Fiche du document numéro 32648

Num
32648
Date
Vendredi 7 juillet 2023
Amj
Taille
131695
Titre
Après le succès de son armée au Mozambique, le Rwanda attend des retombées économiques
Sous titre
Des sociétés affiliées à la puissante holding Crystal Ventures, bras financier du parti au pouvoir à Kigali, sont déjà implantées dans le pays.
Nom cité
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Lieu cité
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Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Des habitants de Pemba, au Mozambique, brandissent des portraits des présidents Filipe Nyusi et Paul Kagame lors d’une visite de ce dernier dans la province de Cabo Delgado, en septembre 2021. SIMON WOHLFAHRT / AFP

Leur arrivée dans la province de Cabo Delgado, théâtre du plus grand projet industriel en Afrique et d’une insurrection djihadiste, a été déterminante. Déployés en juillet 2021 dans le nord du Mozambique alors que les insurgés liés à l’Etat islamique (EI) avaient investi le district de Palma, proche du futur site gazier de TotalEnergies, et le port stratégique de Mocimboa da Praia, les soldats rwandais sont parvenus en quelques semaines à sécuriser en partie la province. La compagnie française, qui avait dû suspendre ses activités en raison des menaces, serait désormais sur le point de reprendre ses travaux.

Trois mois après le début de la contre-offensive, Paul Kagame était venu au Mozambique pour féliciter ses troupes. « Nous avons mon­tré ce que nous sommes capables de faire avec des ressources limitées, avait déclaré le 24 septembre 2021 le président rwandais. Les rebelles sont prévenus, nous ne les laisserons pas revenir menacer les vies des Mozambicains. »

Cette intervention de 3 000 soldats et policiers a été partiellement financée par l’Union européenne (UE) au titre de la Facilité européenne pour la paix, un mécanisme permettant de « soutenir des partenaires dans les domaines de la défense afin de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale ». Les militaires rwandais ont ainsi bénéficié d’une mesure d’assistance d’un montant de 20 millions d’euros, destinée notamment au transport de leurs troupes et à l’achat de matériel (tentes, véhicules, générateurs…).

« Disciplinés » et « efficaces »



Pour défendre les intérêts de TotalEnergies au Cabo Delgado, la France a-t-elle encouragé ce déploiement armé ? Selon ARIA, une structure à but non lucratif dévolue à la recherche sur des sujets liés au climat et à l’énergie, la chronologie des rencontres entre Paul Kagame, son homologue mozambicain, Filipe Nyusi, et Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, le laisse supposer.

« La France a été favorable à un accord entre le Rwanda et le Mozambique », relate Benjamin Augé, auteur de l’étude « Mozambique : les défis sécuritaires, politiques et géopolitiques du boom gazier » pour l’Institut français des relations internationales (IFRI) : « La volonté de Filipe Nyusi était aussi de limiter le rôle des armées de la SADC [Communauté de développement d’Afrique australe, dont des soldats sont aussi déployés dans la région] afin de réduire leur influence. Sur ce terrain très particulier, il avait aussi des doutes sur leurs capacités. »

Le 20 octobre 2022, une note de l’UE relative à l’intervention rwandaise au Cabo Delgado précisait que celle-ci pouvait permettre « la protection d’intérêts politiques, sécuritaires et économiques ». « Ces mesures d’assistance ont pour but de consolider la paix et de lutter contre le terrorisme en Afrique et ailleurs, explique Nabila Massrali, porte-parole du Service européen pour l’action extérieure, l’organe diplomatique de l’UE. Lorsqu’en décembre 2022, le Conseil européen a annoncé son soutien au déploiement de l’armée rwandaise au Mozambique, il a annoncé d’autres mesures en faveur des forces armées mauritaniennes [12 millions d’euros], géorgiennes [20 millions], libanaises [6 millions] et bosniennes [10 millions]. Il y a toujours un suivi très précis qui permet de contrôler si les fonds sont utilisés comme prévu initialement. Concernant le Rwanda, il s’agit du maintien de la stabilité au Cabo Delgado. »

Selon l’ONG Armed Conflict Location and Event Data Project (Acled), la rébellion djihadiste d’Ansar Al-Sunna, affiliée à l’EI, a fait en quatre ans près de 3 300 morts, pour moitié des civils, et provoqué le déplacement de 800 000 personnes.

« Les soldats rwandais sont très appréciés par la population mozambicaine », assure au Monde l’écrivain et ancien diplomate Jean-Christophe Rufin, auteur d’un rapport commandé par TotalEnergies sur les conséquences socio-économiques du projet gazier Mozambique LNG, dans lequel le géant français des hydrocarbures détient 26,5 % des parts : « Ils sont disciplinés, efficaces dans leurs interventions, et leurs casernes sont très bien gérées. » Dans son rapport, l’académicien recommande en revanche une révision des relations entre Mozambique LNG et les forces de défense mozambicaines, à l’origine de nombreuses exactions, selon plusieurs ONG locales. « Un dialogue est entamé avec les autorités mozambicaines à cette fin », fait savoir au Monde TotalEnergies.

Le précédent centrafricain



A court ou moyen terme, des sociétés privées venues de Kigali pourraient-elles venir tirer profit de l’intervention des soldats rwandais ? Fin février, Radar Scape, une société rwandaise spécialisée dans la sécurité, a gagné un contrat de 800 000 dollars pour la réhabilitation de logements. « La situation est assez floue, rien n’est encore établi, indique Benjamin Augé. Mais après le succès de l’armée rwandaise, TotalEnergies ne pourra pas refuser aux Rwandais leur part du gâteau. »

En conclusion de son discours au Mozambique, Paul Kagame avait indiqué à ses soldats que le Rwanda devait « maintenant continuer de protéger et reconstruire ce pays ». Deux ans plus tard, sa diplomatie militaire lui a donné une certaine influence politique sur place, comme en Centrafrique. Selon le ministère rwandais de la défense, 2 100 soldats y sont actuellement déployés comme casques bleus et 1 200 autres dans le cadre d’un accord bilatéral de soutien et de formation des forces centrafricaines. Par ailleurs, plus d’une centaine d’entreprises rwandaises sont actuellement enregistrées à Bangui. Elles n’étaient qu’une vingtaine en 2019.

« Le double objectif de la présence rwandaise en Centrafrique – assurer la sécurité tout en recherchant le profit – pourrait causer des problèmes », alerte l’International Crisis Group (ICG) dans un rapport intitulé « Le rôle croissant du Rwanda en République centrafricaine » : « Les Centrafricains craignent une prédation organisée de la part des investisseurs rwandais, qui sont considérés comme bénéficiant d’avantages déloyaux accordés par leur gouvernement. Cette inquiétude, renforcée par le secret qui entoure les opérations économiques de Kigali, pourrait conduire à des pillages et à des violences à l’encontre des Rwandais. »

Kigali entend-il reproduire au Mozambique le même modèle économique qu’en Centrafrique ? Les retombées sont encore difficilement mesurables, mais un véritable écosystème se développe dans des secteurs comme l’exploitation minière ou les BTP. Des sociétés telles que Macefield Ventures, NPD Limited ou Strofinare Mozambique sont déjà implantées. Elles sont toutes affiliées à la puissante holding Crystal Ventures, dont les actifs sont évalués à 500 millions de dollars. Incontournable au Rwanda, ce conglomérat présent dans l’ingénierie, la construction ou les biens de consommation est le bras financier du Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir depuis la fin du génocide des Tutsi, en 1994.

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