Fiche du document numéro 32668

Num
32668
Date
Samedi 22 juillet 2023
Amj
Taille
945590
Titre
France : Nous avons besoin d'une justice d'envergure
Soustitre
Si nous avions une justice d'envergure, les responsabilités françaises dans le génocide des Tutsi auraient été jugées depuis longtemps. Trente ans après, la France, "pays des droits de l'homme", continue de patauger dans des caricatures aussi fantaisistes que médiocres.
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Mot-clé
Type
Blog
Langue
FR
Citation
Un officier de gendarmerie à la retraite, officier de police judiciaire "ancien du Rwanda", écrit dans le club de Mediapart sous le titre "RWANDA : Une affaire de diffamation en bande organisée" :

"Un jugement rendu le 6 juillet 2023 après délibéré par la XVII° Chambre du Tribunal Correctionnel de Paris déboutant Hubert VEDRINE de sa plainte contre Annie FAURE a provoqué dans les réseaux sociaux et dans une certaine presse quelques cris de victoire dont l’aspect embarrassé n’échappait pas à l’observateur avisé.
Ainsi, un très long article paru dans AFRIKARABIA , reprenait un compte rendu d’audience particulièrement copieux et parfois mensonger, contrastait étrangement avec la brièveté du commentaire portant sur le jugement. A l’évidence, cela cachait quelque chose et on comprenait bien que l’auteur avait saisi l’occasion de faire à nouveau passer le message porté par les « témoins » en occultant la réalité de la décision rendue par la justice." 1

Comme cet auteur officier ferme les commentaires sous son article, ce qui est chez lui une habitude, il montre ainsi qu'il a évidemment peur d'un débat public qu'il ne maîtriserait pas, je place donc ici mon commentaire.

Il s'agit en fait de neutraliser une décision de justice qui dit le contraire. C'est de la manipulation. Dans l'exercice de ses anciennes fonctions, cela s'appellerait peut-être un faux en écriture. En réalité c'est de la propagande. Pour prévenir toutes critiques, le fait est bien évidemment dans le contenu, mais en le relativisant immédiatement et le critiquant violemment. Tout est écrit pour décrédibiliser ce fait qui dérange ces anciens de l’État, trop habitués à pavoiser.

Le Docteur Annie Faure n'a pas diffamé Hubert Védrine selon notre justice
Au grand dam sous-jacent de l'auteur officier, la réalité de la décision rendue par la justice est qu'il n'y a pas eu de diffamation contre Hubert Védrine de la part du Docteur Annie Faure. C'est ce qui a été jugé et nous avons appris qu'Hubert Védrine a renoncé à faire appel. C'est sous l'angle de la bonne foi que cette affaire a été jugée. Le procureur ne fut pas très clair à ce sujet, envisageant la condamnation et l’acquittement possibles, laissant les juges se dépêtrer.

Il est probable, bien que je n'ai pas encore pu lire la décision intégrale, que les juges étudièrent les différents points de vue. En utiliser un seul, celui auquel s'accroche Hubert Védrine et ses fans, repris très certainement dans le débat des juges, ne permet donc pas de rester honnête. Nous verrons cela plus tard. Le fait majeur, la décision, qui l'emporte sur tous les éléments du débat, c'est que le Docteur Annie Faure n'a pas diffamé Hubert Védrine, selon les juges de la 17ème chambre du Tribunal Correctionnel de Paris.

C'est à ma connaissance la première fois qu'Hubert Védrine est débouté sur la question de la France au Rwanda.

C'est un tournant. Jusqu’à maintenant, dans les prétoires comme dans les médias ou les assemblées, sa parole, toujours sollicitée avec complaisance, n'était jamais mise en doute. Le "guru" de la géopolitique française est tombé de son socle. Le "grand prêtre" de la politique française au Rwanda est revenu sur terre. C’est d’autant plus frappant que son seul témoin à la barre dans ce procès était le chef d’état-major de nos armées à partir de 1991 et donc au moment de la préparation du génocide des Tutsi et de son exécution, l'Amiral Jacques Lanxade.

Annie Faure était défendue par Maître Antoine Comte.

Rappelons d'ailleurs les propos du Docteur Annie Faure sur France Inter sur une question d'un journaliste en relation avec sa qualité de militante socialiste, que notre "génial" ancien secrétaire général de l’Élysée poursuivait en justice :

«Il n’y a pas de renouveau. C’est comme si les secrétaires du Parti socialiste, tout jeunes qu’ils soient, n’avaient aucune possibilité de rejeter le lourd fardeau du mitterrandisme sur cette complicité du génocide des Tutsis et qu’ils étaient sous l’influence de ceux qui ont beaucoup à perdre : Hubert Védrine, en premier. C’est lui qui a accepté ou fermé les yeux sur la livraison d’armes et la protection des génocidaires rwandais. C’est ça la réalité.»

