Fiche du document numéro 32919

Num
32919
Date
Mardi 14 juin 1994
Amj
Taille
1417350
Titre
La honte
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La honte

Membre de la Commission internationale d'enquête sur les violations de droits de l'homme au Rwanda, qui a séjourné dans ce pays en janvier 1993, je ne suis pas de ceux qui sont surpris par l’explosion de violence qui ravage ce pays depuis le 6 avril dernier.

Notre commission avait dans son rapport, souligné « la lourde responsabilité du chef de l'Etat, de son entourage immédiat et notamment familial » dans les massacres qui, depuis des années, marquaient la vie politique du pays.

Camouflées derrière un habillage d’affrontements interethniques, ces violences étaient en réalité systématiquement planifiées par un pouvoir refusant obstinément toute ouverture vers la démocratie. Des mécanismes bien maîtrisés réglaient ces opérations que l'on noyait immédiatement dans les conflits historiques Hutus-Tutsis.

Si les responsabilités locales sont aujourd'hui clairement identifiées et si une juridiction internationale s'apprête à mettre en route une procédure pour poursuivre et sanctionner les auteurs du génocide, il paraît aussi nécessaire de dénoncer les complices : ceux qui savaient, ceux qui ont soutenu, cautionné, encouragé, entraîné, financé ces autorités dans leur crime.


La France, notre pays, savait depuis de longues années ce qui se passait au Rwanda. Nos instructeurs militaires ont encadré et formé la Garde présidentielle. Ce sont « nos élèves » qui conduisent le génocide actuel. J'ai moi-même enquêté sur ces escadrons de la mort. En 48 heures avec un juriste suisse, nous sommes remontés à la source, c'est-à-dire à l'ex-chef de l'Etat et son équipe. Aidés par des associations de défense des droits de l'homme et des Eglises nous avons recoupé tous les renseignements. C'est accablant.

Quand à cette époque, j'ai vu l'ambassadeur de France à Kigali, je lui ai dit: « Monsieur Martre, vous ne pouvez pas ne pas savoir ce qui se passe. Nous avons ouvert des fosses communes. Nous avons trouvé des corps de suppliciés ». Je n'ai reçu aucune réponse. Son Excellence est restée de marbre.

En fait, les services de renseignements français tenaient tout le pays avec l'armée rwandaise. Le Crédit lyonnais a garanti des achats considérables d'armement par les milices. Mon indignation a redoublé encore ces derniers jours quand j'ai vu qu'en France on recevait la famille du clan Habyarimana et même qu'on lui donnait de l'argent de poche. Ils ont reçu 200 000 francs du ministère de la Coopération.

Pourquoi ces protections pour Habyarimana, alors que, en plus de son mode de gouvernement criminel, il est notoire qu'il fut impliqué dans la production et le trafic de la drogue ? Ce n’est pas moi qui l'ai découvert mais le très sérieux, Observatoire international des drogues qui le relève dans sa publication (n° 27 de janvier 1994).

Le temps est venu aussi de chercher et de reconstruire avec des partenaires sérieux - et il n'en manque pas en Afrique - des relations nouvelles, fraternelles fondées sur le respect, la confiance et des intérêts réciproques au niveau des peuples. C'est le défi de notre monde d'aujourd'hui, au-delà de la tragédie rwandaise qui a révélé brutalement toutes les tares de notre « coopération » ou pseudo-coopération avec ce continent.

C'est possible... Nous devons maintenant le faire.

Jean Carbonare, président de Survie

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024