Fiche du document numéro 32923

Num
32923
Date
Dimanche Novembre 2020
Amj
Taille
448372
Titre
Rwanda : « Le triomphe de l’idée ». Constructions identitaires et génocide
Page
163-176
Nom cité
Mot-clé
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Cote
Le Seuil - « Communications » 2020/2 n° 107
Résumé
By briefly tracing the history of the racialization of the Rwandan identity categories of Hutu and Tutsi whose political manipulations marked Rwanda throughout the 20th century, this article shows the impact of racial ideology on the personal representations of Rwandans. This is what José Kagabo called "the triumph of the idea": a latent imagination integrating biological data into a base of sometimes mutually negative representations between communities and on which the 1994 genocide of the Tutsi is partly inscribed. identity relationship through which the implacable dividing line between executioners and victims would be drawn.
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
Rwanda, avril-juillet 1994 : Claudine, tutsi, est cachée par le chef d’une
famille hutu voisine. L’homme qui la dissimule tue dehors. Tous les soirs, il
lui fait lécher sa machette encore rouge. Tandis que la langue de sa captive se
pose tremblante sur le métal qui suinte, chaque fois l’homme lui décrit : « J’ai
tué tes vaches, j’ai tué tel – ton frère, ton neveu, etc. – tu es en train de boire
le sang des tiens. » C’était un grand ami de son mari1.
Du million de morts que produisit la campagne moderne d’extermination de
toute la population tutsi du Rwanda et des Hutu opposés à cette politique par
les centaines de milliers de participants appelés au crime et qui y répondirent2,
il n’y eut pas de mode d’emploi3 : il fallait tuer du plus petit être retenu encore
sous le nombril à ceux qui affichaient les rides les plus profondes. C’était la
seule injonction4. À chaque coin du pays pourtant se retrouvent une découpe
des corps aux mêmes lieux de peau et de muscles (nez et mâchoires, doigts,
chevilles, membres inférieurs), la pratique d’exsanguination, l’obligation de
lécher ou de boire le sang d’un proche, le cannibalisme forcé des cervelles
d’un frère ou d’un père et les castrations ou viols systématiques5. Ce sont tous
les fluides conducteurs de la vie et constitutifs symboliquement de la « race »
– sang et sperme – qui inondent les pratiques : le sang « impur » extrait des
corps tutsi irrigue peut-être là une terre dont ils auraient injustement tiré profit.
Celui « donné » à boire tient lui peut-être de l’âcreté de son goût sur la langue,
de cette amertume ferreuse des veines comme de la lame qui les tranche et
rappelle aux agonisants le relent infect de leur groupe dit « ethnique ». Quand
enfin le sang honni n’arrose pas la terre ou les gorges, le sperme à l’écoulement
rompu par la castration ou fécondant sans limite par le viol sert de courroie à
la réaffirmation du groupe qui sectionne ou pénètre. La puissance symbolique

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En mémoire de José Kagabo, mon éclaireur, Yari
urumuri kuri njye.

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accordée là à ce petit bout de chair rétractile, étrange roi phallus porté ici
aux nues comme un lingam, tient lieu d’arme comme les lances. Après avoir
léché la machette de ses lèvres et incorporé en elle le sang de « son » peuple,
Claudine est systématiquement violée6.
Il y eut là une haine – la volonté de faire du mal et de se réjouir de ce
mal – dont on ne peut saisir l’ampleur si l’on ne s’est pas assis une fois à côté
d’un rescapé pour qu’il en fasse le récit. Une haine inextinguible qui réussit à
corrompre les pensées jusqu’à en faire vomir un jour les corps et dont presque
tous les actes sont l’expression d’un génocide qui fut une fabrique de purification
et de déshonneur ancrée dans une idéologie viscéralement misogyne et raciste.
Une haine pour laquelle, sans nier la culpabilité de ses auteurs directs, les
historiographes et les colons mais aussi les gouvernements rwandais ont une
responsabilité essentielle.

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Lorsqu’à la fin du xixe siècle, les premiers européens, allemands puis belges,
parviennent au Rwanda, ils sont confrontés à la somme contradictoire de leurs
préjugés. Dans cet ensemble dissymétrique de hautes terres enclavées sur les
pourtours ouest de la vallée du grand rift, ils découvrent, au mépris de ce
qu’ils pensent être l’« anhistorisme congénital » des « nègres », une administration territoriale particulièrement subtile dont ils ne peuvent concevoir toute
la complexité. Au miracle pour eux d’un tel ordonnancement (en Afrique ?),
s’ajoute une multitude de chefferies qui rend la prise du territoire difficile.
Mais à l’époque où la physiognomonie et le darwinisme social règnent sur le
monde savant en Europe, toute manifestation humaine un tant soit peu raffinée
est le fruit de quelques anciennes lignées pâles : le mystère ne demeure pas
inexpliqué longtemps.
Et de fait : des nez et doigts fins jusqu’au front dit « haut » de certains appelés « Tutsi », tout semble venu d’ailleurs. Leur taille même, décrite comme plus
étirée, peut-être pour s’approcher des cieux, semble les distinguer de certains
autres appelés « Hutu » et perçus comme petits, crasseux et sombres, stagnant,
terrestres, dans un âge enfant, intermédiaire entre le singe et l’homme. Voilà
révélé le secret du raffinement rwandais : les Tutsi sont des pêcheurs blancs en
exil, arrivés sur le tard et noircis pour leurs fautes. Dans l’imagerie coloniale,
ils deviennent les hamites, fils de Cham (Ham en hébreu) lui-même fils de
Noé, maudit parmi les hommes pour avoir moqué la nudité de son père enivré
des fruits de son premier pied de vigne7. C’est ce que des Européens avaient
déjà supposé des Égyptiens pour comprendre les civilisations du Nil inférieur.
Comme toute l’Afrique centrale, l’histoire du Rwanda se heurte au manque de
sources écrites antérieures au xixe siècle8. Ce silence d’encre permet l’élaboration
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Un silence d’encre, des mythes utiles.

