Fiche du document numéro 32777

Num
32777
Date
Mardi 10 mai 2021
Amj
Taille
77916
Surtitre
CheckNews
Titre
Mitterrand a-t-il déclaré à propos du Rwanda que « dans ces pays-là, un génocide, c’est pas trop important » ?
Soustitre
Mitterrand aurait tenu ces propos « à des proches » à l’été 1994, selon le journaliste du « Figaro » Patrick de Saint-Exupéry, qui en fit état dans un article de 1998.
Nom cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
François Mitterrand, le 23 juillet 1994, à Paris. (Pierre Boussel/AFP)

Question posée le 10/05/2021

Bonjour,

Vous nous interrogez sur l’origine d’une citation qui résumerait l’état d’esprit du président Mitterrand lors du génocide rwandais, survenu entre avril et juillet 1994.

Certains sites en font une déclaration faite à la presse par le président de la République. Dans les faits, il s’agirait de propos tenus en privé, dont a fait état le journaliste Patrick de Saint-Exupéry dans une enquête publiée le 12 janvier 1998 dans le Figaro, intitulée « France-Rwanda, un génocide sans importance ». Revenant sur l’absence « d’examen de responsabilité » de la France quant à son soutien du régime génocidaire, Patrick de Saint-Exupéry écrit : « Tout se passe, en fait, comme si la France entière avait adopté le point de vue de François Mitterrand sur le Rwanda. “Dans ces pays-là, un génocide n’est pas trop important”, confiait le président à des proches au cours de l’été 94 ».

Ces propos rapportés n’ont jamais été démentis, à notre connaissance, par l’entourage de François Mitterrand. Cette posture, qui vise à diminuer la responsabilité des auteurs des crimes, n’est pas sans écho dans les prises de positions officielles du président, comme l’ont relevé divers historiens.

De façon notable, dans son rapport final, récemment remis à Emmanuel Macron, la Commission de recherche sur les archives françaises relatives au Rwanda et au génocide des Tutsis relève qu’au sommet franco-africain de Biarritz de novembre 1994, quelques mois après la fin des crimes, François Mitterrand a livré « sa vérité » sur le génocide des Tutsis. Dans la version écrite de l’un de ses discours, le président évoque ainsi « des chefs locaux [qui] décident délibérément de conduire une aventure à la pointe des baïonnettes ou de régler des comptes à coup de machettes », ajoutant qu’« aucune police d’assurance internationale ne peut empêcher un peuple de s’autodétruire ».

« Vision “ethno-raciale” de l’Afrique »



Tout en notant que la version orale du discours a divergé de la version écrite, la Commission considère que ce texte « minimise les massacres commis au Rwanda, les figeant dans la vision de l’atavisme structurel prêté à l’Afrique de “massacres interethniques” ensanglantant le continent ».

La Commission identifie, dans son rapport, d’autres épisodes qui témoignent, de la part de Mitterrand et de ses conseillers, « d’une vision “ethno-raciale” de l’Afrique : celle d’un continent où se déroulent de façon récurrente des massacres interethniques » – comme lorsque Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, évoque le 26 avril 1994 un « malheureux pays déchiré par une guerre civile – une guerre tribale en fait » en réponse à un député qui s’enquérait de la situation des enfants hébergés dans les orphelinats rwandais.

Publié fin mars, au terme de deux ans d’examens d’archives, le rapport officiel de 992 pages de la Commission présidée par l’historien Vincent Duclert fait état des « responsabilités lourdes et accablantes » pour la France – principale alliée du régime alors en place au Rwanda. Si « rien dans les archives consultées ne vient [démontrer] une volonté de s’associer à l’entreprise génocidaire », les historiens jugent que la France est « demeurée aveugle face à la préparation d’un génocide par les éléments les plus radicaux de ce régime » puis, « au moment du génocide », qu’elle a « tardé à rompre avec le gouvernement intérimaire qui le réalisait et a continué à placer la menace du [Front patriotique rwandais] au sommet de ses préoccupations. Elle a réagi tardivement avec l’opération Turquoise, qui a permis de sauver de nombreuses vies, mais non celles de la très grande majorité des Tutsis du Rwanda, exterminés dès les premières semaines du génocide. »

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