Ces propos sont d'ailleurs déformés dans le communiqué d'Hubert Védrine sur cette affaire que cite notre officier dans son article. Je pense que si les propos d'Annie Faure avaient été jugés manifestement contraires aux faits connus, les juges n'auraient pas débouté Hubert Védrine et auraient condamné Annie Faure. Il faut en tirer les conséquences.

Présente au Rwanda pendant le génocide des Tutsi, ayant soigné des dizaines d’enfants victimes des éclats de grenades, balles et machettes des génocidaires, le Docteur Annie Faure était particulièrement crédible pour dénoncer le soutien français aux génocidaires, en armes et munitions, à partir de 1990.

L'ancien secrétaire général de l’Élysée, outre plusieurs indices documentaires significatifs, outre son engagement constant à défendre la politique désastreuse de la France au Rwanda, dont il prétend ne pas connaître les détails, et affirmant par ailleurs qu'il était la "tour de contrôle", selon son expression, du cercle décisionnel du président de la République, est réputé assumer l'héritage de François Mitterrand, principal responsable de ce désastre français.

On peut d'ailleurs souligner à cette occasion que les balles et grenades utilisées pendant le génocide provenaient pour certaines des gendarmes rwandais, les autres provenaient des forces armées et des miliciens dont on sait de façon certaine qu'ils étaient armés par les autorités rwandaises. Ces livraisons de munitions et d'armes furent facilitées par la France pendant 4 ans. Selon le chercheur François Graner, militant de l'association Survie qui fut autorisé par le Conseil d’État à accéder aux archives de l’Élysée avant la commission Duclert, 20 % des personnes massacrées pendant le génocide furent touchées par des armes à feu. C'est bien ce qui embarrasse l'auteur officier qui a formé la gendarmerie rwandaise de 1990 à 1993, d'où sa thèse, volant au secours d'Hubert Védrine, en défense de la politique française, malgré son caractère désastreux.

Rappelons à ce sujet que l'implication française au Rwanda eut pour pivot un accord militaire pour la formation de la gendarmerie rwandaise signé en 1975 entre les présidents Habyarimana et Giscard d'Estaing. On peut donc aussi remarquer que cette formation de la gendarmerie rwandaise fut un échec total vu son résultat particulièrement accablant et que cela ne crédibilise pas cet ancien officier de gendarmerie français, pas plus que l'ancien secrétaire général de l’Élysée, pour plastronner sur la politique française au Rwanda.

A partir de 1991, l’Élysée viola trois embargos sur les armes au Rwanda
Dans un article dans le club de Mediapart 2, j'avais rappelé le contexte des livraisons d'armes par la France au Rwanda sur la période qui débuta en 1991 jusqu'après le génocide : viol de trois embargos sur les armes par l’Élysée, pas moins, dont celui du premier accord d'Arusha. L'ancien secrétaire général de l’Élysée, qui a toujours Arusha à la bouche pour justifier ce qu'il défend, justifia ces livraisons d'armes et de munitions devant les députés en 2014 en occultant ces embargos et, c'est un comble, en faisant appel à la "bonne foi". Les députés de la commission de la défense ne lui firent pas remarquer qu'il ne faisait pas mention des embargos sur les armes, probablement par ignorance et/ou déférence irresponsable.

La critique de l'article d'Afrikarabia par notre gendarme, ancien officier de police judiciaire, est sujette à caution car je ne l'ai pas vu assister au procès. Je le connais, je ne pense pas que sa présence nous aurait échappé. Je ne vois donc pas comment il peut dire qu'il s'agit "d'un compte rendu [...] parfois mensonger". A ma connaissance cet article qui relate le procès a été fait à partir de notes prises par plusieurs auditeurs présents. Il a pu s'y glisser une ou deux erreurs (je n'en ai pas remarqué de notables, mais ma mémoire n'est pas infaillible) car la salle était grande et certains propos n'étaient pas toujours clairement audibles. Mais il n'y a aucune intention malsaine à ma connaissance dans la rédaction de cet article fort utile 3.

L’expression "diffamation en bande organisée" que notre officier auteur a inventée pour tenter "d'occulter", par une éclipse partielle de la vérité, qu'il n'y a pas eu diffamation - c'est particulièrement retors et mensonger - est une diffamation.