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d’un récit national historiquement faux mais qui alimente tous les discours politiques jusqu’en 1994 : celui d’un pays peuplé par trois mouvements migratoires
successifs, twa, hutu puis tutsi, chaque mouvement étant respectivement marqué
par trois types d’hommes biologiquement distincts et aux activités différenciées
dès avant leur rencontre, comme si aucun arrangement social ou politique n’avait
préexisté à leur statut. Chacun y est comme tombé du ciel avec ses outils ou
son bétail, se surajoutant au territoire et soumettant ensuite les précédents
occupants. Chaque venue ultérieure est supérieure à l­’ancienne. C’est sans
parler bien sûr des messies coloniaux et de leurs dieux fusils.
Les Rwandais ne forment pourtant alors qu’une seule ethnie. Ils ont le territoire, la langue, les rites, la cosmogonie et la foi en partage, et si la société
est divisée en trois catégories sociales héréditaires par voies patrilinéaires,
hutu (majoritairement agriculteurs), tutsi (majoritairement éleveurs), twa (majoritairement potiers), l’élaboration ancienne de ces catégories ne résulte pas
d’immigrations successives mais de la division du travail agropastoral. Malgré
des statuts inégalitaires parfois déjà un peu incarnés par les hommes9, ces rôles
maintiennent une grande flexibilité. Des Hutu peuvent détenir un cheptel et
des Tutsi n’avoir rien qu’un lopin de terre. Un Hutu peut devenir tutsi, un Tutsi
devenir hutu10. Un dicton partagé par tous dit d’ailleurs : « Turi bene mugabo
umwe » (« Nous sommes tous fils et filles du même père »)11.
Mais à récit mensonger l’avantagé veut croire. Et quand, au début du
e
xx siècle, forces et pouvoirs sont promis par les colons à quelques chefs tutsi
contre la centralisation du royaume, aucun ne refuse l’offre juteuse qui lui est
faite. Les accords conclus, la métropole intronise. Elle destitue surtout. Une
genèse inédite du peuple rwandais se propage : il résulte désormais d’une
immigration en millefeuille. Les quelques Tutsi élus, premiers rassembleurs de
terre de la région, sont dits « gracieux », « distingués », de peu de muscles pour
les labours mais avec la « subtilité » et la « verve » des grands gouvernants12.
Les autres, l’immense majorité des paysans tutsi et l’ensemble des Hutu comme
des Twa, chefs et élites instruites compris, deviennent seulement des serfs, un
peu « laids », un peu « bêtes », corvéables : pour les colons donc, vraiment
« nègres » après tout.
L’institutionnalisation des inégalités.
Dans les années 1920, le tutorat belge met en place des mesures qui
consacrent ces inégalités. La plus importante est l’introduction d’un livret
d’identité à mention ethnique pour des levées d’impôts. Alors que la majorité des Rwandais sont désormais agriculteurs-éleveurs, ils se voient attribuer
une identité selon des critères arbitraires, peut-être en fonction du nombre de
vaches. Selon certaines hypothèses, mais non vérifiées, un homme qui détenait

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Rwanda : « le triomphe de l’idée »

