Et tout ça n’a pas d’intérêt pour vous maintenant. Mais mon résumé à moi c’est que ce qu’on dit sur l’Afrique aujourd’hui est uniquement corrélé à un état particulier de l’opinion française, qui est convulsée là-dessus comme sur plein de sujets, et des opinions de quelques pays peu nombreux en Afrique. Peu nombreux. Il y a plus de 50 pays en Afrique.

[13’ 49’’]

Sur le Rwanda

[20’ 30’’]

Hubert Védrine : On est intervenu qu’à leur demande [celle des pays africains]. On n’a à rougir de rien, rien ! Vous connaissez mon insistance sur le Rwanda. On en est maintenant à 40 livres dans le monde entier ! Notamment en Afrique, en Angleterre, au Canada, aux Etats-Unis qui montrent qu’il n’y a rien à reprocher à la France ! Et il y a en plus plusieurs procès en diffamation qui ont été gagnés maintenant. Donc on peut discuter – mais on ne l’a jamais fait jusqu’à maintenant – sur est-ce que Mitterrand a eu raison au début, en 90 – quand Kagame a déclenché la guerre civile pour reprendre le pouvoir en tant que minorité parce que sinon, après, il n’aurait pas pu – , de bloquer en disant : « Ça va être atroce, il y a déjà eu les massacres de 62. On va s’interposer ce qui permettra un compromis ». Qui a été atteint à l’été… 93 à Arusha. Ce que les gens ont oublié parce qu’on a fait une erreur monstrueuse à l’époque : on n’a jamais communiqué sur la politique menée. Ça n’intéressait personne, personne ne le demandait. On aurait dû faire un…, [une] gigantesque opération sur les accords d’Arusha. Bref. On est dans une situation…, il faut oublier cet aspect-là. Enfin je plaide pour ça mais je crois qu’il y a plein d’éléments objectifs. Il n’empêche que l’on peut se poser des questions sur la décision d’origine en 90 : est-ce que Mitterrand a eu raison à l’époque de croire qu’on avait une responsabilité et que, comme au Koweït, comme au…, comme au Tchad, comme aux Malouines, il fallait empêcher des modifications de…, de pouvoir et de frontière par la force ? Moi je pense qu’on peut en discuter. Je pense qu’il ne fallait pas y aller en fait. J’ai toujours dit que les attaques sur ce qui a été fait après étaient fausses. Mais je pense que c’était une erreur – avec le recul en tout cas – la décision initiale. Vous voyez, je distingue les deux. Mais dans le cas de Hollande [Hubert Védrine fait ici référence aux opérations extérieures engagées en Afrique sous le mandat du Président Hollande], je trouve qu’il a eu raison de dire : « On y va ». La question étant sur est-ce qu’on a eu raison de rester ? Est-ce qu’il n’y avait pas…, voilà. Donc je reviens…, donc, à mes conclusions : pas de…, on ne va pas bâtir la suite sur la…, à partir de la repentance, qui à mon avis est fausse historiquement. On n’a pas à rougir de ce qu’on a fait.

[22’ 30’’]

Sur l’opération Turquoise

[24’ 46’’]

Hubert Védrine : Donc, on n’a pas à rougir du passé. On ne peut pas rester s’ils ne nous demandent pas. Il n’y a pas de raisons pour que notre présence soit essentiellement militaire, hein. C’était à la demande des Africains, ça se termine. Si ça doit recommencer, je ne pense pas qu’il faille dire : « Plus jamais ». Parce que ça serait reconnaître qu’on a mal agi. On n’a pas mal agi en fait, parfois maladroitement mais pas mal. Il faudrait quand même être très clair en disant : « On ne peut revenir pour des opérations en Afrique que ponctuellement ». Ponctuellement, pour des durées précises et à condition qu’il y ait une demande expresse, au minimum des organisations africaines, dans l’idéal du Conseil de sécurité. Ce qui s’était passé pour Turquoise, dans l’affaire du Rwanda, qui est arrivée trop tard parce que les Américains ont bloqué pendant deux mois pour d’autres raisons. Donc il y avait un mandat limité dans le temps, limité dans l’espace. Une demande expresse, précise.

[25’ 38’’]

Sur le devoir de mémoire

[49’ 24’’]

Hubert Védrine : Quand j’ai dit « ne pas rougir du passé », ça ne veut pas dire refuser l’Histoire, hein. Je pense à ça. Alors il y a…, on a fait des erreurs géantes, assez souvent. Il peut même y avoir eu des choses vraiment condamnables, ponctuellement. Mais ne pas rougir globalement comme si historiquement c’était épouvantable, etc. C’est là-dessus que je porte la distinction. Mais autant, moi, je suis contre le devoir de mémoire, qui est une fabrication en réalité qui dépend de l’état d’esprit du rapport de force dans le pays qui fabrique le devoir de mémoire, autant je suis à fond pour l’Histoire. Totalement librement, sur tous ces sujets, y compris ceux-là.

[49’ 58’’]

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