En fait nous sommes des chercheurs de toute nature, juristes, historiens, journalistes, militants divers, tous citoyens, motivés pour des raisons diverses sur la question de l’implication française dans le génocide des Tutsi, qui au bout de trente ans, ont fini par se connaître et beaucoup échanger. C'est ce que j'appelle l'enquête citoyenne qui tente de remédier aux insuffisances notoires de nos institutions. Ces chercheurs sont accusés, par ceux qui craignent la justice du génocide des Tutsi, d'être des "kagamistes", payés par Kagame", "à la solde du FPR", "manipulés par des femmes Tutsi". Ce serait du même niveau de leur faire remarquer qu'ils sont payés par l’État français, et manipulés par des femmes françaises !

"Le génocide des Tutsis n'aurait pas eu lieu si nous avions eu une autre politique", ambassadeur de France au Rwanda

Par contre il y a clairement eu à l’Élysée une "présomption" de complicité, "en bande" organisée par les institutions françaises, pour poursuivre une politique ayant conduit, selon des historiens français pourtant triés sur le volet par Emmanuel Macron, à des "responsabilités lourdes et accablantes dans le génocide des Tutsi".

L'actuel ambassadeur de France au Rwanda, Antoine Anfré, qui, selon le rapport Duclert, fît partie à l'époque des lanceurs d'alertes à l'intérieur de nos institutions, en l’occurrence au quai d'Orsay, a d'ailleurs écrit sur le livre d'or du mémorial de Kigali (capitale du Rwanda) : "Le génocide des Tutsis n'aurait pas eu lieu si nous avions eu une autre politique" [...] "Cette responsabilité nous oblige" [...]. On ne peut pas être plus clair. (Pour l'anecdote, c'est Annie Faure qui a photographié ce mot de l'ambassadeur).

Illustration 1Agrandir l’image : Illustration 1
Livre d'or du mémorial de Kigali, mot d'Antoine Anfré, ambassadeur de France au Rwanda © Antoine Anfré

Débouté ne veut pas dire condamné

S'il y a eu une politique désastreuse poursuivie par l’Élysée, pleine de bonnes intentions affichées bien évidemment, invérifiables et répétées à l'envi, il est clair que notre justice n'arrive pas à juger globalement cette implication française. Aucun procureur ne s'est attelé à cette tâche pourtant évidente. La Direction des affaires criminelles et des grâces 4 semble inexistante sur ce sujet pourtant particulièrement grave. Elle n'a pas véritablement construit de structure pour cela. Ce serait bien évidemment un procès hors normes, qui pourrait aussi s’apparenter par l'ampleur aux actions de groupes contre des acteurs économiques importants. Nous devrions pouvoir saisir la justice sur ces crimes imprescriptibles, simplement en tant que citoyens français ayant élu les responsables politiques qui ont désigné et soumis à leurs ordres les acteurs de leur politique présumée criminelle en notre nom.

Il faut bien distinguer les affaires qui mettent en cause des Français présumés complices de celles qui mettent en cause des Rwandais présumé auteurs de génocide. Les secondes aboutissent très lentement et sont en général initiées et suivies par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda. Les premières sont éparpillées dans des procédures partielles, initiées en général pas des acteurs qui attaquent en diffamation, qui permettent de noyer le poisson. C'est souvent inique. D'autres furent portées par des associations (Survie FIDH, etc.) contre l’armée française. Celles-là furent initiées par des plaintes de Rwandais que le Docteur Annie Faure a rapportées du Rwanda et qui sont très mal traitées par la justice française, notamment celles de femmes Tutsi violées par des militaires français pendant l'opération Turquoise. On peut parler d'entrave à la justice venant de l’État français.

Pour ma part je fus même confronté à un tribunal ne réagissant même pas à ses propres conflits d'intérêts élémentaires 5. Cela ne donne pas une haute idée de notre justice.

Une justice d'envergure, exercée à temps, aurait évité l'instrumentalisation de la justice avec des procès en diffamation minables, iniques et répétés
Même si on avait eu une justice d'envergure, qui aurait organisé un procès global du type de celui de Nuremberg contre les "présumés complices" français, elle aurait très probablement eu toutes les peines du monde à répartir les responsabilités entre les différents acteurs français. C'est bien ce qui ressort des décisions des procédures partielles. La justice française opère comme un tamis qui ne laisse passer que les responsabilités partielles jugées indémontrables contre tel ou tel acteur spécifique, et pour cause car chacun a sa responsabilité diluée dans le grand tout de l’État français. Notre république est une république d'irresponsables. L’État est un parapluie pour des présumés criminels partiels, absous par le flou de la dilution des responsabilités.