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un cheptel de plus de dix têtes devenait tutsi, les autres restaient ou devenaient
hutu13. Une fois le livret établi, il n’y a plus de changement possible. Toute
personne née d’un père hutu est hutu, toute personne née d’un père tutsi est
tutsi. L’exclusion systématique d’une grande partie des « petits » Tutsi14 – les
Tutsi pauvres – et de tous les Hutu comme des Twa suit implacablement. Cette
exclusion est associée à un système répressif brutal qui terrorise ceux qui ne
respectent pas les règles15. À ces mesures, des chefs tutsi supervisent. Le seul
horizon possible des Hutu est souvent l’intégration d’un séminaire pour devenir
enseignant ou occuper un petit poste d’employé tout en bas d’un bureau local,
sans prestige et sans salaire équitable. La situation dure trente ans.
À l’indépendance, une contre-élite hutu formée dans les petits séminaires
renverse les élites tutsi. L’ancienne métropole la soutient. Le Congo, réservoir
minier de la Belgique, vient d’être perdu et les vestes se retournent sans rougir :
il faut garder une place dans la région. Mais le changement ne défait pas les
hommes du manteau d’idées raciales qui les couvrait depuis cinquante ans : il
les emmène plus loin. Le nouveau gouvernement inverse le système de discriminations, crée des quotas et généralise le livret d’identité à mention ethnique16.
Plus important encore : il innove par le sang. Entièrement hutu, il purge tous
les milieux sociaux des intellectuels tutsi, fomente des pogroms et spolie les
terres. Dès 1959, l’intelligentsia tutsi en débâcle fuit le pays. Elle est suivie
de centaines de milliers de « petits » paysans tutsi dont les responsabilités
ne sont pas distinguées de celles de l’élite. Ces hommes constituent bientôt
une des plus grandes diasporas d’exilés au monde17. Pour ceux qui restent, le
gouvernement écrase toute possibilité d’évolution sociale et diffuse l’idéologie
hamitique. En classe, chaque enfant apprend l’illégitimité des Tutsi face aux
vrais nationaux, leur « beauté » (sournoise), leur « intelligence » (perverse).
Quand, en 1973, un général hutu du nord du pays, Juvénal Habyarimana,
prend le pouvoir, les violences s’apaisent. Mais l’accalmie ne bouleverse pas
les habitudes paranoïaques de l’ancien régime. Les recensements et quotas
ethniques s’accroissent, l’enseignement des distinctions se poursuit18.
Le triomphe de l’idée.
Mais pourquoi maintenir les mentions ethniques alors qu’en 1980 il n’y a
plus aucune raison pragmatique à ces mesures ? Car ce qui put être vrai au
regard du décalage entre les niveaux d’instruction des Tutsi et des Hutu avant
1960, expliquant plus que justifiant leurs mises en retrait du système scolaire
dès l’instauration de la première république, qu’en est-il vingt ans plus tard ? Si
dans les temps coloniaux les Tutsi avaient en plus grand nombre bénéficié des
séminaires, ils étaient donc nécessairement plus instruits. Mais comment, une
génération après, penser encore les enfants hutu moins capables que les enfants
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tutsi de leur âge ? Car que veut dire cette obsession, ces calculs qui veillent
à ce qu’aucun Tutsi, ou presque, ne soit représenté dans les classes intellectuelles ? Et pourquoi poursuivre inlassablement l’instruction de la jeunesse sur
l’histoire dite « féodale » des Tutsi seigneurs oisifs, arrogants et brutaux, et des
Hutu serfs, purs et honnêtes ?
Après 1973, le nouveau gouvernement peut se passer d’un tel investissement idéologique. C’est ce que suggèrent ses appuis internationaux et son
omnipotence nationale. Habyarimana avait longtemps fait l’objet d’un culte pour
tout son peuple. Tous l’appelaient umubyeyi (le « père »), et jusqu’à ce que la
problématique des 600 000 réfugiés refasse surface à la fin des années 198019,
surtout, il n’avait rien à craindre des Tutsi. L’État en aurait même eu moins de
craintes s’il les avait intégrés. Pour l’historien José Kagabo, c’est la manifestation
de l’imprégnation de la construction identitaire sur les esprits. Une logique qui
avait fait en sorte que même lorsque les distinctions les plus notables de la
colonisation avaient absolument disparu (le monopole et la brutalité de chefs
et sous-chefs tutsi seulement sélectionnés parmi deux clans) et alors qu’aucune
contre-élite tutsi ne pouvait menacer le gouvernement puisqu’elles n’existaient
plus, les catégories identitaires rwandaises étaient devenues un critère de représentation fondamental, même sans avantage pratique : le triomphe de l’idée20.
Le triomphe d’une idée, aujourd’hui encore vive21, et qui guida les décisions
politiques jusqu’au génocide. Car « voilà ce qui se disait sous le manteau, dans
les hautes sphères » explique Isaac N., ancien homme d’affaires et proche
du cercle présidentiel de 1990 : « si les Tutsi continuent à être éduqués, ils
auront les moyens de reprendre les rênes ». Dans l’entourage de Habyarimana,
poursuivait-il, on pensait les Tutsi redoutablement intelligents, si bien que dans
un système juste, la concurrence leur serait automatiquement favorable. « C’est
parce qu’il y avait le sentiment d’infériorité qu’il y a eu la discrimination. Il
fallait se préserver de la supériorité de l’autre22. » Le mythe avait d’ailleurs
fonctionné des deux côtés :
Il se trouve, nous racontait José Kagabo lors d’un entretien, que j’en ai connu
quelques-uns parmi ces membres des élites tutsi… De ceux qui me faisaient
assez confiance pour me parler en intime. Et un jour, l’un, alors qu’il jure ses
grands dieux son rejet de la colonisation, sans que je ne discute de sa vision
du récit national, me raconte incidemment sa première expérience sexuelle
avec une Hutu. Après avoir fait l’amour, il se rappelle qu’elle n’est pas de son
ethnie. Il en a dégueulé. Tu vois où vont se loger les préjugés ? Une fois le
mensonge répété sous des allures de sciences, il s’enlise jusqu’à l’estomac23.

Mais qu’une certaine idée d’un soi hutu ou tutsi ait triomphé chez des élites
lettrées et « européanisées » impliquait-il une prise de conscience similaire
chez tous les Rwandais ?

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Rwanda : « le triomphe de l’idée »

