Fiche du document numéro 32772

Num
32772
Date
Vendredi 11 août 2023
Amj
Taille
131259
Titre
Le « grand argentier » présumé du génocide des Tutsi va bientôt être libéré
Soustitre
Félicien Kabuga a été jugé inapte à subir son procès par la chambre d’appel de l’ONU.
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
La Haye - correspondance

Il n’a pas totalement échappé à la justice, mais il va sans doute s’en tirer sans verdict.

L’homme d’affaires rwandais ­Félicien Kabuga, « grand argentier » du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994, accusé de génocide et crimes contre l’humanité, va bénéficier d’une « suspension indéfinie » de la procédure en cours contre lui, ainsi que l’a ordonné, lundi 7 août, une chambre d’appel du mécanisme de l’ONU chargé de le juger.

L’octogénaire était jugé depuis le 29 septembre 2022 par l’organe des Nations unies destiné à clore les derniers dossiers du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). Début juin, il avait été déclaré « inapte » à subir son procès par les juges de la chambre de première instance.

« Déception »

Au cours du printemps, après des semaines d’observation, deux psychiatres et un neurologue avaient établi que l’accusé, qui partage son temps entre le lit de sa cellule et celui de l’hôpital, souffrait de « démence sévère » et qu’il n’existait « aucune perspective réaliste de guérison ».

Mais au lieu de clore le dossier, les juges avaient mis en place une procédure spéciale inédite d’enregistrement des preuves. En maintenant le dossier ouvert, ils avaient expliqué vouloir « contribuer au maintien de la paix au Rwanda ». C’est cette décision que les juges de la chambre d’appel ont demandé au tribunal de renverser en prononçant une « suspension indéfinie » de la procédure. Tout en reconnaissant la « déception » des victimes, ils précisent qu’il est de leur « devoir d’assurer que les décisions sont uniquement basées sur la justice et le droit ».

Quand et dans quelles conditions Félicien Kabuga sera-t-il ­libéré ? L’ancien homme d’affaires rwandais, qui devait répondre de la création d’un fonds destiné à soutenir l’armée et les milices qui ont massacré entre 800 000 et 1 million de personnes sur les ­collines rwandaises en 1994, franchira-t-il en homme libre les portes de la prison de Scheveningen, en banlieue de La Haye, où il est enfermé depuis plus de trois ans ? Mardi, personne au tribunal n’était en mesure de le dire.

Habituellement, les autorités néerlandaises refusent de laisser circuler librement sur leur territoire des personnes poursuivies par les différents tribunaux internationaux qui ont été établis à La Haye au cours des trois ­dernières décennies. Dans de ­précédentes affaires, les personnes libérées ont été remises par la police néerlandaise aux autorités d’autres pays.

Coopération renforcée

On ignore si Félicien Kabuga, dont certains de ses treize enfants résident en France, en Belgique et au Royaume-Uni, sera remis aux autorités françaises, belges ou britanniques, ou s’il sera ramené à Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), où il avait été arrêté en mai 2020, après vingt-six ans de cavale. Les discussions seraient en cours pour le déterminer.

En attendant, Me Emmanuel ­Altit, l’avocat du Rwandais, s’est dit « satisfait de voir mis un terme à un processus devenu vide de sens ». Le procès Kabuga était le dernier organisé par l’ONU mais, pour le procureur, Serge Brammertz, « ce n’est pas la fin du processus judiciaire ». Dans un communiqué, le magistrat belge a estimé que « la responsabilité des crimes commis lors du génocide de 1994 contre les Tutsi au Rwanda doit se poursuivre devant les tribunaux au Rwanda et dans les pays du monde entier ».

Serge Brammertz, qui s’est de nouveau rendu au « pays des mille collines » en juin, a promis une coopération renforcée au procureur général du Rwanda, « en fournissant nos preuves et ­notre expertise, afin de garantir que davantage de génocidaires en fuite soient jugés pour leurs crimes présumés ». Plus de 1 000 Rwandais sont sous le coup de mandats d’arrêt pour génocide.

La décision enterre un peu plus la possibilité, pour les victimes, d’obtenir des réparations. Les jugements de l’ONU peuvent être utilisés devant les justices nationales pour enclencher des demandes de réparations. Mais il aurait fallu pour cela que « l’argentier du génocide » soit condamné.

Les juges de l’ONU vont aussi devoir trancher une autre affaire, parallèle au dossier pour génocide. En novembre 1999, alors que Félicien Kabuga était en cavale, l’ancienne procureure, Carla Del Ponte, avait bloqué une partie de ses comptes bancaires et ceux de cinq de ses enfants. Depuis, ils ­réclament le dégel de comptes bloqués depuis vingt ans. La fortune de Félicien Kabuga est estimée à au moins 20 millions de dollars (17 millions d’euros) par la justice internationale.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024