Rappelons à ce point qu'il n'est pas nécessaire, selon les lois concernées, de partager les objectifs des génocidaires pour être complice, il suffit d'avoir apporté son concours d'une manière ou d'une autre à l'objectif criminel. De surcroît, la politique française a apporté ce concours en connaissance de l'intention génocidaire de ceux qu'elle aidait. Souvenez-vous des jugements contre les complices des terroristes ayant agi en France.

Le génocide est un terrorisme extrême, contre la démocratie, contre l'humanité, la complicité dans le génocide aussi. Cela devrait relever aujourd'hui du mécanisme résiduel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR)

Sans doute la Direction des affaires criminelles et des grâces pensait-elle que cette implication française dans le génocide des Tutsi relevait de la justice internationale. Cette implication française était de fait clairement de la responsabilité du Tribunal pénal international pour le Rwanda, créé le 8 novembre 1994. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948, adoptée à Paris par l'assemblée générale des Nations Unies, ratifiée par la France et le Rwanda bien avant le génocide de 1994 au Rwanda, prévoit le crime de complicité dans le génocide. Mais la diplomatie française a tué le bébé dans l’œuf par une entrave à la justice, une de plus de la part de l’État français. Ce TPIR, créé par le Conseil de sécurité de l'ONU, où la diplomatie française a un droit de véto, fut dévié de ses fondements par les arguments français qui limitaient sa recherche de culpabilité à la seule année 1994, excluant ainsi toute la période 1990-1993 où la France a mis en place son soutien à un régime dont elle connaissait clairement les intentions génocidaires depuis décembre 1990 6 et les risques de génocide depuis février 1964, soit depuis presque trente ans.

Colonel Rwagafilita, chef d'état-major de la gendarmerie rwandaise, au Général Jean Varret en décembre 1990 : "[les Tutsi] sont très peu nombreux. Nous allons les liquider et cela ira très vite"

Le général Jean Varret fut écarté du Rwanda par le lobby politico-militaire élyséen pour ses alertes. Il démissionna ensuite.

"Toute honte bue", il semble que les "anciens du Rwanda" et "les anciens de l’Élysée" ne comprenaient pas le français. Ils ne savaient pas le lire non plus :

Le Monde 4 février 1964 (mille neuf cent soixante-quatre) : "L'extermination des Tutsis - Les massacres du Ruanda sont la manifestation d'une haine raciale soigneusement entretenue"

Illustration 2
Le Monde du 4 février 1964
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1. "RWANDA : Une affaire de diffamation en bande organisée" Michel Robardey

2. D’embargos en embargos, l’Élysée a violé les accords de paix au Rwanda de 1990 à 1994 Emmanuel Cattier

3. Lire dans cette page les articles en relations avec cette affaire Védrine / Faure, dont l'article d'Afrikarabia

4. Direction des affaires criminelles et des grâces

5. Ma lettre au ministre de la justice

6. La réponse du ministère de la justice à ma lettre

7. Cf le témoignage du général français Jean Varret, exprimé à plusieurs reprises depuis 1998, d'abord devant nos députés pendant la mission d'information parlementaire, puis dans un livre "Général, j’en ai pris pour mon grade", Editions Sydney Laurent, Paris, 2018, puis par le journaliste Laurent Larcher dans deux livres d'interview, LARCHER Laurent, Rwanda, ils parlent, témoignages pour l'histoire, Seuil, et VARRET Jean et LARCHER Laurent, Souviens-toi - Mémoires à l'usage des générations futures, Les arènes, avril 2023.
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Extrait de la page 292 de la version PDF du rapport de nos députés de 1998 :
"Cette volonté d'éradiquer les Tutsis imprègne tout particulièrement l'armée composée uniquement de Hutus. Le Général Jean Varret, ancien chef de la Mission militaire de coopération d’octobre 1990 à avril 1993 a indiqué devant la Mission comment, lors de son arrivée au Rwanda, le Colonel Rwagafilita, lui avait expliqué la question tutsie: “ ils sont très peu nombreux, nous allons les liquider ”."
Le colonel Rwagafilita était le chef d'état major de la gendarmerie rwandaise, ce que nos députés ne soulignent pas dans leur rapport. Les livres cités nous confirment que "son arrivée au Rwanda" date de décembre 1990 et que le chef d'état-major rwandais avait ajouté "et cela ira très vite". Cela fut confirmé en 1994 !

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