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On sait l’importance des leaders politiques et des institutions quant à
l­’établissement des normes. C’est à partir des années 1970, lorsque ­l’American
Psychological Association retira l’homosexualité de la catégorie « maladie
­mentale », que l’opinion publique américaine évolua sur le sujet. C’est après le
second conflit mondial également, quand l’armée américaine entama la déségrégation de ses contingents, que l’idée d’égalité raciale chemina progressivement
dans les têtes24. De fait, si l’écrasante majorité de la population rwandaise, à 95 %
paysanne et peu scolarisée, continua tardivement à se penser en termes d’identité
lignagère25, l’officialisation des catégories ethniques avait eu des effets sur elle.
Premièrement, le sentiment d’appartenance à un groupe ne se restreint pas
à des intérêts ou des traits culturels communs : une distinction physique peut
suffire à un sentiment d’affiliation. La question de l’appartenance, toujours
contextuelle, est plus fondamentalement celle-ci : « Qui est membre et qui
ne l’est pas26 ? » Les critères choisis importent peu. Dans la mesure où l’État
rwandais associait aux statuts ethniques des traitements qui impliquaient une
distinction dans les sphères de possibilités des individus (ce qu’il leur était
ou non permis de faire dans le domaine des études ou du travail, etc.), la
situation induisait inclusion et exclusion. Pour les paysans, secteur pour lequel
les possibilités d’avenir se limitaient généralement à la culture d’un champ,
les distinctions étaient infimes. Toutefois elles existaient (se lever en classe à
l’appel de son groupe ethnique par exemple), ce qui nourrissait les sentiments
d’appartenance.
À cela venaient s’ajouter des distinctions culturelles infimes. Elles se
retrouvaient dans différents domaines dont celui des codes vestimentaires ou
des rites et interdits commensaux (longueur plus importante des jupes, usages
des ­produits de la vache chez les Tutsi, viandes de mouton réservées aux
Twa, etc.). Si la base de différenciation paraît primaire, dans un contexte de
proximité et de similarité sociales, elle est anthropologiquement aussi structurante que des différences a priori plus grandes27.
Les mémoires, rendues concomitamment douloureuses par le mépris des
colons et la cruauté des chefs tutsi pour les Hutu, par les discriminations,
les pogroms et la dispersion des familles en exil pour les Tutsi, accentuèrent
ces sentiments. Un grand nombre d’humiliations vécues par les deux groupes
concernaient ensuite des figures masculines et paternelles. Ce sont surtout les
hommes adultes valides, particulièrement les Hutu, qui furent soumis à une
discrimination systémique dans le cadre du travail salarié et des études avant
les années soixante28. Ce sont surtout les hommes tutsi qui furent les cibles
prioritaires des pogroms et qui furent évincés de la vie politique après l’indépendance. Dans un pays fondamentalement patriarcal, où l’offense d’un père
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Hutu/Tutsi : une distinction moins forte chez les paysans
mais défendue par tous.

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Rwanda : « le triomphe de l’idée »
est un affront au-dessus de tous les autres, cette mémoire ne pouvait qu’avoir
une connotation affective forte et marquer les identités.
Enfin, dans une culture essentiellement orale, la très faible espérance de
vie avait eu raison des mémoires vives : en 1990, peu d’hommes savaient
encore ce que signifiaient originellement les appellations de tutsi, hutu et twa.
À la méconnaissance de l’histoire se rajoutaient l’éloignement et la difficile
accessibilité des campagnes. L’expérience de la diversité était inexistante et
les sentiments d’appartenance en étaient accrus.
Mais les effets de ce formatage identitaire furent plus pervers encore : générant de nouvelles perceptions, il créait aussi de nouvelles manières d’être.

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Le simple fait d’être socialement catégorisé a des effets dont toute la psychologie sociale a rendu compte, la théorie de l’identité sociale de Henri Tajfel
en particulier29. Ces effets incluent presque systématiquement le favoritisme
pour son groupe d’appartenance (la circonscription de ce groupe dépendant du
contexte), la perception de la similarité des membres des groupes extérieurs à
celui-ci (sentiment d’interchangeabilité des individus) et la menace du stéréotype (activation d’une représentation mentale qui a pour risque d’activer des
comportements en cohérence avec cette représentation). Ces effets répondent à
deux raisons principales : la première est que les catégorisations sont des outils
cognitifs d’organisation du monde, elles permettent de penser et d’anticiper les
actions humaines en simplifiant les flux d’informations ; la seconde est liée
au besoin primaire d’estime de soi, la perception de l’estime personnelle d’un
individu se déclinant aussi par la valeur octroyée à ses groupes d’appartenance,
d’où la tendance à les voir plus favorablement30.
Par l’étiquetage obsessionnel imposé par l’État rwandais, les membres du
groupe catégorisés hutu pour un Tutsi, les membres du groupe catégorisés
tutsi pour un Hutu apparaissaient donc souvent avec moins de singularités
individuelles. Mais dans un cadre historique où les catégories avaient été si
« méchamment » distinguées, il y avait une conséquence plus grave : comment
l’image sociale de « Hutu », si dégradée, pouvait-elle se maintenir ? Dans le
cas de l’association d’un statut social peu favorable à un groupe d’appartenance,
l’individu essaie généralement de quitter ce groupe d’appartenance. Mais si
le degré de stratification de la société empêche la mobilité sociale, l’individu s’emploie à redresser le statut de ce groupe de référence31. À cet égard,
si la catégorisation « hutu » retint longtemps un capital symbolique moindre
que celle de « tutsi », devenir tutsi ne représentait plus aucun intérêt matériel depuis l’indépendance. Être tutsi était même terriblement risqué. Mais
surtout, les Rwandais évoluaient dans une société aux identités binaires et

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Bouleversements des perceptions et prophéties.

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racialisées. Elles étaient inchangeables. Que restait-il aux Hutu s’ils voulaient
gagner en statut et garder les avantages concrets de la discrimination ? Avancer
des arguments en démenti de la valeur du groupe de comparaison principal
(les Tutsi) tout en se préservant une position matériellement avantageuse :
les Tutsi étaient-ils « nés » pour gouverner ? C’est qu’ils étaient « fourbes »
et avaient menti aux « Blancs ». Étaient-ils plus soignés ? C’est qu’ils faisaient
travailler les autres par flemme ou mépris et ne se salissaient pas. En plus de
la crainte « intellectuelle » que les Tutsi provoquaient chez les élites, le besoin
essentiel d’estime de soi et l’impossibilité de l’évolution sociale rendaient le
ressentiment propice.
Mais la catégorisation avait agi parfois de manière plus concrète.
Par le blanc-seing colonial et l’introduction de l’argent qui fit accroître les
charges paysannes (le surplus du troc ne sert à rien), les excès de certains
chefs tutsi, autrefois limités par leur nombre, s’étendirent faute de frein32. Leur
réputation d’avidité s’incarnait. Mais à l’indépendance, c’est la « brutalité »
fantasmée par les colons chez les Hutu qui se matérialisa parfois à son tour :
dans un contexte de permissivité à l’égard des actes commis contre les Tutsi, un
Hutu pouvait plus facilement insulter ou frapper un Tutsi sous le prétexte de la
« légitimité » de son origine33. Associée à la pauvreté du pays, cette impunité
accentua les vols des biens des Tutsi34 et fit craindre leur retour quand ils
avaient pris l’exil : il faudrait que les pillards rendent ce qu’ils leur avaient pris.
Cette crainte favorisa leur diabolisation, les facteurs motivationnels (et matériels)
jouant un rôle déterminant dans l’activation ou l’inhibition des stéréotypes35.
Mais que dire encore de l’« élégance » des Tutsi vantée par la geste coloniale ? Cette qualité qui leur fut étiquetée a-t‑elle aussi agi sur eux ? « C’était
un honneur d’avoir été un jour si bien regardé », témoigne Marie-Chantal, rescapée. « L’élégance existait sans doute déjà dans les coutumes vestimentaires
tutsi. Mais dans l’éducation donnée par mes parents, il fallait que je poursuive
ce regard là où il avait été porté36. » Qui veut défaire ce qui le valorise ? Une
fois la réputation acquise et si elle vaut, elle nous engage à la maintenir plus
fortement. Elle conditionne. Cette attention particulière de certains Tutsi à leur
toilette fut parfois tant rattachée à eux et à la finance, que des hommes hutu
dont les familles étaient bien loties furent perçus puis traités comme des Tutsi.
Isaac N., né dans les années 1950, en subira des discriminations : à l’école, ses
professeurs convoquent ses parents pour vérifier son identité. Son habit, toujours
soigné, semble ne pas être celui d’une classe appropriée à la définition que l’on
s’est étrangement faite des Hutu37 : les pièges de l’exclusion ou la fabrique de
l’autre qui devient autre parce qu’on le désigne ainsi38.
Bien sûr, il faut distinguer entre le sentiment d’appartenance identitaire et
l’idéologie : être hutu ou tutsi ne signifie pas encore être « le » Hutu ou « le »
Tutsi. On pouvait bien projeter sur les membres d’un groupe des caractéristiques propres qu’ils auraient fantasmatiquement en partage, il reste qu’on
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Amélie Faucheux

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Rwanda : « le triomphe de l’idée »
donnait encore de la singularité à chacun. L’idéologie raciste n’était pas l’idéologie génocidaire. Mais la politique ethnique obsessionnelle des gouvernements
maintenait une force sourde, quelque chose en apparence endormi, mais si
consciencieusement nourri depuis trente ans qu’il y avait là comme une terre
non cultivée encore mais retournée, creusée, arrosée et prête à recueillir ses
graines : une base mentale de racisme qui pouvait être réutilisée si le système
d’ententes était confronté à une crise.

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Le 1er octobre 1990, le Front patriotique rwandais (FPR), force politique
constituée en 1987 et majoritairement (mais non exclusivement) constituée par
des descendants de réfugiés tutsi des pogroms des années 1960, attaque le nord
du pays. Il réclame le retour de tous les exilés et le partage du pouvoir39. Dans
le refus du multipartisme né de la crise40, le gouvernement rwandais tente de
rallier une majorité hutu dispersée. Son instrumentalisation suscite trois ans
d’appels à la haine envers l’ensemble des Tutsi, devenus, dans ses termes,
soutiens biologiques de l’armée rebelle41.
Depuis le début des années 1980 et malgré une polarisation politique
désormais ancienne, les liens socioculturels qui unissent Hutu à Tutsi se sont
renforcés. Intermariages, pactes d’amitié et alliances sont la norme. Un réel mouvement d’« assimilation » des Tutsi est en cours42. Pourtant, l’instrumentalisation
des esprits fonctionne. À l’origine des massacres qui viennent clore la guerre
se trouvent bien sûr toute la contemporanéité et la modernité d’un génocide
sans lesquelles il n’aurait jamais eu lieu : tous les procédés de manipulations
psychiques, instrumentalisation et mystification de l’histoire, polarisation sur
une seule de toutes les catégories pourtant possibles de l’identité sociale, prolifération de discours anxiogènes, détournement du langage et de la vindicte
populaire, formation de milices armées promises à l’impunité, manipulations
des informations pour justifier des « représailles » qui n’en sont jamais. Mais
on ne peut douter que le déchaînement de violences proprement extraordinaire
de 1994 n’ait des origines essentielles dans ce formatage préalable des identités
et de ce qu’il a nourri de rancunes et d’envies.
« Dans un tel déploiement de haines, la première chose à laquelle je pense,
me disait Modeste, un prêtre rwandais, c’est qu’il y eut la guerre. » C’était
comme si soudain les propos passés s’ancraient dans le réel. Tout ce qui avait
été dit des Tutsi pendant des décennies mais demeuré dans un certain flou
de l’histoire était désormais vécu : leur « cruauté » (celle du FPR, donc des
Tutsi), leur « soif de pouvoir » ou leur « fourberie » (associées à la logique de
guérilla menée par le Front patriotique rwandais, les difficultés de négociations
avec ses dirigeants ou leurs ruptures des accords de paix). La discrimination

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Guerre et recrudescence virulente du racisme.

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Amélie Faucheux

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De l’inégalité tissée dans une proximité visible.
L’histoire de Claudine n’est pas isolée. Ce furent d’ailleurs majoritairement
des femmes qui durent subir le spectacle du théâtre sadique que leurs bourreaux faisaient des corps de leurs proches masculins, tués avant les autres
parce que les règles de transmissions catégorielles (l’enfant d’une femme tutsi
mariée à un Hutu est hutu, l’enfant d’une femme hutu mariée à un Tutsi est
tutsi) et les clichés de genre sur la force masculine en faisaient des cibles
prioritaires46. Dans les supplices infligés aux Tutsi, l’entreprise de vengeance
d’une humiliation due à la prétendue supériorité de leur « race » est partout47.
Ainsi Colette et son petit frère Janvier dont la tête est tranchée quand ils sont
débusqués ensemble dans la brousse et dont les assaillants forcent la sœur
à goûter la cervelle, la cervelle « intelligente » d’un Tutsi. Ainsi les petits
doigts des quatre fils d’Ella découpés un à un et donnés à leur grand-mère
pour qu’elle les mange avant d’être abattue à son tour, les mains dites fines
et « sournoises » des Tutsi. Ainsi encore ces pagnes que l’on arrache à leurs
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quittait soudain son abstraction et s’imprimait dans les consciences comme la
démonstration palpable des raisons des peurs du passé. Mais à l’origine c’est
l’étiquetage qui servit à séparer en valeurs les individus à partir d’une catégorisation étroite de leur identité sociale, qui permit au discours de prendre avec
une telle force : « Sans ces enseignements, pas de peurs, pas d’inimitiés de
nature comme nous l’avions appris puis intégré comme une donnée de nos êtres
collectifs43. » Sans ce racisme parfois viscéral chez des cadres du gouvernement
et qui bloquait tout processus de changement individuel, la guerre elle-même
n’aurait pas eu lieu. Une guerre débutée en 1990 parce que des centaines de
milliers d’hommes avaient été massacrés ou chassés depuis trente ans du pays
et condamnés à l’exil non seulement pour des enjeux de pouvoir mais par la
peur que ces hommes inspiraient parce qu’ils étaient perçus Tutsi. Une peur qui
n’était pas seulement liée à un danger physique, à un autre craint parce qu’il
était puissant, mais à un autre craint parce qu’il était perçu comme « mieux ».
Et y a-t‑il chez l’individu plus douloureux et plus toxique que ce sentiment-là ?
À cet égard, si dans le Rwanda ancien les Twa étaient relativement exclus de
la société, ce qui montre que l’idéologie raciale y avait trouvé un cadre propice44,
les Hutu furent peut-être plus blessés encore. Non seulement ils s’étaient vus
privés de commandements qu’ils avaient eus pendant des siècles mais ils étaient
plus humiliés peut-être que tous les autres colonisés du monde, soumis pourtant
à une même idéologie de bazar. Car à la honte extrême d’être considérés comme
des « nègres » face au miroir supposément supérieur des Blancs, s’était ajoutée
la blessure narcissique supplémentaire d’être encore comparés négativement
« avec leurs jumeaux, leurs frères », celle d’être « doublement inférieurs »45.

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Rwanda : « le triomphe de l’idée »
corps morts, non seulement pour en faire usage mais pour s’approprier aussi
quelque chose d’eux, leur supposée grâce, leur beauté, et dont l’aura invisible
s’est peut-être imprégnée dans quelques bouts d’étoffe48.
Après le récit qu’elle fait de l’assassinat de ses enfants, Ella se redresse.
« Pourra-t‑on tout comprendre ? », murmure-t‑elle. Non. Mais de ce génocide
peut-être pouvons-nous du moins retenir quelque chose : le danger des distinctions qui restreignent absolument un être pour en grandir un autre et tissent
leur inégalité dans une proximité visible.
Amélie Faucheux
ameliefaucheux@gmail.com
Institut Jean-Nicod et INA

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1. Cet article se fonde en partie sur les données d’une enquête ethno-historique – travail d’écoutes,
d’entretiens et d’observations – menée auprès de bourreaux, victimes et témoins du génocide de 2014
à 2019 au Rwanda, au Bénin et en Afrique du Sud. Il permit de recueillir plus de 250 entretiens dont
l’analyse est fondée, entre autres, sur la méthodologie de la théorisation ancrée. Le contenu des entretiens
est souvent rendu en verbatim. Quand il fallut passer d’un propos oral à un écrit plus lisible, l’entretien
fut sujet à une réécriture relue avec l’interviewé – et le traducteur s’il y en avait un, pour le passage du
kinyarwanda au français. Le triple ancrage géographique avait pour but la multiplication des contextes
de récupération des sources orales pour épuiser les répétitions et mieux contourner les biais contextuels
(situations politiques et culturelles du pays, influences ou impacts des milieux carcéraux, etc.).
2. Je considère comme une participation au génocide toute activité liée à l’encouragement, à la
dénonciation, à l’humiliation, au pillage (relais de l’entreprise de disparition), à la violence, au viol, au
meurtre ou à l’outrage au cadavre d’un individu parce qu’il est tutsi ou parce qu’il a voulu aider un Tutsi
(dans le cas d’un individu alors considéré comme Hutu ou Twa). Le chiffre des participants est très disputé. Selon un rapport de Human Rights Watch intitulé « Justice compromise. L’héritage des tribunaux
communautaires Gacaca du Rwanda », publié en 2011, les quelque 12 000 tribunaux communautaires
Gacaca avaient alors jugé environ 1,2 million d’affaires.
3. José Kagabo, « Après le génocide : notes de voyages », in Claudine Vidal et Marc Le Pape (dir.),
Les Temps modernes, « Les Politiques de la haine : Rwanda, Burundi. 1994‑1995 », n° 583, juilletaoût 1995, p. 102‑125.
4. José Kagabo et Claudine Vidal, « L’extermination des Rwandais tutsi », Cahiers d’études africaines,
n° 136, 1994, p. 537‑547.
5. William Haglund et al., « Recherches effectuées sur le site de l’église de Kibuye », vol. 1, Boston,
Physicians for Human Rights, 1997.
6. Entretien (en français) avec Émilienne Mukansoro, rescapée et thérapeute, Mushubati, Rwanda,
30 janvier 2019.
7. Voir aussi Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Rwanda. Racisme et génocide. L’idéologie
hamitique, Paris, Belin, 2013, p. 27‑34.
8. Déo Byanafashe, « Les sources de l’histoire du Rwanda », in Déo Byanafashe et Paul Rutayisire
(dir.), Histoire du Rwanda. Des origines à la fin du xxe siècle, Huye, université nationale du Rwanda,
2011, p. 13‑31, p. 13.
9. Entretien (français) avec José Kagabo, Paris, 10 juillet 2015.

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NOTES

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10. Jan Vansina, Le Rwanda ancien. Le Royaume Nyiginya, Paris, Karthala, 2001, 289 p., p. 249‑250.
11. Courrier d’Innocent Ruzigana, guide du mémorial de Ntarama, Rwanda, 10 février 2017.
12. Jean-Pierre Chrétien, « L’émergence de l’idéologie hamitique au xixe siècle : entre la science et
la Bible », in Jean-Pierre Chrétien, L’Invention de l’Afrique des Grands Lacs. Une histoire du xxe siècle,
Paris, Karthala, 2010, p. 147‑182.
13. Cette hypothèse du nombre de vaches détenues (plus ou moins dix) comme critère de distinction
hutu/tutsi retenu par l’administration coloniale belge est soutenue par Laurien Ntezimana (cité par Laure
De Vulpian, Rwanda : un génocide oublié ? Un procès pour mémoire, Bruxelles, Éditions Complexe,
2004, p. 68). Mais d’autres auteurs tels Raphael Nkaka ou Petra Vervust ne l’attestent pas. Voir Raphael
Nkaka, « L’emprise d’une logique raciale sur la société rwandaise, 1894‑1994 », thèse de doctorat en
histoire, université Paris 1, 2013 ; Petra Vervust, « The Relative Importance of Ethnicity. Class and Race
in Colonial Rwanda. The Cases of Prison Policies, Corvées, Taxation, Census and Identity Booklets »,
Journal of Belgian History, XLII, 4, 2012, p. 74‑109.
14. Léon Saur, « Catholiques belges et Rwanda : 1950‑1964. Les pièges de l’évidence », thèse de
doctorat en histoire, université Paris 1, 2013.
15. Paul Rutayisire, « Le Rwanda sous la colonisation allemande et belge », in Déo Byanafashe et
Paul Rutayisire (dir.), Histoire du Rwanda, op. cit., p. 172‑422, p. 269.
16. Voir : Léon Saur, « La frontière ethnique comme outil de conquête du pouvoir : le cas du Parmehutu », Journal of Eastern African Studies, III, 2, juillet 2009, p. 303‑316.
17. Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Rwanda. Racisme et génocide. L’idéologie hamitique,
op. cit., p. 163.
18. Voir notamment Déo Byanafashe et Paul Rutayisire (dir.), Histoire du Rwanda : des origines à
la fin du xxe siècle, Huye, université nationale du Rwanda, 2011.
19. Jean-Pierre Chrétien et Marcel Kabanda, Rwanda. Racisme et génocide…, op. cit., p. 163. Sur la
question des réfugiés, voir aussi : André Guichaoua, Le Problème des réfugiés rwandais et des populations
banyarwanda dans la région des grands lacs africains, Rapport pour le Haut-Commissariat des Nations
unies aux réfugiés (HCR), Genève, URA 363, université des sciences et techniques de Lille, mai 1992.
20. Cours de José Kagabo, EHESS, Paris, 4 novembre 2014.
21. République du Rwanda, Commission nationale de lutte contre le génocide, « État de l’idéologie
du génocide au Rwanda, 1995‑2015 », Kigali, 2016.
22. Entretien (en français) avec Isaac N., prison de Nyarugenge, Kigali, Rwanda, 9 mars 2016.
23. Entretien (en français) avec José Kagabo, Paris, 15 juillet 2015.
24. Emily Badger, « The showdown over how we define fringe views in America », The New York
Times, 21 août 2017.
25. Claudine Vidal, « Enquêtes sur l’histoire et sur l’au-delà. Rwanda, 1800‑1970 », L’Homme, vol.
24, n° 3, 1984, p. 61‑84.
26. Fredrik Barth, « Les groupes ethniques et leurs frontières », in Philippe Poutignat et Jocelyne
Streiff-Fenart (dir.), Théories de l’ethnicité, Paris, PUF, 1995.
27. Françoise Héritier, « Quels fondements de la violence ? », Cahiers du genre, « La violence, les
mots, le corps », vol. 2, n° 35, 2003, p. 21‑44.
28. Jean-Paul Kimonyo, Rwanda. Un génocide populaire, Paris, Karthala, 2008, p. 34‑35.
29. Henri Tajfel, Human groups and social categories. Studies in Social psychology, Cambridge,
Cambridge University Press, 1981, 389 p.
30. Henri Tajfel et John Turner, « An integrative theory of intergroup conflict », in William G. Austin
et Stephen Worchel (dir.), The Social Psychology of Intergroup Relations, Monterey, CA, Brooks/Cole,
1979, p. 33‑47.
31. Ibid.
32. Dominique Franche, « Sommes-nous tous des Tutsi ? », Nouveaux Cahiers de l’IUED, Gilbert
Ris (dir.), « La mondialisation des anti-sociétés », Genève, PUF, 1997, p. 85‑97.
33. Entretien (en français), avec Emmanuel Ndindabahizi, ministre des Finances du gouvernement
intérimaire (1994), prison d’Akpro-Missérété, Bénin, 7 août 2014.
34. Échange de courriers avec Valens Kabarari, rescapé, 7 décembre 2015.

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Rwanda : « le triomphe de l’idée »
35. Bernard N. Grofman et Edward N. Muller, « The strange case of relative gratification and potential
for political violence : The V-curve hypothesis », American Political Science Review, 57, 1973, p. 514‑539.
36. Entretien (du kinyarwanda au français) avec Marie-Chantal, rescapée, Kibuye, 14 novembre 2017.
37. Entretien (en français), avec Isaac N., prison de Nyarugenge, Kigali, Rwanda, 14 septembre 2015.
38. Gérard Prunier, The Rwanda Crisis : History of a Genocide, New York, Columbia University
Press, 1995, p. 38‑39.
39. José Kagabo et Théo Karabayinga, « Les réfugiés, de l’exil au retour armé », in Claudine Vidal et
Marc Le Pape (dir.), Les Temps modernes, « Les Politiques de la haine : Rwanda, Burundi. 1994‑1995 »,
n° 583, 1995, p. 63‑90.
40. Sur la crise dans la région voir aussi : José Kagabo, « À l’ombre des ethnies. Essai d’interprétation
de la crise des Grands Lacs », Limes, Paris, Gallimard, 2000, p. 115‑132.
41. Jean-Pierre Chrétien (dir.), Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Karthala, 1995 (nouvelle
édition, Paris, Karthala, 2002, avec les contributions de Jean-François Dupaquier, Marcel Kabanda et
Joseph Ngarambe).
42. Jean-Paul Kimonyo, op. cit., p. 84.
43. Entretien (en français) avec Modeste, prêtre, Trappes, France, 5 janvier 2015.
44. José Kagabo et Vincent Mudandagizi, « Complainte des gens de l’argile : les Twa du Rwanda »,
Cahiers d’études africaines, n° 53, 1974, p. 75‑87.
45. Entretien (en français) avec Modeste, prêtre, Trappes, France, 5 janvier 2015.
46. Voir : AVEGA « AGAHOZO », « Étude sur les violences faites aux femmes », document de
l’association, Kigali, décembre 1999.
47. Voir José Kagabo, « Le génocide des Tutsi : comment penser une “barbarie” en apparence
aveugle ? », in José Kagabo et Juliette Simont (dir.), Les Temps modernes, « Le génocide des Tutsi. Quelle
histoire ? Quelle mémoire ? », n° 680‑681, 2014, p. 5‑18.
48. Entretien (en français) avec Florence et Ella, rescapées, Ntongwe, Rwanda, 6 février 2019.

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Rwanda : « le triomphe de l’idée ». Constructions identitaires et génocide
En retraçant brièvement l’histoire de la racialisation des catégories identitaires rwandaises de Hutu
et Tutsi dont les manipulations politiques marquent le Rwanda tout au long du xxe siècle, cet article
montre l’impact de l’idéologie raciale sur les représentations personnelles des Rwandais. C’est ce que
José Kagabo appelait « le triomphe de l’idée » : un imaginaire latent intégrant des données biologiques à
une base de représentations parfois mutuellement négatives entre communautés et sur lequel s’inscrit en
partie le génocide des Tutsi de 1994. Un rapport identitaire par lequel se tracerait la ligne de démarcation
implacable entre bourreaux et victimes.
mots-clés : génocide, Rwanda, identité, racialisation, colonialisme

SUMMARY
Rwanda : “the Triumph of the Idea”. Identity Constructions and Genocide
By recounting the history of the racialization of the Rwandan identity categories of “Hutu” and “Tutsi”,
whose political manipulations divided Rwanda throughout the twentieth century, this article shows the
impact of racial ideology on the personal representations of the Rwandese. This is what historian José
Kagabo has named : “The Triumph of the Idea” : a latent imaginary rooting biological data into a layer

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RÉSUMÉ

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Amélie Faucheux
of representations, sometimes mutually negative between communities, and upon which the Tutsis’ genocide
originated in 1994. This relationship to identities was, ruthlessly, to draw the line between executioners
and victims.
keywords : genocide, Rwanda, identity, racialization, colonialism

RESUMEN

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Ruanda : “El triunfo de la Idea”. Construcción de Identidades y Genocidio
Al describir brevemente la historia de la racialización de las categorías identitarias hutu y tutsi de
Ruanda, cuyas manipulaciones políticas marcan a Ruanda a lo largo del siglo xx, este artículo muestra el
impacto de la ideología racial en las representaciones personales de los ruandeses. Es lo que José Kagabo
llamó “El triunfo de la idea” : un imaginario latente que integra datos biológicos en una base de representaciones a veces mutuamente negativas entre comunidades y en la que se inscribe en parte el genocidio
de los tutsis de 1994. A través de esta relación de identidad se traza la implacable línea de demarcación
entre los verdugos y las víctimas.
palabras claves : genocidio, Ruanda, identidad, racialización, colonialismo

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